Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de te proposer une interview de Lionel Davoust, auteur de la trilogie Léviathan, et des romans de l’univers d’Evanégyre, dont La Volonté du Dragon, La Route de la conquête, Port d’âmes et Les Dieux Sauvages.
Je vous rappelle que vous pouvez retrouver toutes les autres interviews en suivant ce tag, mais aussi dans la catégorie « Interview » dans le menu du blog.
Je remercie chaleureusement Lionel Davoust pour ses réponses longues et extrêmement détaillées, et sur ce, je lui laisse la parole !
Interview de Lionel Davoust
Marc : Peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?
Lionel Davoust : Salut, je suis Lionel Davoust et je suis gentil (en principe). Je suis ingénieur halieute à l’origine (une sorte de biologiste marin, disons) mais je me suis lancé à corps perdu dans ma passion secrète, les littératures de l’imaginaire, en 2001. Depuis, j’ai fait de l’éditorial, de la traduction, de la conception de jeux de rôle et surtout, j’écris (une trentaine de nouvelles et une douzaine de livres de fiction parus), principalement dans la fantasy et courants apparentés. Quand j’ai le temps, je suis volontaire écologique (toujours en relation avec la mer) et musicien électronique.
Marc : As-tu toujours voulu devenir écrivain ? Qu’est-ce qui t’a amené à écrire ?
Lionel Davoust : Je crois que cela a toujours été là. J’ai tanné mes parents pour apprendre à lire avant l’âge dit, et le pouvoir de l’écrit m’a toujours fasciné : il s’agit de laisser un message pour quelqu’un qui peut comprendre tes mots alors que tu n’es pas là (… parfois depuis des siècles). Y a-t-il quelque chose de plus incroyable en ce monde ?
Par la suite, je suis donc parti sur une voie plus scientifique, mais l’attrait pour l’écrit, et pour l’imaginaire, a toujours été présent, et déjà, quand j’étais étudiant, je me disais : « un jour, j’écrirai pour de vrai, je ne sais pas encore comment, mais cela arrivera. »
Il se peut que j’aie jeté les bases de quelques univers imaginaires quand j’étais en cours au lieu de prendre des notes, aussi…
Marc : Tu es auteur, mais également traducteur, puisque tu as traduit Queen city jazz de Kathleen Ann Goonan pour Imaginaires Sans Frontières, et plus récemment la série du Bibliomancien de Jim C. Hines pour L’Atalante. Est-ce que ton travail de traducteur a ou a eu une influence sur la manière dont tu écris ?
Lionel Davoust : Une influence à proprement parler, non ; en revanche, la traduction est une école d’écriture fantastique (même si ce n’était pas mon but, et je ne l’ai compris que bien plus tard). Personne ne lit aussi profondément qu’un traducteur – pas même l’auteur ; pour faire un bon travail, il faut totalement plonger dans la mécanique du texte pour arriver à le rendre naturellement dans la langue cible. Non seulement cela, mais il faut ensuite se mettre intégralement à son service pour rendre les intentions de l’auteur, comprendre son style pour le restituer, comme un caméléon. La traduction m’a appris à manipuler texte et phrase avec un soin du détail dont je ne soupçonnais même pas l’existence (notamment sous l’égide de Pierre Michaut, de L’Atalante, qui m’a appris cette minutie, et que je ne remercierai jamais assez pour cela). Enfin, elle m’a aussi appris à me distancier de mes propres textes, de leur affect pour les considérer comme un matériau qui doit servir une finalité : le sens.
Marc : Tu animes, avec Estelle Faye, Mélanie Fazi, et anciennement Laurent Genefort, le podcast Procrastination, qui parle d’écriture de fiction et de la manière dont l’écrivain peut travailler son texte. Pourquoi avoir créé ce podcast ? Qui en est à l’origine ? Comment fonctionne la préparation de chaque émission ? Comment sont choisis les thèmes que vous abordez ?
Lionel Davoust : Je crains d’être responsable. En fait, j’écoutais depuis deux ans environ le podcast américain Writing Excuses, qui est exactement ça : des auteurs se rassemblant pour parler de technique d’écriture pendant quinze minutes. Je trouvais le format nerveux, intéressant, digeste, et je me suis dit pendant très longtemps : « ce serait quand même super qu’un tel truc existe en français… » J’ai fini par comprendre que si je voulais vraiment que ça existe, il allait falloir que je m’y colle… Cela s’est fait à la faveur de discussions avec Elbakin.net, qui nous apporte toute la diffusion et l’hébergement dont je n’aurais pas eu le temps de m’occuper (et nous les remercions !). Après, nous n’avons aucun lien avec Writing Excuses, même s’ils nous ont aimablement permis de reprendre leur format (et l’emballage sonore, qui reprend l’esprit du leur, permet de leur rendre hommage à chaque épisode).
J’ai initialement approché Laurent Genefort et Mélanie Fazi à qui j’ai proposé l’idée, et ils ont gentiment accepté de se prêter au jeu. Alors attention, même si je produis l’émission, Procrastination est entièrement la somme de notre travail commun à tous les trois (et maintenant avec Estelle, donc). L’intérêt du podcast repose tout entier, je crois, sur la confrontation entre notre avis et méthodes divergentes, justement.
Pour ce qui est des thèmes, nous en discutons ensemble, en fonction des personnalités de chacun, afin que tout le monde ait, en moyenne, des épisodes sur lesquels il ou elle se sentira à l’aise sur une saison. Je soumets des proposions, en fonction des interrogations les plus fréquentes que je vois passer ou que j’entends en atelier, et nous en débattons d’un coup sur l’autre, ou en fonction des retours qu’on nous fait, pour arriver à ce que nous allons traiter.
