Le Grand Livre de Mars, de Leigh Brackett

Salut à toi, lecteur. As-tu déjà entendu parler de Leigh Brackett ? Non ? Dans ce cas, aujourd’hui, dans Exhumation je me propose de t’aider à connaître cette grande dame de l’imaginaire, en te parlant d’une bonne partie de son œuvre aujourd’hui.

Le Grand Livre de Mars, de Leigh Brackett

 

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Introduction

 

Leigh Brackett est une auteure et scénariste de science-fiction (ou de science-fantasy, je reviendrai sur ce terme plus bas) et de romans policiers américaine, née en 1915 et morte en 1978. Elle était également professeur de natation et de théâtre. Elle a écrit à l’époque des pulps, ces magazines de littérature dite (et j’insiste vraiment sur le dite, qui ne reflète absolument pas mon avis, bien au contraire) populaire, qui ont contribué à l’essor des littératures de l’imaginaire des années 1920-1930, avec Weird Tales par exemple, aux années d’après-guerre (1940-1960) avec Astounding ou Planet Stories, dans lesquelles elle a publié des récits, par exemple. Je note également qu’elle était mariée à Edmond Hamilton, autre grand auteur de SF de cette époque (il était notamment le créateur de Capitaine Futur, bien connue en France sous le nom de Capitaine Flam, qui n’est, je cite, « pas de notre Voie Lactée »).

Leigh Brackett, outre le domaine des récits de SF (que nous verrons en détail plus bas), était également connue pour ses romans policiers et sa participation à des scénarios de films, tels que Le Grand Sommeil de Howard Hawks, Le Privé de Robert Altman (que j’ai étudié en cours au semestre dernier), et le premier scénario de… L’Empire Contre Attaque, de Georges Lucas. Oui oui, vous avez bien lu.

Mais ce qui va m’intéresser aujourd’hui, c’est l’œuvre littéraire de Leigh Brackett, restée pendant assez longtemps indisponible en France malgré les publications par OPTA (dans la légendaire collection du Club du Livre d’Anticipation), Marabout, ou encore Pocket et J’ai Lu. Mais en 2008 et 2014, les éditions du Bélial’ ont publié deux volumes reprenant des récits de Leigh Brackett, avec Le Grand Livre de Mars et Stark et les rois des étoiles, dans des éditions très soignées et qui se veulent savantes, puisque dotées de traductions révisées, préfaces, postfacées, d’une bibliographie exhaustive, et comportant même un glossaire.

Je vais donc m’attarder aujourd’hui sur Le Grand Livre de Mars, qui, comme son titre l’indique, comporte les récits de Leigh Brackett qui se déroulent sur la planète Mars. Mais pas celle que nous connaissons aujourd’hui à l’aide des sondes et des recherches scientifiques, non. Celle qui était rêvée par de nombreux auteurs avant ces découvertes, dont Edgar Rice Burroughs (l’auteur de Tarzan, mais aussi l’auteur de nombreux récits d’aventure martiens, avec le fameux John Carter), et bien sûr Leigh Brackett, qui a créé une véritable mythologie et une Histoire complète de cette planète à travers ses récits. Le Grand Livre de Mars est donc un recueil qui comporte trois romans (L’épée de Rihannon, Le Secret de Sinharat et Le Peuple du talisman) et les nouvelles Le Jardin du Shanga, La Malédiction de Bisha, Les Derniers jours de Shandakor, La Prêtresse pourpre de la lune folle, et La Route de Sinharat. Ces récits sont originellement parus de 1953 à 1967.

Le but de cette chronique ne sera pas de faire une analyse de chaque récit, mais plutôt de vous en donner une idée précise, à travers les grands thèmes explorés par l’auteure, sans pour autant vous spoiler. Ceci étant dit, c’est parti !

L’Analyse

 

Mars, entre grandeur passée et décadence présente

 

