Interview de Jeanne Mariem Corrèze

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de te proposer une interview de Jeanne Mariem Corrèze, autrice du Chant des cavalières, paru en Février 2020 chez les Moutons Electriques !

Je vous rappelle que vous pouvez retrouver toutes les interviews d’auteurs grâce au tag « Interview », ou dans le menu du blog.

Je remercie chaleureusement Jeanne Mariem Corrèze pour ses réponses détaillées, et sur ce, je lui laisse la parole !

chant-cavalieres

Interview de Jeanne Mariem Corrèze

 

Marc : Peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?

Jeanne Mariem Corrèze : Argh, la question la plus difficile. Heu… Je suis une autrice de 25 ans, qui exerce le métier de surveillante en collège dans la vie de tous les jours et le Chant des cavalières est mon premier roman. J’ai une grande passion pour les promenades en forêt et les baignades dans l’océan.

 

Marc : As-tu toujours voulu devenir autrice ? Qu’est-ce que qui t’a amenée à l’écriture, et à l’imaginaire ?

Jeanne Mariem Corrèze : Hm, il me semble avoir dit une fois à l’école que je voulais devenir écrivaine ? Donc je pense que ça remonte à quelques années. Sinon, je ne sais pas, j’ai écris des tas de début d’histoire dans des tas de cahiers de brouillon (ceux en papier recyclé avec une couverture bleue) mais sans jamais finir quoi que ce soit. Pourtant, ça ne m’a pas découragé et j’ai continué d’écrire jusqu’à aujourd’hui !

 

Marc : Le Chant des cavalières est ton premier roman. Comment s’est déroulée sa rédaction ? As-tu des anecdotes à partager ?

Jeanne Mariem Corrèze : J’ai l’impression d’avoir écrit très lentement ? Je suis facilement déconcentrée et mon bureau se trouve juste à côté d’une fenêtre, donc dès qu’il se passe quelque chose dehors (ou pas) je dérive, héhé. Je passe aussi par de longue phase de démoralisation où je n’écris rien pendant des mois et ensuite j’arrive à retrouver à rythme correct et je peux reprendre.

Je sais pas si j’ai des anecdotes très intéressantes… J’ai relu et fini Cavalières dans les Landes, près de l’océan, où je suis toujours plus inspirée pour écrire. Je me suis levée chaque jour à 7h du mat pour écrire, ce que je n’avais jamais fait de ma vie.

Sur un côté plus technique, la rédaction m’a pris deux ans et demi. J’écrivais quelques chapitres et je les envoyais au meilleur directeur littéraire du système solaire, Julien Bétan, et ainsi de suite.  A la fin il y a eu deux relectures à l’automne 2019 et voilà !

 

Marc : Que penses-tu de la couverture de ton roman, réalisée par Melchior Ascaride ?

Jeanne Mariem Corrèze : Elle est absolument MA.GNI.FI.QUE. Je l’ai découverte cet été et j’ai hurlé dans la voiture pendant 10 minutes, je crois. Elle augmente la qualité de mon livre par 125%.

En plus, il y a plein de détails chouettes, les rabats aux feuilles de chênes, la goutte de sang sous le V de cavalières, l’abeille sur l’une des premières pages, vraiment grâce à lui mon livre est trop beau !

 

Marc : Le Chant des cavalières met en avant beaucoup de figures et de personnages féminins. Pourquoi avoir mis l’accent sur ces figures, particulièrement à travers l’ordre des cavalières ?

Jeanne Mariem Corrèze : Très franchement, je sortais de beaucoup de lectures de fantasy francophone pleines de mecs partis se battre entre couillus, urgh… Aussi belle soit la plume, c’est très lassant.

Donc mon but dans l’écriture est clairement d’équilibrer la balance en rajoutant à la pelle des personnages féminins, jusqu’à qu’il y ait en fantasy francophone autant de femmes que d’hommes. Et puis, plus j’écris de femmes plus mes personnages sont variés et plus j’évite des écueils clichés. Une seule femme ne devrait pas avoir à porter sur ces épaules la représentation de 3,5 milliards d’être humains.

 

Marc : Ton roman fait des références explicites à la légende Arthurienne, à travers le nom de Sophie, Pendragon, le motif de l’épée figée dans la pierre, mais aussi le personnage de Myrddin, qui est le nom gallois de Merlin. Pourquoi avoir choisi de faire référence au mythe Arthurien ?

Jeanne Mariem Corrèze : Au tout début, Le Chant des cavalières devait être une réécriture de légende arthurienne mais féminisée, avec une Reine au lieu d’Arthur, etc. (et bien sûr toutes ces chevalières auraient été lesbiennes parce qu’on manque encore de représentation LGBT). Cette première version a énormément évolué, mais quelques aspects demeurent.

