Vision Aveugle, de Peter Watts

Salut à toi, lecteur. Aujourd’hui, je te parle d’un roman qui m’a complètement retourné le cerveau.

Vision Aveugle, de Peter Watts

 

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Introduction :

 

Peter Watts est un écrivain canadien né en 1958. Il écrit majoritairement de la science-fiction à l’heure où je vous écris, et il s’inscrit dans le sous-genre (n’y voyez aucune connotation péjorative) de la hard-science. La hard-science est un genre dans lequel les auteurs s’attardent beaucoup sur les détails scientifiques de leurs récits pour les rendre cohérents et en accord avec les sciences (ou ce qu’il est possible de faire avec la science) de leur époque. J’avoue que cette définition est un peu bancale, donc si jamais vous avez plus précis, je suis preneur !

Peter Watts a écrit la trilogie des Rifteurs, qui comprend les romans Starfish, Rifteurs et ßéhémoth, traduits et parus chez Fleuve Éditions (anciennement Fleuve Noir) en 2010, 2011 et 2012. Il a également écrit des nouvelles, dont un recueil, Au delà du gouffre, est disponible aux éditions du Bélial’. Vision Aveugle, dont je vais vous parler aujourd’hui, a été traduit et publié chez Fleuve Éditions en 2009. Sa suite, Échopraxie, a été traduite en 2015. À noter que tous les romans que j’ai cités sont depuis parus en format de poche chez Pocket (mis à part Échopraxie et le recueil de nouvelles paru au Bélial’).

Sur ce, je vous donne le résumé de Vision Aveugle :

« La Terre a été prise  » en photo  » depuis l’espace. Les mystérieux visiteurs sont-ils sur cet artefact découvert dans notre système solaire ? Le vaisseau Thésée part en mission. A son bord, cinq membres d’équipage recrutés avec soin : une linguiste aux personnalités multiples, un biologiste qui s’interface aux machines, une militaire pacifiste et un observateur, Siri Keeton, capable de déchiffrer à la perfection le langage corporel de ses interlocuteurs. Leur commandant est lui aussi bien étrange : c’est un homo vampiris, autrement dit, un vampire aux facultés intellectuelles remarquables. Pourtant, malgré leurs aptitudes exceptionnelles, rien ne peut les préparer à ce qu’ils vont découvrir lors de ce voyage terrifiant… »

Autant vous le dire tout de suite, ce roman m’a complètement bluffé, mais je ne vais pas pouvoir vous expliquer en détail pourquoi (sinon c’est du spoil, et croyez-moi, vous ne voulez pas vous faire spoiler Vision Aveugle). Mon analyse va donc porter sur la société post-humaine que décrit Peter Watts, puis je parlerai des questions philosophiques qu’il soulève, pour enfin en venir aux éventuelles difficultés de lecture du roman.

L’Analyse :

 

Une société post-humaine

 

Peter Watts décrit dans Vision Aveugle une société qui est presque complètement post-humaine.

Mais avant de vous expliquer en quoi la société dépeinte dans le roman est post-humaine, il convient que je vous explique ce qu’est le post-humain.

Le post-humanisme est l’idée que l’humanité peut s’affranchir de ses limites pour évoluer, que ce soit à l’aide la technologie (IA, implants ou greffes de membres mécaniques) ou de la biologie (manipulation génétique et thérapie génique). Le post-humanisme rejoint donc le transhumanisme sur de nombreux points.

Revenons donc à Vision Aveugle. La société décrite dans le roman semble en passe de devenir post-humaine, car elle présente de nombreux aspects qui relèvent de ce domaine.

Par exemple, il est devenu possible de devenir immortel en accédant au « Paradis », qui est une sorte de gigantesque serveur qui sert de monde habitables et modulable à souhait par ses habitants. Habitants qui sont connectés au Paradis via des branchements faits sur leurs corps. Cependant, le Paradis doit « gérer sa propre infrastructure » et doit donc se « nourrir » des corps de ses habitants. Corps qui sont d’ailleurs conservés dans un état qui se dégrade peu à peu et qui doit stimulé médicalement pour rester en bon état. Le « Paradis » appartient donc à une sorte d’utopie post-humaine, où l’être humain profite de la technologie numérique pour se débarrasser de son corps et ainsi créer un espace mental plié à sa volonté.

La technologie numérique a également eu un impact sur la natalité et les pratiques sexuelles dans le monde de Vision Aveugle. Le narrateur parle en effet du fait que la natalité a baissé pendant une génération, et évoque également le sexe ne se pratique plus « en personne », mais à l’aide de la réalité virtuelle (et ceux qui « baisent en personne » sont qualifiés de « vieux jeu ») qui permet de faire exactement ce qu’on veut avec son partenaire. Le fait que le sexe se pratique en réalité virtuelle et plus « en personne » donne donc un point commun à Siri, le narrateur, et « le reste de la société civilisée ». Cette pratique du sexe virtuel peut être rattachée à une post-humanité qui voit le corps comme une source de dégoût, parce qu’il est source d’un attrait « animal ».