Marc : Tu parles aussi d’écriture, de productivité, et d’applications qui peuvent aider les écrivains sur ton blog personnel. Pourquoi avoir choisi d’en parler ?
Lionel Davoust : Déjà, parce que j’ai toujours été persuadé, quand j’ai commencé à vouloir écrire sérieusement il y a vingt ans, que l’écriture, comme tous les arts, avait certainement des codes, des techniques, des points de départ, au moins, pour approcher la tâche dantesque que représente écrire un roman. Tu veux dessiner, tu travailles la perspective, l’anatomie, l’architecture ; en musique, c’est l’harmonie, la rythmique, a minima ; en cinéma, tu réfléchis au rythme, au cadrage… Pourquoi n’en serait-il pas de même en écriture ?
À l’époque, au tournant des années 2000, le Net se démocratisait tout juste, et la technique d’écriture, je ne l’ai trouvée que chez les Américains. Or, je crois beaucoup à l’adage qui dit « You can never pay back, only pay forward » – on ne peut jamais renvoyer l’ascenseur à ceux qui nous ont mis le pied à l’étrier ; seulement le faire, à notre tour, pour ceux qui viennent après nous. J’ai donc voulu commencer à restituer, sur le blog, ce que j’aurais aimé trouver en langue française quand j’ai commencé. (Je remercie au passage Léa Silhol qui m’a convaincu d’ouvrir un blog, à l’époque sur… MySpace. Ouch.)
La productivité était le prolongement logique de cette recherche. La technique d’écriture, c’est avant tout une recherche sur la mécanique narrative pour arriver à comprendre et servir au mieux ses intentions artistiques. La productivité, le mouvement du lifehacking, consiste à éliminer un maximum de frictions dans le quotidien pour comprendre et servir au mieux ses intentions dans l’existence. Le temps est notre ressource la plus précieuse : comment s’en servir avec intentionnalité, en accord avec soi-même et, si possible, avec le moins de difficulté dans l’accomplissement de nos projets ?
Marc : Tu es auteur de plusieurs romans qui se déroulent dans l’univers d’Évanégyre, à des périodes distinctes. Ainsi, La Volonté du Dragon et le recueil de nouvelles La Route de la conquête dépeignent l’Empire d’Asrethia, disparu dans la série des Dieux Sauvages, mais dont les personnages sont en contact avec les vestiges, et Port d’âmes, qui se déroule des siècles plus tard. Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire de cet univers sur plusieurs siècles ? Comment est né l’univers d’Évanégyre ? Avais-tu prévu de le développer à ce point dès La Volonté du dragon ?
Lionel Davoust : Alors, déjà, autorise-moi un petit aparté à présent que nous entamons les questions sur la fiction. Quand j’ai reçu tes questions, dans le domaine des romans, j’ai constaté qu’elles commençaient beaucoup par « pourquoi ». Je voudrais en profiter – en toute amitié, hein ! – pour peut-être désamorcer une idée qui me semble assez fréquente dans l’analyse littéraire : « pourquoi » suppose une raison, un calcul, un discours. Mais le travail créatif est beaucoup plus chaotique que cela, et la raison, pour ma part, est souvent « parce que j’avais envie » ou, plus profondément, « parce que ça me semblait juste pour cet univers / personnages / histoire ». Les intentions des auteurs sont beaucoup moins intellectualisées, raisonnées, qu’on ne le pense souvent : elles sont avant tout gouvernées par une esthétique personnelle et, aussi, par les tripes, par l’intuition, par l’envie. Ce qui est une chose bien plus informe, bien plus brute, que les explications propres et nettes que les commentaires textuels aimeraient trouver. Et personnellement, je trouve cela aussi beaucoup plus intéressant, parce qu’en lien avec des courants souterrains, empreints d’une certaine authenticité. Ce n’est pas pour prétendre, à l’autre extrémité du spectre, que « l’auteur est mort » et qu’il est le jouet de sa création ; mais souvent, eh bien, la réponse à « pourquoi » est… « parce que » : parce que le plaisir, le plaisir de la difficulté, la difficulté du plaisir, etc. Mais je vais m’efforcer de faire de mon mieux pour te répondre.
Donc, pourquoi raconter Évanégyre sur plusieurs siècles ? Parce que c’est cool. Parce que j’avais envie. Parce que, ce qui m’a toujours intéressé dans l’imaginaire quand j’étais môme, c’était d’entrer dans ces mondes immenses en apparence inépuisables, où je pouvais découvrir cent histoires et me les approprier, discuter avec mes copains de comment fonctionnent exactement les moteurs de Star Trek, voir les passerelles possibles avec le réel et rêver à ce qui pourrait exister un jour. Donc, j’ai très vite eu envie de me lancer dans une telle aventure. (D’ailleurs, presque tous mes univers narratifs sont conçus ainsi comme des « licences » où je suis le seul à écrire : Évanégyre est le plus visible, mais « La Voie de la Main Gauche » l’est aussi, et un certain nombre de mes nouvelles sont des parties émergées d’icebergs que je ne développerai probablement jamais.)
Évanégyre a toujours été conçu, de base, comme un projet de cette envergure, avec des pièces indépendantes les unes des autres, mais s’imbriquant dans un grand tout avec sa trame de fond et ses secrets. Tu mentionnes La Volonté du Dragon, mais à l’époque, deux nouvelles étaient déjà parues dans l’univers (« Bataille pour un souvenir » et « Quelques grammes d’oubli sur la neige », qui se promènent déjà pas mal dans la chronologie de l’univers, et j’avais déjà depuis plusieurs années sur mon disque dur le tout premier jet de ce qui deviendrait Port d’Âmes). La pièce d’origine, justement, est une chronologie maîtresse de ses grands âges, depuis les limbes mythologiques, féeriques et divines, vers l’ascension de l’Empire d’Asreth, la construction de sa domination (La Volonté du Dragon et La Route de la Conquête), jusqu’à la post-apocalypse (Les Dieux sauvages), et le relèvement qui s’en est suivi (Port d’Âmes). Avec les raisons des transitions entre ces atmosphères entièrement différentes, qui sont appelées à être dévoilées dans les futurs cycles correspondants.
