Waldo, de Robert Heinlein

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’une novella qui date de 1942, et qui est pourtant marquée par sa modernité.

 

Waldo, de Robert Heinlein

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Introduction

 

Robert Heinlein est un auteur de science-fiction américain né en 1907 et mort en 1988. Avec Isaa Asimov et Arthur C. Clarke, l’auteur forme le « Big Three », c’est-à-dire le trio d’auteurs de SF de langue anglaise qui ont dominé la SF américaine pendant les années 40 et 50. Il a servi dans la Marine entre 1929 et 1934, avant d’être réformé pour une tuberculose. Pendant la seconde guerre mondiale, il a travaillé comme ingénieur civil dans un laboratoire de la Marine. Son expérience de l’armée a marqué son œuvre, ce qu’on peut observer dans son roman Starship Troopers, publié en 1959.

L’œuvre dont je vais vous parler aujourd’hui, Waldo, est une novella qui a été originellement publiée en 1942, et a été traduite en français par Pierre-Paul Durastanti pour la collection Une Heure Lumière du Bélial’. Comme la date de publication en VO l’indique, il s’agit d’une œuvre de jeunesse de l’auteur, puisque certains de ses romans les plus connus, tels que Starship Troopers ou Révolte sur la Lune ne seront publiés que 17 et 24 ans après Waldo.

Voici la quatrième de couverture de la novella :

« Atteint d’une maladie neuromusculaire chronique, Waldo Farthingwaite-Jones vit retiré du monde au sein de son petit paradis privé, un habitat orbital automatisé conçu par ses soins qui le soustrait à l’insoutenable gravité terrestre martyrisant son corps… Obèse, solitaire et misanthrope, Waldo est un être détestable. Mais c’est aussi, sans doute, l’un des plus remarquables esprits que l’humanité ait jamais connu. De fait, quand les moteurs des appareils de la North American Power-Air se mettent à dérailler sans la moindre explication, menaçant l’ensemble du trafic aérien, les ingénieurs de la compagnie n’ont d’autre choix que de se tourner vers un Waldo peu enclin à les aider. Sauf à y trouver son propre intérêt, et envisager la plus stupéfiante des découvertes… »

Mon analyse du roman va s’intéresser au futur dépeint par Robert Heinlein, ainsi qu’à la manière dont Waldo est présenté et résout les problèmes de son monde. Je risque donc de spoiler un peu, mais c’est malheureusement nécessaire pour vous fournir une chronique intéressante !

 

L’Analyse

 

Une technologie sauvée par magie ?

 

Je le répète, Waldo a été publié pour la première fois en 1942, et c’est donc une œuvre de jeunesse de son auteur. Il est donc important de replacer cette novella dans son contexte de publication, notamment vis-à-vis du futur qu’elle décrit.

En effet, l’auteur décrit un futur dans lequel la conquête spatiale semble bien avancée, puisque des expéditions sur Vénus sont mentionnées, et qu’il est possible pour une personne d’habiter en orbite. Il est également possible pour ses proches de lui rendre visite très facilement. L’énergie électrique est également distribuée partout, dans tous les secteurs, sans fil, grâce à des récepteurs deKalb, et permet notamment d’alimenter tous les véhicules qui circulent, qu’ils appartiennent à des entreprises ou des citoyens. L’auteur décrit donc un futur dans lequel la crise énergétique n’existe supposément pas.

Cependant, le récit de Robert Heinlein dépeint une sorte de crise énergétique, puisque les installations électriques gérées par la NAPA, une grande entreprise fabriquant et gérant les récepteurs deKalb, sont sujets à des pannes inexplicables par les ingénieurs tels que le professeur Rambeau ou l’ingénieur James Stevens, l’un des narrateurs du récit, qui risque son poste s’il ne parvient pas à résoudre le problème. Waldo décrit donc une impasse de la rationalité, ou d’une certaine rationalité, face à une technologie, elle-même issue de cette rationalité. Parallèlement à cela, le médecin Augustus Grimes constate que les radiations émises par l’énergie électrique sans fil causent un affaiblissement progressif de la population, qui risque de développer des myasthénies (une maladie incapacitante qui impacte la transmission entre les nerfs et les muscles) touchant l’Humanité entière. Il est intéressant de noter qu’un récit publié en 1942 met en évidence les effets nocifs que les ondes et la technologie peuvent avoir sur le corps humain, alors que certaines personnes en doutent encore aujourd’hui.

