Le Corbeau et l’Enfant (Deuxième récit de Rédemption)

Salutations, lecteur.

Voici le deuxième récit de Rédemption. Pour ceux qui voudraient se rafraîchir la mémoire quant au projet, voici l’annonce du projet. Vous pouvez aussi lire le premier récit, Julius Tragnardainsi que le troisième, Isidore Rodendrat.

J’ai mis environ un mois pour écrire ce récit, puis le faire relire et corriger par une amie et Joffrey, le co-créateur du projet. Comme toujours (et à l’avenir également), n’hésitez pas à me dire ce que vous pensez. Les retours de lecteurs, qu’ils soient positifs ou non, sont très importants pour moi et me permettront de m’améliorer en tant qu’auteur.

Je également à rappeler que des récits prenant place dans l’univers de Rédemption (et d’autres) seront désormais publiés assez régulièrement. Je pense réussir à tenir le rythme malgré le mémoire pour le moment, et le troisième récit et d’ores et déjà en cours d’écriture.

Sur ce, je vous laisse avec Le Corbeau. Bonne lecture, et bonne chance.

 

Le Corbeau et l’enfant

 

La Ville n’avait pas toujours été rongée par la brume et les monstres.
Le Corbeau ne se rappelait plus vraiment du passé de Rédemption. D’une certaine façon, il ne pouvait pas l’avoir connu. Sa mémoire remontait jusqu’à ses premiers instants en tant que Corbeau, quand Elle l’avait touché. Les souvenirs qui dataient d’avant Son apparition étaient très confus, mais il en gardait une impression claire. Les humains aimaient la Ville, autrefois. Ils venaient de très loin pour prier dans l’immense cathédrale bénie par le grand hiérophante, ou pour participer aux grandes cérémonies religieuses. En ce temps, Rédemption était une Ville Sainte.

Mais un jour, Elle était apparue, et depuis ce temps, Elle et ses pantins régnaient en maîtres absolus. Elle parvenait à tuer tous ceux qui s’introduisaient dans la Ville en les réduisant peu à peu en esclavage. Tous, sauf le Corbeau. Oh, il les entendait, Elle et ses jouets, à travers cet infâme bruit blanc. Depuis le début. Il se souvenait parfaitement du moment où tout avait commencé.

Il n’était qu’un simple oiseau, alors. Un corbeau parmi tous ceux qui nichaient dans la cité, que les habitants chassaient parce qu’on croyait qu’ils portaient malheur. Pourtant, ils n’étaient en rien responsables du désastre qui s’était soudain abattu sur Rédemption lors du terrible déchaînement de magie qui avait entraîné Son apparition. Ses brumes et Ses premiers pantins l’avaient vite suivie. Bien vite, les humains étaient morts, et Elle les avait asservis. Les corbeaux qui se nourrissaient des cadavres des monstruosités qu’Elle avait trop touchées étaient devenus Ses esclaves à leur tour.

Tous, sauf lui.

Il avait dévoré le cadavre éparpillé d’une créature que son instinct d’oiseau avait déclaré comestible. L’instant d’après, son esprit était en ébullition. Quelque chose l’avait changé. Il pouvait penser.

Depuis lors, il ne se considérait plus comme un simple volatile. Il était Le Corbeau. Il avait appris à parler aux humains, à se servir de ceux qu’il n’effrayait pas trop et qui ne souhaitaient pas le tuer. La magie s’était même offerte à lui, et grâce à elle, il pouvait défier Son pouvoir et La narguer. Elle lui permettait aussi de tenir en échec les Purificateurs et tous ceux qui voulaient sa mort à Rédemption.