Pour Myrddin, je pense qu’il était plus facile de construire une aura de mystère légendaire autour de ce magicien que tout le monde connait de nom, si le dit nom est déjà évocateur d’une certaine renommée auprès des lecteurices.

 

Marc : On peut d’ailleurs relever que les figures arthuriennes du roman, Myrddin mis à part, sont féminisées. Pourquoi avoir choisi de dépeindre des figures d’héroïnes arthuriennes, telles que Sophie, ou légendaires, comme Maude ?

Jeanne Mariem Corrèze : De façon très basique, je suis super fan de mythologie arthurienne donc forcément il se devait d’y avoir des figures y faisant référence dans mon roman. Le personnage de Sophie a des similitudes (manipulations mises à part, je suppose, encore que) avec le jeune Arthur de T.H. Whites dans The Once and future king. Je suis bien plus intéressée par le récit d’un.e jeune héro.ïne que d’une figure adulte, surtout dans le cas des manipulations dont est victime Sophie. De plus, rien que féminiser l’archétype de l’élu, cela donne plus d’intérêt à n’importe quelle histoire. C’est un peu la même idée pour Maude, complétée, à mon sens, par le modèle de gouvernement de femmes de Sarda.

 

Marc : A travers les cavalières et les figures arthuriennes que tu décris, on peut affirmer que Le Chant des cavalières traite de questions de genre. Est-ce que tu qualifierais ton roman de militant ? Que penses-tu du fait d’aborder les questions de genre à travers la Fantasy ?

Jeanne Mariem Corrèze : Absolument, oui. J’espère qu’il y aura des gens pour râler parce que « y’a trop de meufs » héhé. J’avais la très claire intention de renverser l’idée du groupe de bonhommes partant en guerre, je voulais autres choses que des femmes qui soient des mères ou des putes (bien que ce soit un métier respectable, mais les auteurs se sont rarement renseignés sur le sujet). Et la majorité de mes personnages sont queer. Berhane est une femme trans et lesbienne (et grosse parce que les corps qui se ressemblent tous, c’est relou), Pèn est lesbienne, Sophie est lesbienne, Bri est pansexuelle et même le Prince Roland n’en a pas que pincé pour Eliane tout au long de sa vie.

Je pense que la fantasy est le genre (haha) parfait pour aborder ces questions mais aussi tout simplement proposer des histoires et des personnages variés. Un auteur de fantasy qui choisit de n’avoir que des mecs blancs cis-genre dans son roman n’a vraiment aucune excuse. C’est un choix conscient de ne pas vouloir représenter autre chose que lui-même.

 

Marc : Les dragons que chevauchent les cavalières ont des becs et des plumes. Pourquoi les avoir décrits de cette façon plutôt que de manière classique ? Est-ce que c’est un clin d’œil aux Chocobos de Final Fantasy ?

Jeanne Mariem Corrèze : Je pense qu’il est temps d’avouer, mes dragons sont en fait des griffons (avec un peu d’écailles). Mais le mot dragon est vachement plus cool et évoque chez les lecteurices tout autre chose que le mot griffon.

Je n’ai jamais joué à Final Fantasy, je crois, donc non pas de clin d’œil de ce côté-là. Seulement l’envie d’avoir des dragons un peu uniques et qui seraient différents des descriptions habituelles. Et puis, si l’on y regarde de près, il n’y a quasiment que des oiseaux (et des insectes) dans mon univers, les dragons font partis de cette faune-là.

 

Marc : Les adversaires des cavalières, les Sabès, disposent d’armes à feu, ce qui montre que le monde que tu décris est postmédiéval. Pourquoi avoir choisi d’implanter un écart technologique entre le royaume de Sarda et les Sabès ? Que penses-tu de la modernisation technologique des mondes alternatifs de Fantasy ?

Jeanne Mariem Corrèze : Hmm, je ne sais pas comment qualifier l’univers de Sarda. Le niveau technologique du royaume repose entièrement sur des présupposés historico-approximatif que j’ai construit en lisant beaucoup de fantasy et pas un seul ouvrage historique.  On se rapproche un peu de la France prérévolutionnaire avec trois classes distinctes : noble, clergé (les cavalières) et paysannes/artisanes, ce qui pose les bases de la volonté de révolution de certaines personnages.

Je voulais une différence technologique avec les Sabès pour expliquer la mainmise de ces derniers sur le Sarda. Et aussi pour suggérer que possiblement, depuis trente ans et la signature du traité de reddition du royaume, les Sabès ont empêché la progression technologique de Sarda, par leur domination économique et politique.

