Interview de Léafar Izen

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de te proposer une interview de Léafar Izen, auteur de La Marche du Levant, aux éditions Albin Michel Imaginaire.

Je vous rappelle que vous pouvez retrouver toutes les interviews grâce au tag « Interview » ou dans le menu du blog.

Je remercie chaleureusement Léafar Izen pour ses réponses détaillées, et sur ce, je lui laisse la parole !

Interview de Léafar Izen


Marc : Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?

Léafar Izen : En général, je préfère parler de bouquins, d’infini ou des idées plus ou moins saugrenues qui me passent par la tête… Mais en quelques mots : une enfance très libre, dans la nature, dont je garde beaucoup de bons souvenirs, entre le Languedoc et les Cévennes. Une quinzaine d’années à Paris : ingénieur en informatique la journée, gonzo-journaliste-fêtard la nuit… Une expérience exténuante que je ne regrette pas mais à laquelle je suis content d’avoir tourné le dos. À 35 ans, j’ai tout plaqué pour tenter l’aventure en Patagonie Chilienne : chambres d’hôtes et table d’hôte sur le volcan Calbuco. Une très belle aventure de sept ans qui s’est terminée très brutalement dans un feu d’artifice éruptif, en avril 2015. C’est à cette occasion que j’ai « décidé » de me lancer corps et âme dans l’écriture.


Marc : Avez-vous toujours voulu devenir écrivain ? Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture, et plus particulièrement aux genres de l’imaginaire ?

Léafar Izen : Depuis tout gosse, j’avais déjà ce rêve de devenir écrivain. Sauf que ce rêve, comme beaucoup de rêves, était rangé aux oubliettes… Ce que j’ai vécu au Chili a clairement secoué le cocotier et m’a rappelé qu’au fond, ce qu’il y a de plus important dans la vie, ce sont nos rêves.

Gamin, j’ai découvert le plaisir de lire grâce à la littérature imaginaire : Tolkien a été une révélation absolue. Se coltiner Le seigneur des anneaux à 11 ans, mieux vaut être motivé ! Les « livres dont vous êtes le héros » m’ont ensuite beaucoup aidé à aimer lire. C’est d’ailleurs un conseil que je donnerais aux parents qui ne savent pas comment intéresser leur progéniture à la lecture.

Cependant, ce n’est pas à ce genre que je me suis attaqué en premier lieu. De 2015 à 2018, l’inspiration est surtout venue sous forme de poésie, j’en étais le premier surpris. Il y a eu aussi cette Hypothèse du Tout, un essai de (méta)physique qui s’est imposé en quelques semaines, comme s’il était dicté et que je ne faisais que tenir le stylo… Une expérience stupéfiante. Là encore, je n’aurais jamais pensé écrire quelque chose de cette nature, ni sur le fond ni sur la forme. Mais le texte s’invitait de force, impossible d’y résister. Beaucoup de mes certitudes matérialistes et rationalistes venaient de voler en éclats et le puzzle s’est recomposé de cette manière. Cette hypothèse est un sacré renversement de paradigme. Ceux qui se risquent à lire cet OVNI en ressortent agréablement ébranlés…

Marc : La Marche du Levant est votre premier roman. Comment l’idée de son univers vous est-elle venue ?

Léafar Izen : C’est en réalité mon second roman. Le premier s’intitule Grand Centre. Une fiction qui tient autant du thriller d’anticipation que du roman existentiel… Petite diffusion mais de bons retours.

Quant à l’idée de La Marche du Levant, je me souviens parfaitement du soir où elle a germé. Avec une amie, nous contemplions la pleine lune, discutant des raisons pour laquelle elle nous montrait toujours la même bouille… Et le tropisme de La Marche est venu : ce serait marrant de camper un roman sur une terre qui ne tourne plus, ou presque plus ! Cette nuit-là, j’ai peu dormi, les idées se bousculaient, en particulier cette notion de nomadisme forcé qui me plaisait beaucoup.

