Bonjour à vous, lecteurs ! Avez-vous déjà lu des œuvres steampunk situées dans un univers sombre ? Jamais ? Ça tombe bien, car aujourd’hui je vais vous en présenter une.
Smog Of Germania, de Marianne Stern
Introduction :
Cette introduction risque d’être assez courte, puisque je n’ai pas pu trouver beaucoup d’éléments biographiques sur l’auteure dont je vais parler aujourd’hui, sinon qu’elle est physicienne de formation et qu’elle « puise son inspiration dans le ciel et les nuages ».
Smog of Germaniaest un roman paru aux éditions du Chat Noir en 2015, et réédité par Mnémos dans la collection de poche Hélios des Indés de l’Imaginaire en 2017.
L’histoire est celle de la princesse Viktoria, fille du Kaiser Wilhelm qui règne sur une Allemagne industrialisée au début du XXème siècle. Et alors que son père semble toujours sombrer dans la folie et l’opium et que son pays est aux portes de la guerre avec la France, Viktoria échappe de peu à une tentative de meurtre, sauvée par Jérémiah, son mystérieux garde du corps. Avec son aide et celle du tout aussi mystérieux maître-espion Maxwell, Viktoria va tenter de mettre au jour un complot qui se prépare depuis bien longtemps.
Le roman est donc assez sombre et bourré d’action et de rebondissements, avec une pointe d’humour et des personnages très intéressants, tout en s’appuyant sur un steampunk original.
Mon analyse portera sur l’originalité du steampunk que pratique Marianne Stern dans Smog of Germania, ainsi que sur l’ambivalence de ses personnages. Il n’y aura donc (encore) pas de partie avis, parce que j’ai tout simplement dévoré le roman, je l’ai adoré, et que je préfère vous parler des points intéressants de l’œuvre plutôt que de faire une simple review. J’en profite pour vous annoncer que cet article contiendra très peu (ou pas du tout) de spoilers, donc vous pouvez le lire sans crainte si vous n’avez pas encore lu le roman. Vous serez prévenus lorsque les spoilers deviendront trop importants, et vous pourrez alors passer à des parties de l’article qui ne vous dévoileront pas l’intrigue.
L’analyse :
Un steampunk original :
Smog of Germania est une œuvre originale grâce à la façon dont Marianne Stern emploie le steampunk et ses codes. Mais avant de vous parler du steampunk qu’on peut trouver dans le roman, je vais définir rapidement ce qu’est le steampunk, à partir du Guide Steampunk d’ActuSF paru en 2013.
D’après ce guide, le steampunk est « une réinvention de l’Histoire telle que nous l’avons connue, avec comme point de rupture une évolution différente de la technologie », qui possède « une dimension métatextuelle et référentielle à des figures historiques ou littéraires », mais aussi et surtout « un imaginaire du futur aujourd’hui obsolète et par conséquent rétro qu’il actualise et met en scène à travers le prisme des fictions anciennes en y injectant des techniques d’écriture, des préoccupations modernes. ». Si je reformule pour obtenir un propos relativement clair et concis, le steampunk est un récit qui possède une esthétique rétro-futuriste, c’est à dire qu’il utilise une vision de la technologie future telle qu’elle était vue par le passée, tout en faisant des références à ce passé de manière plus ou moins explicite et en explorant des thèmes et des questions actuelles. Les œuvres Les Voies d’Anubis de Tim Powers, Homunculus de James Blaylock ou encore Machines Infernales de K. W. Jester sont considérées comme étant les fondatrices du steampunk (je ne vous en dirai pas plus étant donné que je n’ai lu aucune de ces œuvres, que je devrais lire). En France, le steampunk a donné naissance à des œuvres comme Confessions d’un automate mangeur d’opium de Mathieu Gaborit et Fabrice Colin (dont je vous parlerai peut-être un jour si le relis) ou La Trilogie de la Lune de Johan Heliot (que je compte lire très prochainement!).
Voilà donc pour ma définition du steampunk. Si vous n’êtes pas d’accord avec celle-ci ou si vous avez des détails à rajouter, je vous invite à me faire part de votre avis en commentaire.
À présent, nous allons voir que Smog Of Germania répond aux codes du steampunk, mais avec une certaine originalité.
