Elliot du Néant, de Sabrina Calvo

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman qui fait se rencontrer Stéphane Mallarmé et l’Islande des années 1980, à savoir

Elliot du Néant, de Sabrina Calvo

Introduction

Sabrina Calvo est une autrice française de science-fiction, de fantasy et de fantastique née en 1974. Elle est également dessinatrice, scénariste, et travaille dans le domaine du jeu-vidéo, notamment dans le game-design.

Ses œuvres mêlent souvent science-fiction, fantastique et réalisme magique, genre se différencie du fantastique par son aspect plus onirique et moins horrifique. Elle a reçu le prix Julia Verlanger en 2002 pour Wonderful, et le prix Bob Morane en 2016 pour Sous la Colline, avant de remporter le Grand Prix de l’imaginaire et le prix Rosny Aîné pour Toxoplasma. Ses trois derniers romans, Elliot du Néant (2012), dont je vais vous parler aujourd’hui, Sous la Colline (2015) et Toxoplasma (2017), sont disponibles chez La Volte.

On peut également noter que on premier roman, Délius : une chanson d’été, originellement paru en 1997, va faire l’objet d’une republication au mois d’Août 2019 chez Mnémos ! Comme il s’agit d’un roman de Fantasy d’inspiration victorienne, il y a de très (très) fortes chances pour que je vous en parle !

Mais pour l’heure, voici la quatrième de couverture d’Elliot du Néant :

« Islande, 1986. Dans la petite école d’Hafnafjordur, entre une falaise arpentée par les fées et un champ de lave hanté par le passé, se noue un drame cosmique aux fantastiques implications. À la veille de la grande kermesse annuelle, Elliot, le très vieux concierge muet, a quitté sa chambre sans fenêtres, fermée de l’intérieur.

Bracken, le professeur de dessin, part à sa recherche flanqué de deux tortues, sans se douter que cette aventure l’amènera à franchir le seuil de la réalité, là où absurde, poésie et dangers se fondent en une vertigineuse chasse aux secrets.

Et si le Néant était quelque chose plutôt que rien ? »

Mon analyse du roman portera sur les rapports entre le Néant du récit, le réel et le rêve. Comme le roman possède des passages et une ambiance qu’il faut impérativement découvrir à la lecture, cette chronique se fera sans spoil. J’espère que vous la trouverez tout de même intéressante !

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L’Analyse

Entre Néant et réalité

Sabrina Calvo situe son roman dans l’Islande de la fin des années 1980, alors que l’informatique et Internet pour le grand public commencent à se démocratiser. À ce contexte, l’autrice ajoute des références à Stéphane Mallarmé, poète symboliste de la fin du 19ème siècle, à travers des mentions de son « Sonnet en X », qui mentionne le « Ptyx » et le « Néant », qu’elle rend littéraux en leur donnant une réalité. Le Néant et le Ptyx du poète deviennent alors respectivement le lieu et l’objet d’une quête qui prend place dans un univers référentiel beaucoup plus moderne, avec des jeux en ligne, mais également plus ancien, avec le folklore et l’imaginaire islandais. En effet, la plupart des personnages du récit croient à l’existence des fées et des elfes, qu’ils pensent cachés sur leurs terres. L’autrice ajoute à ce contexte et ces références la quête de sens individuelle du personnage principal de son roman, Bracken (j’y reviendrai).

La présence de Mallarmé se fait sentir à travers le Néant, une sorte de monde (ou non-monde ?) alternatif, parallèle au nôtre et dont il est possible de devenir le « Maître » en arrachant le Ptyx des griffes du « Kor », une créature monstrueuse vivant dans le Néant et capable de s’introduire dans la réalité. On peut observer que le temps du Néant s’écoule différemment de celui de notre réalité, puisqu’on peut y passer plusieurs années sans que rien ne change dans le monde réel. Le Néant et la quête du Ptyx se trouvent au centre de la quête de Bracken, qui va devoir se confronter à la présence fantomatique de Mallarmé et de son fils, Anatole, qui l’ont marqué et délimité.

Le personnage principal d’Elliot du Néant est un citoyen français qui enseignait en Islande jusqu’à sa démission à cause de sa rivalité avec un autre professeur, féru d’informatique et persuadé de la toute puissance de la technologie, Bram. Malgré sa démission, Bracken est appelé un soir par la direction de l’école dans laquelle il travaillait pour qu’il aide à retrouver Elliot, le concierge, qui a mystérieusement disparu sans laisser de trace. Bracken se rendra très vite qu’Elliot se trouve dans un autre monde, le fameux Néant, dont il est vraisemblablement devenu le nouveau Maître, et part le chercher. Cependant, se retrouver au Néant signifie en devenir le Maître, ou se faire tuer par le Kor. Sabrina Calvo met donc en scène le motif de la quête, classique dans les récits de Fantasy (je rappelle que classique ne veut pas dire mauvais), à travers la recherche d’Elliot et du Ptyx, mais elle le subvertit d’une certaine façon, puisque le personnage qui est l’objet de la quête de Bracken, Elliot, n’apparaît quasiment jamais dans le récit, tandis que Bracken lui-même ne cherche absolument pas à devenir le Maître du Néant, parce qu’il souhaite simplement ramener Elliot.