On peut également soulever le fait que l’équipage du Thésée est constitué de post-humains, d’une certaine façon. La linguiste Susan James a réussi à scinder sa personnalité en plusieurs fragments pour former le « Gang des Quatre » (Susan, Cruncher, Sascha et Michelle) afin de devenir extrêmement efficace. Chacune des personnalités de Susan possède ses propres caractéristiques et est individualisée dans le roman, notamment à travers le fait que chacune des personnalités possède son propre langage, sa propre manière de parler et des relations très différentes avec le reste de l’équipage. Isaac Szpindel, le biologiste, a été augmenté mécaniquement via diverses opérations chirurgicales qui lui permettent par exemple de voir des rayons X et de manipuler des instruments de chirurgie comme des membres de son propre corps. Siri Keeton, le narrateur, est un synthétiste capable de décoder le langage et les mouvements du corps pour tirer des informations à propos de ses interlocuteurs. La moitié de son cerveau, qui est mécanique, lui permet de traiter également de traiter plus vite les informations, mais celui lui ôte certaines caractéristiques propres aux êtres humains « standards », telle que l’empathie (mais nous y reviendrons plus tard ). Quant au meneur de l’expédition, Jukka Sarasti, c’est un vampire, ou plutôt un homo sapiens vampiris. En effet, l’existence des vampires est justifiée d’un point de vue biologique dans le roman, puisqu’il s’agit d’une « sous-espèce humaine » qui possède ses propres caractéristiques biologiques (et vous verrez que même leur peur des crucifix est justifiée de manière biologique). Seule Amanda Bates, la militaire du groupe, ne possède pas de caractéristiques qui pourraient faire d’elle une post-humaine. Même Jukka Sarasti, malgré sa condition de vampire, est une sorte de post-humain puisqu’il est relié à l’IA du Thésée, «Le Capitaine », grâce à des implants.   Le reste de l’équipage peut être considéré comme post-humain en raison des améliorations mécaniques et neurologiques (dans le cas de Susan) qu’ils ont obtenues.

Peter Watts décrit donc dans une société et des personnages post-humains dans Vision Aveugle. La société et les personnages (ainsi que le fait qu’ils cherchent à aborder un Big Dumb Object) permettent à l’auteur d’aborder un certain de questions philosophiques, que je vais relever et tenter d’analyser (encore une fois, mon analyse ne repose que sur ce que je vois dans le livre et peut tout à fait être perçue comme non-pertinente).

Des questionnements philosophiques :

 

Vision Aveugle aborde de nombreux thèmes et questions philosophiques à travers la combinaison de deux thèmes assez connus en science-fiction, le Premier Contact et le Big Dumb Object, que je vais rapidement définir.

Le Premier Contact est un thème qui aborde les rencontres entre l’espèce humaine et les espèces extraterrestres et qui met l’accent sur la première rencontre entre les deux espèces. C’est un thème assez ancien en science-fiction, que l’on continue de retrouver aujourd’hui. Parmi les œuvres qui abordent ce thème, je peux vous citer La Guerre des Mondes d’H. G Wells, Spin de Robert Charles Wilson, ou encore La Trilogie de la Lune de Johan Heliot, dans une certaine mesure.

Le Big Dumb Object, ou BDO, est un thème qui aborde le contact entre la civilisation humaine et des gigantesques et mystérieux objets de très grande taille. L’anneau-monde de Larry Niven et Rendez-vous avec Rama d’Arthur C. Clarke parlent de ce genre d’objet.

Dans Vision Aveugle, ces deux thèmes sont combinés avec la rencontre entre le Thésée, le vaisseau de très haute technologie (il embarque tout de même une IA quantique et une fabrique qui peut créer des objets très complexes et peut aller plus loin que la ceinture de Kuiper, qui se trouve au-delà de l’orbite de Neptune) qui transporte l’équipage dont fait partie Siri Keeton, et le Rorschach, qui est le mystérieux objet extraterrestre qui pourrait avoir envoyé les fameuses « Lucioles » qui ont photographié la Terre, mais qui semble être à l’état embryonnaire ou infantile et qui surpasse pourtant bien vite les capacités de l’équipage du Thésée. Le roman montre donc que même avec une technologie de pointe dirigée par des êtres humains aux capacités grandement améliorées, l’espèce humaine peut être complètement dépassée face une intelligence d’un autre type que la sienne.

