Une interview de Nancy Kress

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, voici un article un peu spécial, puisqu’il s’agit non pas d’une chronique, mais d’une d’interview.

En effet, grâce à mon partenariat avec les éditions ActuSF, que je remercie au passage, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser une interview par mail de l’autrice américaine Nancy Kress, dont je vous ai déjà parlé sur le blog à plusieurs reprises.

Je lui ai donc posé plusieurs questions en anglais, et elle a eu la gentillesse d’y répondre ! Je la remercie encore une fois d’en avoir pris le temps !

Je vais vous donner ma traduction en français de l’interview. Je publierai la version originale, en anglais, dans un autre article qui sera publié en même temps que celui-ci ! Je tiens à préciser que vous pouvez me signaler les erreurs de traduction en commentaire si jamais vous en voyez, je ne me considère pas comme étant infaillible et par conséquent, je suis ouvert à toute suggestion de corrections. Je tiens également à signaler qu’il s’agit de ma première « véritable » traduction, donc il serait tout à fait normal que des erreurs subsistent, même après plusieurs relectures de ma part.

Je tiens également à préciser que l’expression « auteur engagé » au sens politique n’existe pas en anglais, j’ai voulu la traduire en anglais par « committed writer », mais l’expression n’a pas du tout le même sens, ce qui fait que la réponse de Nancy Kress est assez confuse. Il s’agit d’une erreur de ma part dans les termes de ma question et je tiens à m’en excuser.

Ceci étant fait, voici la version française de l’interview !

Une interview de Nancy Kress

Marc : Bonjour, je suis Marc, un blogueur français. Je suis également étudiant en littérature à Paris-Sorbonne, et cette année, j’écris un mémoire qui traite des questions écologiques dans les littératures de l’imaginaire. Je suis très heureux de pouvoir vous interviewer, parce que j’admire vos œuvres, et je vous remercie de m’accorder votre temps.


Marc 
: Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?

Nancy Kress : Je m’appelle Nancy Kress (en français dans le texte). J’aurais aimé pouvoir faire le reste de cette interview en français, mais mon français d’écolière est très rouillé ! J’écris de la fiction depuis quarante ans et j’ai publié trente romans, quatre recueils de nouvelles, et plus d’une centaine de nouvelles et de novellas. Mes œuvres ont gagné six prix Nebula, deux Hugo, un Theodore Sturgeon, un John W. Campbell et deux « Grands Prix de l’imaginaire » pour Danses Aériennes (2018) et L’Une rêve, l’autre pas (1995). Beaucoup de mes œuvres ont pour thématique les modifications génétiques.

Ça, c’est une description factuelle de ma personne en tant qu’autrice. Je suis aussi la mère de deux grands garçons, une très mauvaise joueuse d’échecs qui aime malgré tout jouer y jouer, mais également la femme de l’auteur Jack Skillingstead, une adoratrice des romans de Jane Austen, une professeure occasionnelle dans des ateliers d’écriture, et la propriétaire du caniche en peluche le plus choyé, Cosette, qui est malheureusement très vieille et qui est devenue sourde. Les ordinateurs me déconcertent mais je lutte courageusement contre ma Surface Pro de Microsft, et je demande de l’aide en numérique à qui veut bien m’en donner. Je suis née à New-York et j’habite maintenant à Seattle, dans une maison proche de l’Océan Pacifique, et j’adore ma ville d’adoption.


Marc 
: Il est connu que le premier roman de science-fiction que vous avez lu était Les Enfants d’Icare de Arthur C. Clarke. Est-ce que vous lisez encore de la science-fiction aujourd’hui ? Quels auteurs aimez-vous lire ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Nancy Kress : Je lis toujours de la science-fiction, même si aujourd’hui je lis aussi beaucoup d’ouvrages de non-fiction, notamment des livres sur la science. Les auteurs de SF que j’admire particulièrement sont Ursula K. Le Guin, Bruce Sterling, l’auteur chinois Wang Jinkang, Karen Joy Fowler et Sarah Pinkser. Ursula Le Guin a été une source d’inspiration précoce pour moi. J’admirais énormément ses œuvres, et c’est encore le cas aujourd’hui. Cependant, je trouve qu’il est très difficile d’identifier les sources d’inspirations spécifiques d’un écrivain. Tout ce qu’un écrivain lit, entend, voit, toutes ces expériences tombent dans l’inconscient, se transforment, se mélangent et changent, pour donner autre chose dans de nouvelles œuvres.