Marc : Comment as-tu organisé la chronologie d’Évanégyre ? Comment maintiens-tu la cohérence interne de ton univers tout au long de tes récits ? Comment te sont venues les idées des périodes successives de ton univers, que tu racontes dans La Volonté du dragon et La Route de la conquête, puis Les Dieux sauvages, et enfin Port d’âmes ?
Lionel Davoust : En toute honnêteté, j’ai beaucoup trop de choses dans la tête. C’est le problème quand tu construis un univers au long cours : j’ai toujours des notes papier qui datent de mes années étudiantes, et des éléments dans différents systèmes et applications correspondant à l’évolution des outils. Heureusement, je sais où tout trouver, et comme je ne reste jamais longtemps sans penser à Évanégyre, je ne perds pas pied, ni contact avec. Mais le temps est venu que je me fasse un vrai wiki structuré et complexe.
Comme la chronologie est quand même une pièce fondamentale de l’univers, j’en ai une version moderne (et des chronologies secondaires concernant d’autres aspects, comme l’évolution des techniques, du parler, de la politique…) dans un logiciel qui s’appelle Aeon Timeline et qui n’est jamais loin quand j’écris.
De manière générale, les périodes successives d’Évanégyre correspondent à des types d’atmosphères, voire de courants de l’imaginaire que j’avais envie d’explorer à ma manière – de la fantasy mythique à la post-apocalypse, en passant par le steampunk. Je maintiens la cohérence de tout cela avec un principe fort que j’applique partout dans l’écriture : une conscience claire des forces génératrices. C’est-à-dire, quelles sont les forces parfois contradictoires qui engendrent le monde (ou une culture, ou un personnage, ou une époque) ? Mon travail consiste ensuite à suivre ces courants dans leurs conséquences logiques, à les découvrir, et à les raconter. Et si j’y suis fidèle, si j’en suis le serviteur loyal, je découvre que non seulement tout tient debout, mais que des récits contiennent parfois les germes d’histoires à venir dont je n’avais même pas idée, mais que mon inconscient, lui, savait parfois des années à l’avance.
Marc : Comment se sont déroulées les rédactions de tous ces projets ? Comment se sont déroulés leurs processus éditoriaux respectifs ? Presque dix ans séparent La Volonté du dragon et La Fureur de la terre. Est-ce que ta manière d’écrire ou de travailler la construction de ton univers ont changé entretemps ?
Lionel Davoust : Changé fondamentalement, non. En revanche, j’ai affiné, aiguisé, approfondi tout ce que je fais. Je crois que la pratique créatrice est comme une exploration archéologique – au début, tu vois ce qui dépasse du sable ; ton envie, ton désir, mais ta candeur, aussi, parce que, eh bien, tu débutes, donc tu ne sais pas faire grand-chose (et c’est normal). Au fur et à mesure, tu plonges sous la surface, dans ton inconscient, tu creuses des tunnels, et tu mets à jour des salles, des vestiges, des artefacts ; tu découvres ce qu’il y a vraiment, et surtout, ce que tu veux vraiment. La Volonté du Dragon a été une étape importante au titre que c’était mon premier roman (court) et qu’il marquait pour moi le passage de la nouvelle à la forme longue. Au fil des ans, je me suis attaqué à des projets de plus en plus ambitieux, de plus en plus complexes narrativement, parce que j’ai acquis certaines bases de la narration : rythme, personnages, tension, etc. Cela ne signifie pas que je n’écris plus de nouvelles ni de romans indépendants ! Ni que mes travaux actuels sont plus « avancés » ou « meilleurs ». Juste que j’ai élargi mon spectre, multiplié mes outils. Je peux sortir des volumes de 600 à 800 pages avec des points de vue multiples comme continuer à écrire des nouvelles. Pourquoi écrire si ce n’est pour apprendre la liberté de faire ce qu’on veut ?
Marc : La série des Dieux Sauvages met en scène Mériane, une héroïne qui se trouve être l’élue du dieu Wer, dans une société où son église est extrêmement sexiste et contribue à maintenir un patriarcat extrêmement fort, au sein duquel les femmes sont discriminées de manière systémique. Pourquoi avoir choisi de parler du sexisme dans cette série ? Pourquoi avoir lié ce sexisme à la religion et à un pouvoir étatique fort ? Est-ce que l’aliénation d’une population s’avère difficile à retransmettre ou à écrire ? Est-ce que tu qualifierais les romans des Dieux Sauvages de romans féministes ?
Lionel Davoust : Je te renvoie donc ici à ce que je disais plus haut : j’ai voulu parler de sexisme parce que ça me grattait d’en parler… et que c’est un truc qui me met hors de moi depuis des années. C’est un truc viscéral, un truc de fureur, surtout en tant qu’homme. Un jour, j’ai capté un truc très simple : quand tu as besoin de te prouver au monde (comme les pitoyables revendications du mouvement masculiniste, des incels et autres pauvres âmes égarées), c’est que tu es terrifié au fond de toi, en réalité. Les revendications de force, de domination, ne sont que des aveux de faiblesse : est-ce qu’un fort a besoin de le crier au monde, pour que celui-ci le valide ? C’est absurde. Il est fort, il le sait, il est au-delà de ça et il vit, c’est tout, sans avoir besoin du reflet de qui ou de quoi que ce soit. (« Il » au sens général, pouvant être bien sûr « elle » ici.)
