La Forêt des araignées tristes, de Colin Heine

Salutations, lecteur. Cette année encore, les Indés de l’Imaginaire (ActuSF, Les Moutons Électriques et Mnémos) lancent l’opération des Pépites de l’Imaginaire, qui vise à faire découvrir de nouveaux auteurs au lectorat. Je vais commencer le bal des chroniques des Pépites avec

 

La Forêt des araignées tristes, de Colin Heine

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Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais signaler que cette chronique émane d’un service de presse de la part des éditions ActuSF, que je remercie pour leur envoi !

Colin Heine est un auteur français qui vit à Vienne, où il enseigne l’allemand dans un lycée français. Il a également été traducteur. Son premier roman, La Forêt des araignées tristes, est paru en Février 2019 chez ActuSF sous l’égide des Pépites de l’imaginaire.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Bastien est paléontologue : sa spécialité ? Étudier les créatures étranges qui naissent de la vape, ce mystérieux brouillard aux propriétés énergétiques extraordinaires qui a recouvert le monde et menace de l’engloutir un peu plus chaque jour. Tour à tour victime d’un dramatique accident en apparence banal duquel il réchappe de justesse et témoin d’un attentat, où sa survie ne tient à nouveau qu’à un fil, il voit son destin basculer. Le voilà pris dans l’engrenage d’une affaire d’espionnage d’envergure internationale, sous les feux croisés d’une société secrète d’assassins, de brutes armées et d’une agence de détectives aux méthodes douteuses. Sans compter qu’une créature cauchemardesque, tout droit venue des Vaineterres, ces zones perdues dans un océan de vape, semble bien décidée à lui faire la peau… »

Mon analyse passera en revue la question générique, la construction du monde (ou worldbuilding, mais étant en pleine période de réflexion et de rédaction de mon mémoire, j’essaie de limiter les anglicismes) et l’intrigue.

 

L’Analyse

 

Question générique, worldbuilding, intrigue

 

La Forêt des araignées tristes prend en place dans un monde alternatif (ou monde secondaire) qui présente un 19ème siècle fantasmé, envahi par la « vape », une sorte de brouillard généré par la pollution d’un supposé ancien monde, dont la fin nous est présentée dans le prologue du roman. La vape est si dense qu’elle masque toute une partie du monde, et elle engendre des créatures dangereuses qui rendent certains territoires inhabitables par l’Homme. Ces zones sont appelées « les Vaineterres ». L’Humanité a cependant besoin de les explorer pour pouvoir mieux cerner son environnement, et surtout, trouver des gisements d’ignium, matériau indispensable à la technologie qu’elle emploie, malgré le fait qu’elle produise à son tour de la vape. Colin Heine soulève donc des problématiques écologiques dès le début de son roman, avec le fait que l’Humanité doive explorer des terres contaminées par ses propres erreurs pour pouvoir alimenter une technologie qui la condamne à long terme.

Le roman nous montre donc une humanité qui s’est adaptée aux dangers de la vape par l’aménagement de l’espace libre qu’elle a pu se ménager. Les Hommes ont donc construit des piliers sur lesquels ils vivent et utilisent la verticalité pour ne pas côtoyer la vape de trop près. Cependant, les couches les plus pauvres de la population, constituées par exemple d’ouvriers, se situent en bas des piliers et sont donc proches de la vape, tandis que les couches plus aisées trônent dans les sommets et n’ont pas à souffrir de la population. Cette répartition verticale des strates de la population peut rappeler Les Monades urbaines de Robert Silverberg, par exemple. Les piliers sont reliés entre eux par la voie des airs, avec des tramways aériens, les « treums », mais également par des gargouilles qui peuvent faire office de montures aériennes. La Forêt des araignées tristes s’ancre donc dans une ambiance steampunk, que l’on observe dans les vêtements des personnages, la paléontologie avec Bastien, un soupçon d’aventure, les avancées scientifiques, et les sociétés secrètes, qui rappellent l’époque de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle, avant la première guerre mondiale. L’auteur dresse d’ailleurs explicitement un parallèle entre l’avant-guerre historique et son roman, à travers la mise en évidence du conflit qui couve entre la « Galle » et la « Germanie ». Les noms des deux pays, mais aussi les noms des personnages originaires de chacun d’entre eux (Bastien, Agathe, Dumanche pour la Galle, Angela, Klausendrof pour la Germanie) permettent un rapprochement évident avec la France et l’Allemagne. Ce parallèle va permettre à l’auteur d’aborder de mettre en scène des questions d’emploi de ventes de technologies aux armées, mais aussi des questions sociales. En effet, à travers le point de vue d’Angela (je reviendrai plus bas sur les personnages) qui raconte ce que subissent au quotidien les ouvriers germaniens et met en évidence que la situation des ouvriers de Galle est la même, ce que montre de manière directe le « tract anonyme » d’un travailleur sur l’énorme chantier du « transvapien » « Le Gigantique » (un clin d’œil steampunk à un énorme paquebot bien connu), le lecteur verra que la colère gronde parmi les classes populaires qui sont opprimées par les industriels, car il ne faut pas oublier que les grands mouvements sociaux sont nés avec l’époque industrielle, et Colin Heine mentionne l’Internationale ouvrière de manière très explicite.

