Le Verrou du fleuve, de Lionel Davoust

Salutations, lecteur. Je t’ai récemment parlé du premier volume de la série des Dieux du fleuve, La Messagère du Ciel, qui posait les fondations d’une Fantasy post-apocalyptique, et j’avais hâte de lire la suite (et pas seulement parce que le troisième tome fait partie de mon corpus de mémoire de M2). C’est désormais chose faite, et je vais t’en parler aujourd’hui !

 

Le Verrou du fleuve, de Lionel Davoust

critic050-2018

 

Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais préciser qu’il s’agit d’une chronique sur le deuxième volume d’une série. Vous risquez par conséquent de vous faire spoiler le tome précédent si vous ne l’avez pas lu. Je vous invite donc à au moins lire ma chronique du premier tome pour ne pas être perdus.

Lionel Davoust est un auteur français né en 1978. Parallèlement à sa carrière d’écrivain, il est également musicien, anthologiste et traducteur. Il a par exemple dirigé les anthologies du festival des Imaginales de 2012 à 2014, et a notamment traduit la série du Bibliomancien de Jim C. Hines chez l’Atalante. Il anime aussi le podcast « Procrastination », une émission bimensuelle d’une quinzaine de minutes pendant lesquelles il discute et donne des conseils au sujet de l’écriture, avec Mélanie Fazi et Estelle Faye. Laurent Genefort, auteur de SF français reconnu a participé à l’émission jusqu’à la deuxième moitié de 2019. Si vous écrivez, je ne peux que vous conseiller l’écoute de ce podcast qui donne des conseils éclairés sur l’écriture de fiction.

Lionel Davoust a écrit une trentaine de nouvelles, parues dans des anthologies ou en recueils, et plusieurs romans, dont Port d’âmes en 2015 aux éditions Critic et la série des Dieux du Fleuve commencée en 2017 avec La Messagère du ciel, paru chez Critic également. Il faut savoir que la série des Dieux sauvages, Port d’âmes, ainsi que plusieurs autres récits de l’auteur, notamment les nouvelles regroupées dans La Route de la conquête et le roman La Volonté du dragon font partie d’un même univers, appelé Évanégyre, dont Lionel Davoust cherche à transmettre l’histoire sur plusieurs millénaires.

Le Verrou du fleuve, deuxième tome de la série des Dieux sauvages, est paru en 2018 aux éditons Critic.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« « Les démons avaient déferlé sur la Rhovelle, et il n’y avait rien que quiconque puisse faire pour la sauver. Au soir, chaque homme, femme et enfant connut le désespoir. »

L’armée démoniaque, mi-chair mi-machine, du dieu Aska est aux portes de Loered, la ville sur laquelle repose la défense et la stabilité du royaume – le Verrou du Fleuve.

Le Verrou doit tenir, ou la Rhovelle est perdue. Mériane, à la tête de maigres renforts, compte bien honorer sa propre prophétie et libérer la ville. Mais quand les hommes se mêlent de contrarier les Dieux, elle en est réduite à limiter les dégâts.

Face au désespoir qui s’installe, elle incarne le seul espoir du peuple, et l’instinct de survie fait taire, pour un temps, les dissensions. Pour autant, les manigances politiques se poursuivent en coulisses, et la guerre commence à peine que certains préparent déjà l’après.

Mais sur la route du Verrou du Fleuve, son mythe s’écrira avant tout dans le sang, la terreur et la peine. »

Mon analyse du roman traitera du huis-clos narratif dressé par l’auteur autour de Loered, puis je m’attarderai sur l’évolution et le statut du personnage de Mériane.

 

L’Analyse

 

Huis-clos narratif

 

Le Verrou du fleuve montre la ville de Loered, sur laquelle repose la défense le royaume de Rhovelle, assiégée par les forces du dieu Aska, menées par son Prophète Ganner.