C’est lié à la religion dans Les Dieux Sauvages parce que, dans bien des histoires de bien des civilisations, dont la nôtre, les femmes ont été / sont écartées, ostracisées, reléguées à l’obscurité. Il y a un regard ésotérique moderne sur les spiritualités classiques qui me parle énormément : il avance que les archétypes féminins ne sont pas apparentés à la nuit, au mystère, de manière structurelle ou inhérente, mais simplement parce que les pouvoirs établis les ont forcés à la clandestinité (l’obscurité mentionnée plus haut, tant sociale que symbolique), et qu’ils le sont donc devenus, de fait, depuis des millénaires. Dans ces traditions, le féminin ne serait ainsi nocturne que parce qu’il a été forcé à l’être par ce qui se définissait soi-même comme le pouvoir solaire (masculin).
Après, cela se complexifie dans le contexte de Les Dieux sauvages. Je ne crois absolument pas aux réponses simples dans l’existence (et cela fait des histoires bien plus intéressantes). Évanégyre se relève d’une catastrophe planétaire, la magie sauvage provoque des mutations innommables, les humains vivent dans la peur et l’ignorance. Le royaume de Rhovelle tient depuis près de deux siècles (un exploit à cette époque) parce qu’il repose sur un absolutisme tant étatique que religieux. C’est un facteur de stabilité, et c’est là qu’on peut commencer à poser des questions intéressantes, car dérangeantes, tant aux personnages qu’à l’histoire : quelle stabilité peut-on accepter, et à quel prix ? Que cela nous enseigne-t-il sur l’humanité et ses aspirations ? Et nous, aujourd’hui, qu’acceptons-nous ? Etc.
Oui, il y a eu quelques moments où retranscrire cette aliénation n’a pas été facile à écrire, où je me suis senti limité, peut-être infondé, dans mon point de vue. Cela s’est débloqué – comme toujours – quand j’ai simplement rattaché la problématique à ma propre humanité ; en reprenant conscience, à nouveau, combien le patriarcat n’oppresse pas seulement les femmes, mais ampute aussi les hommes d’une part d’eux-mêmes. En gros, en faisant l’effort de ne plus simplement voir la question comme un problème de femmes, mais comme un problème d’humanité, pour l’investir de mes personnages.
Ce n’est pas à moi de dire si Les Dieux sauvages sont des romans féministes. Cette appellation a été un peu trop galvaudée récemment par des hommes en quête de crédibilité, et le mouvement porte une histoire vitale, cruciale, mais complexe. Certaines franges du mouvement, d’ailleurs, refusent aux hommes de s’en revendiquer. Ce débat ne m’intéresse absolument pas et, ma foi, je n’ai pas besoin de m’en revendiquer ; je n’ai pas besoin de me déclarer féministe pour m’efforcer d’y être conscient dans ma propre vie ; pour aborder ces questions d’humanité dans mes bouquins. Ce sont les actes qui m’intéressent, les frontières ; les appellations viennent ensuite.
Cependant, si l’on qualifie « Les Dieux sauvages » de romans féministes, alors c’est pour moi un splendide compliment et un grand honneur.
Marc : Mériane apparaît comme un personnage qui fait référence à la figure historique de Jeanne d’Arc. Pourquoi avoir choisi d’établir un parallèle entre un personnage de Fantasy qui vit dans un monde qui n’est pas le nôtre et un personnage historique ? Pourquoi avoir particulièrement choisi Jeanne d’Arc ?
Lionel Davoust : J’ai vu que tu as mentionné dans ta propre histoire du genre mon article sur la fantasy comme genre moderne (et merci !) : la fantasy est moderne parce qu’elle établit une dialectique entre un contexte mythique, mythologisé, voire historique d’un côté, et une sensibilité contemporaine, née du rationalisme, de l’autre. Mais ce qui m’intéresse, comme terreau dans le genre, ce n’est pas l’histoire, c’est ce qui en reste. C’est la strate au-dessus ; les mythes qu’elle fait naître, ce qui nous a atteints aujourd’hui, ce sont les images (parfois complètement fausses) qu’on se raconte. C’est là que se trouve le terrain du rêve et des aspirations ; c’est là qu’est l’enchantement. C’est cela qui m’intéresse, car c’est là que notre inconscient collectif rôde, et c’est pour moi le carburant fondamental de la fantasy.
Donc, en fait, je ne m’inspire pas de Jeanne d’Arc et « Les Dieux sauvages » n’est pas de la fantasy historique : je puise dans les mythes et les idéaux que Jeanne d’Arc a fait naître. Pour moi, c’est donc une mythologie comme une autre (c’est en tout cas à ce degré-là que je m’intéresse, ainsi qu’à ses résonances sur moi, parce que je fais partie de mon époque, moi aussi). Et c’est une mythologie terrible par ce qu’elle révèle sur la religion, l’humanité et la place des femmes : c’est l’histoire d’une jeune élue de Dieu qui va pour sauver le monde, y parvient, et termine brûlée par l’Église du Dieu dont elle se réclame…
Et donc, comme je disais, ça me fout hors de moi.
Marc : Mériane est l’héroïne des Dieux sauvages, mais son statut est parfois questionné, dans sa légitimité comme dans sa fonction, qu’elle soit symbolique ou guerrière. Pourquoi avoir choisi de mettre en scène une figure d’élue contestée, en remettant en question certains stéréotypes, celui du héros guerrier en tête ? Est-ce que son acquisition de son armure, « Invincible », et de son tranchoir, « Rédemptrice » constitue un clin d’œil et une mise à distance d’artefacts comme la Stormbringer d’Elric de Melniboné ?
