L’Empire du Léopard, d’Emmanuel Chastellière

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de Fantasy à poudre français.

 

L’Empire du léopard, d’Emmanuel Chastellière

critic045-2018

 

Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais chaleureusement remercier l’auteur de m’avoir envoyé le roman !

Emmanuel Chastellière est un auteur français né en 1981. Il est aussi l’un des fondateurs et rédacteurs du site Elbakin, consacré à la Fantasy, et traducteur de romans. On lui doit par exemple les versions françaises de La Chute de la maison aux flèches d’argent d’Aliette de Bodard, Les Milles noms de Django Wexler, ou encore des Jardins de la lune de Steven Erikson.

En tant qu’auteur, Emmanuel Chastellière a pour l’instant publié trois romans, Le Village, publié en 2016 aux Éditions de l’Instant, L’Empire du léopard, dont je vais vous parler aujourd’hui, aux éditions Critic en 2018, et Poussière fantôme chez Scrinéo la même année. Il a également publié un recueil de nouvelles steampunk, Célestopol, paru à l’origine aux Éditions de l’Instant et repris en poche chez Libretto.

Un roman situé dans l’univers de L’Empire du léopard, intitulée La Piste des Cendres, paraîtra en Février 2020 aux éditions Critic.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« 1870. Après une épuisante campagne militaire, le royaume du Coronado a conquis l’essentiel de la péninsule de la Lune-d’Or. Seul l’empire du Léopard, perdu dans les montagnes, lui résiste encore. Dans l’attente des renforts promis par sa hiérarchie, le colonel Cérès Orkatz – surnommée la Salamandre – peine à assurer l’ordre sur place, la faute à un vice-roi bien intentionné mais trop faible. Dans ce monde de jungles et de brume, les colons venus faire fortune s’épuisent et meurent à petit feu, même si certains au sein du régiment espèrent toujours découvrir la mythique cité de Tichgu, qui abriterait selon les légendes locales la fontaine de Jouvence.
Alors qu’une éclipse lunaire sans pareille approche, Cérès va devoir tenter d’assurer la survie de ses hommes, au mépris peut-être de ses allégeances… »

Mon analyse du roman traitera d’abord de l’univers, marqué par la Fantasy à poudre, et des thématiques qu’il déploie, puis je m’intéresserai à la narration et aux personnages.

 

L’Analyse

 

Fantasy à poudre, colonial Fantasy

 

Le roman d’Emmanuel Chastellière s’inscrit dans une Fantasy moderne, en rupture avec les univers traditionnels médiévaux européens du genre.

En effet, L’Empire du Léopard appartient à la Colonial Fantasy, c’est-à-dire que son intrigue se déroule sur un territoire d’inspiration extra-européenne assimilable aux civilisations amérindiennes, telles que les Maïas, les Incas, les Aztèques (avec des emprunts à d’autres cultures, mésopotamienne par exemple), envahi par un royaume, le Coronado, assimilable à l’Espagne.

Le roman s’inscrit également dans la Fantasy à poudre, puisque les colons disposent d’armes à feu, de même qu’une partie des colonisés, à savoir le fameux Empire du Léopard, qui donne son titre au roman.

L’univers du roman d’Emmanuel Chastellière permet à son auteur de s’inscrire dans un sous-genre moderne de la Fantasy, représenté dans l’anglosphère par des auteurs tels que Django Wexler avec Les Milles noms, ou Adrian Tchaikovsky avec Guns of the Dawn, ou encore Brent Weeks, auteur du Porteur de Lumière, mais aussi d’aborder des thématiques rattachées à la colonisation.

L’auteur choisit de ne pas décrire la chute des principaux royaumes de la Lune d’Or face aux armées du Coronado, mais d’en montrer les conséquences, avec le fait que les indigènes soient réduits en esclavage et voient leur culture disparaître au profit du pragmatisme et de la culture des colons.

Emmanuell Chastellière prend également le parti de désacraliser, au moins en partie, l’idée reçue selon laquelle les colonies sont forcément des terres de richesses, car les colons sont venus chercher des métaux précieux dans la Lune d’Or mais n’en trouvent pas, et doivent s’installer sur les terres des peuples qu’ils ont conquis en dépit du fait qu’ils ne parviennent pas à cultiver des légumes ou des fruits parce que la terre est mauvaise, et que l’environnement ne leur est pas favorable.