Tout d’abord, on peut voir que le roman se situe dans un contexte historique aux bornes bien définies, c’est-à-dire une Allemagne (et non pas l’Allemagne que nous connaissons) fortement industrialisée, « aux environs de 1900 », alors que le Reich du Kaiser Wilhelm est aux portes d’une guerre avec la France. Ce contexte se rappelle au lecteur par plusieurs aspects qui permettent une profonde immersion dans le roman grâce à l’atmosphère que certains détails créent.
Par exemple, le fait que le récit mette en scène des personnages allemands dans leur propre pays est mentionné à de nombreuses reprises dans le texte, mais aussi dans leurs paroles, puisque Viktoria et les autres personnages s’expriment parfois en langue allemande, avec de nombreuses occurrences des mots « Fraulein », « Nein » ou encore « mein Herr » ou d’autres mots allemands dans les dialogues. Beaucoup de toponymes, qu’ils soient réels ou fictifs, relèvent également de l’utilisation de l’allemand, avec « das Abenteuer », le « Reichstag » ou « Südhaffen », par exemple. Même les noms des personnages (« Viktoria », « Jeremiah », « Wilhelm »…) sonnent allemand. Tout ce foisonnement de détails donne un effet couleur locale (dont je parle décidément bien souvent) qui donne une vraie crédibilité à l’univers que dépeint Marianne Stern et qui le rend presque tangible pour le lecteur.
L’atmosphère d’avant-guerre se fait également sentir à travers divers préparatifs de guerre qu’effectue le Kaiser et la tension entre la France et le Reich allemand. Chacun des deux pays attend un débordement de son adversaire pour lui déclarer la guerre, quitte à créer des motifs lui-même, mais je ne vous en dirai pas plus. De plus, il est dit dans le roman que la « France digère mal la perte de l’Alsace-Lorraine », ce qui accentue encore cette tension d’avant-guerre.
« Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le steampunk et l’originalité du roman dont on parle ? », me direz vous.
Tout cet effet « couleur locale » allemande du début du XXème, ajouté à cette tension d’avant-guerre permettent de donner au steampunk de Marianne Stern une grosse dose d’originalité, puisqu’il prend place dans un pays que l’on a très peu l’habitude de voir dans ce genre, ou même dans l’imaginaire en général (ou que j’ai très peu l’habitude de voir dans ce que je lis, si vous connaissez des œuvres de l’imaginaire qui se déroulent en Allemagne, dites le moi en commentaire, je serai ravi de les découvrir!). Le contexte de Smog of Germania porte donc en lui une dose d’originalité de par le lieu et l’époque bien définis qu’il nous présente, mais aussi ce qu’il crée à partir des libertés qu’il prend pour nous montrer ce lieu et cette époque.
Le roman nous montre un Reich décadent au sein de Germania, à travers le Kaiser et sa cour. En effet, le dirigeant allemand est un personnage qui est devenu « fou », qui consomme de l’opium et qui ne surveille pas sa cour, qui organise des complots en permanence et qui n’a plus aucune morale, puisque les nobles deviennent de plus en plus débauchés sans que personne ne leur fasse la moindre remontrance. La folie du Kaiser se montre également dans son rapport avec sa fille, Viktoria et dans la manière dont il veut faire rayonner Germania, alors qu’elle est complètement polluée et que ses habitants ne voient même plus le soleil . La décadence morale se traduit aussi par le fait que le Kaiser et ses conseillers s’adonnent à un « jeu de guerre » dans « sa salle de guerre », au lieu de se préparer à une véritable guerre contre la France parce que le Kaiser est persuadé qu’il va gagner la guerre. La guerre est donc perçue comme un jeu et non plus comme une réalité au cours de laquelle la vie peut être perdue. Cette décadence permet de justifier les mésaventures de Viktoria, en plus de créer l’atmosphère sombre du roman.
ATTENTION : La partie qui va suivre peut contenir des spoilers, lisez la à vos risques et périls !
