Dans l’ombre de Paris, de Morgane of Glencoe

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler du premier volume d’une série de Fantasy prometteuse en termes de question générique et de thématiques.

Dans l’ombre de Paris, de Morgan Of Glencoe

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Introduction

Avant de continuer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions ActuSF, que je remercie chaleureusement pour leur envoi !

Morgan of Glencoe est une autrice française née en 1988. Elle est passionnée par la culture et la musique celtiques.

Dans l’ombre de Paris a d’abord, été publié en autoédition sous le titre Si Loin du soleil en 2016, puis a été republié en Septembre 2019 dans une version remaniée dans la collection Naos des Indés de l’Imaginaire, sous l’égide d’ActuSF. Il constitue le premier tome d’une série, La Dernière geste.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Depuis des siècles, les humains traitent les fées, dont ils redoutent les pouvoirs, comme des animaux dangereux.

Lorsque la princesse Yuri reçoit une lettre de son père lui enjoignant de quitter le Japon pour le rejoindre, elle s’empresse d’obéir. Mais à son arrivée, elle découvre avec stupeur qu’elle a été promise à l’héritier du trône de France ! Dès lors, sa vie semble toute tracée… jusqu’à ce qu’une femme lui propose un choix : rester et devenir ce que la société attend d’elle ou partir avec cette seule promesse : « on vous trouvera, et on vous aidera. »

Et si ce « on » était la dernière personne que Yuri pouvait imaginer ? »

Dans mon analyse du roman, je m’intéresserai à l’univers développé par l’autrice, puis à la narration, aux personnages et aux thématiques de L’Ombre de Paris.

L’Analyse

Fantasy uchronique à la fin du 20ème siècle ?

Dans l’ombre de Paris se déroule dans une époque et un monde alternatifs situés à la toute fin du 20ème siècle, en 1995, au sein de la capitale française. Ce monde et cette époque semblent ainsi proches des nôtres, mais ils ne le sont pas exactement. En effet, l’univers du roman comporte des créatures surnaturelles pouvant prendre une apparence humanoïde, appelées les « fées », réparties en différentes espèces, avec les Aeling, les Selkies, les Feux Follets, les Spectraux, et les Sylfes. Le roman de Morgan of Glencoe présente aussi des éléments technologiques très contemporains, avec des baladeurs, des cassettes audio, des caméras, des hologrammes, de la réalité virtuelle, de l’électricité, des tests ADN, ou encore des micros. À cette technologie s’ajoute la création d’hybrides humains-fées via des manipulations génétiques. La coexistence d’être surnaturels et de technologie avancée dans un monde de Fantasy uchronique (j’y reviens plus bas) rend le monde développé par l’autrice très intéressant sur le plan de la question générique, parce qu’on peut le classer dans le genre de l’Arcanepunk, qui fait coexister science et magie dans un monde post-ère industrielle, dans un régime politique qu’on peut qualifier de totalitaire et oppressif, puisque le surnaturel et ses tenants sont haïs et rejetés par les humains, par exemple. La coexistence entre la magie et la technologie est donc loin d’être pacifique dans le roman de Morgan of Glencoe, mais les éléments de worldbuilding qui l’accompagnent sont originaux !

Le monde alternatif de Dans l’ombre de Paris relève également de l’uchronie, puisqu’à l’orée du 21ème siècle, la France est toujours un royaume, sous domination du roi Louis XX, et est bien plus puissante et étendue qu’à notre époque, puisqu’elle domine pratiquement toute l’Europe, ce qu’on observe lorsque le roi décline tous ses titres. Il possède ainsi l’Espagne, la Suède, la Norvège, la Grèce, les Balkans, l’Autriche, la Finlande, la Pologne, la Suisse, l’Italie, ainsi que les territoires de l’Allemagne d’aujourd’hui, à savoir la Prusse et la Bavière. Toutes ces possessions permettent au royaume de France de constituer l’un des pôles de la « Triade », qui regroupe les trois plus grandes puissances mondiales, avec un Japon contrôlé par un shogun et un sultanat établi à Bagdad. Les puissances de la Triade se partagent le monde, qu’elles dominent presque complètement avec des accords et des conflits plus ou moins ouverts. Ces trois superpuissances sont cependant complètement opposées au pays de Keltia, au sein duquel les êtres humains et féériques vivent en harmonie.

