Rivages, de Gauthier Guillemin

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un premier roman de Fantasy centré sur l’exploration d’une forêt.

Rivages, de Gauthier Guillemin

rivages-guillemin-hd.jpg

 

Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Albin Michel Imaginaire, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Gauthier Guillemin est un auteur français. Parallèlement à l’écriture, il travaille dans l’éducation nationale en tant que principal adjoint de collège. Il a également enseigné au Nigéria, et voyage beaucoup.

Rivages, publié en Octobre 2019 chez Albin Michel Imaginaire, est son premier roman, et le troisième roman français publié dans cette collection, après Le Chant mortel du soleil de Franck Ferric et La Fleur de dieu de Jean-Michel Ré (je vous parle d’ailleurs prochainement de sa suite, Les Portes célestes).

Voici la quatrième de couverture du roman :

« On l’appelle le Voyageur.

Il a quitté une cité de canalisations et de barbelés, un cauchemar de bruit permanent et de pollution qui n’a de cesse de dévorer la forêt.

Sous la canopée, il s’est découvert un pouvoir, celui de se téléporter d’arbre en arbre.
Épuisé, il finit par atteindre un village peuplé par les descendants de la déesse Dana, une communauté menacée par les Fomoires, anciennement appelés “géants de la mer”. Là, il rencontre Sylve, une étrange jeune femme au regard masqué par d’impénétrables lunettes de glacier.
Pour rester avec elle, dans ce village interdit aux Humains, le Voyageur devra mériter sa place. »

Mon analyse du roman traitera de la manière dont l’auteur dépeint la Nature et la forêt, ainsi que la manière dont celles-ci interagissent avec ses personnages.

 

L’Analyse

 

Fantasy contemplative et questions forestières

 

Dans le monde décrit par Gauthier Guillemin, les villes reculent face aux forces de la Nature, qui se révèlent extrêmement envahissantes et reprennent en fait les territoires que les Hommes et leur technologie leur ont pris. Cela pousse les êtres humains à vivre alors reclus entre des murs, à l’abri de « Cités » dont ils ne sortent jamais ou presque par peur de disparaître ou d’être tués par les créatures qui hantent supposément le Dômaine, c’est-à-dire l’immense forêt qui domine le monde.

Dans Rivages, le conflit Homme-Nature est gagné par la nature, qui est incarnée dans une forêt immense, que la Cité tente de faire reculer tant bien que mal grâce à des machines qui cherchent à limiter son expansion. Le conflit entre l’Humanité (ou du moins une certaine patrie d’entre elle) et la Nature est donc pensé comme une lutte territoriale, que la Nature a remporté, parce qu’elle domine littéralement le monde, mais aussi parce que les Hommes ne peuvent plus s’échapper de leur lieu de vie sans lui faire face.

L’évasion de l’Homme hors des Cités passe donc par la Nature, et c’est ce que le Voyageur, le personnage principal du récit, montre. On peut également noter que la Nature est incarnée par une forêt, comme souvent en Fantasy (j’y reviendrai en détails en fin de chronique).

Le lecteur suit donc le Voyageur, un homme qui quitte la Cité, au sein de laquelle il se sent enfermé et opprimé par les machines et la manière dont il vit, pour le Dômaine. Il doit alors apprendre à survivre, puis à vivre dans cet environnement forestier, qui semble lui octroyer un pouvoir surnaturel, celui de se téléporter d’arbre en arbre, ce qui montre qu’il est d’une certaine manière connecté à la forêt, et donc à la nature. Le Voyageur apparaît donc comme un personnage qui veut retourner à la nature, parce qu’il est dégoûté de ce que devient l’humanité dans sa Cité.

Sans rentrer dans les détails, le Voyageur, au cours de son exploration, se retrouve dans un « village » au quotidien chargé de magie, dont il va chercher à comprendre les subtilités, notamment grâce à Sylve, la femme avec qui il vit une histoire d’amour. Rivages relate ainsi la découverte d’une communauté par le Voyageur et de son intégration à celle-ci, mais aussi d’un voyage et d’explorations, qui déclenchent, motivent et concluent le récit, comme le montre la fin du roman.

Rivages relève complètement du genre de la Fantasy, mais il s’agit d’une Fantasy plus contemplative que guerrière, malgré quelques scènes d’action (attention, je précise qu’il ne s’agit ni d’un reproche, ni d’un jugement de valeur), qui s’attarde sur l’un des lieux majeurs du surnaturel en Fantasy, la forêt, à travers l’exploration du Dômaine par le Voyageur et les habitants du village qui l’accueillent.

