L’Histoire de la Fantasy (5/5) : Les clichés sur le genre

Salutations, lecteur. Après avoir montré quelle place occupe la Fantasy en France, il est temps de clore cette série d’articles en examinant les clichés sur le genre pour les invalider. Comme les autres articles de cette série, il est dédié aux personnes qui m’ont aidé pour les corrections.

 

L’Histoire de la Fantasy : Les Clichés

 

Introduction

 

La série d’articles « L’Histoire de la Fantasy » traite de l’histoire littéraire du genre. Cette dernière partie va s’intéresser aux clichés qui ternissent l’image du genre. À ce titre, je tiens à préciser que cet article risque d’adopter un ton assez véhément. Par conséquent, si vous souhaitez en discuter de manière plus apaisée, ou si des détails manquent selon vous, n’hésitez pas à commenter.

Je tiens également à préciser que ces articles sont en partenariat avec la Bibliothèque Nationale de France et la Saison de la Fantasy qu’elle organise pour faire découvrir le genre au public, en traitant de son histoire et de son aspect transmédiatique et protéiforme. Je vous invite d’ailleurs à consulter le site consacré à la Fantasy mis en ligne par la BNF, qui vous permettra de découvrir le genre de manière ludique.

La Fantasy est un genre littéraire dans lequel le surnaturel est présent sous la forme de créatures inventées et de magie, acceptés comme une norme, et dont les récits se déroulent au sein de mondes alternatifs, c’est-à-dire des mondes qui diffèrent du nôtre par leur géographie, leur histoire, les peuples qui vivent en leur sein, et le surnaturel que l’on peut y trouver. Le genre a été popularisé auprès du grand public par les œuvres de J. R. R. Tolkien (Le Seigneur des anneaux, 1954-1955, 2001-2003 pour son adaptation), Georges R. R. Martin (Le Trône de fer, 2011-2019), et J. K. Rowling (Harry Potter, 2001-2011) et leurs adaptations cinématographiques ou télévisuelles, mais aussi par les jeux-vidéos comme The Elder Scrolls : Skyrim (Bethesda, 2011), The Witcher (CD Projekt, 2007-2015), Dragon Quest (Square Enix, 1986-2017) ou encore Final Fantasy (Square Enix, 1987-2016).

Aujourd’hui, on connaît donc la Fantasy de manière plus ou moins directe, à travers sa forme transmédiatique, au cinéma, à la télévision ou dans les jeux-vidéos. Cependant, son pendant littéraire contemporaine peut parfois être méconnu du public, au point que certains stéréotypes tendent à donner une image faussée du genre. Il est donc temps de faire le point sur ces clichés pour les détruire.

 

Clichés, stéréotypes

 

« La Fantasy, c’est comme le Fantastique »

 

Si vous êtes lecteur de Fantasy, vous avez déjà dû entendre cette phrase ou l’une de ses variantes, qui assimile les genres fantastique et merveilleux. Ainsi, on a pu vous présenter Le Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien comme un récit rattachable au même genre que les nouvelles de Lisa Tuttle (1952) ou H. P. Lovecraft. Cependant, dans la classification française, on distingue la Fantasy du Fantastique, parce qu’ils ne mobilisent pas les mêmes mécaniques du surnaturel, contrairement à la théorie littéraire américaine les mêle en les qualifiant tous deux de Fantasy, au point que même les fables de la Fontaine peuvent en faire partie. On peut supposer qu’en France, la confusion a été entretenue par l’expression « médiéval fantastique », employée pour désigner les œuvres de Fantasy dotées d’un monde médiévisant.

La Fantasy se distingue cependant du Fantastique, puisque là où ce dernier fait surgir le surnaturel dans un cadre donné comme réaliste (une entité cosmique dormant dans l’Océan Pacifique, par exemple), la première se situe la plupart du temps dans des mondes alternatifs au sein desquels l’existence magie et les créatures merveilleuses est donnée comme naturelle, ce qui signifie qu’elle ne suscite pas d’incompréhension de la part des personnages.

On ne peut donc pas assimiler les récits de Fantasy au Fantastique.