Lionel Davoust : Parce que ce serait beaucoup moins intéressant et marrant si elle réussissait tout, non ? Une histoire naît de l’adversité, et trouve sa profondeur dans l’intérêt, et surtout la portée de celle-ci. Mériane ne remet rien en cause ; elle n’est pas au courant qu’il existe des archétypes de héros guerriers. Elle fait ce qu’elle peut parce qu’elle a une terrible malédiction : malgré sa grande gueule, elle a bon cœur, et ne supporte pas la souffrance des autres (elle en a trop vu). Elle est contestée parce que, malheureusement, son monde ne tolère pas une élue femme… Mais c’est justement pour moi (OK, j’arrête de me cacher derrière mes personnages) l’occasion de débattre, d’interroger les systèmes religieux, les pouvoirs patriarcaux, non pas comme un procès à charge (même si je ne suis pas tendre, j’avoue…) ; il ne s’agit pas de faire un pamphlet… Mais de poser, tout haut, aux prêtres comme à Dieu qui partage la tête de Mériane, toutes les questions qu’il ne fallait surtout pas poser au catéchisme quand j’étais petit. Et pourquoi, d’ailleurs, ne fallait-il pas les poser ? Qu’est-ce que ça peut lui fiche, à Dieu ? Mériane partage cet agacement.
Pour Rédemptrice et Invincible, c’est vrai que Les Dieux sauvages fait quelques clins d’œil aux grands tropes du genre (la quête héroïque, sauver le monde – Jeanne d’Arc m’offrait un excellent socle pour cela –, le seigneur des ténèbres, mais le tout repris à ma sauce, avec des pièges dans tous les sens – rien, ou presque, n’est ce qu’il semble être dans Les Dieux sauvages), et que je me suis dit, hé, le héros (ou héroïne) doit avoir une épée magique avec un nom, n’est-ce pas ? Ça remonte surtout à Excalibur et Durandal. Mais c’est presque méta – parce que dans La Fureur de la Terre, cela se produit surtout parce que Maragal lui-même avance qu’il faut des symboles forts pour fonder l’épopée qu’il est en train d’écrire. Mériane, d’ailleurs, s’en fiche au début, de ces noms. Elle a autre chose à faire : elle est occupée à sauver son peuple. Sa propre légende ne la concerne pas (au début, du moins).
Marc : Les Dieux sauvages se déroulent dans un monde de Fantasy post-apocalyptique, qui est un sous-genre de la Fantasy né avec La Terre Mourante de Jack Vance, et qui revient au goût du jour avec ta série, ou encore Blackwing d’Ed McDonald, ou encore La Terre fracturée de N. K. Jemisin. Pourquoi ce genre reprend son essor, d’après toi ? Pourquoi l’avoir toi-même choisi ?
Lionel Davoust : Parce que mon inclination allait par là-bas, à nouveau…
Je ne réfléchis pas aux tendances quand j’écris ; je me tiens au courant, mais cela n’influe pas sur mes décisions. Dans le cas d’Évanégyre, après deux livres plutôt épiques sur la période impériale et un roman d’initiation intimiste, Les Dieux sauvages me semblait le bon chapitre suivant à explorer. Même si tous les cycles et récits sont indépendants, je m’efforce aussi de penser à ceux et celles qui suivent Évanégyre depuis le début et je me dis : « quelle est la meilleure chose à faire maintenant pour l’univers, mais aussi pour moi ? » C’était aussi l’intention de sortir Port d’Âmes quand je l’ai fait ; je ne veux pas m’enfermer dans un type de récit avec Évanégyre ; je veux rester libre de mes mouvements. Et d’ailleurs, je peux me tromper, mais je crois que le succès de Les Dieux sauvages est davantage dû à son jeu avec les archétypes classiques de la fantasy et de l’épopée qu’à son rapport avec le post-apo (qui est finalement très peu relevé par les commentateurs, et dont beaucoup de critiques de SF ne sont même pas encore aperçus… alors que s’ils savaient… hahaha.)
Cependant, s’il y a un engouement pour le post-apo mêlé de fantasy, je dirais que c’est lié à une certaine forme de libération de l’héritage tolkienien (on a saisi maintenant que la fantasy va bien au-delà, et qu’elle peut totalement s’affranchir du médiéval-fantastique), couplé à l’époque un peu déroutante dans laquelle nous vivons : les auteurs explorent davantage l’ambiguïté qui transparaît de nos jours, et cherchent l’héritage mythologique, du sacré, dans un monde désenchanté. J’y vois exactement le même processus créatif que dans le succès de la fantasy urbaine : réenchanter le monde, en s’appuyant sur une imagerie plus contemporaine. Mais le désir de chercher le « numineux », comme disait C. G. Jung (l’expérience du sacré), reste pour moi toujours au cœur du genre.
Marc : Comment perçois-tu la modernisation de la Fantasy, avec de plus en plus de systèmes de magie et un éloignement du contexte médiéval européen, pour aller vers des mondes s’inspirant de cultures extra-européennes ou plus développés technologiquement ?
Lionel Davoust : Je ne sais pas si c’est une modernisation ; je pense plutôt que c’est une libération et un essor qu’on aurait pu voir des décennies plus tôt sans un phénomène qui a distordu l’économie de tout le domaine : un certain J. R. R. Tolkien (mais à qui l’on doit évidemment, aussi, sa notoriété et ses fondations…). Je rejoins entièrement ce que disait Brandon Sanderson lors d’un débat que nous avons partagé aux Utopiales : une première génération d’auteurs s’est nourrie de Tolkien, et nous en sommes maintenant à une génération qui s’est nourrie de ces auteurs qui se sont nourris de Tolkien, donc avec plus de distance. La fantasy a toujours consisté à fonder des mondes sur des hypothèses disons « magiques » (sans lien avec la science connue), mais cela n’empêche pas pour autant qu’il existe des règles et un empirisme fermement ancrés dans cette façon de fonder le réel. En somme, le genre déploie tout spécialement depuis une vingtaine d’années le potentiel qu’il a toujours contenu, et je m’en réjouis.