Mériane, la Messagère du Ciel, et ses compagnons, l’herboriste Daren et le croisé Léopol décident de s’y rendre afin d’aider à la défendre, parce qu’elle doit tenir coûte que coûte face à l’invasion Askalite pour préserver la Rhovelle, mais également pour réaliser les prophéties énoncées par Mériane, qui annoncent la levée du siège du Verrou du fleuve et la mort de Ganner. La défense de Loered par Mériane apparaît ainsi motivée par sa volonté de défendre son royaume, mais également de renforcer sa légitimité en tant que Messagère du dieu Wer.

Lionel Davoust installe ainsi une situation d’urgence narrative, parce que Mériane et ses alliés doivent joindre au plus vite Loered pour faire face à l’armée de Ganner, qui prend peu à peu l’avantage et risque de détruire la ville si elle ne reçoit pas de renforts et de ravitaillement.

Une partie du récit est donc centrée sur l’avancée de Mériane, en compagnie d’Erwel, le jeune prince et roi légitime de Rhovelle, deux généraux, l’un belnacien et cynique, Guil Redel, l’autre loeredien, Freys des Forts, et un contingent de soldats.

L’avancée de Mériane et de ses alliés va être semée d’embûches, parce que la légitimité de la Messagère du Ciel va être questionnée par le doute et le sexisme des généraux, et entraîner des tragédies malgré le soutien qu’elle reçoit des soldats et de Léopol. La jeune forestière va donc devoir compter (littéralement) sur des miracles et sur sa force de caractère pour s’imposer à ceux qui doutent d’elle et de son statut et parvenir à Loered.

Le Verrou du fleuve se trouve d’ailleurs en fâcheuse posture, puisqu’il est assiégé, ce qui crée une atmosphère de huis-clos pour les loerediens cloîtrés dans leur cité.

Ganner et ses fidèles se trouvent en effet face aux sept enceintes défensives de Loered et cherchent à s’emparer de la ville grâce à leur technologie, appelée « artech », qui donnent entre autres naissance à l’Éternel Crépuscule, qui plonge l’environnement dans une chape de brume insondable, et leurs abominations biomécaniques.

Cette ituation est donc une source de tension et d’angoisse pour le duc Thormig de Loered et ses alliés, qui font face à des ennemis à la fois inhumains, puisque ce sont des humains rendus insensibles à la douleur par la drogue, ainsi que des créatures de cauchemar, à l’instar des Geignards ou les Spectres Armurés et surhumains, parce qu’ils sont capables de massacrer sans broncher des dizaines de personnes, ou de faire tomber des remparts connus pour leur solidité en une matinée.

On observe donc un énorme écart de puissance entre les humains standard de Loered et les askalites. Cet écart découle de l’inhumanité des troupes de Ganner, mais aussi d’un écart technologique entre les deux factions, puisque les troupes d’Aska disposent d’équivalents à l’artillerie lourde et contemporaine avec les Geignards, ce qui leur permet facilement de détruire d’énormes remparts sans aucun effort. Cette différence de puissance entre les deux forces en présence renforce le sentiment de tension lié au siège de Loered, parce qu’on peut observer le désespoir qu’il cause peu à peu chez Thormig et ses alliés.

Arrivée à Loered, Mériane devra combler cet écart, grâce au savoir que lui apporte Wer, malgré le fait que les askalites disposent toujours d’une grande puissance de par leur nature, ou même le déséquilibre frappant entre Mériane et Ganner, puisque l’un se fait obéir de ses troupes et dispose d’un exosquelette qui augmente ses capacités physiques, tandis que l’autre voit sa légitimité questionnée et ne peut compter que sur les conseils de son Dieu et pas sur une aide physique de sa part.

Cependant, on peut observer que le déséquilibre des forces est aussi causé par la peur et les croyances des Rhovelliens, qui sont persuadés de faire face à des démons issus de leurs pires cauchemars, ce qui permet à Ganner et son armée de prendre l’ascendant psychologique sur leurs ennemis.

Lionel Davoust apporte donc une dose de psychologie dans le conflit qui se joue entre Wer et Aska, tant au niveau humain qu’au niveau divin.

En effet, l’un des enjeux du conflit va être porté sur les croyances et la psychologie des deux factions. On l’observe dans l’importance du fait que Mériane doive faire regagner la foi au duc de Loered et aux habitants de la ville fortifiée pour qu’ils aillent combattre sans peur, de même que Ganner joue sur la terreur que lui et ses alliés inspirent aux soldats de par leur apparence monstrueuse et les morts violentes qu’ils provoquent.