Les envahisseurs du Coronado sont donc frappés par une très forte désillusion, ce qui conduit la plupart d’entre eux à être assez cyniques et désabusés vis-à-vis de la situation de leur colonie, qui se trouve très loin d’être l’Eldorado qu’ils recherchaient. Cette désillusion et ce cynisme contribue à l’atmosphère sombre du roman, parce que les personnages ont peu d’espoir et semblent prêts à tout pour se sortir de leur situation, même si cela implique des crimes et des sacrifices plus ou moins atroces.

Les colons sont cependant aidés par leur technologie, marquée par son aspect industriel de la fin du 19ème siècle avec des armes à feu, tels que des revolvers, des fusils, des obus, et même des mitrailleuses Gatling, des trains et des bateaux à vapeur, ainsi que des techniques de désalinisation de l’eau de mer. Un écart technologique énorme s’observe alors entre les colons et les peuples de la Lune d’Or, ce qui accentue le déséquilibre entre les dominants et les dominés. Ce facteur technologique possède d’ailleurs une grande importance, puisque la seule résistance efficace face au Coronado provient de l’Empire du Léopard, qui est doté de technologies plus avancées que celles de ses voisins, puisqu’il maîtrise le verre, dispose d’armes à feu, appelées « lances à feu », et dispose d’orichalque, un matériau extrêmement résistant et associé à la magie.

La technologie et l’industrialisation du Coronado permettent également à l’auteur de désamorcer une partie du discours religieux des colons visant les populations dominées afin d’obtenir leur conversion, puisque la religion de « La Croix Blanche » perd en puissance face au rationalisme des sciences, et n’envoie par conséquent pas de missionnaires en Lune d’Or.

Le peuple de la Lune d’Or est donc réduit en esclavage par le Coronado, qui produit un discours colonialiste. En effet, les personnages parlent « d’indigènes » ou « d’autochtones » pour les désigner et ne cherchent pas à connaître les noms des différents peuples qui composent le territoire sur lequel ils se sont implantés, cherchent à leur vanter les bienfaits de leur royaume et de leur religion de la Croix Blanche, qu’on peut assimiler au christianisme.

Ils s’approprient également la culture indigène en la désacralisant, c’est-à-dire en lui retirant ses aspects mystiques et ésotériques, et voient les cultures des différents royaumes de la Lune d’Or comme un tout uniforme, alors que les coutumes et les légendes diffèrent selon les peuples, ce qui montre qu’ils font preuve d’essentialisme.

On observe aussi que le territoire dans son ensemble est rongé par le manque de moyens et les problèmes de gestion, qui empêchent de contenir les épidémies qui touchent les populations indigènes par exemple. Emmanuel Chastellière met également l’accent sur l’épuisement des ressources naturelles par les colons et leurs aménagements du territoire, qui détruisent complètement l’écosystème de la Lune d’Or. La fin du roman le montre d’ailleurs d’une manière très cruelle. L’Empire du Léopard montre donc les ravages que peut produire la colonisation et les conséquences qu’elle peut engendrer pour les peuples placés sous la domination des colons.

Le roman met également en scène des éléments surnaturels, ou plutôt d’abord la croyance en une forme de surnaturel, avec l’alchimie et les flammes que peut produire Cérès grâce à elles, qui peuvent surprendre ses adversaires, mais aussi la supposée magie des indigènes, basée en une croyance en des « fées » et des coutumes impliquant de retrouver une magie perdue à travers des sacrifices humains, qui impliquent de scarifier le corps d’une personne, puis de la tuer afin de faire des parchemins avec sa peau pour créer des « Livres de Sang » (oui oui), contenant des sorts puissants et permettant ainsi de renouer avec la magie des fées.

Sans rentrer dans les détails, la rationalité des personnages appartenant au Coronado, qui dispose de technologies avancées et industrielles, se heurte alors à l’alchimie et aux croyances des indigènes, ce qui déstabilise leurs postulats, parce qu’elles contiennent une part de vérité qui va se révéler de manière tragique dans la deuxième moitié du roman.

Cette deuxième moitié du roman nous apprend aussi que les fées, tenantes de la magie pour les peuples de la Lune d’Or, ont été supposément chassées par l’Empire du Léopard, mais la réalité se révèle bien plus horrible (je ne vous en dirai pas plus), et peut être rattachée au conflit entre l’être humain et les créatures surnaturelles qu’on peut observer dans une certaine tradition de la Fantasy, qui va des Centaures d’André Lichtenberger à La Cinquième Saison de N. K. Jemisin, en passant par Le Sang du Dragon d’Anthony Ryan (il faudra que je termine la trilogie de Draconis Memoria, d’ailleurs).