Marc 
: Vous parlez souvent de génétique et des problèmes éthiques de la science dans vos histoires. Pourquoi avoir choisi d’explorer ces thématiques ? Comment pouvez-vous traiter de ces sujets depuis différentes perspectives à chaque fois ? Est-ce que vous lisez des articles scientifiques pour préparer vos récits ?

Nancy Kress : Je traite des problèmes éthiques parce que toute bonne fiction les explore, et cela inclut Madame Bovary de Flaubert (les problèmes que posent l’imaginaire romantique), Anna Karenina de Tolstoï (l’éthique de l’amour contre celle du devoir), Game of Thrones de George Martin (l’éthique du pouvoir) et la série Fondation d’Isaac Asimov (l’éthique de la manipulation de l’Histoire). La science engendre la technologie, et la technologie engendre des problèmes éthiques : Qui peut y avoir accès ? Qui la contrôle ? Qui en tire profit ? Qui en souffre ? Le jour où les hommes des cavernes ont découvert le feu, le crime et l’éthique de l’incendie volontaire sont nés.

Je parle de l’éthique dans l’ingénierie génétique parce que cela fait partie d’un avenir de plus en plus proche de nous. Nous modifions génétiquement des microbes pour produire des médicaments, mais aussi les récoltes et les animaux pour qu’ils nous soient plus utiles. Un scientifique chinois prétend avoir modifié des embryons humains. Il y a des bons et des mauvais aspects dans l’ingénierie génétique, les agents pathogènes être utilisés militairement, par exemple. Cette situation fait naturellement des manipulations génétiques un sujet pour les auteurs qui recherchent le conflit et l’innovation.

Je n’ai hélas pas de formation scientifique. Par conséquent, je lis beaucoup d’articles pour m’instruire moi-même et m’informer de l’actualité du monde des sciences.


Marc
 : Diriez-vous que vous êtes une autrice de hard-science ?

Nancy Kress : Oui. La Hard SF fait des extrapolations à partir de la science déjà existante pour créer des futurs crédibles, et c’est ce que j’essaie de faire.


Marc 
: Vous parlez également souvent de problèmes politiques, tels que la fracture sociale, l’environnement ou la chute de la civilisation dans vos récits. Est-ce que vous vous qualifieriez d’écrivaine engagée ? Avez-vous déjà été présentée comme telle ?

Nancy Kress : Cette question me perturbe, parce que je ne comprends pas ce que vous entendez par « écrivaine engagée ». Engagée dans quoi ? J’essaie d’explorer différents futurs, vus à travers le regard de personnages variés.


Marc 
: Selon vous, est-ce que la science-fiction est un genre littéraire politique ?

Nancy Kress : Oui, parce qu’elle créée de nouvelles sociétés, qu’elles soient futures, extraterrestres ou fantasmées. Toute œuvre de fiction qui imagine une nouvelle société traite de questions politiques : Qui a le pouvoir, comment le pouvoir est utilisé, qu’est-ce qui relève d’un comportement acceptable ou criminel, quelles fractures sociales existent et comment elles sont mises en œuvre. Ce sont des questions politiques. Elles n’ont pas besoin d’être prises en considération dans une histoire d’amour se déroulant en France ou aux États-Unis, par exemple. Mais la SF a un tableau bien plus large que cela, et même un simple récit manichéen comme le premier Star Wars est politique, parce qu’il montre qui détient le pouvoir, l’Empire, et ceux qui devraient l’avoir, les chevaliers Jedi.


Marc
 : Votre novella Beggars in Spain a deux suites, Beggars and Choosers et Beggar’s Ride. Pouvez-vous les présenter aux lecteurs ? Pourquoi avoir donné des suites à cette novella ?

