Toxoplasma, de Sabrina Calvo

Salutations, lecteur. T’intéresses-tu au Grand Prix de l’Imaginaire ? Non ? Eh bien aujourd’hui, je vais te présenter le roman qui l’a remporté cette année, dans la catégorie roman francophone.

Toxoplasma, de Sabrina Calvo

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Introduction

Avant de commencer, je tiens à préciser que cet article émane d’un service de presse de la part de La Volte, que je remercie chaleureusement pour leur envoi !

Sabrina Calvo est une autrice française née en 1974. Elle est également dessinatrice, scénariste, et travaille dans le secteur du jeu-vidéo. Elle voyage souvent entre la France et Montréal (vous verrez que cette information possède son importance). Ses œuvres mêlent souvent science-fiction, fantastique et réalisme magique, qui se différencie du fantastique par son aspect plus onirique et moins horrifique. Elle a déjà reçu le prix Julia Verlanger en 2002 pour Wonderful, et le prix Bob Morane en 2016 pour Sous la Colline, avant de remporter le Grand Prix de l’Imaginaire pour Toxoplasma. Ses trois derniers romans, Elliot du Néant (2012), Sous la Colline (2015) et Toxoplasma (2017), dont je vais vous parler aujourd’hui, sont disponibles chez La Volte.

Sans plus attendre, voici la quatrième de couverture du roman :

« Après un grand soulèvement, l’île de Montréal est assiégée – ses ponts bloqués par l’armée fédérale. Internet disparu, une Commune improbable s’y organise, redoutant à tout instant l’effondrement du monde.

Au cœur de ce chaos, Nikki Chanson, détective pour chats perdus et spécialiste de films de série Z dans un vidéo-club à la dérive, enquête sur des sacrifices de rongeurs. Entre hallucinations en VHS et cauchemars de forêt détruite, son quotidien s’engouffre bientôt dans une conspiration dont elle ne percera le mystère qu’avec l’aide d’une coureuse de bois virtuels et d’une marionnette d’un show pour enfants.

Thriller proto-cyberpunk, déclaration d’amour aux nanars d’horreur, Toxoplasma est un roman poétique et politique, qui réussit à allier le burlesque à la tension d’une intrigue fantastique. »

Dans mon analyse, j’évoquerai premièrement l’intrigue du roman, qui rend hommage à certaines formes de militantisme et aux contre-cultures (ou cultures alternatives), puis je vous parlerai brièvement du style de l’autrice. Je ne m’étendrai (comme souvent, d’ailleurs) volontairement pas sur certains éléments de l’intrigue pour ne pas risquer de vous spoiler. Je vous invite à me transmettre votre opinion sur cette manière de procéder en commentaire.

L’Analyse

Une intrigue tentaculaire et militante

L’intrigue de Toxoplasma avait été qualifiée de tentaculaire par l’Ours Inculte (je vous conseille au passage de jeter un œil à son blog) dans sa chronique, et cela rejoint assez mon opinion. Je m’explique, et je vais tâcher de vous montrer en quoi ce n’est pas quelque chose de négatif. Dans le roman de Sabrina Calvo, le lecteur suit Nikki Chanson, qui enquête sur des meurtres étranges d’animaux dans la Commune de Montréal, formée à la suite de nombreux événements politiques fâcheux, avec en tête de liste, la montée du fascisme dans le monde et son accession aux gouvernements. On suit donc les tâtonnements et les découvertes de Nikki, mais également les tribulations de Kim, sa petite amie, au sein de la « Grille », une sorte d’espace virtuel qui a succédé à Internet (qui a été détruit) et dans lequel des hackers peuvent se déplacer pour pirater des banques ou voler des données d’entreprises privées. De par les points de vue et les activités des deux personnages principaux, on peut observer que le roman de Sabrina Calvo mêle thriller fantastique (ou même horrifique) et cyberpunk, sur un fond de conspirations étranges, qui mettent les deux jeunes femmes aux prises avec le réel et le virtuel, qu’il soit onirique (des marionnettes qui parlent), informatique (des espaces virtuels), ou même les deux à la fois.

La narration peut donc sembler éparse de prime abord, puisque l’autrice propulse le lecteur dans son monde sans rien lui expliquer ou presque, et en lui présentant deux personnages point de vue dont les aventures n’ont a priori aucun lien. Les premiers chapitres pourront donc sembler laborieux, parce que c’est le lecteur qui doit faire un effort intellectuel pour se plonger dans l’intrigue et comprendre les liens entre les enquêtes de Nikki et les plongées dans la « Grille » de Kim, mais également ce qui se déroule dans l’univers d’anticipation (on parle d’une Amérique « post-Trump ») dépeint par l’autrice. Ces premiers chapitres peuvent vous sembler laborieux à cause de l’aspect épars de l’intrigue, mais également parce que le roman emprunte beaucoup d’éléments au genre du cyberpunk (un sous-genre de la SF dans lequel le futur est souvent très technologique et axée sur les évolutions de l’informatique, et la tonalité assez pessimiste et/ou ironique), et plus particulièrement au roman qui lui a donné naissance (du moins officiellement, certains argueront, probablement à raison, que Dr Adder de K. W. Jeter a en vérité fait naître le cyberpunk) et l’a popularisé, Neuromancien de William Gibson. En effet, Neuromancien possède également une tendance à résister à ses lecteurs, mais il ne faut pas abandonner le roman (Toxoplasma comme Neuromancien) pour autant, parce qu’ils en valent la peine.