Le roman d’Emmanuel Chastellière dépeint une situation qui se dégrade de plus en plus pour les colons du Coronado, avec des conditions de vie qui s’avèrent peu favorables, qu’on observe dans le fait que l’armée soit payée en retard, par exemple. Les ressortissants du Coronado perdent alors toutes leurs illusions sur le territoire qu’ils occupent, comme le montre le personnage de Cérès, qui doit gérer la colère et le ressentiment des troupes. La situation s’observe aussi à travers Carthagène, capitale de la colonie, qui souffre de problèmes d’insalubrité et de la pauvreté, avec des habitants qui organisent des combats de chiens et qui tuent des rats pour se nourrir, par exemple. La désillusion entraînée par la colonisation de la Lune d’Or s’illustre ainsi dans la vie quotidienne des colons comme des peuples colonisés, qui nous est décrite dans la première partie du roman, ce qui permet à Emmanuel Chastellière de montrer en détails la manière dont ses personnages vivent.

L’ambiance du roman est très sombre, avec des personnages qui n’ont que très peu d’espoir dans leurs actes, et brutal, avec des passages qui peuvent être rapprochés de l’horreur de par les sentiments de désespoir et de terreur qu’ils inspirent aux personnages, notamment dans la deuxième moitié du roman. L’Empire du Léopard dispose aussi d’un côté sanglant et brutal, qui s’illustre lors des descriptions des récits des batailles et des morts odieuses qu’elles engendrent, mais aussi lors des énormes troubles qui se jouent dans Xemballa, capitale de l’Empire du Léopard, avec des scènes sanglantes et tragiques, ainsi que des jeux d’ironie dramatique sur les allégeances et les objectifs des personnages. Le chaos qui règne alors à Xemballa et les actes de certains personnages peuvent être interprétés comme un clin d’œil d’Emmanuel Chastellière à la fameuse scène de l’éclipse du manga Berserk (que je vous conseille vivement si vous aimez la Dark Fantasy, au passage).

 

Intrigue et personnages

 

Dans cette situation où alors plus personne ne nourrit d’espoir dans la colonie, de plus en plus délaissée par le Roi Philippe du Coronado, qui ne fournit plus de moyens financiers ou humains au vice-roi Philomé, chargé de diriger le Nouveau-Coronado, l’Empire du Léopard, propose une alliance aux colons du Coronado. Dans le même temps, Cortellan, un capitaine mercenaire qui se trouve être le neveu du roi du Coronado, débarque avec son équipage dans la ville de Carthagène pour venir en aide à la colonie. Ces deux événements apparaissent comme les déclencheurs d’un voyage des colons vers les terres de l’Empire du Léopard.

Ainsi, l’Empire du Léopard, résiste aux envahisseurs en restant cloîtré dans les montagnes, mais sa présence se fait de plus en plus sentir auprès des soldats du Coronado, au point qu’il finit par apparaître, d’abord par sa proposition d’alliance, puis physiquement, avec ses personnages et sa capitale, Xemballa. La deuxième moitié du roman se déroule donc sur le territoire de l’empire du Léopard, au sein duquel les personnages doivent composer avec ses dirigeants, notamment le prince Amaru et la princesse Nahikari.

On observe que l’Empire s’avère plus puissant que tous les royaumes de la Lune d’Or, ce qu’on observe dans les descriptions de Xemballa et de son environnement, avec des cultures très riches. Les structures urbaines de Xemballa sont quant à elles plutôt intimidantes dans leur architecture qui s’avère « cyclopéenne », ainsi que le fait que la salle du trône de l’Empire se trouve juste au-dessus d’un cratère de volcan, et donc d’un lac de lave.

Cependant, à la suite d’événements que je ne vous spoilerai pas, la situation avec l’Empire dégénère, et engendre des catastrophes conséquentes, qui vont modifier à jamais la Lune d’Or et son climat politique, mais aussi marquer profondément les personnages.

Emmanuel Chastellière nous fait suivre Cérès Orkatz, colonelle du 22ème régiment de l’armée du Coronado surnommée « La Salamandre », mais aussi Camellia, une soldate indigène d’abord rejetée puis peu à peu acceptée par les autres soldats, originaires du Coronado, et par les autres indigènes, qui considèrent qu’ils l’ont trahi. Camellia devait en effet devenir un Livre de Sang, mais Cérès l’a sauvée de ce sort, ce qui la conduit à mépriser les traditions de son peuple, en lesquelles elle ne croit pas, et aimer sa colonelle. On suit également Dumelin, l’intendante de Cérès, Cortellan, le mercenaire et neveu du roi du Coronado, qui apparaît comme un manipulateur opportuniste, son second, Kamil, ainsi que d’autres personnages.

