La Conquête de la sphère, de Johan Heliot

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler du dernier tome de la trilogie Grand Siècle de Johan Heliot, à savoir

 

La Conquête de la sphère

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Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse de la part des éditions Mnémos, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman ! Ensuite, comme il s’agit d’un troisième tome, vous risquez de vous faire spoiler les intrigues des deux premiers volumes. Je vous conseille donc d’au moins lire mes chroniques du tome 1 et du tome 2 de cette trilogie.

Johan Heliot est un auteur français né en 1970. Il écrit majoritairement de la science-fiction, mais s’est également illustré dans d’autres genres, en littérature adulte, mais aussi en jeunesse. Il s’est d’abord fait connaître pour la Trilogie de la Lune, une uchronie steampunk publiée au début des années 2000 puis réédité en intégrale aux éditions Mnémos en 2011, puis en 2016 pour fêter les 20 ans de la maison. La Trilogie de la Lune a contribué à l’essor du steampunk en France et a donné une notoriété à l’auteur. Il a par la suite écrit d’autres romans, dont des uchronies, avec par exemple Françatome : Aujourd’hui l’atome, demain l’espace en 2013, ou la trilogie du Grand Siècle, dont le premier tome, L’Académie de l’éther, a été publié aux éditions Mnémos. Le deuxième volume, L’Envol du Soleil, quant à lui, a été publié en mai 2018 chez le même éditeur, et le dernier est paru un an plus tard, toujours aux éditions Mnémos. Entre temps, Johan Heliot a publié un autre roman relevant de la SF et de l’uchronie, Frankenstein 1918, aux éditions L’Atalante, qui a piqué ma curiosité et que je lirai probablement un jour !

Voici la quatrième de couverture de La Conquête de la sphère :

« Entre la Terre et l’espace, la révolution et le voyage vers Mars, nous retrouvons le destin de la famille Caron dans une aventure uchronique où la machine et la technologie viennent accélérer le destin de la France pour la conduire vers des horizons meurtriers et grandioses.

Johan Heliot nous entraîne dans un final époustouflant, terminant ainsi cette grande fresque uchronique et historique passionnante. »

Dans mon analyse, je traiterai de la manière dont l’auteur traite la technologie et ses conséquences, puis je m’intéresserai aux interactions entre les personnages du récit et l’Histoire. Notez que je vais faire de mon mieux pour ne rien vous spoiler, mais je tenais quand même à vous parler du roman en détail, donc il se peut que des spoils se soient glissés dans cette chronique.

 

L’Analyse

 

Un 17ème siècle très (très) avancé

 

L’intrigue de La Conquête de la sphère démarre lorsque Le Soleil, le vaisseau spatial construit par l’Académie de l’éther pour le compte du roi Louis XIV et qui se trouve en orbite autour de la Terre, s’apprête à partir explorer l’espace. Johan Heliot dépeint donc une véritable conquête spatiale à la fin du 17ème siècle, deux siècles avant celle que l’on connaît. Il confronte ses astronautes aux mêmes problèmes que les nôtres, avec les dangers des sorties extravéhiculaires par exemple, mais il ajoute une dimension religieuse et mystique à l’exploration de l’espace. En effet, dans la société du 17ème marquée par le catholicisme et les superstitions qu’il génère, atteindre l’espace, ou plutôt la « Sphère », qui est l’idée que la religion se fait du cosmos, c’est atteindre le domaine de Dieu, et donc faire preuve d’hybris, c’est-à-dire commettre le pêché de se croire égal ou supérieur au divin, et c’est donc un sacrilège. Les superstitions et les préjugés religieux des personnages, mais aussi les mensonges du pouvoir sur les supposées richesses se trouvant dans la Sphère, vont se heurter à la froide réalité de l’espace vide et des rayonnements cosmiques radioactifs qui peuvent provoquer des tumeurs. À travers ce voyage dans l’espace, le récit montre que l’Humanité est loin d’être toute puissante et doit affronter ses propres idées reçues. On peut d’ailleurs noter que les puissants présents à bord du vaisseau, notamment le commandant Jean Bart, se servent des croyances de l’équipage du Soleil à propos de l’espace pour lui faire miroiter des richesses et le motiver, alors qu’ils ont en réalité d’autres motivations, bien plus obscures. L’auteur met donc en scène une ironie tragique assez cruelle avec ses personnages, départagés entre ceux qui sont conscients de leur situation et les ignorants (je ne peux malheureusement pas vous en dire plus).