Cette intelligence que l’équipage du Thésée rencontre pose également le problème de la conscience sur le plan évolutif, c’est-à-dire que le roman va se demander si la conscience est UTILE à une espèce, mais va également montrer qu’il existe des types d’intelligence qui n’en ont pas vraiment besoin, et je ne vais pas vous en dire plus au risque de vous spoiler. Toujours est-il que les créatures extraterrestres présentes dans le roman sont très surprenantes, et étant donné que Peter Watts ne voulait pas « d’humanoïdes au front bombé » ou « d’insectoïdes géants », je trouve qu’il a vraiment bien réussi son travail.

La question de la conscience sur le plan évolutif et la rencontre avec des créatures extraterrestres font également émerger la question de l’évolution elle-même et de ses conséquences sur l’humanité. Ainsi, les personnages présents à bord du Thésée sont-ils toujours humains, malgré ce qui les sépare du reste de l’humanité ? Un vampire comme Jukka Sarasti peut-il être considéré comme un humain alors qu’il est un prédateur ? Le roman répondra plus ou moins à ces questions avec beaucoup d’éléments qui risquent de vous surprendre.

Enfin, la question de la communication se pose également. La linguiste Susan James pense que la communication peut permettre de résoudre tous les conflits, qu’ils soient internes ou externes. Le roman nuancera très largement ce point de vue grâce à certains retournements de situation que je ne spoilerai pas.

Mais malgré toutes les grandes qualités que Vision Aveugle possède, il peut néanmoins constituer un problème de lecture pour certains lecteurs qui seraient peu ou pas familiers avec la science-fiction ou avec le genre de la hard-science.

En effet, de nombreuses notions scientifiques sont abordées dans le roman et peuvent déboussoler, voire décourager les lecteurs qui n’ont aucune connaissance scientifique. Néanmoins, et je tiens à être rassurant sur ce point, ces notions sont parfois expliquées par les personnages, et l’auteur a rédigé une postface dans laquelle il parle plus en détail des notions abordées au cours du roman. Et puis ce n’est pas une honte d’aller fouiner sur Wikipédia (ce que j’ai fait) pour comprendre ce qu’on lit.

L’autre difficulté qu’il vous faudra surmonter est que le narrateur, Siri Keeton, avoue lui-même ne pas être fiable lors de son récit, puisqu’il dit, en parlant des membres de l’équipage du Thésée : « Ils n’ont jamais véritablement parlé de cette manière, en fait. Si je m’exprimais avec leurs vraies voix, vous entendriez du charabia, une demi-douzaine de langues, tout un brouhaha d’idiomes personnels. ». On pourrait donc dire que Siri Keeton altère la réalité lors de son récit, mais cela correspond à sa profession de synthétiste : Il rend intelligible aux lecteurs ce qui n’aurait autrement été que du « charabia ». Cette difficulté n’est donc que narrative, mais vous devrez la garder à l’esprit.

Le mot de la fin :

 

Vision Aveugle est un roman passionnant. Il m’a complètement surpris par son propos et l’originalité avec laquelle il aborde certaines questions philosophiques et certains thèmes assez classiques de la science-fiction. Alors si vous cherchez un roman original et intelligent qui vous fera réfléchir, lisez Vision Aveugle et le roman qui se situe dans le même univers, Échopraxie, que j’ai également trouvé génial et dont je vous parlerai peut-être si le cœur vous en dit !

29 commentaires sur “Vision Aveugle, de Peter Watts

  1. Un excellent roman, je n’ai de cesse de le répéter !
    Et un questionnement passionnant sur la conscience et l’altérité : pourquoi la conscience? Est-ce un avantage évolutif ou une incongruité? Comment communiquer avec quelque chose d’entièrement différent de nous, sans avoir la moindre assise culturelle commune, ni même biologique?

    Un petit bémol sur un point : à mon sens, les personnages sont transhumains, et non post-humains -mais je chipote-.

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      1. Ce n’est rien de grave, hein !
        Le post-humain, c’est l’être dont les capacités/l’évolution ne permettent pas de le rattacher à notre humanité tant il est étrange (et supérieurement compétent, bien souvent).
        La question du post-humanisme se pose bien dans le roman, mais dans le lot, je ne perçois peut-être qu’un seul post-humain possible : le capitaine (qui est à la frontière, je trouve, du post-humain).
        Le reste, ce sont bien des humains améliorés -pas des humains « classiques », loin de là, mais on les identifie tout de même par leur humanité, ils sont un stade intermédiaire entre le post-humain et l’humain classique-.
        Siri, je ne sais pas le situer. Est-ce un humain déficient? Ou un humain amélioré? La frontière est très floue…

        C’est comme ça que je l’interprète, du moins ! Qu’en penses-tu?

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  2. J’ai adoré Vision Aveugle? ET Ta critique par la même occasion. C’est un roman qui me laissera longtemps une impression très forte.
    Tu as raison d’inisster sur le post-humanisme inclus dans les thématiques. J’ai trouvé magistral ce traitement de Premier contact, et dans une moindre mesure ce qui a trait au Big Dump Object.
    Merci de ce moment très sympathique.

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