Semiosis, de Sue Burke

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de science-fiction qui traite des rapports entre l’Homme, la Nature et les autres espèces intelligentes.

Semiosis, de Sue Burke

semiosis

Introduction

Avant de commencer, je tiens à préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Albin Michel Imaginaire, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Sue Burke est une autrice et traductrice américaine. Elle a également travaillé en tant que journaliste et éditrice, et a traduit en anglais le roman Prodigies d’Angélica Gorodischer. Son premier roman, Semiosis, est paru en VO en 2018 chez Tor Books, et a été traduit par Florence Bury pour les éditions Albin Michel Imaginaire, qui ont publié le roman en septembre 2019.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Ils sont cinquante – des femmes, des hommes de tous horizons. Ils ont définitivement quitté la Terre pour, au terme d’un voyage interstellaire de cent soixante ans, s’établir sur une planète extrasolaire, qu’ils ont baptisée Pax. Ils ont laissé derrière eux les guerres, la pollution, l’argent, pour se rapprocher de « la nature ». Tout recommencer. Retrouver un équilibre définitivement perdu sur Terre. Construire une Utopie. Mais avant même de fonder leur colonie, des drames mettent à mal leur idéal. Avarie sur une capsule d’hibernation, accident d’une des navettes au moment de l’atterrissage. Du matériel irremplaçable est détruit. Les morts s’accumulent. La nature est par essence hostile et dangereuse ; celle de Pax, mystérieuse, ne fait pas exception à la règle. Pour survivre, les colons de Pax vont devoir affronter ce qu’ils ne comprennent pas et comprendre ce qu’ils affrontent. »

Mon analyse du roman portera sur la manière dont Sue Burke dépeint la colonisation de Pax, le désir d’utopie des humains qui s’y installent, leurs désillusions. Je m’intéresserai également aux points communs de Semiosis avec la série Fondation d’Isaac Asimov.

L’Analyse

Utopie et désillusion humaine, règne végétal

Semiosis dépeint une Humanité qui tente de coloniser Pax, une planète qui abrite une forme de vie indigène intelligente complètement différente de celle que l’Homme connaît. Les personnages humains apparaissent d’abord complètement démunis et ignorants face à la Nature de la Pax, puisque plusieurs d’entre eux sont tués à cause d’incompréhensions du fonctionnement de la faune et de la flore de leur planète d’accueil. Leur affaiblissement est également dû à la plus forte gravité de Pax, qui les empêche de réagir aussi rapidement que les créatures locales et les rend moins bien adaptés à la survie. La question de l’adaptation au milieu naturel de Pax est ainsi l’un des thèmes clés du roman, puisqu’on peut observer une opposition complète entre les premiers humains arrivés sur la planète, et ceux qui en sont natifs. Ainsi, la reproduction et la question des enfants est l’une des préoccupations principales des colons, qui doivent perpétuer l’humanité sur Pax, alors que plusieurs d’entre eux sont stériles. Les personnages disposant d’un bon patrimoine génétique sont ainsi invitées à faire don de leurs gamètes aux couples stériles, à l’instar d’Higgins de la troisième génération en l’an 63, qui est le père biologique d’une quinzaine d’enfants de la quatrième génération. Cela permet également de questionner la notion de parentalité, tant sur le plan biologique, avec le personnage d’Higgins, que sur le plan politique (j’y reviendrai plus bas).

En effet, la structure du roman est découpée en sept chapitres séparés par des ellipses de plusieurs années parfois. Ces sept chapitres font se succéder les générations successives de colons humains sur Pax, de l’An I, alors que les Terriens viennent d’arriver, jusqu’à l’an 107. Chaque chapitre nous donne le point de vue, à la première personne et au présent, d’un personnage issu d’une génération différente de colons, puisque le premier chapitre nous donne le point de vue d’un botaniste terrien, Octavo, alors que la colonie est à peine établie, tandis que le deuxième nous donne le point de vue de Sylvia, l’une des premières enfants à naître sur Pax, par exemple. À travers cette succession de personnages et d’ellipses, Sue Burke détaille la création de la société des Pacifistes, avec l’apparition de coutumes, telles que les fêtes d’équinoxe, de lois, puisque les rapports sexuels et relations amoureuses entre deux personnes de générations différentes sont prohibés, ainsi que l’apparition de véritables marqueurs générationnels, puisque la cinquième génération se teint les cheveux en vert et sont surnommés les Verts, la sixième porte beaucoup de bijoux et ses membres sont appelés les Perlés, tandis que la septième se peint le visage. Chaque génération se démarque ainsi des précédentes et cherche à améliorer la vie de la colonie.