Cette conquête spatiale est également l’occasion pour Johan Heliot de faire preuve d’une sorte de cosmicisme. Avant d’aller plus loin, je tiens à rappeler que le cosmicisme est un mode de pensée, très prononcé chez H. P. Lovecraft par exemple, qui consiste à considérer l’Humanité comme une espèce négligeable et insignifiante en regard du gigantisme et des mystères de l’espace, et de ce qui pourrait s’y dérouler. On trouve du cosmicisme dans La Conquête de la sphère, parce que l’équipage du Soleil, à travers son rapport avec l’Intelligence (Unité d’Exploration Conscientisée) va se rendre compte que l’Humanité, va se rendre compte qu’elle est loin d’être la seule espèce intelligente dans l’univers et qu’elle n’en mène pas large lorsqu’elle est comparée à d’autres espèces plus développées technologiquement ou plus dangereuses, qui pourraient ne pas lui vouloir que du bien.

L’être humain apparaît donc comme une espèce qui n’en est qu’à ses balbutiements dans l’espace par rapport à d’autres, alors que paradoxalement, l’Humanité décrite par Johan Heliot parvient à développer une technologie extrêmement avancée malgré certaines de ses croyances, à la fois pour son époque (je rappelle que le 17ème, c’est trois siècles avant Spoutnik premier du nom), et de manière générale, puisque le roman décrit tout de même un voyage habité vers Mars, et même au-delà, dans la ceinture d’astéroïdes qui se trouve entre la planète rouge et Jupiter, ce qui n’a pas encore été fait à l’heure où j’écris ces lignes !

Sur Terre, la technologie détenue par la France dépasse aussi celui du 17ème siècle que nous connaissons, mais elle sert majoritairement de moyen de propagande à la gloire de Louis XIV et à faire la guerre. En effet, la technologie militaire du royaume de France, renforcée par « l’effluve », une sorte d’équivalent à l’électricité, lui permet de détenir des sortes de chars d’assaut et des mortiers capables de raser des zones entières, ce qui a permis une expansion rapide des frontières. Par conséquent, les différentes cours d’Europe, menées par Léopold 1er de la maison de Habsbourg, empereur du Saint Empire et sous la bénédiction du pape Jules IV (nom pontifical d’Antonio Barberini) s’unissent pour stopper l’expansion du Roi Soleil, par ailleurs considéré comme hérétique par l’Église à cause de ses velléités de conquête spatiale. Cette Sainte Coalition va s’opposer aux forces de Philippe d’Orléans, dit « Monsieur, frère du Roi », ce qui cause une guerre aux proportions énormes sur le sol français, avec des dégâts matériels et humains colossaux, ce qui peut rapprocher le conflit de la Première guerre Mondiale, d’une certaine façon. L’avantage technologique de Philippe d’Orléans, mais aussi la folie sanguinaire et guerrière du personnage, qui n’a plus grand-chose à voir avec celui de notre réalité, si ce n’est sa passion pour les costumes voyants qu’il porte en combat (qui lui permettent de faire peur à ses ennemis et de satisfaire sa passion pour l’esthétisme), lui font commettre des exactions atroces, tels que des massacres et des tortures de soldats ennemis et d’innocents, qui sont dénoncés par le récit et tous les personnages qui en observent les véritables charniers qui en résultent.

Johan Heliot montre donc que l’avancée technologique de la France est à la fois une source de grands progrès et d’atrocités. On peut également noter que le progrès technologique sert surtout aux classes sociales les plus aisées de la société française, c’est-à-dire la noblesse, puisque les classes laborieuses stagnent dans une misère de laquelle elles ne peuvent pas sortir. La fracture sociale s’illustre d’une manière littérale dans le récit lorsqu’un « pavois », une sorte de bouclier énergétique est érigé à Paris et permet de protéger la population intramuros, mais pas les réfugiés chassés de leurs terres par la guerre.

La technologie, avec la « luxovision » (un équivalent de notre télévision), permet de mettre en scène des médias d’information de masse transformés en moyen de propagande et de culte de Louis XIV, qui diffusent par exemple des fausses informations sur le déroulement de la guerre entre Philippe et la Sainte Coalition. Johan Heliot, à travers une transposition des technologies d’information de notre époque à celle du Roi Soleil, montre leurs travers et la manière dont ils peuvent être utilisés par une idéologie dominante.

 

L’essor technologique et la conquête spatiale permettent également à l’auteur d’interroger la civilisation humaine et ce qui fait la particularité de notre espèce à travers le regard extérieur de l’Intelligence, qui met en évidence sa capacité d’adaptation et sa volonté de comprendre le monde qui l’entoure, ainsi que les difficultés inhérentes à la conquête spatiale, qu’elles soient matérielles et scientifiques, mais aussi biologiques (l’être humain ne peut pas vivre dans l’espace) et diplomatiques. Johan Heliot soulève également l’idée qu’une espèce ne pouvant survivre naturellement mieux dans l’espace a plus intérêt à envoyer des robots dans l’espace, à l’image de la civilisation dont est originaire l’Intelligence. Cette dernière est d’ailleurs développée par l’auteur, à travers son humanisation progressive au contact de Louis XIV. La machine va ainsi progressivement acquérir des émotions, d’une certaine manière, parce qu’elle se soucie du sort et du destin de l’Humanité, tandis que parallèlement, le Roi Soleil va se mécaniser, en devenant plus froid et distant avec son entourage, pour finalement se placer hors-humanité par ses objectifs personnels.