Toxoplasma possède également un côté militant et punk. En effet, Sabrina Calvo met en scène dans sa Commune de Montréal ce qu’on peut appeler (je tiens ici à préciser que les termes que j’emploie ne sont pas des jugements de valeur) des contre-cultures ou des cultures alternatives. Pour rappel, une contre-culture (ou culture alternative) est une culture qui se place en opposition ou en parallèle à une culture dite « dominante », qu’elle cherche à subvertir à travers son art et ses codes. Par exemple, la culture punk est une contre-culture, parce qu’elle est contestataire à la fois politiquement de par son anticapitalisme par exemple, mais également culturellement, parce que la musique punk des années 1970 en Angleterre, avec des groupes comme les Sex Pistols, dont les morceaux viennent heurter la sensibilité des bourgeois (et des hippies) de l’époque. La culture punk est très présente dans Toxoplasma, tant dans sa dimension culturelle que militante, et ce de manière complètement assumée. En effet, Nikki croise des personnages qui peuvent tous être qualifiés de punks ou de contestataires à l’autorité de par leurs opinions politiques ou leur culture, avec des punks « classiques », des anarchistes, des militants anti-spécistes, des natifs américains qui font perdurer leur culture, des vegans, et même des passionnés de VHS et de nanars des années 1970. Dans le roman de Sabrina Calvo, ce qui est considéré comme une contre-culture foisonne, tant dans la représentation des milieux où elle s’exprime (squats, concerts, fêtes informelles, radio pirates, planques, vidéo-club, université…) que dans les références données par l’autrice, avec des films d’exploitation nanardesque des années 1970-1980 (les nanars sont des films tellement mauvais qu’ils en deviennent ridicules, amusants et par conséquent regardables), avec par exemple les films de Kevin Connor, ou encore Forbidden World ou Galaxy of Terror, ou des groupes de punk (ou post-punk) comme Unwound. Le roman s’ancre pleinement dans ces cultures et les met en scène, pour montrer au lecteur ce qu’elles sont capables de créer ou d’engendrer lorsqu’elles trouvent un espace d’expression. Il est aussi intéressant de noter qu’alors que les contre-cultures dominent dans Toxoplasma, la culture dite dominante est très peu mentionnée ou mise à l’écart, ce qui fait que les rapports de domination culturelle s’inversent, comme si l’autrice choisissait de donner la parole à des cultures trop laissées de côté ou trop moquées par la culture dominante.

Un style protéiforme au service du décor du roman

Sabrina Calvo plonge son lecteur dans la Commune de Montréal. Le parler québécois (ou montréalais, s’il y a une différence entre les deux, je l’ignore tout à fait) est donc très présent au sein du roman, notamment dans les dialogues, avec une présence de mots issus de l’anglais et des idiomes (des termes dont l’usage est propre à une communauté) québécois : « crap », « calisse », « crisse », « coke », « c’est-i ben », « chum »… Ce parler québécois contribue à l’identité du roman et lui permet de véritablement s’ancrer géographiquement dans son contexte grâce à un effet de couleur locale, qui prend appui sur la langue, mais également sur les lieux de Montréal décrits par l’autrice et appuyés par une carte légendée sur les premières pages de l’objet-livre.

On trouve beaucoup d’oralité dans les dialogues, et même dans certains passages narratifs, marquée par des coupures, des injures, et des tournures familières (« t’as », « y a de », « atta », « meuf »…). Cette oralité, ainsi que la narration au présent, donnent un côté authentique et brut au roman de Sabrina Calvo.

Le style de l’autrice emprunte également au cyberpunk, et en particulier au Neuromancien de William Gibson (quelques références explicites sont même présentes, avec la mention d’un « Ono-Sendaï). Le langage informatique et l’aspect punk du genre sont présents («  console », « run », « compiler », « scripts », « disques optiques », « serveur »…), ce qui confère un aspect très technique aux activités de Kim et de ses compagnons sur la « Grille », mais qui permet d’identifier rapidement dans quel genre elles s’inscrivent. L’aspect cyberpunk de Toxoplasma est également renforcé par le changement typographique lors des dialogues en chat textuel.

Le mot de la fin

J’ai beaucoup aimé Toxoplasma. Sabrina Calvo parvient à mener une intrigue qui mélange thriller, fantastique et cyberpunk, avec des personnages et un décor hors-norme, punk, qui rend hommage aux contre-cultures en leur donnant un espace d’expression gigantesque. Pour moi, ce roman mérite largement son Grand Prix de l’Imaginaire, et si vous voulez découvrir la plume particulière et l’imaginaire de Sabrina Calvo, ruez-vous sur ce roman !

Vous pouvez également consulter les chroniques de Boudicca, Dionysos, Le chien critique, L’Ours inculte, Rêvelecteur

23 commentaires sur “Toxoplasma, de Sabrina Calvo

  1. Très belle chronique (comme toujours) et très détaillée sur un livre qui m’a l’air super intriguant et créatif. C’est d’un original que justement ça me fait peur. Lol. Mais je prends note et je vais me renseigner. Tu as carrément allumé ma curiosité. Bien joué 😉

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