Pour l’heure, le Corbeau siégeait dans l’un de ses nids, perché au sommet d’une pyramide de fûts de vin dans la cave de l’auberge du Joyeux Pèlerin, qu’il avait réaménagée pour qu’elle convienne à ses besoins. Il était le seul à y avoir accès depuis qu’il avait bloqué la porte au moyen de glyphes de sa connaissance. Elle ne s’ouvrait que pour lui et réservait quelques surprises aux curieux trop insistants. Dans cette cave, il était à l’abri. Des Purificateurs à l’air coriace l’avaient pris en chasse plus tôt dans la journée. Il allait devoir s’occuper d’eux, mais les chevaliers sauraient se défendre contre sa sorcellerie. Il fallait qu’il réfléchisse à un plan d’action, mais il devait d’abord localiser les deux bougres. Ses yeux brillèrent brièvement pendant qu’il convoquait sa monture par magie. Le Corbeau descendit de son perchoir et voleta jusqu’à la porte de son abri, qui s’ouvrit et se referma sans bruit lorsqu’il posa les pattes sur le comptoir de l’auberge. Les bougies qu’il avait judicieusement placées sur les tables s’allumèrent, éclairant la salle principale et révélant les récents passages de monstres ou d’humains. Personne n’était entré, et pas une tache de sang ne souillait le plancher. Étrange. Ordinairement, les Condamnés et les Pèlerins venaient souvent se réfugier dans l’auberge en croyant échapper aux assauts des monstres qui rôdaient dans les rues. Le Corbeau s’amusait à les recevoir pour pouvoir les tourmenter un peu. Il ne les tuait pas, toutefois. Il ne s’occupait que de ceux qui pouvaient lui poser problème, et ceux qui passaient leurs premières nuits au Joyeux Pèlerin étaient souvent les moins dangereux. Ils cédaient vite sous Ses coups. Il les prévenait, pourtant. Mais Rédemption était ainsi. Les plus faibles mouraient en premier. Les plus forts et les plus astucieux vivaient un peu plus longtemps. Le Corbeau sortit de l’auberge et gagna le toit d’une maison haute à trois étages pour y attendre sa monture. Elle ne devait plus être très loin.

Un puissant croassement retentit. L’ombre d’une gigantesque créature ailée s’approchait du Joyeux Pèlerin. Le Corbeau prit son envol, gagnant en attitude pour se retrouver face à sa monture. Un immense corbeau au corps parsemé de coutures, de parchemins et de talismans lui faisait face dans le ciel nuageux de Rédemption et le regardait fixement. Sa monture avait répondu à l’appel. Il voleta jusque dans son bec, y entra et descendit dans son gosier. Il entra dans ce qui avait autrefois été le système digestif de l’énorme créature, évidé pour mieux subvenir à ses besoins. Sur les os blanchis se dressaient des bibliothèques contenant des grimoires et divers instruments. C’est à l’intérieur de ce corbeau géant qu’il avait installé ses quartiers permanents, en nouant un pacte avec lui. Il lui avait promis qu’il n’aurait plus jamais à chercher de la nourriture, en échange de quoi il entrerait à son service. Ainsi, lorsque le Corbeau n’avait pas besoin de lui, sa monture parcourait le ciel de la Ville à la recherche d’un nid sûr, à l’abri des monstres de Rédemption.

Il lui intima de voler jusqu’au quartier de la Cathédrale de la Justice. La plupart des Purificateurs essayaient toujours d’atteindre cette zone, où ils se regroupaient pour pouvoir organiser leur croisade contre la Ville. Certains d’entre eux n’y arrivaient jamais. Les créatures qui rôdaient près des Sept Saintes étaient particulièrement redoutables et même les guerriers les plus puissants peinaient face à elles. Le Corbeau espérait que son contact dans cette partie de la Ville était encore en vie.

Oderus Tiznath avait reçu des instructions de la part de son salopard de patron. Il devait guetter la venue de deux Purificateurs dans le quartier de Justice et les suivre discrètement. Il s’agissait apparemment d’une femme et d’un enfant. Oderus gloussa. Soit son employeur s’affaiblissait, soit ces deux guerriers étaient puissants au point de lui faire peur. La bouche qui se trouvait sur son front dégarni sourit en imaginant le Corbeau effrayé, puis se ravisa en réalisant ce que signifierait la mort du maudit volatile. L’Éprouvé était adossé au mur d’une bâtisse délabrée, dans une ruelle adjacente à la Marche de la Justice, une avenue menant au quartier du même nom, attentif au moindre mouvement. Il guettait également les variations dans le bruit blanc qui auraient pu signaler l’approche de deux nouvelles proies pour les abominations rôdant dans les parages. Il surveillait aussi celles qui pouvaient s’en prendre à lui. Il n’avait pas intérêt à mourir cette nuit. Son employeur ne lui pardonnerait certainement pas, et cela lui vaudrait d’être rongé pour de bon. Un bruit de course effrénée se fit entendre dans l’avenue. Oderus se servit de son bras droit étirable pour se hisser sur le toit du bâtiment auquel il était adossé. Son membre émit une série de craquements sinistres lorsqu’il s’allongea. L’Éprouvé grimaça de douleur. Il détestait se servir de cette capacité. Une fois qu’il eut les pieds posés sur les tuiles, il s’accroupit et épia la Marche de la Justice, une arbalète chargée dans la main gauche.