Effectivement, je pense que la fantasy peut s’affranchir des mondes médiévaux, en tout cas elle peut s’éloigner des mondes médiévaux occidentaux, pour commencer.

 

Marc : Sans trop rentrer dans les détails, Le Chant des cavalières joue les codes classiques de la Fantasy. Pourquoi avoir choisi d’écrire un roman qui distord les codes ?

Jeanne Mariem Corrèze : Je dirai que Le Chant des cavalières se trouve à la croisée du classique et du novateur (c’est très pompeux de dire ça hihi), à la fois racontant une quête initiatique et à la fois présentant un très grand panel de personnages féminins, à la fois des magiciens et des épées légendaires et des mentors à qui on ne peut pas faire confiance.

 

Marc : Par exemple, le personnage de Sophie Pendragon, remet en question le topos du personnage Elu, très présent en Fantasy, parce qu’elle est, par beaucoup d’aspects, une Elue artificielle, manipulée par des intérêts et des ambitions qui la dépassent. Pourquoi avoir fait de Sophie une sorte d’héroïne manipulée, presque aliénée par son statut ?

Jeanne Mariem Corrèze : Je voulais pour le coup jouer clairement avec la notion d’Elu, en faire une marionnette et non pas une figure choisie des dieux ou je ne sais quoi. Elle n’est choisie que pour sa (possible) ressemblance physique avec la Reine Maude et parce qu’on peut la manipuler depuis sa plus tendre enfance, afin de la façonner et de la contrôler.

Cela, pour certain, rend le personnage assez fade, ce que je peux entendre. Cependant, pour moi, l’histoire de Sophie s’approchait beaucoup d’une histoire de coming-out. Elle se cache pendant si longtemps et, enfin, un jour elle se révèle aux autres et à elle-même telle qu’elle est vraiment. Donc, non, tant qu’elle n’a pas la possibilité de sortir de l’ombre en sécurité, elle obéit… Cela découle aussi de son envie de plaire, d’être reconnue par ses paires, d’être acceptée dans une communauté où elle n’a, en fait, peut-être pas sa place.

 

Marc : En détournant la figure de l’Elu, tu détournes aussi les figures de mentor de Sophie, avec les personnages de Frêne, d’Eliane, mais aussi et surtout, Acquilon, l’ancienne Matriarche de la forteresse de Nordeau, qui, par-delà la mort, conseille et manipule Sophie. Pourquoi avoir créé des figures de mentors manipulateurs ?

Jeanne Mariem Corrèze : C’est là où je dois parler de mes problèmes avec mes parents ?

Haha ^^

 

Marc : On observe que les questions politiques sont au cœur du roman, avec le fait que l’Intendante Berhane et d’autres cavalières cherchent à faire naître une République qui succèderait au Royaume de Sarda. Pourquoi mettre en scène des partisans d’une République ?

Jeanne Mariem Corrèze : Je suis une ardente républicaine (pas le parti de Sarko et François « Rend l’argent » Fillon, non), je déteste cordialement toute royauté et je pense qu’une petite révolution n’a jamais fait de mal à personne.

Il était inconcevable pour moi de n’avoir que des partisanes royalistes dans la politique de Sarda, puisqu’elles ont fondamentalement tort de vouloir un autre système que la démocratie. C’est là que Berhane (qui est la plus sage et l’un de mes personnages préférés) intervient. Les actions de son groupe ne sont peut-être pas toujours justes mais elles sont issues d’une volonté populaire exprimée par des élections et par là même plus cohérentes que celles d’Acquilon ou d’Eliane.

 

Marc : Les questions politiques du roman rejoignent d’ailleurs celles autour de la figure de l’Elue, puisque Sophie se trouve aussi, malgré elle, au cœur d’intrigues politiques. Pourquoi faire d’un personnage Elu un objet politique ?

Jeanne Mariem Corrèze : Il y a toujours une volonté politique derrière un Elu, même si elle est rarement assumée par lui ou elle-même, ou par son auteurice. Vouloir placer sur le trône un autre que le roi en place n’est pas plus moral que de vouloir garder le roi actuel. Quelqu’un a dit un jour, la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres? Je voulais qu’il y ait une part de ce discours dans mon roman, même si ce n’est pas la trame principale. L’aventure est avant tout intime et introspective. C’est à l’intérieur des personnages que se déroulent les grands chamboulements.

On observe aussi que l’Histoire de Sarda est également utilisée comme instrument politique, puisque certaines, à travers Sophie, veulent restaurer la grandeur passée du Royaume des cavalières. Pourquoi décrire une instrumentalisation de l’Histoire ?

