Jagaaan (tome 1), de Nishida Kensuke et Kaneshiro Muneyuki

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un manga qui montre littéralement la monstruosité des pulsions de l’Homme.

Jagaaan (Tome 1), de Nishida Kensuke et Kaneshiro Muneyuki

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Introduction

 

Cette introduction sera assez courte, puisque j’ai trouvé très peu d’informations au sujet des auteurs.

Nishida Kensuke est un dessinateur japonais né en 1987 à Osaka. Il a étudié le manga à l’université. Il est le dessinateur de Jagaaan, tandis que Kaneshiro Muneyuki, le scénariste du manga, a débuté en 2011 avec Jeux d’enfants, et Billion Dogs. On lui doit également la série Akû¸le chasseur maudit.

Voici la quatrième de couverture du premier volume de Jagaaan, qui est paru début 2019 chez Kazé :

« Shintarô Jagasaki est un jeune flic de quartier qui jour après jour se fait humilier par de jeunes voyous et par ses collègues du commissariat. Son avenir semble tout tracé : fonder une famille avec sa copine et poursuivre sa vie insignifiante… Mais cette perspective lui donne la nausée et derrière son sourire de façade, se cachent de violentes pulsions meurtrières. Un jour, lors d’une mission de routine, il tombe face à face avec un mutant chaotique et ravageur ! C’est alors que la main droite de Shintarô se métamorphose… Face à la destruction et au désespoir, un héros au côté sombre vient de naître ! »

Dans mon analyse, j’évoquerai la narration et la dramaturgie de Jagaaan conjointement aux dessins du manga, qui servent complètement son propos selon moi. C’est la première fois que je tente cette approche croisée, n’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ! Je tiens également à préciser que les références à d’autres œuvres ne sont pas là pour dénoter un quelconque manque d’originalité du manga. Notez également que je ne vais volontairement pas donner beaucoup de détails pour ne pas spoiler, parce que la série est très récente.

 

L’Analyse

 

Anti-héros et monstres humains

 

Le manga se déroule dans un Japon à première vue banal et contemporain. Le personnage principal, Jagasaki, est un policier de quartier dont tout le monde se moque. Cette banalité ressort dans l’exercice de son métier, qui consiste à surveiller les jeunes de son quartier et à empêcher des personnes alcooliques de se suicider (et oui, policier de quartier, ce n’est pas inspecteur de police…), mais également dans son charadesign, qui est assez commun et sans véritable signe distinctif. Devant cette vie banale et plutôt médiocre, Jagasaki cache toutes ses émotions et ses réactions de rejet de son statut de médiocre derrière un calme et un sérieux imperturbables, auxquels s’ajoutent parfois des sourires forcés. Mais sous ce calme apparent, le lecteur peut observer les véritables pensées de Jagasaki, qui sont parfois situées dans les endroits les plus sombres des planches et enfermées dans des encarts, et qui montrent la part sombre du personnage, qui voudrait être arraché à la banalité de son quotidien, ponctué par son travail et ses soirées chez lui en compagnie de sa fiancée.

La vie de Jagasaki va être totalement changée lorsqu’il va croiser la route des « xénopathes » (ou « crapadingues »), des extraterrestres semblables à des grenouilles, venus envahir la Terre en parasitant les corps des humains pour les transformer en créatures monstrueuses prenant forme dans leurs obsessions et dans leurs pulsions, appelées « Détraqués », qui massacrent des gens. Ce parasitage de corps humains par des créatures extraterrestres peut rappeler le manga Parasite de Hitoshi Iwaaki (adapté en anime en 2014 par le studio Madhouse et auquel le manga fait d’ailleurs une référence explicite), mais là où les parasites se cachant dans les humains ne ressentent que peu ou pas d’émotions, les xénopathes de Jagaaan exacerbent complètement les sentiments et les pulsions de leurs hôtes, ce qui les transforme en monstres difformes et grotesques, dotés d’excroissances musculeuses, veineuses à l’apparence parfois tentaculaire ou animale, ce qui peut rappeler les kagune des Goules du manga Tokyo Ghoul de Sui Ishida. Par exemple, un salaryman obsédé par l’argent va avoir une langue garnie de piquants qui découpent les gens en morceaux, et une jeune mariée au comble du bonheur va devenir une centauresse monstrueuse. Une certaine symbolique relie toujours les pulsions des Détraqués à l’apparence qu’ils adoptent.

