La Quête Onirique de Vellit Boe, de Kij Johnson

Je t’ai dernièrement parlé de La Quête onirique de Kadath l’inconnue, lecteur. Aujourd’hui, je vais parler de l’un des descendants littéraires de cette œuvre de H. P. Lovecraft.

La Quête Onirique de Vellit Boe, de Kij Johnson

Couve La Quête 1e et 4e

Introduction

 

Kij Johnson est une auteure américaine de science-fiction et de fantasy née en 1960. C’est une auteure peu connue en France, alors qu’elle a remporté plusieurs fois le prix Hugo pour ses nouvelles, mais aussi le Locus, le Nebula, qui forment à eux seuls trois des prix littéraires les plus importants en SFF, mais également le prix Theodore Sturgeon.

En France, ce sont les éditions du Bélial’ qui s’occupent de la traduction de ses œuvres (deux de ses nouvelles sont également disponibles dans la revue Angle Mort), et ont pour le moment traduit Un pont sur la brume en 2016 (qu’il faudra éventuellement que je relise), et La Quête onirique de Vellit Boe en février 2018, dont je vais vous parler aujourd’hui.

Je vous donne la quatrième de couverture du roman (ou novella) :

« Clarie Jurat a disparu. Nul ne sait où, mais il semblerait qu’elle se soit enfuie en compagnie d’un homme… un homme venu du monde de l’éveil. Au sein du Collège de femmes d’Ulthar, c’est la consternation : pareille fugue pourrait remettre en cause l’existence même de l’institution. Pour Vellitt Boe, le temps est venu d’abandonner ses atours confortables de professeure vieillissante au profit de sa défroque oubliée de voyageuse émérite ; retrouver son élève est impératif. Une quête qui la conduira loin, bien plus loin qu’elle ne l’imagine, d’Ulthar à Celephaïs, au-delà même de la mer Cérénarienne, jusqu’au trône d’une ancienne connaissance, un certain Randolph Carter… »

Vous l’aurez constaté, Kij Johnson, dans La Quête onirique de Vellit Boe, reprend les Contrées du rêve de Lovecraft (que l’on peut notamment observer dans La Quête onirique de Kadath l’inconnue), pour y ajouter une composante féministe extrêmement importante, et c’est précisément sur ces deux thématiques que va s’articuler mon analyse.

Avant de commencer, je tiens à préciser que l’objet livre est de très bonne facture, avec une carte en couleur des Contrées du rêve et des illustrations de toute beauté signées Nicolas Fructus, un illustrateur qui a travaillé dans la BD et qui a également conçu certaines des illustrations de couverture des livres parus aux éditions du Bélial’, avec par exemple Le Prince-marchand de Poul Anderson.

L’Analyse

 

L’intertexte avec Lovecraft

 

Kij Johnson reprend les éléments caractéristiques du Cycle du rêve d’H. P. Lovecraft, avec l’évocation des « rêveurs » venus du « monde de l’éveil » tels que Randolph Carter, le personnage principal de La Quête onirique de Kadath l’inconnue, mais également les créatures du bestiaire qui peuple les Contrées du rêve, avec les Zoog (des rongeurs possédant des tentacules faciaux), les Shantak, les goules, et même les gugs. Kij Johnson reprend également les lieux et environnements des Contrées du rêve, avec Ulthar, Céléphaïs, ou encore « le monde souterrain ». Tous ces éléments donnent un aspect riche et documenté à son œuvre.

Cet aspect riche et documenté est renforcé par des clins d’œil à certains aspects très précis du Cycle du rêve de Lovecraft, que seuls ceux qui ont lu les nouvelles de ce cycle peuvent connaître, avec par exemple, l’allusion que quelqu’un ait été emmuré vivant pendant la fondation d’Ulthar, l’ascension du « Ngranek » dont « aucun homme ne peut revenir sain d’esprit », le pouvoir des chats, les « Autres Dieux », les connexions entre le monde de l’éveil et les Contrées du Rêve, et même des allusions directes à certains événements racontés par Lovecraft, avec l’évocation de « La Malédiction de Sarnath », par exemple. Ces clins d’œil extrêmement précis, et placés dans la bouche du personnage de Vellit Boe, permettent d’affirmer son érudition et le fait qu’elle soit une grande voyageuse. On peut également y voir une volonté de Kij Johnson de rappeler qu’elle n’écrit pas un simple pastiche de Lovecraft, mais une fiction lovecraftienne à part entière.