Les récits martiens de Leigh Brackett sont chargés d’une histoire et d’un lore que l’auteure construit au fil de ses textes. Le lecteur percevra les détails de ce lore à travers les informations données par les narrateurs des différents récits, ou parce que l’Histoire de Mars y est bel et bien présente et y joue même un rôle. En effet, la plupart des récits évoquent la grandeur passée de Mars et des différents peuples (ou même races non-humaines) qui ont vécu sur la planète rouge, avec les dynasties des rois des cités des Bas-Canaux (Jekkara, Valkis et Barrakesh), les Qiru qui sont capables de manipuler le temps ou de créer des artefacts surpuissants, les Rama qui possèdent des technologies leur permettant de changer de corps, et bien d’autres. Ces différentes populations, lorsqu’elles sont intégrées aux récits, sont soit sur le déclin et décadentes, soit quasiment disparues (et encore décadentes) au moment où le narrateur est confronté à elles. Mais L’épée de Rihannon, le récit qui met en scène Matthew Carse, un archéologue, nous donne à voir la Mars du passé, celle qui est au sommet de sa gloire, mais qui donne toujours à voir un univers qui semble hors du temps, où on trouve des technologies très avancées, mais où la guerre se fait à la lance et à la hache, comme la plupart des autres récits, finalement, mais j’y reviendrai. Le lore que Leigh Brackett donne à sa planète Mars nous permet de nous rendre compte de la fascination que cette planète exerçait sur les auteurs de cette époque, et qu’elle exerce sans doute encore sur certains d’entre nous, dont votre humble serviteur par exemple.

Cependant, le temps de la Mars glorieuse est bien souvent passé dans les récits du Grand Livre de Mars. Leigh Brackett nous donne à voir une planète désertique, anciennement océanique, ses habitants vivent dans la pauvreté au milieu d’environnements qui sont en ruines et certains d’entre eux sont considérés comme « primitifs » (comme les « tribus des Terres Sèches »), ils font la guerre avec des haches et des lances alors que le Système Solaire est dans une « ère spatiale », et s’opposent donc aux Terriens, qui semblent plus avancés qu’eux. La planète est également en proie à la décadence et au vice, qui sont des thèmes que l’on retrouve énormément au long du recueil, que ce soit par la mention de la drogue du « Shanga » (un rite qui fait régresser à l’état sauvage ceux qui le pratiquent, et qui peut même aller plus loin), les rites ésotériques et dangereux de la « Prêtresse Pourpre », les luttes de pouvoir entre des « barbares », mais aussi le fait que les représentants des anciennes races surpuissantes sont très affaiblis ou disparus, avec les Ramas ou les habitants de Shandakor, par exemple, mais je ne peux pas vous en dire plus. Mais malgré leur déchéance apparente, les Martiens méprisent les Terriens, parce que ceux-ci cherchent à exploiter les ressources de leur planète, mais également, et vous le verrez, parce que Mars possède une fierté.

Les environnements que Leigh Brackett dépeint, bien que désertiques et assez pauvres au premier abord, sont toutefois empreints d’une grande beauté exotique, avec les ruines de Sinharat ou de Shandakor par exemple. Les descriptions des Martiens et des Martiennes, qui ont les yeux jaunes et la peau mate, et des coutumes vestimentaires différents de celui des Terriens (les Martiennes portent souvent des clochettes dans leurs cheveux, aux poignets et aux chevilles, sont souvent poitrine nue…) qui nous donnent à voir une toute autre société, décrite avec un style travaillé, qui peut rappeler certains aspects du romantisme « qui rappelle les origines gothiques de la science-fiction », comme le dit Michael Moorcock dans la préface.

De la grandeur passée et de la décadence de Mars découlent un profond souffle épique et tragique, que l’auteure met souvent en scène dans ses récits, avec les quêtes de Stark et d’autres pour lutter contre la colonisation de Mars ou encore contre l’exploitation de ses peuples et de ses ressources, à travers des conflits sanglants dans lesquels ils mettent leur vie en jeu. En ce sens, certains récits sont à la fois épiques et porteurs de messages de par les idéaux de certains personnages, comme Eric John Stark, qui n’est pas si « sauvage » et « barbare » qu’on peut le penser.

Le tragique s’observe aussi avec des amours impossibles entre les personnages terriens et des femmes martiennes qu’ils rencontrent (Les derniers jours de Shandakor, Le Jardin du Shanga, Le Secret de Sinharat…), parce que leurs destinées sont bien souvent complètement et littéralement incompatibles, ce qui donne une certaine grandeur à ces amours.

On découvre ces environnements désolés à travers les yeux de personnages Terriens, qui sont soit des aventuriers comme Eric John Stark, soit des universitaires qui connaissent Mars, du moins en théorie, comme Matthew Carse ou Harvey Selden, par exemple. Ces Terriens vont soit être fascinés par la planète rouge, soit être victimes d’une forte désillusion à l’issue des aventures qu’ils vont y vivre.