Pour tenter de comprendre le problème des récepteurs deKalb, la NAPA décide de contacter Waldo Farthingwaite-Jones, un ingénieur de génie atteint d’une forme grave de myasthénie, qui vit dans une station spatiale orbitale, ce qui lui permet de se déplacer sans faire d’efforts et de manipuler de la technologie à loisir. Il est en effet l’inventeur d’objets qui portent son nom, les « waldos », des bras mécaniques téléguidés de taille plus ou moins importantes et aux fonctions variées, qui lui permettent d’effectuer diverses opérations. Malheureusement, Waldo est extrêmement misanthrope et cynique, au point qu’il se distingue de toute l’Humanité, qu’il qualifie de « singes nus », ou « singes sans poils » et se considère comme plus évolué qu’eux. Waldo s’avère donc être un personnage détestable de prime abord, qui n’hésite pas à montrer sa rancœur pour la NAPA, qui a supposément violé ses brevets, à James Stevens malgré ses capacités intellectuelles et sa technologie faramineuses. Cependant, le docteur Grimes, qui s’occupe de lui, va lui faire comprendre qu’il n’est pas véritablement indépendant et dépend tout de même de l’Humanité pour subsister, puisque les produits de première nécessité lui sont livrés dans sa station orbitale, ce qui signifie qu’il ne peut pas subvenir à ses propres besoins. Malgré son mépris pour l’Humanité, Waldo va devoir tenter de sauver la technologie grâce à ses connaissances scientifiques, et tenter de trouver des solutions pour sauver l’Humanité des risques de myasthénie. Le personnage de Waldo, qui apparaît comme une sorte d’anti-héros de par sa détestation de l’Humanité, doit donc venir en aide à son prochain, ne serait-ce que pour pouvoir assurer sa propre survie dans un premier temps.

Sans rentrer dans les détails, Waldo va trouver une réponse totalement irrationnelle au dysfonctionnement des récepteurs deKalb, qui est la magie, qu’il va tenter de comprendre et de rationaliser. Waldo va donc s’intéresser à l’ésotérisme et à la magie, à l’aide de grimoires, et découvrir qu’il est possible de tirer de l’énergie d’un « Autre Monde » pour alimenter des objets ou des personnes. En 1942, Robert Heinlein parvient à mêler proto-Hard Science, de par les descriptions qu’il donne de la vie en orbite de Waldo et des technologies qu’il emploie, et Fantasy, parce que le personnage parvient à pleinement rationaliser l’irrationnel lié à la magie pour la comprendre, l’expliquer, et enfin l’exploiter. On remarque d’ailleurs que l’auteur, loin d’opposer technologie et magie comme elles peuvent l’être parfois, les mêle et les font s’interpénétrer, puisque l’une permet de faire fonctionner l’autre et l’explique. L’auteur montre donc que la magie et la technologie ne forment pas une équation narrative impossible, et ce dès 1942.

En plus de cela, Waldo est un récit qui montre un personnage misanthrope et isolé à cause de son handicap malgré son génie qui finit par s’intégrer à la société, ce qu’on voit à travers le motif du fait qu’il finit par se soucier du sort de l’Humanité du haut de sa station orbitale, et par poser les pieds sur Terre.

 

Le mot de la fin

 

Avec Waldo, Robert Heinlein mêle Hard-Science et Fantasy dans une novella marquée par une certaine modernité, malgré le fait qu’elle date de 1942.

Dans un futur marqué par la diffusion de l’énergie électrique sans fil, l’auteur dépeint une panne touchant progressivement de plus en plus de récepteurs de courant. L’entreprise gérant ces dispositifs, la NAPA, décide de faire appel à Waldo, un scientifique misanthrope qui se considère comme plus évolué que le reste de l’Humanité.

Waldo, en se confrontant à ce problème, va redécouvrir la magie, permettant ainsi de créer un récit qui allie magie et technologie sous le prisme du rationnel.

Waldo a été mon premier contact avec la plume de Robert Heinlein, et j’ai beaucoup apprécié ! Je remarque que je fais beaucoup de premières incursions dans les œuvres grâce à la collection Une Heure Lumière, et cette expérience me plaît !