Le féminisme

 

Kij Johnson, avec La Quête onirique de Vellit Boe, s’inscrit dans une certaine mouvance d’auteurs qui reprennent l’univers de Lovecraft dans leurs récits pour le traiter avec des problématiques modernes, tout en l’expurgeant de certains de ses aspects problématiques, le racisme et la non-apparition de femmes en tête, ce qui est une manière de moderniser et de pérenniser ses récits. Cela permet également de montrer l’influence (gigantesque) de cet auteur sur l’imaginaire, tout en gardant à l’esprit que certains des récits sont très polémiques, voire ouvertement racistes (je vous conseille d’ailleurs de lire cette chronique d’Apophis pour vous en rendre compte).

La Quête onirique de Vellit Boe est un récit féministe, et cela se voit par un grand nombre d’aspects du texte. Je ne les relèverai pas tous, mais je vais néanmoins vous en donner quelques uns qui sont significatifs.

La novella met en scène un personnage féminin, Vellit Boe, enseignante dans un collège de femmes menacé par le scandale que pourrait causer la disparition d’une élève. Elle est donc chargée de retrouver Clarie Jurat pour éviter la fermeture de ce collège, ce qui l’amène donc à voyager à travers les Contrées du rêve, ce qu’elle a déjà fait par le passé, dans sa jeunesse.

Ce voyage nous montre Vellit Boe en constante opposition à des hommes qui ne veulent pas d’elle en tant qu’aventurière, c’est-à-dire en tant qu’aventurier de sexe féminin, puisque par exemple, on la « dévisage d’un air méprisant avant de s’occuper d’un homme » et elle est souvent la seule femme à voyager parmi des groupes masculins. L’auteure mentionne également que son personnage s’est déjà fait violer (« qu’une fois », ce qui sous-entend sans doute que cela est arrivé plus fréquemment à d’autres), qu’il n’y a pas de « rêveur féminin », et aux dires de Randolph Carter, c’est parce que « les femmes ne rêvent pas en grand ». L’auteur prend donc le parti des femmes, d’une femme, dans un monde qu’elle peint comme contaminé par la misogynie en plaçant des propos misogynes dans la bouche de Carter, qui est à l’origine un personnage de Lovecraft.

Enfin, le personnage de Vellit Boe est un personnage féminin fort, qui sait prendre des décisions, qui prépare ses expéditions, se renseigne correctement et est capable d’agir. C’est un personnage actif, là où Randolph Carter apparaît très passif et ballotté par sa propre quête dans le récit de Lovecraft, et cette passivité du personnage s’observe dans ses échanges avec Vellit Boe. À noter également que le récit invoque devant Vellit Boe un personnage très important, sans le nommer, auquel Vellit fait face sans presque sourciller, ce que n’avait pas fait Carter lorsqu’il s’était retrouvé confronté à lui.

Le mot de la fin

 

La Quête onirique de Vellit Boe est une œuvre très intéressante, qui reprend les éléments du Cycle du rêve de Lovecraft dans des perspectives féministes, et permet de découvrir la plume d’une auteure encore trop peu connue en France. Je vous le conseille donc vivement, mais de préférence après avoir lu La Quête onirique de Kadath l’inconnue pour pouvoir repérer les clins d’œil et peut-être vous sentir un peu plus immergé.

Vous pouvez également consulter les chroniques du Chien critique, Apophis, FeydRautha, L’Ours Inculte, Blackwolf, Mahault, Célindanaé, Vert, Boudicca, Dionysos, LairdFumble

27 commentaires sur “La Quête Onirique de Vellit Boe, de Kij Johnson

  1. Les seuls livres que j’ai tenté de Lovecraft devaient être Dagon et Démons et merveilles, j’ai abandonné à chaque fois me souviens plus pourquoi à part que c’était chiant ^^ ce qui est déjà une bonne raison, je ne sais pas si j’ai mal choisi les titres où s’ils sont tous comme ça mais celui de Kij Johnson à une perspective plus intéressante, à voir

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