Deux silhouettes progressaient rapidement. Un groupe de canidés osseux semblaient les attendre, cachés dans une ruelle. Les créatures comptaient probablement surgir devant leurs cibles et les cribler de projectiles issus de leur squelette. D’après le bruit blanc, elles n’avaient pas repéré Oderus. D’autres créatures rôdaient dans les environs, mais elles se trouvaient trop loin pour constituer un véritable danger. Il resterait tout de même aux aguets, afin d’éviter de se faire surprendre.

Il pouvait distinguer les formes des silhouettes à présent. Une femme et un gosse, portant tous deux des armures complètes de Purificateurs, un plastron d’acier par-dessus un haubert de mailles, un heaume ouvragé, de longs gantelets et des jambières métalliques, et des bottes renforcées. Malgré le poids de leur équipement, ils couraient vite. Ils devaient probablement utiliser la magie de l’Épée.

Les canidés osseux sortirent de leur cachette. Oderus en compta une dizaine. Leurs os perçaient leurs peaux avec des bruits écœurants. Ils préparaient leurs projectiles. Les Purificateurs les avaient forcément remarqués, et pourtant, ils continuaient d’avancer. Oderus vérifia son arbalète.

Lorsque les deux chevaliers furent à vingt pas des canidés osseux, les créatures décochèrent leurs projectiles. Une kyrielle d’os pointus s’abattit sur les guerriers. Ils se brisèrent tous sur leurs armures sans gêner leur progression. Les Purificateurs percutèrent ensuite les monstres avec la puissance d’un bélier, les tuant sur le coup. Les corps des bêtes éclatèrent lorsqu’elles chutèrent, projetant leurs os autour d’elles et transperçant leurs congénères. À en juger par la nuée de fragments squelettiques qui percuta les murs, les toits et les pavés de la Marche de la Justice, toutes les créatures étaient mortes. Oderus soupira de soulagement. Aucun os ne l’avait touché. Il détestait les canidés osseux. Leur façon de laisser échapper tout leur squelette lorsqu’ils mouraient lui avait causé bien des frayeurs par le passé. Un rapide sondage du bruit blanc lui indiqua que les deux Purificateurs s’étaient arrêtés un peu plus loin sur la Marche de la Justice. Il allait devoir les rejoindre pour les surveiller sans se faire repérer. Si les deux guerriers se rendaient compte de sa présence, il ne leur faudrait pas plus de quelques secondes pour l’éliminer. Il passerait donc par les airs pour ne pas être vu. Il sauta sur le toit du bâtiment le plus proche.
Quelques instants plus tard, il se trouvait sur le balcon d’un hôtel délabré. Les deux chevaliers se trouvaient en contrebas, installés sur les pavés de pierre de la Marche de la Justice. Une torche fixée au sol par un trépied portatif dessinait un cercle de lumière autour d’eux. Depuis leur position, ils ne pouvaient pas voir Oderus. L’Éprouvé arma tout de même son arbalète en prêtant l’oreille à la conversation des deux Purificateurs.

– Mère, je veux retrouver père dans la cathédrale, sanglotait l’enfant.

Il avait ôté son heaume en parlant, révélant un visage à peine marqué par la puberté. Il pleurait. Oderus pesta. Si le gosse se mettait à crier, ou si sa mère le disputait, le bruit qu’ils feraient attirerait immanquablement les créatures des environs. La mère retira son casque, le plaça sous son bras droit. Elle regarda son fils droit dans les yeux.

– Hélias, tais-toi.

Elle avait parlé d’un ton calme, mais ferme, qui n’appelait aucune protestation. Le gosse leva la tête et déglutit, les yeux pleins de larmes, avant de respirer profondément pour se calmer. La femme se rapprocha de son fils d’un pas assuré, la main sur la poignée de l’épée courte à sa ceinture. Même lorsqu’elle le prit dans ses bras pour le rassurer, Oderus put sentir sa tension.

– Nous reverrons bientôt ton père, chuchota la Purificatrice. Mais d’abord, nous devons nous occuper de l’Oiseau de Malheur.