Ainsi, chaque génération de Pacifistes va se confronter à des crises majeures qui amènent des désillusions, à la fois sur la nature utopique de la société de Pax, mais également sur les relations de l’Humanité avec les autres espèces intelligentes de la planète. Le point de vue interne et la narration au présent permettent de pleinement saisir l’intériorité des personnages et leurs réactions face à ce qu’ils vivent.

En effet, les colons de Pax cherchent à créer une société utopique, loin des conflits ouverts, des désastres environnementaux et des inégalités qui ont ravagé la Terre, dont ils se sont enfuis. La première génération de Pacifistes est ainsi composée de jeunes idéalistes dont les espoirs sont rapidement froissés par plusieurs accidents qui détruisent leurs technologies de pointe et réduisent drastiquement leur population, ainsi qu’à une Nature hostile. La première désillusion des Pacifistes est donc de se rendre compte qu’ils sont loin d’avoir atterri sur un Paradis où ils constituent la seule forme de vie intelligente, puisque les plantes le sont également. L’Humanité de Pax doit donc faire preuve d’humilité, et accepter de ne pas être l’espèce dominante de la planète pour pouvoir coopérer avec les végétaux, par la fertilisation et la communication.

Pax abrite en effet des espèces végétales intelligentes, ce que l’autrice explique par le fait que la flore la planète a connu une évolution différente de celle de la Terre, notamment parce qu’elle est plus âgée d’un milliard d’années que notre planète.

Les Pacifistes croisent ainsi d’abord les « lianes blanches » qui poussent autour des arbres de Pax, et dont le comportement fascine et terrifie Octavo, le botaniste terrien, qui se rend progressivement compte du conflit que les différents bosquets de lianes se livrent et la manière dont elles utilisent les humains. Cependant, ceux-ci ne se rendront pas compte de l’intelligence de ces végétaux, ni de celle du bambou arc-en-ciel (du moins, de prime abord), à cause de leur anthropocentrisme, c’est-à-dire leur manière d’interpréter le comportement et l’intelligence d’autres espèces à l’aune de critères propres à la leur. Cet anthropocentrisme va d’ailleurs être la source d’un certain nombre de conflits entre les hommes et l’espèce dominante de Pax, à savoir le bambou arc-en-ciel.

En effet, au cours de circonstances que je ne dévoilerai pas, les Pacifistes sont amenés à entrer en contact avec le bambou arc-en-ciel, un végétal connecté aux autres végétaux de la planète et doté à la fois d’intelligence et de conscience, puisqu’il est capable d’interagir avec les humains, d’abord par des signes plus ou moins élaborés, puis par le biais de l’écriture et du langage. Ce bambou, que les Pacifistes nommeront Stevland, est capable former des fruits qui agissent comme des médicaments ou des drogues sur ceux qui les consomment, de donner des ordres aux végétaux qui l’entourent, mais surtout, il pense et s’autodétermine. Sue Burke le montre en donnant son point de vue dans la narration, en détaillant la manière dont il perçoit et ressent sa relation avec les Pacifistes, à qui il va transmettre des connaissances et des moyens de survivre, tandis qu’au contact des humains, il va se doter d’une empathie forte en comparaison à son attitude plus détachée par le passé, et même d’un sens de l’humour.

L’autrice fait ainsi de Stevland un personnage complexe et profondément humain malgré sa végétalité, qui se construit grâce à sa relation avec une autre espèce intelligente, à savoir l’Humanité, avec laquelle il échange de manière égalitaire, malgré ses préjugés sur la capacité à raisonner ou à se gouverner des humains. Sans rentrer dans les détails, la relation entre Stevland et les Pacifistes donne lieu à des scènes très émouvantes et profondes.

Les humains et Stevland font également la rencontre des « Verriers », une espèce très maigre dotée de quatre jambes, d’une bouche verticale et d’yeux sur les côtés arrivés sur Pax avant les colons terriens et qui les fascinent, au point de pousser des membres des cinquième et sixième génération à tenter de les rencontrer, avec des résultats pour le moins inattendus (je ne peux pas vous en dire plus).