 

Histoire et récit entremêlés

 

Dans ce dernier volume de Grand Siècle, le lecteur suit le destin tragique de la fratrie Caron, qu’on pourrait croire maudite, comme le déclarent Estienne et Martin. La famille que l’on suit depuis le premier tome est brisée par les événements tragiques qu’elle vit, puisque Pierre et Jeanne, après avoir fui Paris, vont se retrouver au cœur de la guerre entre la Sainte Coalition et l’armée française et devoir regagner une capitale mise à mal, dans laquelle vit Marie, devenue alcoolique et miséreuse après avoir vendu sa fille à femme de la noblesse (la célèbre Madame de Sévigné, pour ne pas la nommer). De leur côté, Martin et Estienne vont se retrouver sur Le Soleil, lors de son voyage spatial. L’un va devoir faire face à un crime qu’il a commis, tandis que l’autre va devenir bien plus qu’un simple conseiller du roi Louis XIV (je ne peux malheureusement pas vous en dire plus). On observe que les personnages qui étaient plus portés sur le pouvoir de l’intellect et sa prévalence face à la violence, comme Jeanne par exemple, vont voir leur mentalité bouleversée par la guerre et les événements de Paris, tandis que d’autres, à l’image de Pierre, cherchent à se repentir de leurs crimes passés. Les événements tragiques vécus par les Caron et le fait qu’ils appartiennent tous à des milieux sociaux différents peuvent vraiment leur donner une parenté littéraire avec les Rougon Macquart d’Émile Zola, parce que la famille décrite par le romancier du 19ème est également marquée par un destin tragique et des personnages évoluant dans des milieux sociaux très différents et marqués par des tares plus ou moins profondes. Mais par opposition aux personnages d’Émile Zola, les Caron de Johan Heliot finissent par être en contact avec les hautes sphères du pouvoir, souvent grâce à leur intellect et finissent par devenir des acteurs de l’Histoire. À ce titre, le personnage de Jeannette, qui est la fille de Marie (et une bâtarde du roi Louis XIV, accessoirement) prend une importance capitale à la fin du roman en prenant la relève de son oncle Estienne dans les projets de conquête spatiale. Les personnages de la famille Caron sont développés de manière très intéressante et sont mis face à leurs actes et pensées passées, ce qui les conduit à gagner en profondeur.

La narration de La Conquête de la sphère est encore une fois assurée par des points de vue multiples qui permettent au lecteur de suivre l’évolution de chaque membre de la fratrie Caron et d’autres personnages, tels que Louis XIV ou son frère Philippe par exemple, et de montrer comment ils entrent dans l’Histoire ou interagissent avec celle-ci. La construction du récit, avec un certain nom d’ellipses narratives appuie cette démarche et nous montre comment l’Histoire se met en marche en se différenciant de celle que l’on connaît, avec une fin de règne catastrophique pour le Roi Soleil, secouée par la guerre et des dépenses qui ont ruiné l’État, qui conduisent à une Révolution, un siècle avant la nôtre, et une sorte de Commune, deux siècles avant celle de notre Histoire.

Ce dernier tome du Grand Siècle nous montre également, au-delà du destin des membres de la famille Caron, les bouleversements qui touchent le roi et son frère, accablés par les finances désastreuses rongées par les velléités de conquête spatiale de Louis XIV et les guerres menées par Philippe, qui conduisent la maison de Bourbon à sa chute ou à son instrumentalisation par ses ennemis, d’une certaine manière. L’auteur interroge ainsi la portée des actes des deux frères et la manière dont ils seront perçus dans le futur, déterminée par la façon dont ils seront entrés dans l’Histoire.

 

Le mot de la fin

 

Avec La Conquête de la sphère, Johan Heliot conclut en beauté sa trilogie uchronique du Grand Siècle, dans laquelle il dépeint un 17ème siècle profondément différent ce celui que l’on connaît, grâce à un développement technologique très accéléré du royaume de France de Louis XIV, motivé par une créature extraterrestre qui veut lui faire gagner l’espace.

Ce dernier volume nous montre donc le voyage spatial du Roi Soleil, vers Mars, la ceinture d’astéroïdes, et même au-delà, alors qu’en parallèle, la révolte populaire et la guerre grondent à Paris, dans un royaume ruiné par les dépenses folles de son dirigeant, conduisant à une véritable Révolution.

L’auteur s’attarde également sur la famille Caron, dont les membres connaissent des développements très intéressants qui leur font gagner en profondeur, malgré les déboires qu’ils vivent !

Je vous conseille vivement de lire cette trilogie !

Vous pouvez également consulter les chroniques d’Ombrebones, Boudicca, Aelinel,

8 commentaires sur “La Conquête de la sphère, de Johan Heliot

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