Vous pouvez également consulter les chroniques d’Apophis, Yogo, FeydRautha, Just A Word, Acaniel, Un Bouquin sinon rien, Lutin, Ombrebones, L’Ours Inculte

22 commentaires sur “Waldo, de Robert Heinlein

  1. Je ne parlerais pas de Fantasy à propos de ce texte. Ce n’est parce qu’il y parle de magie qu’Heinlein écrit de la Fantasy. D’autant qu’il y fait une tentative de rationalisation de ce qu’on peut appeler « magie ». Enfin, le texte répond à un contexte historique réel bien précis ce qui à mon avis nie cette classification. My two cents.

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    1. Effectivement, le terme « Fantasy » est sans doute un peu abusif, mais je l’ai placé parce qu’à mon sens, la présence de magie rationalisée peut faire penser à la Fantasy (certains auteurs rationalisent les processus magiques de leurs récits), ce qui fait que même avec ce contexte précis, j’ai pensé que le terme pouvait être approprié.
      Mais merci pour la nuance que tu apportes !

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  2. Je crois avoir lu tout ce qui a été publié en français pour Heinlein (ou disons tout ce que j’ai pu trouvé, à tout le moins). *Waldo* m’a fait un grand plaisir à lire et m’a permis de retrouver cet auteur fétiche pour moi. Alors effectivement c’est un court roman de jeunesse dont j’ai trouvé la fin abrupte. Cela n’arrive certainement pas à la cheville d’autres romans de l’auteur qui viendront plus tard mais malgré tout de belles idées sont développées dans celui-ci. Bon la fin m’a un peu laissé de marbre mais j’ai été accroché par tout le développement.

    J’aime beaucoup ta critique. Tu prends le temps de décortiquer ton ressenti et les divers éléments du récit, et c’est un plaisir à lire. Je rejoins cependant FeydRautha qui remet en question l’utilisation du terme Fantasy dans ta chronique. J’ai aussi tiqué sur l’utilisation du terme parce qu’à mon sens le terme « magie » n’est là que comme une référence aux proto-sciences qui n’ont pas été rationnalisées par la science moderne. Et justement Waldo s’attelle à appliquer la méthode scientifique à ces derniers domaines non véritablement explorés (en écartant la majeur partie qui n’est que folklore, *dixit* l’auteur). Finalement Waldo est ce nouveau Galilée/Ganimède/Copernic/Qui-on-veut qui va venir expliquer des mécanismes que l’on aurait mis antérieurement sous le coup de la lubie des dieux ou de la magie (antérieurement étant en fait « nous » présentement en attendant qu’un Waldo arrive).

    Bon je m’emporte en sachant que ce développement de ma part n’est pas nécessaire puisque tu as toi-même dit que le terme était peut-être un peu abusif en commentaire mais, que veux-tu, ta chronique rondement menée donne envie de commenter ! Bref, merci pour ce retour qui me donne moi-même envie d’écrire un petit quelque chose sur ce court roman (évidemment, avec moins de sagesse et de profondeur que toi, mais je fais avec ce que j’ai, soit pas grand chose :P).

    Sinon en parlant de Fantasy et d’Heinlein, tu serais peut-être intéressé par la *Route de la gloire*. Au menu : univers parallèles, des dragons, un Œuf, des princes et des princesses et même des combats à l’épée ! (bon pleins d’autres choses encore aussi, mais voilà c’est déjà pas mal).

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    1. Wow, merci beaucoup pour ce long commentaire et ce compliment ! 🙂
      Effectivement, le terme Fantasy est assez abusif, j’en conviens tout à fait.
      Et pour La Route de la gloire, j’imagine que s’il y a des univers parallèles et des combats à l’épée, c’est que c’est de la Science Fantasy ? Je demande parce que si c’est le cas, c’est très intéressant pour mes travaux de M2.

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      1. Pour la Route de la gloire, je ne saurais dire si c’est de la Science Fantasy (je ne connais pas le terme si ce a quoi il renvoie exactement). Mais il y a effectivement des aspects science-fiction où vient se coller de la Fantasy (et où même s’y recolle de la science-fiction). C’est un mélange des genres qui m’avait clairement déstabilisé à la lecture (je ne lis que très rarement de la Fantasy et jeyne my attendais pas ici).

        Je ne sais pas si ce roman, pour ce mélange, est une œuvre de genre mais effectivement, si ça t’intéresse je pense que ça a le mérite d’être lu (voir d’être utilisé comme matériel de recherche). Et puis ça reste Heinlein de toute façon 😛

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