Marc : On voit dès La Messagère du ciel, mais surtout dans ses suites, Le Verrou du fleuve et La Fureur de la terre, que tu mets en scène des technologies avancées, que l’on peut mettre en parallèle avec des réacteurs nucléaires, des exosquelettes, ou encore de l’artillerie lourde, toutes détenues par l’armée du dieu Aska. Pourquoi avoir fait un parallèle entre une technologie qui est proche de nous et celles employées par l’Empire d’Asrethia, puis Ganner et ses sbires ? Plus simplement, pourquoi avoir doté ton univers de technologie ?
Lionel Davoust : S’enfermer dans des genres et des codes m’a toujours, pour le dire crûment, profondément emmerdé. L’imaginaire est le domaine de l’expérimentation, de la découverte, de l’exploration de territoires aussi nouveaux que possible. Dès lors que la fantasy a semblé enfermé dans son raisonnement médiéval-fantastique, j’ai eu envie d’y insuffler des problématiques et des artifices de SF, parce que je crois résolument que ce sont les mêmes genres, seul l’habillage change. Et percuter de plein fouet des codes avec d’autres promet des tas d’opportunités narratives imprévisibles, et tout simplement, c’est marrant !
De plus, comme évoqué plus haut, la fantasy naît de la dialectique entre l’inconscient magique traditionnel et la sensibilité contemporaine rationaliste. Mais ce n’est pas pour dire que notre sensibilité contemporaine est exempte de la pensée magique, au contraire (il suffit de plonger dans le domaine surréaliste des légendes urbaines, y compris celles qui sont déjà associées à Internet, à la technologie, aux jeux vidéo). L’arme nucléaire, par exemple, a généré sa propre mythologie (avec surcouche de propagande) – à commencer par Oppenheimer, citant la Bhagavad-Gita face à l’explosion de la première bombe nucléaire (« I am become Death, destroyer of worlds. »). Là encore, je m’abreuve à ce qui me semble les résonances mythologiques de ces phénomènes (les zones instables et les Anomalies sont totalement des versions cauchemardesques, des fantasmes populaires de la Zone de Tchernobyl – j’avais 8 ans à l’époque de la catastrophe, juste l’âge pour m’en souvenir). En fantasmant / cauchemardant une technologie poussée vers la SF (c’est d’ailleurs ainsi que je l’ai construite : j’ai pensé la technologie impériale d’abord, puis je l’ai « défoncée » en mode post-apo), je joue à la fois sur la dialectique propre à la fantasy, mais aussi sur la dimension mythologique que la technologie continue à recouvrir pour nous.
Marc : Ganner, tout comme son compagnon Arcis, ou même Mériane dans une moindre mesure, peuvent être perçus comme des transhumains, puisqu’ils disposent, ou sont même en symbiose, avec des exosquelettes augmentant leurs capacités physiques. Peut-on les qualifier de transhumains, d’après toi ? De la même manière, la mystérieuse archère Nehyr semble être tout sauf une humaine ordinaire, et La Fureur de la terre nous renseigne sur sa nature « magique ». Est-elle une sorte de transhumain magique ?
Tu auras probablement compris à ce stade qu’on peut qualifier beaucoup de choses de beaucoup de choses chez moi, je m’y oppose rarement : je tends le miroir, et à toi d’y trouver ton reflet 😉 Je n’y avais pas pensé, mais pourquoi pas ? Je crois, inconsciemment, que je pensais plutôt au héros mythologique, c’est-à-dire sur- plutôt que trans-humain, doté de pouvoirs et de dons dépassant l’humanité. Mais y a-t-il une résonance mythologique dans la quête transhumaniste ? Je te laisse le décider…
Concernant Nehyr, je ne dirai rien, à part deux choses : une foule d’indices et d’hypothèses est semée depuis son apparition, dans ses actes, son attitude, le regard que les autres portent sur elle, jusqu’à de petits détails qui sont faits pour paraître anodins, mais ne le sont pas. Et sa vraie nature sera révélée dans L’Héritage de l’Empire. Plus très longtemps à attendre.
Marc : Les romans des Dieux Sauvages dépeignent également des créatures mutantes décrites comme étant « biomécaniques », à l’image du Xénomorphe de la série de films Alien. Pourquoi avoir choisi ce terme pour les désigner ? Pourquoi avoir mis en scène une fusion entre la chair et la machine ?
Lionel Davoust : Parce que, même si l’imaginaire est le territoire de l’expérimentation, expérimenter perché, loin de tout référent, est une voie très sûre de perdre le lecteur, et que je crois fermement que l’auteur a aussi le devoir de se rendre aussi accessible que possible. (Bien sûr, tous les lecteurs sont différents, mais, en gros, on n’écrit pas que pour soi, il faut penser à emmener le public avec.) Du coup, le terme biomécanique est effectivement tout à fait assumé en référence, plus qu’à Alien, à l’esthétique de H. R. Giger de manière générale (et qu’on retrouve, déclinée, dans un courant esthétique du tatouage par exemple). Je suis prudent avec l’intertextualité (la notion, très présente en SF, où des textes s’appuient sur l’héritage du genre au point que certains concepts sont considérés comme acquis et n’ont plus besoin d’être expliqués) car il existe une immense foule de lecteurs qui ne connaissent rien à l’imaginaire et je voudrais qu’ils puissent rentrer dans mon travail si c’est le premier bouquin du genre qu’ils ouvrent, tout comme j’espère satisfaire les habitués. Mais : « biomécanique » est un terme qui présente l’immense avantage d’être clair pour tout le monde. Tu connais Giger, cela t’évoque des résonances personnelles. Tu ne connais pas, le terme est transparent : machines vivantes. C’est clair (et ça portera aussi tout un cortège d’images personnelles subconscientes).