 

« La Fantasy, c’est une niche »

 

Voilà une phrase que vous pourrez parfois entendre lorsque vous évoquerez votre amour des romans d’Ursula Le Guin ou de Poul Anderson. Ce stéréotype, plutôt que de l’ignorance, tient d’une certaine manière de l’aveuglement. En effet, la Fantasy, comme la science-fiction, est désormais omniprésente dans le paysage médiatique, à travers les jeux-vidéos, ou le cinéma.

Vous avez en effet forcément entendu parler des adaptations cinématographiques ou télévisuelles d’Harry Potter (2001-2011), du Seigneur des anneaux (2001-2003), ou plus récemment de Game of Thrones (2011-2019) et The Witcher (2019), et peut-être même les avez-vous regardées sans savoir que ces œuvres appartiennent à la Fantasy. Dans ce cas, félicitations, vous avez fait vos premiers pas au sein du genre grâce à elles ! Cette remarque est également valable si vous êtes fan des films d’animation du studio Ghibli et d’Hayao Miyazaki. Princesse Mononoké (1997) et Le Château ambulant (2004) s’inscrivent ainsi pleinement dans la Fantasy.

De même, si vous avez joué à Dragon Quest, Final Fantasy, Monster Hunter (2004-2018), à Undertale (2015), ou encore à Terraria (2011), vous êtes immergé dans la Fantasy ! Le genre, notamment à travers les RPG, japonais comme occidentaux, a durablement marqué les univers de jeu-vidéo.

Il est donc désormais impossible de circonscrire la Fantasy à une simple niche pour amateurs de romans porteurs de barbares et d’Elfes, parce qu’on la retrouve absolument partout, et de manière extrêmement médiatisée.

 

« La Fantasy, c’est toujours inspiré par le Moyen-Âge européen »

 

On peut traduire cette réflexion par « La Fantasy, c’est toujours la même chose ». Le genre porterait donc un aspect répétitif dans les motifs qu’il déploie, mais aussi dans les intrigues et les mondes qu’il met en scène. Ces derniers seraient ainsi marqués par une esthétique médiévale européenne. Cette idée provient de l’image populaire du genre auprès du public, et des univers qui l’ont façonnée, à l’image du Seigneur des anneaux de Tolkien, ou plus récemment du Trône de Fer (1996) de George R. R. Martin et L’Assassin Royal (1995-2017) de Robin Hobb, qui se situent effectivement dans des univers inspirés par l’Europe médiévale.

Si cette remarque pouvait encore être difficilement invalidée (et encore, certaines œuvres anciennes la nuancent fortement) avant les années 1990, il est désormais difficile de la maintenir lorsqu’on en apprend plus sur l’étendue des formes que peuvent prendre les univers de Fantasy modernes. En effet, depuis quelques années, le genre connaît une véritable explosion, avec des univers postmédiévaux intégrant des technologies avancées ou rétrofuturistes, mais aussi des cultures et des personnages non-européens. Mais bien évidemment, pour se rendre compte des évolutions récentes du genre et découvrir des œuvres qui se situent en dehors des clichés, il faut faire preuve de bonne foi et ne pas réduire la Fantasy à une suite de stéréotypes dont les auteurs abuseraient.

Ce stéréotype possède cependant une part de vérité remarquée par les universitaires, puisqu’Anne Besson, spécialiste de la Fantasy, remarquait en 2007 dans un essai consacré au genre, qu’on se trouvait en plein paradoxe, puisque les mondes « souvent les mêmes, modelés aux mêmes références, respectueux des mêmes codes », alors qu’il est censé offrir une liberté immense à ses auteurs. Ce paradoxe se trouve désormais largement dépassé par les courants les plus modernes du genre.

 

« La Fantasy, c’est pour les enfants »

 

Si vous êtes un lecteur adulte de Fantasy, on a dû vous dire que vous êtes un grand enfant parce que vous lisez de la Fantasy, en arguant que le genre s’adresse à un public jeune. Ce cliché est alimenté par le fait que la Fantasy mobilise le merveilleux, de la même manière que les contes, mais aussi parce que certaines des œuvres les plus connues du genre, anciennes comme contemporaines, à l’image du Hobbit (1937) de Tolkien, de Narnia (1950-1956) de C. S. Lewis (1898-1963) et d’Harry Potter (1997-2007) de J. K. Rowling (1965), sont écrites à destination d’un public jeune.

