Les Meurtres de Molly Southbourne, de Tade Thompson

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’une novella de science-fiction horrifique qui traite de clonage, de sang et d’automassacre.

 

Les Meurtres de Molly Southbourne, de Tade Thompson

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Introduction

 

Tade Thompson est un écrivain britannique d’origine nigériane. Il exerce la profession de psychiatre. Il est l’auteur de la trilogie Rosewater, dont je vous parlerai sans doute cette année, et de novellas, dont Les Meurtres de Molly Southbourne, dont je vais vous parler aujourd’hui.

Les Meurtres de Molly Southbourne est originellement paru en 2017, et a été traduit par Jean-Daniel Brèque pour la collection Une Heure Lumière du Bélial’, qui l’ont publié en VF en 2019.

Voici la quatrième de couverture de cette novella :

« Molly est frappée par la pire des malédictions. Aussi les règles sont simples, et ses parents les lui assènent depuis son plus jeune âge :

Si tu vois une fille qui te ressemble, cours et bats-toi.

Ne saigne pas.

Si tu saignes, une compresse, le feu, du détergent.

Si tu trouves un trou, va chercher tes parents.

Molly se les récite souvent. Quand elle s’ennuie, elle se surprend à les répéter sans l’avoir voulu… Et si elle ignore d’où lui vient cette terrible affliction, elle n’en connaît en revanche que trop bien le prix. Celui du sang… »

Mon analyse de la novella traitera de la manière dont l’auteur dépeint un corps qui devient une source d’horreur et d’aliénation.

 

L’Analyse

 

Corps dédoublé, corps horrifique, corps massacré

 

Thade Thompson nous fait suivre, dans un monde similaire au nôtre, à la fin du 20ème siècle, ce qu’on observe dans le fait qu’Internet et les technologies comme les téléphones portables ne semblent pas totalement implantées, le personnage de Molly Southbourne. On observe également que le récit se déroule dans un monde où la fertilité humaine diminue, notamment dans les pays occidentaux. On devine alors que les problèmes qui affligent Molly Southbourne s’inscrivent sans doute dans des travaux de recherche expérimentaux visant à compenser cette baisse de la fertilité, avec des résultats sociaux néanmoins moindres que dans Les Hommes dénaturés de Nancy Kress.

 

Structurellement, la novella prend la forme d’un récit enchâssé, raconté par Molly Southbourne, une jeune femme qui détaille sa vie à l’une de ses prisonnières, attachée et enfermée dans une cave en sa compagnie. Le point de vue de la prisonnière, dont on devine l’identité à mesure de la progression du récit enchâssé, se retrouve donc dans le premier et le dernier chapitre de la novella, alors que l’histoire de Molly occupe le deuxième et le troisième chapitre. Le premier et le dernier chapitre sont écrits à la première personne, tandis que les deuxième et troisième parties du récit sont à la troisième personne, au point de vue interne, profondément marqué la subjectivité du personnage de Molly. Molly occupe donc une place centrale dans le récit, qui s’inscrit dans la science-fiction horrifique.

 

En effet, Molly Southbourne apparaît touchée par une sorte de pathologie qui fait que des clones, appelés « molly », sont générés à partir de son sang à chaque fois qu’elle en perd, à la suite de blessures ou lors de ses règles par exemple. Ces mollys, qui sont dissociées de Molly par leur statut de clones, notamment typographiquement par l’absence de majuscule à leur nom, qui les dépossèdent également d’une identité propre, ce qui renie leur statut d’individu, et les aliène (on y reviendra). Molly doit alors vivre de manière à perdre le moins de sang possible et à prendre garde lorsqu’elle en perd, lors de ses règles par exemple, puisque les mollys générées par ses saignements cherchent inévitablement à la tuer. Molly prend donc garde à ses pertes de sang, mais aussi, et surtout, tuer ses clones lorsqu’elles émergent, sous peine d’être elle-même tuée. Cette particularité physiologique est rationnalisée par un procédé science-fictif, exploré plus en détail dans la deuxième novella, La Survie de Molly Southbourne (dont je vous parlerai très prochainement).

 

Tade Thompson mobilise donc d’une certaine manière la figure du Doppelgänger, il y a fait même une référence explicite, de manière assez ironique lors d’un passage du texte durant lequel Molly se trouve en conflit avec ses parents. La figure du Doppelgänger est mobilisée à travers les mollys, qui cherchent à tuer la Molly Southbourne originale pour prendre sa place. Cette mobilisation du Doppelgänger permet à l’auteur d’ancrer son récit dans l’horreur, puisqu’elle permet de connoter les mollys de manière horrifique. Cette connotation est également montrée par la violence des mollys vis-à-vis de l’originale, qu’elles frappent, mordent et mutilent, avant d’être tuées, de manière plus ou moins graphique et spectaculaire.