Le conflit possède donc une dimension psychologique, qui est renforcée par les jeux de faux-semblants des dieux frères ennemis, Aska et Wer, qui tentent de paraître plus puissants qu’ils ne le sont. Ainsi, l’avantage n’est pas forcément là où il semble se trouver, notamment à cause du coût humain du conflit qui pèse sur les deux armées, qu’on observe à travers les pertes colossales infligées à Loered, mais aussi le lourd tribut en vies humaines des Askalites pour créer les abominations et nourrir leurs démons.

Il appartient donc aux deux camps de jouer avec ces faux semblants pour parvenir à prendre l’avantage, ce qu’on voit au cours de coups d’éclats et d’affrontements à la fois tragiques et grandioses, au cours desquels Loered fait des sacrifices et des manœuvres extrêmement risquées. La tension dramatique instaurée par l’auteur est donc également propice aux affrontements épiques.

On observe aussi que les troupes d’Aska possèdent des points faibles, ce qui est mis en évidence par l’archère Néhyr et Chunsène, survivante de la conquête des Mortes-Couronnes par Ganner, qui se retrouvent également à Loered.

Néhyr apparaît comme un personnage extrêmement mystérieux, puisqu’elle dispose de connaissances énormes sur l’artech qui vont se révéler extrêmement utiles malgré leur impiété totale qui choque les weristes tels que Léopol. On observe alors que la foi est à double tranchant. En effet, elle permet de motiver les troupes pour leur donner la volonté de se sacrifier pour leur cause (dans le cas des troupes des deux dieux), mais elle peut également constituer une barrière, puisque les weristes refusent d’écouter des femmes comme Néhyr ou Mériane à cause de leur sexisme religieux qu’ils ont pleinement intégré alors qu’elles ont des solutions, et leur foi les empêche de se servir de technologies de leur ennemi pour lutter contre lui, malgré la puissance que cela leur apporterait.

Ainsi, l’enfermement des weristes dans leurs préjugés et leur perception de la technologie, entaché par leur religiosité, s’avère contreproductif dans la guerre qui oppose leur dieu à Aska, ce qui montre les limites d’une religion centrée sur l’ignorance et le sexisme, alors que les sbires d’Aska n’hésitent pas à utiliser l’artech, qui leur octroie des avantages non négligeables.

On peut également parler de huis clos également pour la régente Izara, forcée de rester à Ker Vashtrion après avoir tenté de contrer l’insurrection de Juhel de Magnécie.

L’ancienne reine doit alors jouer de ruse politiques et d’opportunités pour tenter d’aider à la défense de Loered, malgré les pressions exercées par le grand-arquide, Beltan, chef suprême de la religion de Wer, qui souhaite se servir d’elle et de sa fille pour prendre le contrôle de la Rhovelle. Le personnage d’Izara montre encore une fois comment une gouvernante peut se trouver reléguée au rang d’étrangère et de femme à cause du sexisme prôné par la religion de son pays, et se trouve donc aliénée, de même que sa fille, Carila, qui est traitée comme un objet manipulable, et surtout mariable, par le pouvoir.

Il est intéressant de noter que la narration du roman se met en place autour de deux places fortes, l’une dans laquelle se jouent les batailles, et l’autre les querelles politiques. On peut cependant remarquer que des querelles politiques sont également à l’œuvre à Loered, où le jeune prince Erwel s’affirme peu à peu comme le futur roi qu’il souhaite devenir, et se heurte parfois au duc Thormig.

 

Mériane, Élue malgré elle ?

 

La construction de Mériane en tant qu’héroïne Élue de Dieu continue dans ce volume. La parallèle que l’auteur établit avec Jeanne d’Arc se révèle toujours aussi pertinent, puisqu’historiquement Jeanne a fait lever le siège d’Orléans grâce à une armée qu’elle avait réunie, de la même manière que la Messagère du Ciel compte lever le siège de Loered.