Atmosphère sombre renforcée par les « orfèvres » et les « alchimistes », qui peuvent créer toutes sortes de « merveilles » mécaniques, réparer des corps atrocement mutilés, ressusciter des morts, voyager dans les souvenirs… Ces êtres possèdent le « don », qui est une capacité autant crainte qu’admirée, de par la nature de ce qu’elle peut engendrer. La technologie et la magie du roman sont perçues de manière assez sombre et pessimiste, ce qui se voit autant dans les productions des orfèvres que dans la ville de Germania, avec la pollution, symbolisée par le « smog », la pauvreté et l’insalubrité de certaines parties de la ville. Cela renforce l’idée de décadence, en plus d’apporter une touche d’originalité au steampunk de Marianne Stern, puisque les créations des orfèvres, qui s’apparentent à des « merveilles scientifiques », sont perçues comme dangereuses rapidement, là où leurs consœurs provenant d’autres œuvres, comme « l’effluve » de Johan Heliot (dont je parle ici) sont perçues positivement au premier abord. Cette perception renforce donc fortement l’atmosphère sombre du roman, tout lui conférant de l’originalité.
Ici s’arrête la zone de spoilers. Tu peux reprendre ta lecture, toi qui ne veux pas te faire dévoiler trop de pans de l’intrigue.
Smog of Germania est un donc un roman steampunk original grâce au contexte qu’il nous présente, mais aussi grâce à l’atmosphère sombre qui se dégage de lui. Cette atmosphère et ce contexte sont portés par des personnages très intéressants, parce qu’ils sont ambivalents.
Des personnages ambivalents
Par souci de ne pas vous raconter le roman pour vous montrer à quel point les personnages sont ambivalents, j’ai décidé que cette partie de l’article serait très courte.
Avant de traiter de l’ambivalence, il convient de définir ce que c’est. Voici l’une des définitions que le dictionnaire Larousse en ligne propose : « Caractère de quelqu’un qui présente ou manifeste des comportements, des goûts contradictoires ou opposés. ».
Cette définition me semble correspondre aux personnages de Smog Of Germania, et je vais vous expliquer pourquoi.
Ici commence une nouvelle zone de spoilers, cher lecteur.
Commençons par Maxwell et Jérémiah, qui sont respectivement le maître-espion du Kaiser et le « chaperon » de Viktoria, mais aussi des frères jumeaux au service du Kaiser malgré eux et qui aspirent à retrouver la liberté pour ne plus avoir à servir personne. Ils portent en eux une grande part de tragique, puisqu’ils doivent servir le Kaiser par obligation (faute de quoi Jérémiah mourrait) et doivent donc s’occuper de toutes les basses besognes qu’il leur soumet, même lorsqu’elles impliquent de causer des « boucheries », notamment dans le cas de l’Exécuteur. Maxwell, quant à lui, complote contre le Kaiser pour pouvoir se libérer, mais aussi sortir son frère de sa situation, malgré son statut de maître-espion. Mais malgré leurs nobles aspirations (se libérer de l’emprise du Kaiser), les deux frères ne font pas dans la dentelle et n’hésitent pas à agir avec brutalité lorsqu’ils le jugent nécessaire, ce qui témoigne d’une certaine ambivalence de leur part, et je trouve que c’est ce qui fait le charme de ces deux personnages.
Ici se termine cette deuxième zone de spoilers, cher lecteur. Rassure-toi, c’était la dernière.
L’autre personnage qui est ambivalent par certains aspects et dont je souhaite vous parler, c’est Viktoria, le personnage principal de Smog of Germania. Le début du roman nous donne d’elle une image assez insupportable, puisqu’elle est une princesse et tend souvent à agir comme telle, avec arrogance et condescendance lorsqu’elle s’adresse aux autres personnages. Mais cette image tend à changer, puisqu’elle acquiert une certaine humilité et prend part de manière active dans l’intrigue, alors qu’elle était réduite à une sorte de boulet auparavant (bien qu’elle se comporte toujours comme une princesse), grâce à Maxwell et Jérémiah. La fin du roman lui donne également une grande part de tragique, mais je ne vous en dirai pas plus !
Le mot de la fin :
Si vous voulez lire un roman steampunk qui se détache un peu de ce que vous lisez habituellement, ou si vous voulez découvrir ce genre, je vous invite à lire Smog of Germania, qui est porteur d’une grande originalité de par son ambiance et ses personnages. J’ai entendu dire qu’une suite était sortie, j’espère pouvoir la lire bientôt !
La couverture est très belle et rien que le début de votre article m’a donné envie de mettre ce roman dans ma bibliothèque virtuelle sur Booknode. C’est l’époque qui m’attire un peu. J’aime beaucoup les histoires se déroulant au début XXe siècle. Dès que je le pourrais, je l’achèterai. 🙂
J’aimeAimé par 1 personne