 

D’ailleurs, Les Meurtres de Molly Southbourne s’inscrit dans la catégorie du body horror, qui constitue un registre au sein duquel les corps sont frappés, mutilés, et même parfois éclatés (oui oui), ou tout du moins soumis à une violence et des transformations qui n’ont rien de plaisant. Le body horror repose donc sur les registres du gore et du grotesque, auxquels se confronte le corps, qui se trouve profondément transformé et malmené. La novella de Tade Thompson s’inscrit dans ce genre, à travers les massacres commis par Molly sur ses doubles, qui sont décrits de manière extrêmement graphique et explicite, avec des démembrements, des éviscérations, et de la torture. On observe également que Molly, en plus d’être viscéralement violente avec ses doubles, se mutile elle-même.

 

Molly se trouve en effet aliénée par sa condition d’humaine non standard, qui la pousse à suivre des règles extrêmement strictes dans sa vie de tous les jours, au point qu’elle se les récite constamment, ce qu’on observe par leurs nombreuses occurrences au cours du récit (« Si tu saignes, une compresse, du feu, du détergent », « si tu vois une fille qui te ressemble, cours et bats toi »…). On peut alors affirmer que Molly est littéralement aliénée par elle-même, et ce de manière double (sans mauvais jeu de mots), à la fois parce que sa condition l’empêche de mener une vie sociale normale, mais aussi parce qu’elle se trouve perpétuellement dépossédée de son identité propre par des clones qui cherchent à l’éliminer.

Ces règles la conduisent à privilégier la survie et la prudence à une vie standard et la détruisent, puisqu’elle enchaîne les expériences violentes et traumatiques, mais aussi les divers entraînements à la survie dispensés par sa mère. Ainsi, arrivée à l’âge adulte, elle sait se battre et survivre, mais elle est également psychologiquement instable, puisqu’elle a déjà commis plusieurs dizaines de meurtres, parfois de sang-froid et par plaisir. Molly ne peut donc que difficilement trouver une vie stable, parce qu’elle se trouve fracturée par les expériences vécues à cause de sa condition particulière, ce qui peut rappeler les personnages d’Essun et de Nassun dans La Terre Fracturée de N. K. Jemisin. L’auto-mutilation et la violence physique, qui apparaissent frappants dans le roman, servent alors, d’une certaine manière, à illustrer la souffrance psychologique de Molly, qui doit littéralement et constamment se tuer elle-même pour survivre. Cette tension qui agite le personnage se retrouve jusque dans le titre de la novella, puisque Les Meurtres de Molly Southbourne (The Murders of Molly Southbourne en VO) peut autant désigner les violences commises par Molly sur ses doubles, que les violences subies par les doubles de Molly.

 

Dans son excellente chronique de la novella, la camarade Aelinel met en évidence la manière dont Les Meurtres de Molly Southbourne constituent une sorte de métaphore de la résilience, c’est-à-dire du dépassement de soi après une expérience traumatique, qui consiste d’une certaine à se tuer métaphoriquement pour éviter la dépression, ce que Molly ne peut pas faire puisqu’elle tue littéralement ses doubles et reste donc la même personne, ce qu’on observe par l’amplification de son instabilité psychologique. Une autre interprétation pourrait être que si Molly tue ses doubles, causant par-là divers traumatismes ne pouvant être guéris, elle se renforce néanmoins sur le plan physique et intellectuel, puisqu’elle doit perfectionner ses techniques de combat et être suffisamment rusée pour tenir ses clones en échec. On observe alors une disproportion entre les capacités martiales de Molly, et son état de santé mentale, qu’elle ne peut dépasser ou guérir.

 

Les mollys apparaissent également aliénées, puisqu’elles sont dépossédées d’une identité propre, parce qu’elles sont calquées sur le modèle de Molly, et malgré le fait qu’elles disposent d’une intelligence, qui se développe à mesure que l’originale grandit et acquiert de l’expérience, de même que leur langage. Elles sont donc réifiées par Molly et ses parents, qui cherchent à les éliminer de manière systématique. On observe alors que les clones de Molly valent bien moins que leur originale aux yeux de ses parents et aux yeux du personnage, quand bien même cette dernière cherche à leur donner une chance, ce qu’on observe à la fin de la novella.

 

Le mot de la fin

 

Les Meurtres de Molly Southbourne décrit le conflit intérieur d’une jeune femme dont le sang génère des clones dangereux.

Tade Thompson dépeint les troubles de Molly Southbourne, aliénée par sa condition et les meurtres qu’elle commet sur les « mollys », des doubles qui ont son apparence mais cherchent à la tuer. La novella s’inscrit alors dans le genre du body horror, à travers la violence de ce que Molly s’inflige à elle-même, à la fois lors de ses affrontements avec ses doubles et dans les souffrances qu’elle endure, physiques comme psychologiques.

Cette novella m’a permis de découvrir Tade Thompson, et je vous la recommande ! J’ai également lu sa suite, intitulée La Survie de Molly Southbourne, et j’ai beaucoup aimé.

Vous pouvez également consulter les chroniques d’Apophis, Aelinel, Célindanaé, FeydRautha, Gromovar, Artemus Dada, Boudicca, Dionysos, Le Chien critique, Touchez mon blog Monseigneur, Lutin, Tachan, Symphonie, L’Ours Inculte, Elhyandra, Anouchka, Yogo, Lorkhan, Blackwolf, Kellen, Lise Capitan, Xeno Swarm, Xapur, Rêvelecteur, Hyper Empathe, Tigger Lilly

 

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