Par la suite, j’ai découvert que de telles planètes seraient assez courantes dans notre univers. On les appelle les « eyes ball planets ».


Marc : Comment s’est déroulée la rédaction du roman ?

Léafar Izen : J’ai su très vite comment le roman se terminerait. Le dévoilement final… Le décor était là, l’objectif aussi, avec pour ambition un roman assez copieux se déroulant sur un temps long : le temps d’une vie…

Un scénario pour aller du point A au point B me paraissait indispensable. J’ai rédigé ce scénario d’une trentaine de pages… Il n’a servi à rien, ou presque. Dès le troisième chapitre, l’histoire prenait la tangente. J’ai également dressé le portrait de mes personnages principaux, là encore, ils n’en ont fait qu’à leur tête… Suivre un chemin balisé ne correspond pas à ma façon d’écrire. Au contraire, ce que je recherche dans l’écriture, c’est un état de rêve éveillé. Ne plus trop penser, laisser l’histoire s’inventer, avec le minimum de préméditation. Ce n’est qu’a posteriori que le sens symbolique s’impose, ou pas…


Marc : Comment s’est déroulé son processus éditorial ?

Léafar Izen : Lorsque ce gros roman a été achevé, je pensais le diffuser à ma manière : trois tomes mis en page par mézigue, auto édition, ventes de quelques exemplaires sur internet et sur les marchés cévenols, entre le stand fruits et légumes et celui du fromage de chèvre… J’avais eu beaucoup de plaisir à l’écrire et si quelques dizaines de personnes pouvaient avoir du plaisir à le lire, ça me convenait.

Par acquis de conscience, j’ai quand même envoyé le manuscrit à une douzaine d’éditeurs triés sur le volet, bien décidé à ne pas attendre les douze lettres de refus qui tarderaient douze mois à me parvenir…

Mais c’était sans compter sur l’infatigable Gilles Dumay (alias Thomas Day à la scène). Une quinzaine de jours après avoir transmis le manuscrit via le site www.albin-michel-imaginaire.fr, Gilles prenait contact avec moi. Je ne le connaissais ni comme éditeur, ni comme auteur. Pour ma défense, depuis vingt ans, mes lectures étaient devenues archi classiques. Wikipedia m’a aidé à comprendre à qui j’avais affaire. Deux mois de suspense, le temps que Gilles obtienne le feu vert en haut lieu… Puis un coup de fil de Gilles, en juillet 2019, alors que je lézardais sur le granit au bord du Tarn… Un grand moment.

Le processus éditorial était une expérience toute nouvelle. C’est une chance pour un auteur solitaire de bénéficier de l’œil de lynx de spécialistes. Gilles d’abord, puis les relecteurs de copie d’Albin Michel. Ce regard extérieur permet d’identifier beaucoup de lourdeurs et d’imperfections que vous n’êtes plus capable de voir, à force d’avoir trop lu et relu votre propre texte. Ce travail de relecture est toujours fait dans le plus grand respect de l’auteur.

La création de la couverture est une étape très intéressante. Sur celle de La Marche Du Levant, j’ai eu la chance de travailler avec Hervé Leblan. Un rendu entre peinture classique et BD, un tableau dans lequel on a envie de sauter pour partir à l’aventure… En premier lieu, les images sont emprisonnées dans la tête de l’auteur. C’est émouvant lorsque, pour la première fois, vous vous retrouvez face à une image concrète sorti de l’esprit d’une tierce personne.


Marc : Avez-vous des anecdotes à partager ?