Soyons honnêtes, cette idée est également très populaire auprès d’une certaine population à la fois supposément élitiste et pourtant ignorante, parce qu’elle permet à la fois d’infantiliser la Fantasy et son public, d’établir une hiérarchie plus ou moins implicite entre la littérature réaliste, dite « générale » ou « blanche », réservée à un public d’adultes, et la Fantasy (ou les littératures de l’imaginaire de manière générale), lue par un public d’éternels enfants. On peut aussi supposer qu’une certaine forme de naïveté et un manque de réflexivité du genre sont également sous-entendus dans ce non-argument.

Sauf que ce n’est pas le cas. Si une partie des récits du genre s’adressent de fait à un jeune lectorat, ce n’est absolument pas un mal en soi. En revanche, la dévalorisation de la Fantasy en la rattachant à l’enfance constitue une attaque et pas un argument, parce qu’il est fortement déconseillé de donner certaines œuvres à lire à un public jeune, sous peine d’engendrer quelques traumatismes assez conséquents. En effet, certains récits de Fantasy décrivent des réalités extrêmement dures, qui pourraient choquer leurs lecteurs s’ils entrent par erreur en contact avant d’avoir une certaine maturité ou d’être prêts à encaisser des descriptions extrêmement violentes et graphiques.

Par exemple, voici ce qu’on peut trouver dans le prologue de La Crécerelle (2018) de Patrick Moran, que je vous recommande :

Les quatre autres ne réagissent pas tout de suite. Il leur faut un moment avant de comprendre les implications de ce qu’elle vient de dire, et le temps qu’ils y parviennent, la tête de l’homme au visage caoutchouteux s’est déjà retournée sur elle-même et a explosé dans une gerbe de sang et de matière cérébrale. Ses trois compagnons de route sont éclaboussés par la déflagration, et l’homme d’âge moyen reçoit une esquille d’os crânien dans l’œil, ce qui l’oblige à s’agenouiller.

[…]

L’aventurière aux cheveux ras, qui, un moment auparavant, courait en brandissant sa hache et en laissant échapper un cri apotropaïque, se retrouve, l’instant d’après, déchirée en deux par une hypertrophie monstrueuse de ses organes internes. Le phénomène est si rapide que la mémoire peine à le recomposer : tout ce qui reste, c’est son cadavre bifide au milieu duquel gisent des poumons, un cœur, un estomac et un foie, tous gigantesques et difformes, encore palpitants de l’énergie qui les a empoisonnés.

La Fantasy véritablement adaptée pour des enfants, comme vous pouvez le voir grâce à cette description extrêmement graphique des pouvoirs de l’anti-héroïne éponyme du roman. Je ne résiste pas à l’envie de vous faire lire cet autre extrait, issu du magistral Les Portes de la Maison des Morts de Steven Erikson (2000), dans la traduction de Nicolas Merrien :

Trois ignobles rangées de prisonniers crucifiés ornaient les piquets du camp. Milans, rhizans et phalènes à cape essaimaient sur chacun des suppliciés.

La ligne la plus avancée dominait les terrassements et la tranchée à moins de cinquante pas de l’endroit où Kalam s’était allongé parmi les hautes herbes jaunies. La chaleur de la terre calcinée s’accompagnait d’une odeur de sable et de sauge. Des insectes grouillaient sur son corps et lui picotaient la peau, leurs minuscules pattes traçant des chemins à l’aveuglette sur ses mains et ses avant-bras. L’assassin les ignorait, les yeux rivés sur la plus proche des victimes crucifiées : un jeune Malazéen qui ne devait pas avoir plus de douze ou treize ans. Couvert de phalènes à cape des épaules jusqu’aux poignets, il donnait l’illusion d’être doté d’une paire d’ailes. Des rhizans s’agglutinaient par petits amas frétillants sur ses mains et ses pieds, là où des clous avaient percé les os et la chair. Le garçon n’avait plus de nez, plus d’yeux – son visage se réduisait à une plaie ravagée – et cependant il était toujours vivant.