La manipulation de l’Histoire est la première chose que feront les puissants pour tenter de contrôler celleux qu’ils oppriment. Ils mentiront et ils réécriront, afin que nous oubliions et nous soumettions à leur volonté. C’est ce qu’il s’est passé avec la Terreur, ce qu’il se passe encore de nos jours avec les négationnistes qui entretiennent l’antisémitisme, ou avec les personnes qui oublient que Marsha P. Johnson, l’une des leaders des émeutes de Stonewall, était une femme trans, noir et travailleuse du sexe.

L’Histoire sans la politique n’existe pas. Même celle que nous apprenons à l’école a été décidée par le ministère de l’éducation nationale, par les centaines de personnes qui l’ont réécrite à travers les années. Ne dit-on pas : l’histoire est écrite par les vainqueurs ?

 Il est pour moi trop important de toujours questionner l’usage que l’on fait de l’Histoire, pour ne pas la reproduire.

 

Marc : Sans trop rentrer dans les détails, les motivations de Myrrdin sont à la fois machiavéliques et dotées d’une grande part de tragique. Pourquoi avoir décrit un personnage dont les motivations sont autant politiques qu’intimes ?

Jeanne Mariem Corrèze : (je suis bien contente que tu soulèves ce point, j’espérais que quelqu’un le remarque)

Si je dois être parfaitement honnête, Myrddin est mon personnage préféré. Ce n’est pas celui qui est le plus proche de moi, mais c’est celui pour lequel j’ai le plus de sympathie (avec Berhane) (et Pèn) (et Sophie) (bref). Du coup, je ne sais pas si cela explique l’intime de son histoire ou si c’est l’intime de son histoire qui explique que je l’aime ?

Je crois penser qu’on ne peut pas totalement séparer l’intime du politique. En tout cas, je ne voulais pas le faire pour Myrddin, je voulais qu’on puisse aller au-delà de ses machinations pour comprendre ses motivations, qu’il soit un peu humain en dessous de son verni de légende.

Cela étant dit, ses actions restent condamnables. Après tout, tout arrive à cause de lui…

 

Marc : On remarque que la manière dont Eliane glorifie la guerre contraste énormément avec la façon dont tu dépeins sa réalité lorsque les cavalières se confrontent aux Sabès. Pourquoi avoir marqué ce contraste à ce point ?

Jeanne Mariem Corrèze : Je rejoins Tolkien sur ce point. La guerre n’est pas belle, n’est pas glorieuse, n’est pas souhaitable. Elle détruit des vies, des âmes, des corps.

La glorification de la guerre en fantasy est, à mon avis, dangereuse. Tout comme celle de la royauté (tous les délires autour des monarques justes et bienveillants faut arrêter à un moment…). Je ne pouvais décemment pas présenter la guerre entre les Sabès et Sarda comme une bataille épique. C’était inconcevable. Donc je ne décris pas les batailles (déso pas déso) mais j’appuie sur les conséquences de la guerre, les blessés, les mortes, la destruction de toutes les belles choses et l’impossible retour à un état de paix, pour celleux qui l’ont traversé.

 

Marc : Sur quels projets travailles-tu en ce moment ? Est-ce qu’un autre roman dans l’univers du Chant des cavalières est envisageable ?

Jeanne Mariem Corrèze : Je travaille effectivement sur un roman dans le même univers que Le Chant des cavalières (d’ailleurs toutes les idées que j’ai en tête pour le moment se déroulent dans cet univers-là, héhé), ce sera sur la jeunesse de Myrddin, l’origine de ses pouvoirs et les mondes qu’il a visité durant sa longue existence. Je ne sais pas encore s’il recoupera Le Chant des cavalières, même si je sais déjà ce qu’il se passe après le départ de Sophie. Si j’écris un jour une suite, ce sera Berhane la personnage principale.

 

Marc : Quels conseils donnerais-tu aux jeunes auteurs ?

Jeanne Mariem Corrèze : Lis beaucoup, va faire de la rando dehors, surtout quand il pleut, et écris, à chaque fois que tu en as envie et aussi quand tu ne veux pas.

(Et sors des sentiers battus, surtout les tiens.)

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3 commentaires sur “Interview de Jeanne Mariem Corrèze

  1. Merci pour cette interview très intéressante 🙂 J’avais beaucoup aimé le roman et les réponses de l’autrice confirment mon opinion, notamment lorsqu’elle parle de la glorification de la guerre et de la royauté en fantasy (je me suis replongée dans l’histoire de la Révolution française et je sature un peu des monarchies en ce moment ^^) et de la représentation des femmes dans le genre. Bref, merci, c’est très instructif et ça donne envie de poursuivre la découverte des textes de l’autrice.

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