Oderus aurait éclaté de rire s’il avait pu le faire sans être repéré. L’Oiseau de Malheur. C’était donc comme ça qu’ils appelaient son patron. C’était si ridicule.

Le gamin serrait nerveusement la poignée d’une lourde épée à deux mains. Les grognements de créatures corrompues se rapprochaient. L’employé du Corbeau sonda le bruit blanc. Des canidés osseux fouinaient alentour, mais ce n’était pas eux que le gosse avait entendus. Et merde. Il rapprocha son index droit de sa bouche.

Le Corbeau étudiait un grimoire de magie ancienne lorsqu’il entendit Oderus demander une liaison magique à travers la bague de fer. Le volatile prononça silencieusement les syllabes qui établissaient le contact. L’Éprouvé avait beau être assez froussard, il n’aurait jamais osé contacter son employeur sans une bonne raison.

– Patron, j’ai trouvé les deux Purificateurs qui vous traquent, fit la voix d’Oderus à travers sa bague. La femme et le gosse.

– Très bien, Oderus, croassa sèchement l’oiseau. Quel est le problème ? J’imagine que tu ne me contactes pas que je te félicite d’avoir réussi un travail que tu es censé accomplir sans aucun problème ?

Il entendit l’Éprouvé murmurer un juron.

– Le gamin est en proie au chagrin et deux Cœurs sur la Main se rapprochent d’eux, monsieur.

Le Corbeau déglutit. Des Cœurs sur la Main. Les créatures allaient probablement tuer les deux Purificateurs et lui ôter le plaisir de s’occuper d’eux lui-même. Mais peut-être pourrait-il les prendre à son service après leur défaite.

– Dans ce cas, attends mon arrivée et cache-toi, ordonna le volatile. Tu ne fais pas le poids face à eux.

L’oiseau ordonna mentalement à sa monture de se diriger vers la position d’Oderus. Il était temps d’ajouter deux nouveaux employés à sa kabbale.

Oderus n’avait pas besoin des conseils de son patron lorsqu’il s’agissait d’éviter le danger. Il quitta le balcon de l’hôtel et gagna le troisième étage. Il ouvrit la porte d’une chambre avec vue sur la Marche de la Justice, la bloqua avec une chaise et se posta à la fenêtre, son arbalète à la main.

Plus bas, le gamin tremblait toujours. Il avait dégainé son épée à deux mains et la pointait droit devant lui. Sa mère était aussi en position de combat, mais elle ne semblait pas encore avoir compris à quoi elle devrait faire face. Sinon, elle aurait pris son enfant avec elle pour se réfugier dans un coin. Même des Purificateurs pouvaient être dépassés par des Cœurs sur la Main.

Il vit les deux créatures sortir de l’ombre, avançant lentement vers les deux chevaliers, et frissonna en les observant.

Leur visage évoquait celui d’un être humain, mais dépourvu d’orbites, avec une bouche fermée par une sorte de cire. Leur peau était grisâtre, d’un aspect pierreux, leur dos voûté. Mais le pire se trouvait être ce qui donnait leur nom à ces monstres. Une chaîne de métal sortait d’une cavité dans leur torse et s’enroulait autour de leur main gauche, dans laquelle se trouvait leur cœur. Un clou fixait l’organe sanguinolent au membre luisant. De là où il se trouvait, Oderus entendit l’enfant hurler de peur, ce qui fit accélérer le mouvement des Cœurs sur la Main. Ces saloperies étaient attirées par les émotions fortes.

La Purificatrice fit appel à la magie de l’Épée et invoqua un mur de vent tranchant devant elle et son fils, en reculant de quelques pas. Les lames d’air s’abattirent sur les monstres lorsqu’ils le traversèrent, mais elles ne les repoussèrent pas, acculant un peu plus les deux chevaliers. Le gamin se jeta sur le Cœur sur la Main le plus proche, épée au clair, et tenta une attaque de taille destinée à le décapiter. L’acier tinta contre la peau de pierre et ne l’entama pas, coupant le jeune guerrier dans son élan. Il voulut désengager sa lame, mais le monstre s’était rapproché. Le gosse s’affaissa d’un seul coup. Le monstre lui avait envoyé un direct de son poing droit dans le torse. La force du coup avait probablement brisé sa cage thoracique. Sa mère poussa un cri déchirant. Oderus sentit à travers le bruit blanc que les hurlements successifs des deux Purificateurs en détresse étaient en train d’attirer les canidés osseux qui traînaient dans les environs. Il essayait de masquer sa peur du mieux qu’il le pouvait pour ne pas être repéré par les Cœurs, mais si d’autres créatures s’approchaient, elles le repèreraient facilement.