Les Pacifistes doivent ainsi se confronter et vivre en harmonie avec la Nature, mais ils font également face à une énorme désillusion vis-à-vis de la gouvernance politique, notamment pour les deux premières générations de colons. En effet, la société instaurée par les terriens s’avère très rigide et autoritaire, puisque les adolescents sont sommés d’obéir aux « Parents » et ne sont pas éduqués à penser par eux-mêmes ou à prendre des décisions, alors qu’ils ont parfois de très bonnes idées. Des discriminations sont également à l’œuvre, avec des injonctions qui incitent les femmes à se reproduire pour assurer la survie de leur espèce, et la stérilité est extrêmement mal vue. La Constitution de Pax, présentée comme la doctrine politique à suivre absolument, est souvent dévoyée, si bien que l’utopie devient une sorte de régime dictatorial, avec des soulèvements, des assassinats… La génération des « Parents » est ainsi perçue comme celle qui répète les erreurs commises sur Terre, ce que remarquent les générations suivantes, qui cherchent à construire une véritable société Pacifiste, et pas une deuxième Terre. La notion d’utopie se trouve alors mise en cause par les actes de chacun des personnages, mais aussi par leurs décisions communes, prises lors d’assemblées qui donnent lieu à des débats qui cherchent à aboutir à un consensus, plutôt qu’à une imposition d’idées, pour chercher à dépasser la vision terrienne de la société. On peut également observer que les générations natives de Pax sont victimes des mensonges des Parents, qu’ils perçoivent comme des personnes qui ont subi de plein fouet les horreurs de la Terre, alors qu’ils étaient à l’abri puisqu’ils faisaient partie des classes aisées, ce qui constitue une sorte de choc, puisque les natifs de Pax sont conditionnés pour percevoir la Terre comme le lieu d’un Mal absolu qui frappe tous les humains sans distinction, et pas seulement les moins aisés d’entre eux. On remarque aussi que les plus jeunes générations ne connaissent pas la vérité sur certains événements fondateurs de la colonie Pacifiste. L’Histoire de Pax est donc questionnée à l’aune d’événements et de crise qui la changent, mais elle est aussi interrogée par les perceptions des personnages, à l’image des actes de Sylvia, qui seront jugés par son arrière-petite-fille, Tatiana, de la quatrième génération, par exemple.

Cette désillusion politique s’applique aux relations entre les Pacifistes, mais également à leur lien avec Stevland, puisque ce dernier fait parfois de figure de tyran de par sa position dominante, puisqu’il est capable d’espionner les humains sans qu’ils s’en rendent compte, par exemple. Néanmoins, les relations entre le bambou arc-en-ciel et les Pacifistes finissent par devenir harmonieuses, si bien que Stevland finit par prendre une part très importante dans la vie politique de la colonie de Pax.

Je terminerai ma chronique sur les parallèles que l’on peut établir entre Semiosis et le cycle de Fondation d’Isaac Asimov, rendus possibles de par la structure narrative du roman, qui progresse par ellipses et des personnages confrontés à des crises qui marquent l’Histoire de Pax, au point qu’ils finissent par l’intégrer. Je m’explique. Les personnages que l’on suit parviennent à s’interroger sur les événements qu’ils vivent et à les résoudre, à l’image du botaniste d’Octavo qui fonde des « Règles » qui supposent l’intelligence des plantes, d’Higgins qui va parvenir à établir une véritable communication avec le bambou arc-en-ciel pour prémunir les Pacifistes de dangers extérieurs à la colonie. Ces deux personnages et leurs actions entrent par la suite dans la mémoire collective de Pax, puisque leurs successeurs se souviennent d’eux, de la même manière que les personnages de Fondation se souviennent de l’habileté de Salvor Hardin à éviter la violence, ou Hober Mallow qui utilise l’économie pour préserver les intérêts de la Fondation.

Ainsi, les personnages que l’on suit saisissent les enjeux politiques ou de survie d’une manière différente de leurs contemporains, ce qui peut les conduire à des actions controversées, à l’image de Tatiana, commissaire de la paix publique chargée de résoudre une affaire de meurtre, qui doit mentir pour protéger la population.

On peut également ajouter que comme au sein du cycle d’Isaac Asimov, l’usage de la violence pour régler les conflits est très mal perçu, au contraire des solutions pacifiques, qui sont mises en avant par les personnages, qui refusent souvent de tuer, malgré certains cas de force majeure.

Le mot de la fin

Semiosis est une très bonne découverte !