 

Le personnage principal de Jagaaan va donc rencontrer un Détraqué dans le métro et va manquer de mourir en le voyant massacrer un grand nombre de personnes. Cependant, il va tuer le Détraqué, parce qu’il est lui-même infecté par un xénopathe, qu’il parvient à contrôler parce qu’il ne fait que se contenir en permanence, ce qui va lui conférer une sorte de super-pouvoir sous la forme d’un bras aux capacités surnaturelles et à l’apparence sombre et minérale, musculeuse et striée de veines blanches, ce qui peut rappeler le bras d’Allen Walker, le héros de D. Gray Man de Katsura Hoshino. Ce bras lui permet donc d’affronter et de tuer les Détraqués en tirant des rayons d’énergie avec ses doigts grâce au geste du finger gun, mais il devra en garder le contrôle en maîtrisant ses émotions, sous peine de devenir un monstre lui aussi. Jagasaki va donc complètement sortir de son quotidien banal et médiocre, mais au prix de très lourdes pertes sur le plan humain et affectif (que je ne vous spoilerai pas) et sur le plan physique, puisque son corps est infecté par une créature qui peut faire de lui un monstre. Il devient donc une sorte de héros qui tue les Détraqués, mais qui est rongé par son pouvoir qui le corrompt peu à peu, en plus d’être parfois dépassé par les événements qui lui permettent de se rend compte que mettre en permanence sa vie en danger face à des monstres redoutables n’est pas le meilleur moyen de sortir d’une vie banale. Cependant, les affrontements avec les Détraqués vont parfois le griser, ce qui montre que l’émergence du surnaturel dans sa vie le bouleverse complètement. Jagasaki apparaît donc comme une sorte d’anti-héros, qui ne se bat pas pour libérer l’Humanité de l’emprise des xénopathes, mais pour se hisser hors de sa médiocrité à travers les sensations fortes des combats. Il n’est pas non plus une sorte d’élu (ou d’anti-élu), puisque d’autres personnages semblent se trouver dans la même situation que lui. Il n’y a donc pas de place pour le manichéisme ou l’héroïsme.

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Je terminerai en évoquant la violence graphique de Jagaaan, qui montre les Détraqués massacrant des humains. Les scènes de combats et de tueries sont donc marquées par un aspect gore et sanglant, avec des effusions massives de sang, des démembrements, des parties du corps qui éclatent ou qui se font transpercer. Le dessin retranscrit donc toute la violence, ainsi que l’apparence monstrueuse des Détraqués, dont les excroissances ou les membres modifiés sont représentés avec des tons plus sombres que le reste du corps. Les Détraqués, mais aussi Jagasaki, adoptent aussi des expressions faciales grotesques et extatiques, qui montrent d’une certaine façon leur inhumanité, puisqu’ils tirent un plaisir immense par le carnage et la violence. Plaisir qui semble presque tendre vers l’orgasme, puisque leurs visages lorsqu’ils tuent se rapprochent de l’ahegaho, qui est une expression faciale utilisée dans les hentai (mangas pornographiques) pour montrer le plaisir extatique que ressent un personnage en exagérant sur ses traits, avec des yeux révulsés et une bouche totalement distordue, ce qui leur donne un aspect révulsant et inhumain.

 

Le mot de la fin

 

Ce premier tome de Jagaaan donne à voir une série prometteuse, dotée d’un personnage principal complexe, marqué par la banalité de sa vie, de son monde et de son quotidien, bouleversé par des créatures atroces et inhumaines, contre lesquelles il va devoir lutter à l’aide de son bras qui fait de lui un « Détraqué combattant ». Les dessins quant à eux soulignent parfaitement le contraste entre la banalité du quotidien de Jagasaki et la monstruosité de ce qu’il affronte.

Vous pouvez également consulter les chroniques des Miscellanées d’Usva, Boa, Lestrange Books, Les instants volés à la vie, MirabiliaM’yonn Ellie, Gaman, Les voyages de Ly, Les chroniques de Mae, Red an Books, Cats and Books, Gommahan, Tachan

10 commentaires sur “Jagaaan (tome 1), de Nishida Kensuke et Kaneshiro Muneyuki

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