Cependant, le voyage dans le Néant va changer Bracken, en lui montrant l’importance de l’action sur le monde pour le faire sortir de la paresse, notamment par le biais du jeu et de la pratique de l’art, puisqu’il est dessinateur. Le Néant va ainsi permettre à Bracken de retrouver sa manière de dépeindre et d’appréhender le monde dans son art, ce qui est retranscrit par l’autrice dans ses descriptions de la vision de son personnage, qui perçoit le monde comme un cartoon ou une BD, avec des contours autour de ce qu’il observe et des espaces similaires à l’écart entre deux cases de bande-dessinée. Grâce au Néant, Bracken parvient à réenchanter son quotidien et son monde, en observant le surnaturel qui l’entoure, mais aussi celui qui vient du Néant, ainsi que celui qu’il peut littéralement faire surgir. Bracken apparaît donc de prime abord comme un personnage qui n’est pas héroïque ou actif, mais son contact avec le Néant, qui lui permet de retrouver son art et des ambitions, reforge son identité. Le surnaturel est donc présent dans le roman, avec des animaux qui parlent et des scènes qui peuvent se révéler surréalistes ou horrifiques, avec des personnages qui transplantent leurs yeux dans les mains par exemple. Bracken, qui paraît assez banal, va se construire comme une sorte de héros de Fantasy dans le Néant, avec une quête à accomplir, des ennemis à affronter et vaincre, des compagnons, et des objectifs personnels, pour finalement dépasser sa condition et son désir de ne pas devenir le Maître du Néant.

Le Néant s’oppose ainsi au monde réel, mais les événements qui s’y déroulent peuvent tout de même y avoir une certaine influence, comme on peut l’observer dans l’évolution du personnage de Bracken. On peut également noter que l’environnement du Néant est essentiellement marin et décrit comme un lieu onirique, qui se construit autour du volcan sous-marin Ginnungagap, habité par des animaux aquatiques, à l’image d’Egill, un macareux, Hinrik, un morse, et Roméo et Diane, deux tortues qui détiennent un grand nombre de secrets sur le monde dans lequel elles vivent.

L’autrice donne le point de vue de Bracken à travers une narration au présent et à la première personne, à la fois lorsqu’il se trouve dans le Néant et dans le monde réel, ce qui accentue l’idée que les temporalités des deux mondes ne sont pas exactement les mêmes, puisque dans le réel, Bracken ne se rend pas compte qu’il a pu passer plusieurs années dans le Néant, mais elle donne également le point de vue du Kor, la créature qui défend le Ptyx, à travers de strophes poétiques très courtes, et des deux tortues, ce qui crée des décalages de forme, puisque les passages où Bracken n’est pas personnage point de vue sont en italique, et de ton, parce que Diane et Roméo apportent une touche comique toujours en décalage énorme avec les situations dramatiques dans lesquelles les personnages se trouvent, tandis que le discours du Kor tend plus vers l’horreur.

Le mot de la fin

Elliot du Néant possède une ambiance que j’ai trouvée très particulière, oscillant entre le fantastique et le réalisme magique, avec une touche de Fantasy et d’horreur.

Sabrina Calvo situe son récit dans l’Islande des années 80 et nous fait suivre Bracken, expatrié français désœuvré et ex-professeur de dessin, revenu dans l’école où il enseignait pour retrouver Elliot, le concierge mystérieusement disparu, alors que règne dans l’établissement un climat angoissant. Bracken, lancé sur les traces d’Elliot, découvre que celui-ci est allé dans le Néant, un monde parallèle au nôtre, duquel il s’est vraisemblablement rendu Maître. Bracken va alors devoir passer par les mêmes épreuves que le vieux concierge, qui vont le changer et lui redonner goût à l’art et au surnaturel.

J’avais aimé Toxoplasma, j’aime Elliot du Néant, et je vais par conséquent poursuivre mon exploration de l’œuvre de Sabrina Calvo !

Vous pouvez également consulter les chroniques de Charybde, Dionysos

9 commentaires sur “Elliot du Néant, de Sabrina Calvo

  1. Ce bouquin a l’air tout barré vu ta chronique, mais j’ai adoré Sous la colline et Toxoplasma donc ça se tente !
    J’attends aussi la réédition de Délius, ses bouquins sont toujours fous, tu sais jamais sur quoi tu vas tomber.

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