Les yeux de Drasda palpitaient. Son regard oscillait entre le corps de son fils, sur lequel la première abomination se penchait, et la seconde, qui s’approchait de plus en plus. Elle tremblait de la tête aux pieds, paralysée par la peur. Le Cœur la souleva de terre comme si elle ne pesait rien. Elle tenait toujours son épée courte, mais elle ne pouvait plus bouger. La créature allait lui arracher le cœur, et les forces impies de la cette maudite Ville la ramèneraient à la vie sous une forme monstrueuse. Elle se ferait ensuite de plus en plus ronger, jusqu’à complètement être noyée dans le flot de toutes les atrocités de Rédemption. Une main la transperça de part en part. La vie la quitta.

Le Corbeau se posa près des cadavres mutilés des Purificateurs. Oderus était sorti de sa cachette après le départ des deux Cœurs sur la Main et se tenait prêt à tirer sur les corps des chevaliers si ceux-ci esquissaient le moindre mouvement suspect. L’Éprouvé jeta un œil curieux vers son patron.

– Vous pensez qu’ils sont récupérables ? interrogea-t-il.

Le volatile parut réfléchir un instant, puis sembla rire de la question de son employé.

– Un corps est toujours récupérable, Oderus. Il suffit juste de lui trouver une utilité. S’ils ne peuvent pas devenir tes collègues de travail, je me servirai d’eux pour envoyer un témoignage de ma sympathie au Rat ou distraire la Bête lorsque je me rendrai sur son territoire.

Il fureta autour des deux corps pendant une éternité. Il ne se souciait aucunement des canidés osseux ou des autres créatures qui rôdaient à proximité et prenait son temps pour examiner les cadavres. Oderus était à la fois fasciné et terrifié par l’assurance de son patron. Le Corbeau croassa bruyamment. Le gamin s’était levé et s’apprêtait à écraser l’oiseau de sa botte. L’Employa pointa son arbalète sur la tête du jeune Purificateur et tira. L’oiseau eut le temps de s’envoler avant qu’un carreau d’acier se fiche dans le crâne du gosse avec un craquement écœurant. Curieusement, le corps ne retomba pas et resta debout. Quelque chose le maintenait.

Oderus sursauta. Le patron s’était perché sur son épaule. Il avait toujours besoin d’un appui solide lorsqu’il pratiquait ses rituels impies. Le Corbeau se mit à fredonner une mélodie venue de temps immémoriaux aux syllabes hachées et gutturales. Des cercles concentriques sertis de glyphes complexes surgissaient du néant et se stabilisaient dans l’air à mesure que le volatile déclamait ses formules. Lorsqu’il s’arrêta, Oderus eut l’impression que le temps lui-même s’était arrêté. D’un coup, le torse du jeune Purificateur s’ouvrit largement. Sa cage thoracique s’écarta en arrachant des pans entiers de sa chair. La magie ramena brutalement le gamin à la conscience et il hurla de douleur et de frayeur. Le Corbeau le regarda droit dans les yeux.

– Souhaites-tu entrer à mon service, petit ? demanda le volatile.

Le gosse le fixa en grimaçant de douleur et se mit à prier d’une voix larmoyante. Oderus retint son souffle. Le patron détestait les manifestations religieuses. Un horrible craquement se fit entendre. Il s’était servi de sa magie pour tordre les bras de l’enfant, qui cria de nouveau. L’Éprouvé craignait pour sa vie. Tôt ou tard, les saloperies de la Ville seraient attirées par le raffut que faisait ce gamin.

– Ton dieu ne te servira pas ici, croassa le Corbeau. Et même s’il en était capable, il te maudirait s’il te voyait. Maintenant qu’Elle t’a touché, il n’y a plus rien à faire. Ton âme est perdue. Elle ne gagnera pas votre paradis.

Le jeune Purificateur continuait de s’agiter en hurlant. Le volatile s’en moquait et continua. Il savait qu’une partie de ce gosse l’écoutait.