Nancy Kress : J’ai premièrement écrit la novella, mais il m’a semblé que l’histoire n’était pas achevée. J’ai donc écrit le roman pour la compléter. Mais il m’a aussi laissé un sentiment d’inachevé, alors j’ai écrit les deux autres livres. Mais honnêtement, je ne pense pas que ces deux suites soient complètement réussies. J’ai fait bien mieux avec mes deux autres trilogies, le Cycle de la probabilité (Probability Moon, Probability Sun, and Probability Space, traduits en français sous les titres Réalité partagée, Artefacts et Les Faucheurs) et la trilogie Yesterday’s Kin (Tomorrow’s Kin, If Tomorrow Comes, Terran Tomorrow). Pour ces deux séries, le récit devient plus fort et ne s’affaiblit pas dans les suites.


Marc 
: Pouvez-vous présenter votre nouvelle trilogie, Yesterday’s Kin ?

Nancy Kress : Yesterday’s Kin présente des aliens qui arrivent sur Terre pour nous prévenir du danger que peut poser un nuage de spore qui dérive dans l’espace, en direction de notre planète. Le premier contact avec eux est choquant, parce qu’il révèle que ce ne sont pas des aliens, mais des êtres humains qui vivaient sur Terre il y a 140 000 ans. Par conséquent, leur évolution et la nôtre ont quelque peu divergé (140 000 ans ne peuvent pas créer beaucoup de différences sur le plan évolutif). En revanche, les deux cultures, qui découlent de l’environnement et des gènes, sont radicalement différentes. Dans le premier roman, Tomorrow’s Kin, les Terriens et les « Mondiens » (je le traduis du terme « Worlders ») sont à la fois alliés, parce qu’ils essaient de trouver un vaccin, et ennemis, parce que certaines factions ne font pas confiance aux aliens. Ces deux groupes ont raison et tort, et cela aura des conséquences majeures sur le plan international.

Dans le deuxième roman, If Tomorrow Comes, un petit groupe d’Hommes de la Terre voyage jusqu’à la planète des aliens, Monde (je traduis ici le terme « World »). Ils rencontrent beaucoup de problèmes inattendus, à commencer par une dilatation temporelle de 14 ans. Ils vont aussi devoir faire face à des crises militaires et médicales, et devront faire des choix difficiles, qu’ils soient professionnels ou personnels.

Le troisième et dernier roman de la série, Terran Tomorrow, commence avec un groupe de Terriens et de Mondiens qui reviennent sur notre planète. Ils étaient partis seulement pour quelque mois, mais 28 ans ont passé sur Terre. La guerre biologique a radicalement changé et dépeuplé la Terre. Les survivants continuent de se battre, contre l’environnement contaminé par des microbes et contre un puissant groupe terroriste appelé New America. Une grande partie de l’intrigue se déroule dans une base militaire protégée de Californie où vivent 700 survivants, mais aussi les voyageurs venus de Monde.

Des personnages se retrouvent d’un roman à l’autre, notamment la généticienne Marianne Jennings. Certains d’entre eux apparaissent seulement dans les deux premiers volumes de la série, comme Noah, le fils de Marianne. D’autres figurent dans le premier et le dernier tome, avec Jason et Colin, les petits-enfants de Marianne, qui dans Terran Tomorrow sont les leaders de deux colonies survivantes en compétition. Ces deux personnages, respectivement colonel de l’armée américaine et militant éco-pacifiste, sont à la fois alliés et rivaux, de par l’affection qu’ils se portent et leurs divergences philosophiques. Ils cherchent tous deux à mettre en œuvre ce qu’ils considèrent comme le meilleur moyen de reconstruire les États-Unis.


Marc
 : Vous avez écrit des romans de Fantasy en plus de vos récits de SF. Y-a-t-il une différence lorsque vous écrivez de la Fantasy plutôt que de la SF ? Est-ce que vous écrirez de nouveau des romans de Fantasy ?

Nancy Kress : La Fantasy change le monde tel qu’on le connaît en y ajoutant de la magie, alors que la SF change le monde à travers la science ou ses dérivés, avec la biologie (les aliens, les modifications génétiques), la physique (l’IA, les vaisseaux spatiaux), ou encore l’astronomie (les nouvelles planètes). Ce qui est commun à ces genres est que cette fiction se déploie autour de personnes qui donnent leur point de vue sur le récit. Cependant, les gens sont façonnés par leur société, qui comporte de la magie ou de la science, et quelquefois, les deux. Je ne pense écrire à nouveau de la Fantasy parce que la science m’intéresse plus que la magie, à présent.