On pourrait croire que le roman de Colin Heine est un concentré d’aventures steampunk au sein des Vaineterres, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Attention, cela n’enlève pas ses qualités à La Forêt des araignées tristes, mais sachez que si vous êtes là surtout pour l’aventure en terre inconnue, vous risquez d’être déçus en voyant que l’intrigue du roman s’ancre dans une enquête en terrain plus ou moins connu, c’est-à-dire celui des piliers. Ainsi, le lecteur va suivre Bastien, un paléontologue en devenir, qui va se retrouver par deux fois au plus mauvais endroit au plus mauvais moment, ce qui va lui attirer toutes sortes d’ennuis et le faire basculer dans un conflit d’espionnage industriel dans lequel une organisation secrète d’assassins est impliquée (mais pas que). Bastien devra se dépêtrer de cette affaire, et sera aidé d’Ernest, un explorateur des Vainterres, et d’Agathe, sa gouvernante, dont on aura les points de vue au cours de plusieurs chapitres. Un autre personnage point-de-vue, Angela, sera aussi présent dans la seconde moitié du roman, et même l’antagoniste a droit à des phases de narration. Cette multiplicité des points de vue nous donne donc un ensemble de clés de compréhension, en plus de dépeindre la psychologie des personnages, que j’ai trouvé bien campés, notamment Agathe, l’antagoniste, et Bastien, dont on voit la psychologie et le langage. Colin Heine fait également usage du discours direct et indirect libre à l’intérieur de la narration, ce qui nous permet d’entendre les pensées présentes de ses personnages sans aucun filtre, ce qui rajoute à la tension de certaines scènes.

L’ambiance de La Forêt des araignées tristes va donc plutôt se tourner vers l’enquête, avec de la tension dramatique, une multiplication des pistes (est-ce que les deux incidents qu’a vécus Bastien sont liés ? Pourquoi veut-on le tuer ?), mais également vers l’horreur, avec les araignées qui donnent son titre au roman, le personnage de l’antagoniste, et la toile dans laquelle semblent être pris Bastien et ses amis, qui se resserre peu à peu sur eux jusqu’aux chapitres finaux. Colin Heine fait monter la tension et joue avec son lecteur comme avec ses personnages, puisqu’aucun d’entre eux n’a toutes les clés en main, et par conséquent, l’ironie dramatique apparaît chez le lecteur, qui en sait plus que les personnages, dont la vie ne tient parfois qu’à un fil.

Enfin, les questions dites « sérieuses », telles que l’écologie, le fait qu’une guerre couve entre deux pays, et les thématiques sociales, même si elles relèvent d’un arrière-plan, restent tout de même assez présentes et dressent un tableau similaire et pourtant différent de celui de la transition entre le 19 et le 20ème siècle, qui a encore des échos actuels. Je m’arrêterai aussi brièvement sur la fin du roman, qui est assez étrange (et que je ne pense pas avoir véritablement comprise) mais plutôt surprenante, et sur laquelle j’aimerais avoir quelques éclaircissements.

 

Le mot de la fin

 

Colin Heine propose un premier roman intéressant, que j’ai apprécié ! La Forêt des araignées tristes dispose d’un monde bien construit qui se situe dans une ambiance steampunk vertical et sous la tension d’une guerre et d’exploits industriels, avec une toile narrative qui nous montre des personnages aux abois, mais bien développés.

Vous pouvez consulter les chroniques de BlackWolf, Célindanaél’Ours Inculte, OmbrebonesDreambookeuse, AelinelFungiLumini, Bouddica, Anouchka, Cœur d’Encre 

18 commentaires sur “La Forêt des araignées tristes, de Colin Heine

  1. Bonsoir ! comme je vais voir l’auteur ce soir pour une émission de radio (Radio Orange de 22-23h, à Vienne Autriche), je vais essayer d’en savoir un peu plus sur la fin. Merci au chroniqueur pour son très bon résumé, à part le personnage de Bastien que je trouve un peu trop naif et pas assez scientifique, je suis tout à fait d’accord. Pour moi c’est le 1er roman du genre et je n’ai voulu lire le dos du livre qu’à la fin. J’ai été assez déroutée au début du roman. A la fin seulement j’ai un peu recherché sur le style steampunk. Pour moi la fin correspond à la destruction d’une chimère (j’ai relu récemment toute la série de « De Cape et de Crocs » dans le T7 il y a un exemple et dans Harry Potter aussi il me semble) que Bastien s’est créé lui-même sur ses peurs et qu’il a matérialisé. Mais je ne vois pas bien le lien avec l’araignée découverte par Ernest et dont il a rapporté un bout de patte. Sauf justement pour détruire la chimère (et du coup les fils disparaissent). Et pourquoi les araignées tristes ? Mystère… Avez-vous compris pourquoi la fleur de Gerfon n’a pas agi sur Bastien lors de leur 1ère rencontre ? A cause de son rhume ?
    Je vais revoir l’auteur le 19 mars dans une librairie à Vienne, si vous avez d’autres questions, j’essaierai de les lui poser.

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