Mériane doit faire face à l’influence qu’elle a sur ceux qui croient en elle et qui sont prêts à mourir pour elle, et la foi qu’elle inspire aux soldats et aux gens simples. On observe ainsi le mal qu’elle a à accepter d’être le pilier d’un combat et une source d’inspiration, d’autant plus que beaucoup de ses suivants meurent lors des affrontements avec les askalites, ce qui rend les coups d’éclat qu’elle mène à bien très relatifs et porteurs de tragique.

Mériane doit également composer avec la construction de sa propre légende, d’abord puisqu’on lui attribue des miracles, et ensuite parce qu’elle est suivie par un chronète, Maragal Dwelen, va l’accompagner pour chroniquer sa légende.

On observe une distinction entre ce qui est retenu de Mériane à travers la chronique de Maragal, dont on peut lire des extraits dans les chapitres intitulés « Le Livre », et la réalité de ses interrogations et moments de doute, sur la foi et la Vérité notamment. On a donc un personnage en proie au doute, dont la postérité essaie de gommer les défauts pour en faire un héros sans aucune faille. À ce titre, la relation entre la Messagère du Ciel et son chronète s’avère intéressante, parce que Maragal épaule Mériane et l’aide à prendre confiance en elle, malgré le fait qu’elle rejette l’embellissement de sa légende. On remarque également que les rapports entre Léopol et Mériane changent, puisque le croisé lui devient extrêmement dévoué, au point d’en être presque envahissant. Le personnage de Léopol gagne néanmoins en profondeur, puisqu’on observe les carcans imposés par sa religion se fissurer pour laisser place à des émotions, chose à laquelle il n’est pas habitué.

Cependant, la part d’héroïsme de Mériane est régulièrement contestée. En effet, la Messagère du Ciel se voit régulièrement remise en question malgré son statut d’Élue de Dieu, soit parce que son statut même est contesté parce que certains refusent de croire qu’elle puisse être une Élue de Dieu, ce qui rejoint le fait qu’elle est une femme et que sa parole compte moins que celle des hommes dans un univers où le sexisme est extrêmement présent et légitimisé par la religion.

La jeune femme doit donc s’affirmer pour être écoutée, quand bien même elle est littéralement porteuse de la Vérité. Lionel Davoust montre donc que son personnage est bridé par les carcans imposés par sa société.

 

Le mot de la fin

 

Le Verrou du fleuve met en scène le siège de Loered, le Verrou du Fleuve, par les armées du dieu Aska, dirigées par Ganner, son Prophète. Lionel Davoust montre le déséquilibre des forces qui s’affrontent en insistant sur la technologie dont disposent Ganner et ses alliés, tout en insistant sur la dimension psychologique de l’affrontement qui se joue entre Wer et Aska, ce que met en évidence Mériane, la Messagère du Ciel, à son arrivée dans la ville, mais aussi l’atmosphère de huis clos.

L’héroïne, malgré la reconnaissance dont elle commence à bénéficier de la part du peuple de Rhovelle, voit sa légitimité contestée à cause du sexisme et du scepticisme des nobles à son égard, ce qui engendre des tragédies lorsqu’elle n’est pas écoutée. Mériane doit également faire face à la construction de sa légende, qui s’opère grâce aux miracles qu’on lui attribue, mais aussi l’écriture de sa chronique par Maragal Dwelen, son chronète.

Ce deuxième tome des Dieux Sauvages montre également l’arrivée de Néhyr et Chunsène à Loered, ce qui va ajouter des enjeux et des mystères à l’intrigue, puisque l’archère dispose de connaissances avancées sur la technologie de l’Empire, et semble être connue d’Aska comme de Wer, qui la considèrent comme une ennemie.

Si vous aviez aimé La Messagère du Ciel, je ne peux que vous recommander ce deuxième tome !

Vous pouvez également consulter les chroniques de La Geekosophe, Célindanaé, Joyeux Drille, Blackwolf, Amarüel, L’Ours Inculte, Symphonie, Dup

7 commentaires sur “Le Verrou du fleuve, de Lionel Davoust

Laisser un commentaire