L’image était en train de s’incruster dans le cœur de Kalam comme de l’acide dans du bronze. Il avait l’impression que ses membres étaient froids, comme si sa propre prétention à vivre se repliait, allant former une flaque dans ses entrailles. Je ne peux pas le sauver. Je ne peux même pas le tuer pour lui faire profiter d’une prompte miséricorde. Ni ce garçon, ni aucun de ces centaines de Malazéens. Je ne peux rien faire. De le savoir, c’était comme si quelqu’un lui murmurait des mots de folie à l’oreille. L’assassin ne craignait qu’une seule chose, susceptible de dérouler en lui un écheveau de terreur : l’impuissance.

Voilà une description qui fleure bon l’insouciance, la naïveté et le manque de sérieux propre à la Fantasy, n’est-ce pas ?

Si vous souhaitez discuter des ravages causés par les crimes de guerre avec un enfant, cet extrait risque de se révéler fort efficace, mais aussi terriblement saisissant pour son jeune lecteur.

Vous l’aurez compris, la Fantasy peut s’adresser à la jeunesse, mais ce n’est clairement pas toujours le cas. Certains ouvrages sont donc à déconseiller aux personnes plus jeunes, sauf dans le cas où vous souhaitez choquer le jeune public. Dans tous les cas, je décline toute responsabilité si vous faites lire La Crécerelle, Les Portes de la Maison des morts, ou même le manga Berserk (1989) de Kentaro Miura (1966) à votre enfant de huit ans.

 

« La Fantasy, c’est mal écrit »

 

Ce cliché rejoint le non-argument précédent, mais ici, l’ignorance et le pseudo-élitisme de la personne qui l’énonce s’observent non pas dans l’infantilisation d’un genre entier, mais dans le dénigrement de sa littérarité. En d’autres termes, lorsque que quelqu’un dit « La Fantasy, c’est mal écrit », il veut (très) souvent dire « La Fantasy, ce n’est pas de la littérature ». Cette attaque permet encore une fois de couper le genre de la littérature dite générale, qui serait mieux écrite que la Fantasy, parce qu’elle est un genre dit populaire.

Au-delà du fait que lorsque l’on pose la question « pourquoi la Fantasy serait mal écrite ? », nos interlocuteurs ont du mal à répondre, il faudrait interroger les notions du « bien écrire » et du « beau style », et ce n’est pas le but de cet article.

On peut cependant montrer que parmi les auteurs de Fantasy, on trouve de grands stylistes, à l’image de Jean-Philippe Jaworski (1969) ou Justine Niogret (1978).

Sur le champ de bataille, les héros procèdent différemment. Ils clament le nom de leur père, celui du père de leur père et des aïeux plus anciens dont ils perpétuent le sang ; ils énumèrent aussi tous les vaincus qu’ils ont tués. Ainsi s’identifient-ils par ceux qui leur ont donné la vie et par ceux à qui ils l’ont ôtée. J’aime cette façon de faire, je l’ai beaucoup pratiquée : ce ne sont pas seulement des guerriers qui s’affrontent dans le tourbillon des armes, mais ce sont aussi des mémoires, des lignées de fantômes.

Les bardes, quant à eux, ont une autre manière. Ils content les métamorphoses, les morts et les incarnations nouvelles, les multiples naissances du héros. Parfois, ils remontent jusqu’à mille hivers, et ils montrent que l’homme, la femme ou l’androgyne étaient déjà présents dans le lustre sombre du corbeau, dans l’écaille du saumon, dans la ramure du cerf. Enfant, je raffolais de ces chants ramifiés et fantasques ; ces mutations sans frein me faisaient rire. Elles me grisaient aussi, elles me donnaient le sentiment que le monde tout entier faisait partie de moi. Plus tard, j’en ai saisi la sagesse. L’homme que tu achèves, l’animal que tu abats, ils ont le même regard.

Jean-Philippe Jaworski, Même pas mort, Les Moutons électriques, 2013.