Pourquoi faire ça ? Euuuh…
Parce que cela peut évoquer, selon l’esthétique, une sorte de fusion tout de même considérée contre nature et inquiétante à notre époque (et j’en rajoute une bonne couche de manière à ne présenter aucune ambiguïté). Cela résonne avec le post-apocalyptique. Mais là encore, ça serait trop simple, et trop simple, ce n’est ni marrant, ni humain. Je m’efforce aussi, comme le fait Giger, de présenter une sorte de fascination du monstrueux, de l’attrait des ténèbres – les Askalites, d’ailleurs, se trouvent eux-mêmes beaux, comme le dit Ganner à Arcis. Ils ont un plan, et sans aller forcément jusqu’à réussir à séduire le lecteur par leur philosophie, ils doivent être autre chose qu’une horde décérébrée pour être intéressants et vraiment dangereux.
Marc : Quels sont les personnages que tu préfères écrire ? Lesquels te donnent le plus de mal ?
Lionel Davoust : Sans aucun doute, le personnage le plus facile (et donc le plus agréable) à écrire est Chunsène. Sa voix et sa manière de parler s’invitent dans ma tête avec une absolue transparence, et elle me sort des répliques surréalistes qui me font glousser tout seul. Son arc narratif m’est d’une absolue clarté depuis quasiment le début.
Ensuite, cela dépend un peu de l’étape où en sont les personnages, car beaucoup évoluent, ce qui nécessite plus ou moins de travail pour les suivre. Mériane m’a longtemps été facile à écrire, un peu pour la même raison que Chunsène, mais elle évolue tellement au cours de la série, et sa charge lui est tellement pesante qu’il lui arrive de s’aventurer dans des territoires plus ardus. Leopol devient plus facile à mesure qu’il accepte son parcours, et donc se trouve moins écartelé avec lui-même. Une des choses les plus difficiles à écrire à mon goût est décrire et faire comprendre, d’un point de vue intérieur, une dissonance cognitive dont on est soi-même victime (et la religion weriste en suscite un certain nombre).
Un peu pour la même raison, un des personnages les plus difficiles à écrire en ce moment est Guil Redel (le général belnacien introduit dans Le Verrou du Fleuve). Il a… une manière terrible et très étrangère de voir le monde, disons. Il était très facile à écrire de l’extérieur parce qu’il est extrêmement facile à haïr pour le monde entier. Mais entrer dans la tête de ce malade, à qui il manque certaines facultés fondamentales, et le voir se considérer (forcément) comme le héros de sa propre histoire me donne envie d’aller prendre une douche à la fin de chaque scène avec lui. Mais c’est aussi une forme de plaisir pervers : c’est un défi.
Marc : Sur quels projets travailles-tu en ce moment ? Est-ce que tu penses déjà au futur d’Évanégyre et à l’après Dieux Sauvages ?
Lionel Davoust : Je suis donc sur le tome IV de la saga, L’Héritage de l’Empire, qui paraîtra à l’automne 2020, et, tout de suite après, j’enchaînerai avec le tome final, La Succession des Âges. Et cette année, les éditions 1115 vont ressortir un de mes textes en version augmentée, L’Impassible armada – rien à voir avec Évanégyre ; c’est une histoire de marins bloqués dans des glaces murmurantes, un peu surréaliste, qui lorgne vers la philosophie de l’absurde, avec pas mal de gouaille et d’humour noir.
Je pense toujours au futur d’Évanégyre, et je commence à envisager l’après Les Dieux sauvages. Cependant, je suis quasiment sûr de ne pas écrire de récit d’Évanégyre tout de suite après la fin de la saga ; au total, j’aurai publié sept livres d’affilée dans cet univers, il est nécessaire de faire autre chose. Peut-être de la SF. J’ai une vague idée un peu surréaliste dont j’ai envie de voir si elle peut donner quelque chose. Et les lecteurs de Les Questions dangereuses ont été nombreux à demander une suite… Je verrai où j’en suis (après un peu de repos !) Il reste en tout cas beaucoup d’histoires à raconter dans l’univers d’Évanégyre, de grandes sagas à aborder, et j’ai très envie d’y venir.
Marc : Quels conseils donnerais-tu aux jeunes auteurs ?
Lionel Davoust : Le même que Robert Heinlein : « You must write. » À quoi j’ajouterais humblement : bottez-vous le cul.
Écrire est LONG. C’est un métier de patience à tous les niveaux ; acquérir les outils qui permettent de servir un tant soit peu convenablement ses projets les plus ambitieux prend du temps ; construire une intrigue prend du temps ; la rédiger prend du temps ; corriger prend du temps ; avoir un retour éditorial prend du temps ; voir la publication arriver prend du temps ; voir le livre lu, et recevoir des retours, prend du temps. Il faut une patience, mais aussi une résilience, qu’on ne soupçonne guère. Il faut une volonté et une disposition à rester seul avec soi, des heures entières, des mois et des années entières, pour avoir un bouquin publiable… en espérant qu’il soit lu.
Du coup, pour moi, la première marche à accomplir pour ça, notamment pour un jeune auteur, c’est : travaille tous les jours à ton projet, un petit peu – au moins une phrase. Pas d’exception, pas d’excuse. Si tu arrives à te créer cette routine, à ne pas en déroger, alors cela prépare le terrain pour le travail de fond et de long cours qu’exige l’écriture (et cela t’aidera à te connaître, à construire la manière de travailler dont tu as besoin par la suite). Mais, quoi qu’il en soit :
Au boulot, dès aujourd’hui.