– Ton âme est perdue, mais je peux t’empêcher de sombrer dans les tourments qu’Elle veut t’infliger. Il faut simplement que tu acceptes de me servir.

Le gosse regarda le Corbeau et parvint à articuler faiblement :

– Pouvez… me… sauver ?

L’oiseau acquiesça.

– Je te sauverai si tu te joins à ma kabbale. Alors, qu’en dis-tu ? Tu acceptes notre marché ?

Il fit oui de la tête. Si le volatile avait pu sourire, il l’aurait fait à ce moment.

– Très bien. Oderus, occupe-toi de lui, fit le Corbeau en lui tendant l’une de ses plumes. Il faut qu’Elle le touche suffisamment longtemps pour que mon sortilège soit efficace.

Oderus tira une miséricorde de l’une de ses bottes et se dirigea vers le corps de l’enfant, que la magie de son patron empêchait de bouger. Il planta la dague dans la gorge du gamin en frissonnant. Tandis qu’il le poignardait, il revivait avec horreur le moment où il avait lui-même rejoint la kabbale du Corbeau. On lui avait tranché le bras et brûlé le crâne à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le bruit blanc occupe presque complètement son esprit. Tout en sentant le sang de l’enfant gicler sur son bras, il La sentait se rapprocher de lui.

Hélias sentait la lame lui déchirer les chairs avec de moins en moins d’intensité. Il ne souffrait plus vraiment, enveloppé dans un bruit blanc, vaporeux, et des murmures incompréhensibles qui formaient un cocon doucereux autour de son esprit. Il n’aurait plus jamais mal s’il se don-

– Maintenant ! hurla le Corbeau.

Oderus glissa la plume du patron dans la bouche du gamin et recula. L’oiseau déclama de nouveau ses formules en veillant à bien détacher les syllabes pour que chacune d’entre elles produise son effet. Pendant toute la durée du rituel, le corps de l’enfant devint un véritable champ de bataille entre Elle et la magie du Corbeau. Des croûtes et des cloques se formaient et éclataient sur sa peau, des membres poussaient pour immédiatement se désagréger, et un sang noirâtre chargé d’immondices suintait de ses pores.
Après un long moment, le corps d’Hélias fut allongé sur le sol. Oderus jeta un œil vers son patron.

– Vous avez réussi ? interrogea-t-il.

L’oiseau acquiesça.

– Elle a résisté longtemps, souffla-t-il. Mais il est sauvé. Emmène-le au Joyeux Pèlerin et reste avec lui jusqu’à ce qu’il se réveille. Il va avoir besoin d’explications.

L’Éprouvé souleva le gamin et le prit sur ses épaules avant de se diriger vers l’auberge d’un pas prudent.

Avant de s’envoler, le Corbeau eut un regard pour le cadavre de la mère de son nouvel employé, qui deviendrait bientôt une abomination après avoir été dévorée par les créatures des environs. Il ne pouvait pas sauver tous ceux qu’Elle touchait. Ce n’était même pas son intention. Mais rien ne lui faisait plus plaisir que de La narguer.
Rédemption n’avait pas toujours été rongée par la brume et les monstres. Mais un jour, le Corbeau se débarrasserait de l’une comme des autres et il pourrait se mesurer à Elle.

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7 commentaires sur “Le Corbeau et l’Enfant (Deuxième récit de Rédemption)

  1. Déjà, j’adore que la phrase du début soit reprise à la fin : on a une sensation d’achèvement et de boucle à la fois, c’est chouette !
    Ensuite, décidément… J’adore cette ambiance glauque, grise et terrifiante. Le bruit blanc est presque plus flippant que le silence. Je retrouve vraiment ce sentiment de me balader dans Dark Souls.
    Je ne sais pas si ce Corbeau est « gentil », bien que je me doute que tout ne soit pas manichéen, mais j’ai envie de savoir s’il va La battre. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais je veux savoir haha.
    Tes descriptions sont efficaces, ni trop peu ni pas assez. Ce dosage fait que c’est effrayant et glauque, mystérieux et facile à se représenter. Le changement de point de vue est aussi très cool, ça permet d’avoir une vision plus complexe du Corbeau et c’est pas de refus car il reste très mystérieux ! ^^
    Hâte d’avoir la suite en tout cas : )

    Aimé par 1 personne

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