En effet, dans le reste du monde, les féés, malgré le fait qu’elles puissent prendre forme humaine, ressentir des émotions, et penser, sont totalement déshumanisées et aliénées par l’humanité qui les méprise, parce qu’elles sont considérées comme des animaux, et les exploite, en les condamnant à combattre à mort dans des arènes, en leur faisant subir des expérimentations en laboratoire, et en les discriminant de manière systématique.

On observe ainsi un effort considérable de la classe dominante humaine pour les déshumaniser complètement, en utilisant la science afin de prouver leur infériorité, notamment leur incapacité à parler, qui se révèle complètement fausse, mais le refus du langage constitue tout un symbole, et on suppose que leur comportement vient de leur dressage par un être un humain et pas de leur caractère individuel. Les fées sont ainsi vues comme des animaux, qui peuvent au mieux être des bêtes bien dressées à peine tolérées et tolérables par les humains, et au pire des animaux dangereux qu’il faut éliminer à tout prix.

Le surnaturel et ses tenants sont donc totalement bannis par les humains, et ce de manière systématique et totalement aliénante, ce qui les empêche d’être considérés comme des individus à part entière.

La société que Morgan of Glencoe décrit dans son roman s’avère également inégalitaire chez les humains, puisque les mœurs y sont très rigides et codifiées. La classe sociale des individus  prime avant, tout, ce qui fait que sont les hommes de l’aristocratie qui dominent la société, tandis que les femmes sont enfermées dans des carcans sociétaux.

Elles sont ainsi victimes d’un sexisme systémique et complètement intériorisé par l’ensemble de la société, ce qu’on remarque dans les réflexions de Yuri, des personnages de l’aristocratie et d’autres personnages masculins dont on possède le point de vue. Par exemple, une femme dans l’armée ne peut pas que difficilement monter en grade parce qu’on considère qu’elle ne peut commander à des hommes, en plus du fait que cela soit indigne pour une femme de se battre,  le fait qu’une femme, à savoir la Capitaine Trente Chênes, commande l’équipage d’un train est considéré comme « anormal », et il est absolument inenvisageable qu’une femme puisse être un assassin ou prenne des décisions seule. Elles sont ainsi d’un nombre considérables de cliché, notamment dans leurs possibilités d’action, puisque la société aristocratique du roman considère quune femme ne peut pas tirer au revolver, parier, ou jurer. L’une des thématiques majeures du roman est ainsi de mettre en évidence le caractère aliénant pour les personnages féminins de ces stéréotypes sociaux qui font office d’un moule auquel elles doivent se conformer.

Les aristocrates sont dépeints méprisants et cyniques envers le peuple, qu’ils ne voient que comme une masse à manipuler grâce à la rhétorique et haïssent les créatures surnaturelles. Le monde des aristocrates est aussi plein de faux-semblants, de conflits ayant lieu de manière insidieuse dans la sphère publique (on va faire danser longtemps un jeune couple lors d’un bal pour observer le moindre faux pas, par exemple).

La société dépeinte dans le roman est donc pleine de préjugés envers les femmes, qui ne sont pas considérées comme des individus à part entière, et les fées. L’homophobie est également complètement présente, puisque l’homosexualité est présentée comme une maladie mentale et une tare dans la société aristocratique. Cette société apparaît donc complètement arriérée sur le plan des mœurs. Morgan of Glencoe associe donc un ordre ancien, c’est-à-dire une société centrée sur l’aristocratie, avec une vision ancienne de la morale et des mœurs sociales.

Cependant, l’autrice met en évidence des structures au sein desquelles le sexisme, le racisme et les faux-semblants sont absents, avec le Rail, c’est-à-dire l’ensemble des énormes trains longs de plusieurs kilomètres qui parcourent et relient les territoires des Triades, répartis en Huit Rames, où tous les ressortissants de toutes les espèces sont tolérés dans une ambiance joyeuse et dédiée au bon fonctionnement des trains, les Égouts, qui constituent une utopie démocratique, égalitaire et autogérée dans les égouts de Paris, et l’état de Keltia, qui prône l’égalité entre les espèces.