Tu te trouves âgé, homme qui ne voulait pas vieillir, tu te trouves figé, guerrier qui courrait à côté des années. Regarde-toi, te dis-je, encore brun pour quelques saisons, mais noyé dans ton château hors du temps, entouré par tes ours et ton chien. Même tes véritables dogues et tes vrais chevaux t’ont fui, l’homme. Tu vis sur les ruines de ce que tu as été, sur les décombres de ton monde, et tu ne trouves pas la force de gagner ce que te promettait ton dernier âge. Nous deux savons que la vieillesse n’est pas la mort et la déchéance, mais les années où l’on se change en pierre, où l’on devient inflexible et inébranlable. Mais toi… L’axe de ton monde a été brisé par l’usure du temps et les idées nouvelles. Il n’y a plus que toi pour croire que ce vieux frêne portera encore de frais bourgeons. Il est mort, crevé jusqu’à la moelle. Tu prends les crânes d’oiseaux polis par le vent qui pendent à ses branches pour les coquilles pleines de vie de la nichée à venir. Je te le redis, Sanglier : tu m’as traité de fantôme, mais c’est toi, toi qui es mort, rongé jusqu’aux racines par les vers de l’oubli. Tu te trouves étranger sur une terre étrangère, alors que tu as foulé les sentiers de ce pays quand tes cheveux étaient encore longs. Toute ta vie tu m’as cherché, un ennemi capable de te faire face, aussi puissant et invaincu que tu l’es, et maintenant que tu me trouves, enfin, je n’ai qu’à tendre la main pour te briser.

« Je ne devrais pas te le dire, mais tes yeux sont si vides que moi-même j’ai pitié. Je suis venu ici pour te faire mourir comme tu le mérites. Je peux te tuer. Nous pouvons combattre, ou bien tu peux choisir de laisser ta vie finir dans un lit, dans une époque que tu vomis, qui passera sur ton corps comme le chariot écrase le ver. Je suis ici pour toi, parce que tu m’as gagné, ta vie a été lourde et forte. Je peux t’offrir la mort que tu désires. ». Choisis, Sanglier. Choisis maintenant, et choisis bien.

Justine Niogret, Chien du heaume, Mnémos, 2009.

La lecture de ces extraits montre la richesse de style des écrivains de Fantasy, avec une langue travaillée, rythmée, poétique, et pourtant porteuse de gouaille.

 

 « La Fantasy c’est du pur divertissement, elle ne possède pas d’aspect réflexif »

 

J’ai gardé le cliché qui m’énerve le plus pour la fin, pour pouvoir finir cet article en beauté.

Ce non-argument se situe dans la même lignée que les précédents, et sert à ceux qui l’invoquent pour dénigrer le genre, non pas à travers son public ou sa littérarité, mais pour sa portée. La Fantasy ne serait alors qu’une « littérature d’évasion », de « divertissement pur », et par conséquent, on ne pourrait pas en tirer de matière pour des réflexions d’ordre politique ou philosophique.

J’imagine que ces personnes ne sont pas au courant que l’imagerie tolkiennienne a été récupérée par la contreculture hippie dans les années 1960, ou qu’en 1972, Norman Spinrad démontrait le « fascisme larvaire » (j’emprunte ce terme à la préface de Roland C. Wagner écrite pour la parution dans la collection FolioSF de Gallimard) de l’Heroic Fantasy avec Rêve de fer, méta-roman contenant un récit censément écrit par Adolf Hitler et dénonçant le conservatisme parfois nauséabond que l’on pouvait (et que l’on peut encore trouver, pas merci les Puppies les plus virulents) dans les récits de la Fantasy.

J’imagine que ces personnes ne savent pas non plus que la Fantasy est porteuse de propos politiques en faveur des actions écologiques, de la préservation de l’environnement, à travers des romans comme Khanaor (1983) de Francis Berthelot, La Geste du Sixième Royaume (2012) d’Adrien Tomas ou Rivages (2019) de Gauthier Guillemin. Qu’elle dénonce le racisme systémique et la manière dont s’orchestrent les génocides, avec La Terre fracturée (2016-2018) de N. K. Jemisin. Qu’elle démontre les ravages du capitalisme sur l’environnement et l’être humain dans Foundryside (2018) de Robert Jackson Bennett ou Le Sang du dragon (2017) d’Anthony Ryan. Qu’elle rejoint le combat féministe dans Chronique du pays des mères (1992) d’Elisabeth Vonarburg, ou plus récemment avec L’Alchimie de la pierre (2008), d’Ekaterina Sedia et Dans l’ombre de Paris (2019) de Morgan of Glencoe.