De manière générale, les personnages de L’Empire du Léopard sont extrêmement développés. Emmanuel Chastellière montre les motivations, les dilemmes et la psychologie de chacun d’entre eux, ce qui leur donne beaucoup de profondeur et met à distance le manichéisme, parce qu’on comprend que l’héroïsme ne se trouve pas dans le conflit qui oppose le Coronado à l’Empire du léopard.

D’ailleurs, le trope du héros légendaire apparaît moqué par l’auteur à travers le personnage de Cortellan, obsédé par son image et la construction de sa propre légende, mais dont les supposés coups d’éclat finissent immanquablement par l’enfermer dans un rôle presque caricatural et qui serait presque comique si ses prises de décision n’engendraient pas de conséquences tragiques qu’on observe sur les autres personnages.

Cérès apparaît donc comme le personnage fort du roman d’Emmanuel Chastellière. Elle doit gérer ses soldats et son image auprès d’eux, mais aussi ses relations avec les autres personnages, notamment Cortellan, le vice-roi Philomé, Dumelin et Camellia.

Elle apparaît comme un personnage assez désabusé, dotée de beaucoup de franc-parler, mais également d’un profond sens du devoir et de la justice, même lorsqu’elle est plongée dans des situations désespérées. Son sens du devoir l’érige d’ailleurs en personnage tragique, parce qu’elle se sacrifie constamment pour une colonie, dont le sort lui est pourtant indifférent et un pays qui l’a rejetée (pour des raisons que je ne dévoilerai pas), qui ne lui rendent jamais la pareille. Le sens du sacrifice et du devoir apparaissent également chez le vice-roi Philomé, qui peut paraître faible et peu doué pour la gouvernance, malgré le fait qu’il tente de faire survivre sa colonie et ses citoyens par tous les moyens, même si cela implique de faire des sacrifices.

Le prince et la princesse de l’empire, Amaru et Nahikari, apparaissent également désabusés et prêts à tout pour garantir leur survie face aux colons du Coronado, ce qui va les conduire à des extrémités particulièrement horribles.

 

Le mot de la fin

 

L’Empire du Léopard est un roman de Fantasy à poudre, qui aborde des thématiques liées à la colonisation d’un territoire par la mise en scène d’un territoire d’inspiration amérindienne.

En effet, à travers l’invasion de la Lune d’Or par le royaume du Coronado, Emmanuel Chastellière traite de la manière dont des peuples peuvent être dominés, discriminés, ou conduire des révoltes face à un peuple dominant.

Il prend également le parti de montrer que la colonisation peut constituer une énorme désillusion pour ceux qui la pratiquent, puisque la Lune d’Or n’a rien de l’Eldorado qu’attendaient les colons du Coronado. Ces derniers se voient proposer une alliance par le mystérieux Empire du Léopard, ce qui les conduit dans sa capitale, Xemballa, où se trament des horreurs qui vont engendrer des tragédies.

Le récit est doté de personnages extrêmement développés et dotés d’un sens du devoir fort, à l’image de Cérès, colonelle du 22ème régiment de l’armée du Coronado, qui constitue vraiment l’un des points forts du roman selon moi !

Si vous souhaitez découvrir le genre de la Fantasy à poudre, je vous recommande vivement L’Empire du Léopard ! J’ai hâte de lire La Piste des cendres.

Vous pouvez également consulter les chroniques d’Apophis, Célindanaé, Boudicca, Les Pipelettes, Blackwolf, Symphonie, Lutin, Xapur, Elhyandra, Ombrebones, Aelinel, Dup, La Geekosophe, Sometimes A Book, Fantasy Politique

37 commentaires sur “L’Empire du Léopard, d’Emmanuel Chastellière

  1. Merci pour le lien 🙂 Très belle chronique bien détaillée, comme toujours. Ce que j’ai le plus aimé dans ce roman c’est l’aspect dépaysant, je n’avais jamais rien lu de semblable en fantasy auparavant (peut être parce que je ne lis pas en anglais ^^) du coup j’ai été agréablement surprise par les idées et les partis pris de l’auteur.
    J’ai moi-même hâte de lire la piste des cendres. S’il est du même niveau, ça promet du lourd !

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