Les récits du Grand Livre de Mars peuvent être rattachés au genre de la science-fantasy, qui est un genre aux limites assez floues, mais qu’on peut définir (ou tenter de définir) comme étant un hybride du merveilleux ou de la magie de la Fantasy et de l’aspect scientifique de la SF. Les récits martiens de Leigh Brackett peuvent être rattachés à ce genre, puisqu’ils mettent en scène une technologie suffisamment avancée pour qu’elle soit perçue comme de la magie (comme le disait Arthur C. Clarke, « « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. »), ou une technologie avancée comme les vaisseaux spatiaux habités qui vont de la Terre jusqu’à Mars (exploit dont nous sommes encore incapables un demi-siècle après la parution de ces récits), dans un monde où des guerres tribales ont lieu et se pratiquent avec des armes comme des lances ou des haches. Ce genre permet à la fois de justifier le « primitivisme » (j’utilise ce mot sans aucune connotation négative) des Martiens et l’avancement des technologies qu’ils utilisent, mais également le fait qu’ils soient visités par des Terriens.

Un certain prisme politique

 

Je ne vais ici pas parler d’idéaux politiques au sens strict (mon but n’est pas d’analyser la doctrine d’un auteur), mais plutôt de faire quelques suppositions à partir de ce qu’on peut lire et voir dans les récits de Leigh Brackett.

L’auteure met en scène des personnages féminins forts, tels que Ywaine de Sark dans L’épée de Rihannon, les femmes Rama dans Le Secret de Sinharat, ou encore une certaine Ciaran dans Le Peuple du talisman). Ces personnages féminins sont forts, guerriers et rivalisent souvent avec les héros masculins qui souhaitent les dominer ou leur prouver leur valeur. Ces femmes sont également meneuses d’hommes et stratèges. Ces personnages féminins peuvent être perçues comme l’émanation d’un certain féminisme de l’auteure.

Certains messages des différents récits sont également intéressants. L’auteure nous montre que si la rationalité n’a pas toujours raison dans La Malédiction de Bisha ou La Prêtresse pourpre de la lune folle, mais semble également désavouer les croyances dans Le peuple du talisman, Le secret de Sinharat, Les Derniers jours de Shandakor. On pourrait expliquer cette défiance vis à vis de ces deux ordres par le fait que Leigh Brackett privilégie l’action, car ses personnages principaux sont très souvent des hommes d’action un peu roublards et durs à cuire, à l’image d’Eric John Stark.

Échos passés, échos futurs

 

Je terminerai cette chronique en évoquant les échos de textes passés (d’auteurs qui précèdent Leigh Brackett sur le plan de l’histoire littéraire) et de textes futurs (d’auteurs qui lui succèdent sur le plan de l’histoire littéraire) que l’on retrouve dans les récits du Grand Livre de Mars. Les races oubliées, aux pouvoir surpuissants qui donnent naissance à des légendes et des rites qui heurtent toute rationalité et tout bien-pensance de par leur véritable nature et la manière dont elles apparaissent aux humains (Le Jardin du Shanga, Le Peuple du talisman, et surtout La Prêtresse pourpre de la lune folle) peuvent rappeler les textes d’H. P. Lovecraft. Quant à L’épée de Rihannon et son mécanisme narratif (sans trop vous spoiler, une histoire de réincarnation et d’un porteur d’épée), elle peut rappeler le Multivers de Michael Moorcock (Elric, Hawkmoon, Erekosë, Corum…).

Le mot de la fin

 

Le Grand livre de Mars a été pour moi une formidable découverte. Je ne connaissais absolument pas Leigh Brackett et ses récits, et je dois avouer qu’ils m’ont totalement conquis, tant par leur souffle épique que par le style de l’auteure, que j’ai beaucoup apprécié. Je vous parlerai sans doute de Stark et les rois des étoiles, deuxième intégrale des récits de Leigh Brackett publiée au Bélial’ avec une joie immense !

Reposez en paix, Leigh Brackett. Vous portez très bien votre titre de queen of space opera.

Vous pouvez également consulter les chroniques de Lorkhan pour L’Épée de Rhiannon

12 commentaires sur “Le Grand Livre de Mars, de Leigh Brackett

  1. Très belle critique encore une fois avec une analyse complète et beaucoup de référence (même si je ne connais tout ce que tu sites, cela peut donner des pistes). J’hésites encore pour celui-là, les avis étant relativement divergeants à son sujet. Mais cette couverture ❤
    Merci pour ton retour de lecture ^^

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      1. Yep je connais et très belle aussi même si ma préférence va au Grand Livre de Mars, je l’ai dans ma wishlist (mais pour trouver au Cultura ou quoi, c’est juste la misère, et je te parle même pas des librairies belges 😦 )

        Aimé par 1 personne

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