On observe qu’il s’agit de Fantasy d’une part parce que la magie est présente dans le roman, avec le Voyageur qui peut se téléporter dans le Dômaine grâce aux « arbres voyageurs », mais aussi chez les habitants du village, Ondins et mages notamment, qui observent d’autres habitants de la forêt et utilisent la magie au quotidien, pour charmer les plantes, rendre l’eau salubre, mais aussi se camoufler, révéler des personnes cachées, ou se protéger. Gauthier Guillemin dépeint également des peuples et des créatures surnaturels, tels que des humanoïdes dotés de branchies, des nains, des dragons, des Fomoires, et surtout les Ondins, qui sont les descendants des mythiques Tuatha Dé Dana du folklore celtique, et qui par conséquent disposent de pouvoirs très puissants, transmis surtout de mère en fille, ce qui fait que les habitants du village où les Ondins résident en cohabitation avec les humains sont parfois hautains vis-à-vis des autres habitants de la forêt .

La magie apparaît dans ses applications quotidiennes et nécessaires pour améliorer le confort de vie des villageois au sein du Dômaine. Ainsi, le Voyageur s’intègre à leur communauté via sa relation avec Sylve, qui l’amène à pleinement s’impliquer dans le village, dans lequel il va s’installer pour en découvrir l’organisation.

Le point de vue de ce personnage nouveau venu dans une société différente de la sienne permet alors à l’auteur d’exposer le fonctionnement du village, de ses habitants, de son environnement, mais aussi de la magie à l’œuvre.

Les personnages de Sylve et du Voyageur sont très bien caractérisés, tout comme les personnages secondaires auxquels l’auteur donne une individualité, à l’image de Sente, une métisse de Nain et d’Ondin, Quentil, un jeune homme imprégné par ses lectures qui veut voyager, ou encore les doyens du village.

Ledit village apparaît d’ailleurs comme un lieu organisé, avec des décisions démocratiques présidées par un conseil et jamais imposées, un quota de temps de travail à effecteur pour la communauté calculé en fonction de l’âge et des obligations de chaque membre, et surtout, un lieu de joie, comme le montrent les scènes de fête et de beuveries, et les échanges entre les personnages, qui oscillent entre débats philosophiques et dialogues truculents.

On note également que les Hommes qui vivent dans la forêt la pensent comme un être conscient doté d’une volonté, et vivent en harmonie avec elle, c’est-à-dire qu’ils ne l’exploitent pas, contrairement aux Hommes de la Cité, qui cherchent à prendre le pas sur elle. Ils perçoivent cependant une certaine unicité chez elle, puisqu’ils lui donnent un nom, le Dômaine, et la craignent. Je tiens également à souligner les descriptions très fournies des environnements natures dans le roman, qui sont très réussies et contribuent à l’ambiance poétique du roman. Cette ambiance poétique se trouve également renforcée par les vers de poètes tels que Blaise Cendrars, Alphonse de Lamartine, ou encore Gérard de Nerval, donnés au début de certains chapitres.

Gauthier Guillemin mobilise le folklore celtique avec les Ondins, qui descendent des Tuatha Dé Dana, mais aussi les Fomoires. Ces peuples sont d’ailleurs présents dans d’autres récits de Fantasy, canoniques comme L’Épée Brisée de Poul Anderson, ou plus récents, Dans l’ombre de Paris de Morgan of Glencoe par exemple.

Les poèmes composés par Sylve retracent l’histoire de son peuple et de ses ancêtres, dans leurs rapports parfois conflictuels avec les Hommes, leur guerre avec les Fomoires, tout en les rattachant au mythe grâce à la forme de poésie épique. L’acte de création littéraire inscrit ainsi un temps historique flou, qui se rattache au mythe, de la même manière que les mythes du monde réel, ceux de la guerre de Troie par exemple.

On voit que les tenants du surnaturel en contact avec les anciennes divinités ont été progressivement effacées par la religion et les progrès scientifiques humains, mais aussi la volonté exterminatrice de certains de leurs ennemis, qui ont voulu réduire la présence de surnaturel au sein de l’Humanité. Dans le monde de Rivages, l’Homme a donc rompu, au moins en partie, ses connexions avec la Nature, et à travers elle, avec la magie, malgré son lien passé avec elle, puisqu’on remarque que les hommes sont liés aux Ondins et aux Fomoires, ce qu’on observe à travers les récits des deux peuples.

Sans rentrer dans les détails, Gauthier Guillemin décrit un conflit des Ondins, et donc du village, avec les fameux Fomoires, qui souhaitent à la fois prendre leur revanche et se tourner vers l’avenir plutôt que les Ondins, qui cherchent à retrouver la mer ou les rivages de leurs origines. Le conflit des deux peuples s’illustre alors dans la manière dont les Ondins et les Fomoires se perçoivent eux-mêmes, mais aussi leurs histoires et leurs destinées respectives.

Dans leurs chroniques respectives de Rivages, un certain nombre de blogueurs, comme Lutin ou FeydRautha, que je salue tous les deux au passage (allez voir leurs blogs, ils font du super boulot), ont dit que le roman est contemplatif et relève plus de l’ode au voyage et à la découverte que de la Fantasy au sens strict, ce qu’on peut expliquer par l’ambiance poétique et l’importance du voyage et de l’exploration dans le roman. Cependant, je ne suis pas complètement d’accord (attention, il ne s’agit pas de descendre les chroniques des blogueurs cités, mais de discuter leur propos), parce que le roman emploie deux éléments caractéristiques de la Fantasy, à savoir les magies et les créatures surnaturels, et semble en subvertir un troisième, celui de la quête.