Sue Burke dépeint sur sept générations successives la colonisation d’une planète lointaine, Pax, par une Humanité désireuse de fonder une nouvelle société après que des catastrophes et des conflits aient ravagé la Terre. Arrivés sur Pax, les humains vont être confrontés aux formes de vies intelligentes qui peuplent la planète, qui s’avèrent être des plantes avec lesquelles ils devront coopérer.

Les Pacifistes se lient ainsi au bambou arc-en-ciel baptisé Stevland, qui les aide à bâtir leur utopie, malgré les crises successives qui les touchent. À travers cette relation entre l’Homme et le bambou, l’autrice interroge les relations entre les espèces intelligentes et la manière dont elles communiquent, mais également la notion, à travers les différents événements qui transforment la communauté de Pax sous l’impulsion de personnages qui cherchent à ne pas répéter les mêmes erreurs que leurs aînés pour vivre en harmonie avec leur environnement.

Elle décrit également une forme radicale d’altérité, puisque Stevland est une plante consciente capable de penser, de ressentir des émotions, et d’écrire pour communiquer avec les humains, qu’il considère d’abord comme de simples serviteurs, avant d’établir une relation égalitaire avec eux, ce qui donne lieu à des scènes puissantes lorsqu’il doit les protéger !

Vous pouvez également consulter les chroniques d’Apophis, FeydRautha, Gromovar, Yogo, Touchez mon blog, monseigneur, Boudicca, Le Chien critique, Chut maman lit, Célindanaé, Yuyine, Uranie, Mélie et les livres, Lutin, Mahault, Tachan, Elhyandra, Nom d’un bouquin

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30 commentaires sur “Semiosis, de Sue Burke

  1. « À travers cette relation entre l’Homme et le bambou… » vas-y, lis cette phrase hors de son contexte, tu penseras vite que l’auteur a un peu trop usé de la fumette xD mais les bonnes critiques qui sortent de ce livre me font envie. Belle chronique as usual !

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  2. Je pense encore et toujours que vous, amateurs éclairés et acharnés de SF, spoilez toute l’histoire, tout le bouquin, sous l’unique prétexte de l’analyser. La seule chose que tu réserves c’est la rencontre avec le bambou. Comment veux-tu donner envie de lire si tu dévoiles tout ? Ou alors tu t’en fous, de donner envie de lire ? Je me demande…

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    1. Je ne pense pas tout dévoiler, puisque les éléments clés du récit, la rencontre avec le bambou mise à part, car je considère qu’il est nécessaire d’en parler parce qu’il s’agit d’un aspect majeur du roman, ne sont pas évoqués, ou du moins je ne pense pas dévoiler quoi que ce soit de crucial.
      Après, je préviens très régulièrement que mes chroniques risquent de spoiler de manière plus ou moins sévère, quand bien même j’essaie d’éviter absolument de révéler les éléments les plus cruciaux de l’intrigue (la fin, certains retournements…).

      Ensuite, je pense qu’on a des conceptions très différentes de la manière de chroniquer un roman et de donner l’envie de le lire, et c’est clairement pas plus mal. Les références qu’emploient certains blogueurs ne sont pas obligatoires pour faire une chronique (bonne ou mauvaise, c’est pas à moi de le juger), quelle qu’elle soit, à mon sens. Le tout, c’est que le format de chronique que tu choisis te convienne. Par exemple, je sais que je ne peux que très rarement être synthétique, donc mes chroniques sont souvent longues et tentent d’analyser les œuvres.
      Si cette manière de faire ne te convient pas, ce n’est pas grave 🙂 !

      Je précise que ce message n’a rien de condescendant ou quoi que ce soit, hein ^^ » .

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  3. C’est idiot, hein, mais tu me soulages un peu.. la dernière fois que j’ai détesté un truc c’etait « L’enfance Attribuée » de la coll. UHL. Moi j’ai jugé ça dans sa forme littéraire, j’ai réellement été outrée que « les autres » aiment. Et du coup j’ai fait un scandale sur le forum .. et ma réputation est faite. J’ai pas envie qu’on me juge à cette aune malheureuse…

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  4. Lu et chroniqué (j’en parle demain sur mon blog). C’est un texte intéressant, qui soulève beaucoup d’interrogations, mais à qui manque je crois le « petit truc » qui pourrait en faire un classique. J’attends malgré tout de lire la suite…

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      1. Bien sûr. Je ne sais par contre pas si j’irai jusqu’à le lire en VO ou si j’attends la traduction. Etant collectionneur, il est probable que ça sera la seconde option puisque je me suis offert le livre aux Utos…

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