J’imagine que ces personnes n’ont pas conscience que la plupart des formes d’art peuvent conduire leurs spectateurs à la réflexion, même lorsqu’elles n’ambitionnent pas de révolutionner leur pensée. Peut-être qu’elles ne savent pas non plus qu’une œuvre d’art s’inscrit dans un contexte historique et sociétal qui peut se révéler éclairant lorsqu’on prend la peine de l’interroger, ou que le monde qu’elle décrit peutêtre mis en lien avec des réalités sombres de notre monde. Mais sans doute que ces individus ne connaissent tout simplement pas le principe du déplacement de problèmes réels vers un univers fictif, ce qui est pourtant le ressort de base de toute œuvre de fiction. N’ont-ils pas connaissance du placere et docere, qui consiste à instruire le spectateur d’une œuvre grâce au divertissement ? Tout cela invalide l’existence d’un divertissement supposément pur, qui ne susciterait pas de questions. Même une œuvre comme L’Agent des ombres (2004-2016) de Michel Robert, dotée d’une incroyable efficacité narrative, nous montre comment un individu se trouve manipulé par différents systèmes politiques, ce qui conduit inévitablement à des tragédies.

Vous qui pensez que la Fantasy ne peut pas faire réfléchir, instruire son lectorat, ou nourrir des réflexions critiques, je vous conseille vivement d’ouvrir un roman relevant du genre et de revenir argumenter en faveur de cette thèse.

À ce titre, je tiens à remercier les universitaires qui s’intéressent à la Fantasy et montrent sa richesse, tant stylistique que thématique, en lui donnant une véritable place dans le champ littéraire.

C’est là-dessus que je clos « L’Histoire de la Fantasy ». Une bibliographie des articles et ouvrages que j’ai utilisés sera bientôt disponible en téléchargement.

Je remercie encore l’équipe de communication de la BNF qui m’a permis d’inscrire cette série d’articles dans la Saison de la Fantasy, ainsi que les personnes qui m’ont aidé pour les corrections. Si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas à m’en faire part dans les commentaires. Le ton de ce dernier article était volontairement plus incisif, mais la Fantasy est à mon sens victime de trop de stéréotypes et, à mon humble échelle, je tenais à les combattre.

J’espère que cette série d’articles vous a plu, et croyez-moi, ce ne seront pas les seuls articles de fond que vous lirez sur le blog !

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18 commentaires sur “L’Histoire de la Fantasy (5/5) : Les clichés sur le genre

      1. Merci beaucoup ^^ En fait ton article me fait penser à un coup de gueule que j’avais fait sur mon blog par rapport à la littérature jeunesse et fantasy ; maintenant que je fais mon mémoire de master sur le steampunk, je peux enfin monter au créneau de manière plus constructive et ton article m’aide beaucoup 😀

        Aimé par 1 personne

  1. Magnifique conclusion ! Et c’est connu que la fantasy c’est pour les enfants voyons 😁 je crois que c’est définitivement le cliché qui m’énerve le plus…
    Je voulais te présenter mes félicitations pour cette série d’articles, tous ont été passionnants à découvrir !

    Aimé par 1 personne

  2. Bravo encore une fois ! C’est bien de remettre les pendules à l’heure ^^ Je crois que le stéréotype qui m’agace le plus (et que j’entends tout le temps, même au sein de salons littéraires dédiés aux littératures de l’imaginaire), c’est celui concernant la soi disant non réflexion du genre. Les références ne manquent pourtant pas !

    Aimé par 1 personne

  3. Bonjour à tous
    « La fantasy c’est pour les enfants  » …l’ayant cru à une époque j’avoue avoir raté un belle occasion de partager avec mes enfants une occasion d’assister au réenchantement du monde ..avec Tolkien.
    Bien des années plus tard je lis le seigneur des anneaux mai seul .
    Et je constate bien mon erreur, vu la qualité de certain écrivain comme J.P Jaworski aussi …
    En tout cas bravo pour vos chroniques de qualités .
    Merci

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