Marc 
: D’après vous, y-a-t-il une différence entre le fait d’être une autrice à l’époque où vous avez commencé, à la fin des années 1970, et aujourd’hui ? Comment décririez-vous cette différence ?

Nancy Kress : Aujourd’hui, il y a plus de femmes et de personnes de couleur qui écrivent de la SF et qui obtiennent de la reconnaissance à la fois en termes de ventes et de prix. C’est une bonne chose ! Ensuite, l’autoédition a transformé le domaine en permettant à de nouveaux écrivains de publier leurs travaux (avec plus ou moins de succès), et aux auteurs établis de rendre accessibles leurs œuvres plus anciennes (je traduis ici le terme « backlist », qui n’a pas d’équivalent français) pour toucher un nouveau public. Finalement, et c’est un changement majeur, quand j’ai commencé à écrire, la Science-Fiction dépassait la Fantasy en termes d’audience et de ventes. Cette tendance s’est inversée dans les années 1970, et je suis du mauvais côté de celle-ci.


Marc
 : Selon vous, est-ce que le public de la SF et de la Fantasy a changé ?

Nancy Kress : Il y a plus de lecteurs de Fantasy aujourd’hui. Le noyau de lecteurs de hard SF n’a jamais été énorme, et cela n’a pas changé.


Marc 
: Vous donnez des cours d’écriture. En quoi votre expérience d’autrice vous sert lorsque vous enseignez l’écriture ? Quels conseils avez-vous pour les auteurs débutants ?

Nancy Kress : Lorsque j’enseigne, j’explique clairement à mes étudiants que je peux leur parler de ce qui a fonctionné pour moi, mais que cela ne sera peut-être pas la même chose pour eux. Tous les écrivains sont différents. Je peux enseigner certains aspects du métier, mais je ne peux pas leur donner plus d’imagination, de passion ou d’empathie pour leurs personnages. Les cours d’écriture sont précieux, et dans un bon cours, un écrivain peut apprendre plus rapidement des choses qu’il découvrirait seul après avoir écrit des centaines de milliers de mots. Cependant, un cours ne peut pas remplacer de vrais tâtonnements. Mon conseil aux nouveaux auteurs est prévisible : écrivez. Faites-le souvent, avec attention. Ayez des retours, et à ce titre, les rejets d’éditeurs constituent un retour, soyez ouverts et écoutez ceux qui vous disent ce qui fonctionne ou non, faites des corrections. Encore et encore. Si vous vouliez devenir un joueur de football professionnel ou un pianiste, vous vous entraîneriez, non ? L’écriture, c’est la même chose. Le talent ne fera qu’une partie du chemin, et par conséquent, vous devez travailler.


Marc
 : Vivez-vous de votre plume ?

Nancy Kress : Je vis de ma plume, mais aussi des cours que je donne occasionnellement.


Marc 
: Accordez-vous de l’importance aux prix littéraires de Science-Fiction, tels que le Hugo, le Locus ou le Nebula ?

Nancy Kress : Les prix sont amusants. Ils permettent de recevoir de l’attention et de la reconnaissance de la part du public, et également un peu de prestige. Ils montrent aussi que des gens lisent réellement ce que l’on fait ! Mais seul un petit groupe de lecteurs suit les remises de prix en SF, donc en recevoir n’augmente pas la taille du lectorat ou les ventes. Mais je suis quand même heureuse d’en avoir gagné !

Les interviews sont amusantes aussi. Merci de m’avoir donné l’occasion de faire celle-ci.

9 commentaires sur “Une interview de Nancy Kress

  1. Sympa cette interview, Nancy Kress est une auteure rare dans nos contrées, c’est un plaisir que de la lire. J’aime bien sa façon de penser et il est rare qu’un auteur soit honnête en disant que certains de ses textes ne sont pas très réussis.
    J’espère que sa dernière trilogie Yesterday’s Kin sera traduite, j’aime bien la thématique de la rencontre. Mais bon, je n’ai pas l’impression qu’elle figure dans la liste Bankable.
    Il faudrait que je lise Les hommes dénaturés et que je finisse son recueil.
    Merci beaucoup

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