Marc : Quelles sont tes prochaines dates de dédicace ?
Je serai :
- À Grésimaginaire (région grenobloise) les 3 et 4 avril,
- À ImaJn’ère (Angers) les 2 et 3 mai,
- Aux Imaginales (Épinal) les 14 et 17 mai,
Plus d’autres dates pas encore annoncées.
Je donnerai aussi des ateliers et masterclasses dans cette période :
- « Écrire une scène d’action » les 18 et 19 avril avec l’école Les Mots à Paris,
- Avec Jean-Claude Dunyach, la Masterclass des Imaginales, « Du manuscrit à la publication »,
- « Le conflit, notion fondamentale de la narration », atelier à distance sur dix semaines à partir de fin août, là aussi avec Les Mots.
Toutes les dates à jour sont toujours sur la page Agenda du site : http://lioneldavoust.com/agenda
Attention, lecteur. Les deux dernières questions de cette interview peuvent te spoiler une partie de l’intrigue des Dieux Sauvages.
Marc : Dans La Fureur de la terre, tu donnes des indices sur la véritable nature de Wer et d’Aska, ce qui engendre un décalage entre la manière dont ils sont perçus par les personnages, leur Église et ceux qui entendent leur voix, et ce qu’ils sont vraiment. Pourquoi avoir choisi de mettre à distance le statut de ces divinités ? Pourquoi l’avoir fait dans un univers de Fantasy doté de technologie ?
Lionel Davoust : Parce qu’un dieu que tu peux voir et toucher et à qui on vient présenter ses doléances concernant les poteaux de bornage avec le champ du voisin, ça n’envoie pas tellement du rêve, non… ? Un dieu, c’est distant, c’est mythique, c’est intouchable – ça vit sur un plan de réalité séparé et ça a parfois ses propres impératifs. On peut arguer que la mystique catholique a perdu sa force du jour où les peintres ont collé un barbu dans les nuages ; un barbu, ça se comprend, c’est humain, et je peux tortiller avec, comme quand mon grand-père me faisait les gros yeux quand je chipais des pommes ; alors qu’une force indicible… Donc, un vrai dieu mystérieux, c’est forcément à distance…
Mais je dirai juste que Wer, tout particulièrement, est très au courant de cet état des choses, et que ce n’est pas un hasard. Pour en savoir plus, il faudra aller à la fin de la saga.
Marc : La technologie mise en scène dans Les Dieux sauvages est très ambivalente, puisqu’on ne connaît pas sa véritable nature, c’est-à-dire qu’on ne sait pas si elle mêlée à de la magie ou si elle est seulement perçue comme étant magique, ce qui illustrerait la troisième loi de Clarke, qui dit que « toute science suffisamment avancée est indiscernable de la magie », surtout dans un monde revenu à l’époque médiévale. Pourquoi avoir choisi cette ambivalence ? Comment te positionnes-tu par rapport à la troisième loi de Clarke ?
Lionel Davoust : Là non plus, je n’ai pas « choisi » cette ambivalence par calcul ou pour livrer un discours sous-jacent ; je l’ai fait avant tout parce que cela me semblait faire une bonne histoire empreinte d’une portée symbolique et thématique, capable d’établir un pont émotionnel avec le lecteur – et c’est avant tout ce qui me gouverne (je ne cherche pas à « dire » des choses, je veux en raconter).
Après, cela revient peut-être encore à la dialectique de la fantasy, avec laquelle je voulais jouer particulièrement dans cette saga. Les personnages ne comprennent pas nombre des choses qu’ils voient, mais un lecteur contemporain sait interpréter que « des runes lumineuses apparaissant dans un manchon de verre noir », c’est peut-être tout simplement un écran flexible… C’est amusant d’établir un niveau de connivence supplémentaire, d’assumer le heurt entre les mondes, et cela, je crois, plonge davantage le lecteur dans le récit, en l’invitant à recomposer la mosaïque par lui ou elle-même, si le cœur lui en dit… Et il s’agit de faire plaisir au lecteur en se faisant plaisir à soi, dans ce métier…
En effet, la loi de Clarke s’applique tout à fait, mais je n’y ai pas spécialement réfléchi pour « Les Dieux sauvages ». Comme je disais plus haut, je trouve la séparation entre fantasy et SF artificielle ; Évanégyre est une planète fondée sur un certain nombre de principes cosmologiques et thermodynamiques différents des nôtres, ce qui donne lieu à ce que l’on peut appeler de la « magie » mais qui, pour les artechniciens d’Asreth(ia) par exemple, était tout à fait scientifique. Une science bizarre qui a parfois des conséquences inattendues sur la psyché, mais une science malgré tout, et dont ces conséquences s’expliquent malgré tout.
Alors, est-ce que c’est de la fantasy parce que c’est magique ? Est-ce que c’est de la SF parce que le monde fonctionne avec des hypothèses empiriques et cohérentes ? Peu m’importe, en fait. Est-ce que cela m’amuse, recèle des situations riches de potentialités, des thèmes complexes et polysémiques qu’il sera intéressant d’explorer dans des histoires que j’espère fortes et émotionnellement impliquantes ? Voilà ce qui me gouverne.
Merci pour cette interview vraiment très intéressante 🙂 Je crois que c’est ce que j’ai aimé le plus dans les 3 premiers tomes : ça aurait pu être de la simple fantasy médiévale, mais en fait le cycle a pas mal d’influences différentes qui forment un très chouette mélange ( « Et sa vraie nature sera révélée dans L’Héritage de l’Empire. Plus très longtemps à attendre » non, non, je suis pas en train de trépigner sur ma chaise…)
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Merci de l’avoir lue 🙂 !
Je t’avoue que je suis dans le même cas, je suis hyper impatient d’avoir la suite 😀 .
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