En effet, le Voyageur quitte sa Cité pour explorer le Dômaine, ce qui peut constituer une quête de Fantasy en soi, mais cette quête est premièrement subvertie puisqu’elle s’interrompt lorsque le Voyageur trouve sa place au village en s’y établissant, grâce à son travail et l’épanouissement de sa relation avec Sylve. L’exploration du Dômaine apparaît alors comme le métier du personnage et non plus comme une quête, bien que cela lui permette de construire son identité. Sans trop en dévoiler, la fin du roman débouche aussi sur une quête, mais là aussi on peut voir une forme de subversion, d’une part parce que l’objet de ladite quête est assez incertain, et d’autre part, cette quête intervient alors que le personnage a trouvé sa place, ce que les autres personnages, Sylve en tête, lui font remarquer, même si elle lui permettrait de la consolider.

On remarque cependant que les quêtes constituent des invitations au voyage et à l’exploration.

Je terminerai ma chronique en évoquant la mise en scène de la forêt dans le roman.

Gauthier Guillemin dépeint une forêt qui rejoint celles que l’on peut trouver canoniquement en Fantasy. En effet, comme dans La Forêt des mythagos de Robert Holdstock et La Geste du Sixième Royaume d’Adrien Tomas et La Vorrh de Brian Catling plus récemment, le Dômaine apparaît comme le lieu de la magie, des créatures surnaturelles, comme les Ondins et leur magie, de même que Rhyope abrite des héros mythologiques, le Sixième Royaume des créatures de légende, et la Vorrh Adam, Dieu et d’autres créatures moins sympathiques, mais surtout, du mythique, au sens qu’elle est source de fantasmes et de légende pour ceux qui y sont extérieurs, de la même manière que dans les récits déjà mentionnés.

Cependant, même si elle constitue un lieu de surnaturel comme très souvent en Fantasy et une source de mythes, elle n’est pas véritablement dangereuse en elle-même pour les personnages qui l’explorent, malgré le fait qu’elle soit présentée comme une entité à part entière, contrairement à la Vorrh par exemple, qui efface la mémoire de ceux qui s’y rendent, qui peuvent aussi s’y faire tuer, de même que ceux qui se rendent dans le Sixième Royaume.

On remarque en tout cas que le motif de la forêt permet à l’auteur de lier Nature, Surnature et mythe, en opposition avec la Cité qui est le lieu du rationnel, de l’humanité standard et de la technologie.

 

Le mot de la fin

 

Rivages fut pour moi une bonne découverte.

Gauthier Guillemin y décrit la fuite d’un personnage humain qui ne se sent plus à sa place dans une Cité technologique. Ce personnage, appelé le Voyageur, rejoint alors le Dômaine, une immense forêt qui s’étend sur le monde entier et dont les habitants de la Cité ont peur.

Au cours de ses pérégrinations, le Voyageur va découvrir un village au sein duquel vivent les Ondins, descendants des mythiques Tuatha Dé Dana. Au contact de l’une d’entre elles, Ondine, avec laquelle il vit une histoire d’amour, et s’intègre à la communauté des habitants du village, dont il découvre le fonctionnement, l’histoire et les subtilités, la magie notamment.

Le roman est un récit de Fantasy plutôt contemplatif, qui place la Nature et la nécessité de vivre en harmonie avec elle au centre de son univers.

J’ai également chroniqué la suite de ce roman, intitulée La Fin des étiages.

Vous pouvez également consulter les chroniques de FeydRautha, Just A Word, L’Ours Inculte, Aelinel, Uranie, Acaniel, Elhyandra, Célindanaé, Yuyine, Xapur, Le Chien critique, Lutin, Soleilgreen, Lhisbei, Boudicca, C’est pour ma culture

26 commentaires sur “Rivages, de Gauthier Guillemin

  1. Bonjour Marc. Là où tu distingues deux quêtes qui appartiennent au niveau diégétique, moi je n’en vois qu’une qui est extradiégétique : celle de l’auteur. Et cette dernière naturellement influence le récit. Gauthier Guillemin s’identifie à son personnage et ne se satisfait pas de le voir s’installer dans la communauté. Il le pousse à repartir. C’est en tout cas ainsi que je rationalise la fin du texte et pourquoi j’y vois plus une ode qu’une fantasy classique.

    Aimé par 1 personne

  2. Très bien les gars, vous me précipitez dans les affres de la narratologie ! J’invoque pour moi le grand Umberto qui rappelle à tous (Interprétation et surinterprétation) qu’il vous faudra suivre une fine résille d’isotopies pour éviter le hors-piste. Trêve de sottises, merci pour vos chroniques, je prends mon pied à lire tout ce qui peut ressortir d’un texte qui m’échappe forcément (dire que ça coïncide avec le départ de mon aîné, ferait trop plaisir à Feydrautha…)

    Aimé par 6 personnes

Laisser un commentaire