Dans ces trois structures, la tolérance inter-espèces est de mise, le racisme n’est pas toléré, et le sexisme est profondément mis à distance.

On observe donc que l’un des enjeux du roman est la mise en scène d’un conflit entre un ordre ancien, c’est-à-dire la monarchie associée à la noblesse, et un ordre nouveau, basé sur l’égalité entre les individus et les peuples, sans distinction de race ou de genre.

On observe que les fées dépeintes dans le récit possèdent des pouvoirs élémentaires, puisque les Feux follets contrôlent le feu et les Selkies l’eau par exemple. Les êtres féériques sont aussi capables de changer de forme et disposent à la fois d’une forme féérique et d’une forme humanoïde, ce qui témoigne à la fois de leur appartenance au monde tangible des humains, mais aussi de leurs liens avec le surnaturel. On remarque aussi que les noms de certaines créatures sont empruntés au folklore celtique, à l’instar des Selkies qui sont des créatures issues du folklore des Shetland, ou des Sylphes.

On trouve également des figures de mages dans le roman de Morgan of Glencoe, à la fois dans les « Bardes », tels que Taliesin, qui est personnage à la fois mythologique et historique chez les Celtes, ou la Selkie Bran, qui sont capables de se téléporter ou de geler des zones entières par exemple, mais aussi chez les « Rêvesdragons », qui sont des individus portant des forces élémentaires actives en eux, appelées « dragons », qu’ils doivent apprendre à contrôler afin de vivre en harmonie avec leurs pouvoirs.

La magie développée par l’autrice semble donc former un système qui sera sans doute plus développé dans les volumes suivants de la série.

On peut également constater que l’autrice montre que le surnaturel s’oppose d’une certaine façon à l’industrialisation humaine à travers le fait fait que le plastique, matériau artificiel par excellence, annule les pouvoirs des fées.

Narration, thématiques et personnages

Dans l’ombre de Paris nous fait suivre Yuri, une princesse japonaise âgée d’une vingtaine d’années, fille de l’ambassadeur Nekohaima, l’ambassadeur du Japon à Paris. Elle présente de prime abord un caractère propre à l’aristocratie, puisqu’elle apparaît extrêmement hautaine, détachée du réel et attachée aux convenances sociales. Cependant, son arrivée à Paris et son mariage forcé avec le dauphin Louis-Philippe va l’amener à prendre conscience de l’aliénation qu’elle subit en tant que femme noble, notamment à l’aide de la reine Gabrielle, qui va lui en apprendre plus sur ses origines, et l’amener à fuir son mariage.

Yuri va ainsi rejoindre les Gens de l’Égout, une communauté d’humains et de fées réprouvés par le pouvoir en place dans les égouts de Paris, aménagés pour qu’il soit possible d’y vivre. Cette communauté apparaît comme une utopie rattachée au surnaturel, puisqu’on y trouve des personnages légendaires tels que le barde Taliesin, qui est un personnage présent dans les contes que lit Yuri, les fées utilisent leurs pouvoirs pour le bien de la communauté, et les décisions sont prises en démocratie à travers des votes, sans qu’une véritable hiérarchie préétablie existe. Les Gens de l’Égout vont ainsi permettre à Yuri de retrouver la liberté en mettant en évidence les carcans sociétaux au sein desquels elle a grandi. Yuri va ainsi abandonner ses privilèges et ses préjugés en apprenant à agir par elle-même, c’est-à-dire en n’étant plus servie par d’autres personnages, et en réfléchissant sur le sort accordé à certaines catégories de la population, notamment les femmes et les fées au contact des Gens.

Le récit nous donne également le point de vue d’autres personnages, avec par exemple ceux d’Alcyone, un Aeling qui travaille sur la Rame Cinq du Rail, et Ren, un Spectral médecin, qui se trouve être son frère adoptif, que Yuri rencontre lors de son voyage vers Paris, ou encore le colonel Ryuzaki, chargé de la sécurité de la princesse et sommé de la retrouver par le prince Louis-Philippe et l’ambassadeur Nekohaima, ainsi que Bran, une Selkie avec qui Yuri va se lier d’amitié.

Le roman traite de thématiques telles que le sexisme et sa systémisation, avec le conditionnement qu’il induit sur les personnages féminins, le racisme et la manière dont il est justifié et mis en place par une classe dominante sur des dominés, mais aussi les questions de genre, puisque les Selkies n’ont pas de genre défini, et de consentement. Ces questions sont traitées à travers une touche d’humour dans les interactions entre les personnages, qui mettent en évidence le ridicule de certains stéréotypes de genre, qu’on observe dans les réactions de Yuri par exemple, mais aussi à travers le franc-parler de certains personnages du Rail et des Égouts, la capitaine Trente-Chênes et Bran en tête.

Cette touche d’humour et les relations parfois bon enfant entre les personnages n’occultent toutefois pas un aspect plus sombre et tragique, que l’on observe à la fois dans les conséquences de la fuite de Yuri et de sa présence dans les Égouts, qui vont avoir des conséquences tragiques, ainsi que dans le passé de certains personnages, Bran et le chevalier Edward Longway en tête.

Le mot de la fin

Dans l’ombre de Paris est un roman de Fantasy uchronique que j’ai beaucoup apprécié, très intéressant pour son univers, qui dépeint une France dirigée par un roi qui s’est rendu maître de toute l’Europe, à l’orée d’un 21ème siècle doté de technologies contemporaines, et dans lequel les créatures féériques existent, malgré le fait que l’Humanité les considèrent comme des bêtes sauvages.

Le roman de Morgan of Glencoe est également riche en thématiques, puisqu’il traite de l’intolérance, du racisme et de la manière dont ils sont mis en place, de même que l’aliénation des femmes et des carcans sociétaux qu’on leur impose, notamment à travers le vécu de la princesse Yuri, forcée d’épouser le Dauphin de France.

La fuite de Yuri et sa rencontre avec les Gens de l’Égout et du Rail vont lui permettre de mettre à distance ses préjugés sur elle-même, sur sa condition et celle des femmes, et sur les fées. Cette fuite va également mettre en branle des événements qui vont mettre à mal la domination de l’aristocratie sur le monde, avec toutefois de funestes conséquences.

Vous pouvez également consulter les chroniques d’Aelinel, Elhyandra, Yuyine, Fantasy à la carte, Célindanaé, Dreambookeuse, Symphonie, Acherontia, L’Ours Inculte

34 commentaires sur “Dans l’ombre de Paris, de Morgane of Glencoe

  1. Mouais… De l’arcanepunk pas très branché sur le système de magie et qui recherche avant tout à délivrer un message politique sur lequel tous les lecteurs seront de toute façon d’accord d’avance… Autant l’univers et la couverture sont séduisants, autant pour ma part je préférerais attendre la chronique du tome 2.

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    1. Techniquement, c’est du hopepunk plus que de l’arcanepunk, mais bon, j’ai jamais trop réussi à le genrer XD C’est un roman agenre.

      Par contre, je veux bien que tu ailles redire la même chose au mec qui m’a très calmement dit, je cite, qu’un de mes personnages « perdait tout son charisme au moment où on apprenait son homosexualité, » et que je « n’aurais pas dû altérer sa virilité de façon si ignoble » (Je l’ai arrêté là, je pense qu’il avait encore beaucoup à dire.)

      PS : ce n’est pas « avant tout » le but du bouquin. Mais oui, c’est dedans. Entre autres.

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  2. C’est dingue, j’ai vraiment l’impression d’être la seule à ne pas avoir réussi à rentrer dedans. Je l’ai abandonné au moment de sa fuite, pas moyen d’accrocher au style ni de m’intéresser aux personnages :/ ta chronique est vraiment très riche et intéressante à lire en tout cas c’est sympa d’avoir une autre vision !

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