Léafar Izen : Quelques semaines avant ce conte de fée, je passais quelques derniers jours en compagnie de ma fille au Chili. Elle me voit bidouiller mes livres depuis quelques années, ça l’interpelle. À dix ans, elle est déjà une grande lectrice. Elle savait que je venais de terminer ce grand conte pour adulte intitulé La Marche Du Levant. Elle avait déjà exigé que je lui raconte toute l’histoire en détail à trois reprises… Elle ne comprenait pas tout mais ça lui plaisait bien. Mes histoires d’infini-brocoli et de (méta)physique l’intéressent aussi…. Chez les enfants, l’instinct du merveilleux est encore intact…

Alors, elle m’a posé cette question : « Papa, tu crois qu’après ta mort tu seras célèbre ? ». Une question désopilante. Ma fille a clairement été une motivation pour écrire. Pour lui transmettre le goût de rêver et de poursuivre ses rêves. Car au fond, les rêves, il n’y a que ça de vrai…


Marc : Votre roman met en scène une Terre dont la rotation s’effectue en 300 ans, ce qui pousse certaines populations, à l’image de la Marche du Levant, à adopter un mode de vie perpétuellement nomade, ce qu’on observe à travers la ville d’Odessa, qui se déplace de 300 pas par jour pour se maintenir entre les déserts et la glace. Cela peut rapprocher votre monde de la Terre Mourante de Jack Vance. Pourquoi avoir choisi de décrire un monde où l’humanité doit vivre de manière nomade pour se préserver ?

Léafar Izen : Vous n’êtes pas le premier à comparer La Marche à La Terre Mourante de Jack Vance. Je ne l’ai pas lu, il faudra que j’y remédie… Il faut croire que nous avons tous dans la tête des schémas assez classiques. Des archétypes…

Le nomadisme m’a toujours beaucoup intéressé, dans ce monde où la sédentarité est de rigueur. Le nomadisme correspond à une période où l’humanité est encore tenue en respect par les puissances de la nature. À cette époque, ses croyances sont généralement animistes : la nature est perçue comme magique, sacrée, d’essence spirituelle. L’homme nomade entretient un rapport de crainte, de respect, d’allégeance avec la nature.

Avec la sédentarité, l’homme se place en maître de la nature, il devient cultivateur, bâti des citées, des empires. La nature perd progressivement son caractère sacré. On désacralise d’abord, les éléments, les montagnes, les fleuves, les pierres, les plantes… En même temps qu’on domestique les bêtes, on les prive d’âme, avant de finir par désacraliser l’homme lui-même, avec les conséquences qu’on connait… Les conditions particulièrement hostiles de la terre dans le roman replongent l’humanité dans un nomadisme forcé. Des conditions d’existence âpres mais qui re-sacralisent leur rapport au monde d’une certaine manière…


Marc : On reconnaît notre Terre dans les noms propres que vous utilisez pour décrire les zones géographiques (Amerika, Siberia, Atlantika, Europa, l’Oural…). Pourquoi avoir choisi de situer votre récit dans un monde qui nous est familier ? Pourquoi avoir transformé une Terre perçue comme actuellement hospitalière en environnement hostile ?

Léafar Izen : C’était une bonne occasion d’explorer comment notre rapport à l’espace, aux éléments, à nos conditions de vie, pouvait influencer le système de croyance qu’on se façonne. Une façon également de dire que le confort que nous offre la terre aujourd’hui n’est pas forcément acquis.

Ensuite, il y a un autre message, qui ne se révèle qu’à la fin, mais je ne peux pas en dire plus…


Marc : L’humanité que vous décrivez est également victime d’une régression technologique, puisqu’elle est pré-industrielle. Pourquoi avoir mis en scène un tel niveau de technologie ?

Léafar Izen : D’une part, j’avais rudement envie de renouer avec mes rêves d’enfant. L’univers médiéval fantastique est mon terrain onirique… La littérature fantastique offre toutes les libertés.

D’autre part, ça me paraissait intéressant de profiter du tropisme hostile de cette terre pour suggérer que le développement technologique de l’humanité n’est pas nécessairement un long fleuve tranquille. Qu’un effondrement et des conditions extrêmes peuvent aussi mener à l’oubli de certains savoir, de certaines technologies. Mais cela ne fait pas pour autant des habitants de La Marche Du Levant des sauvages arriérés. Si leurs technologies sont rudimentaires, leurs émotions et leurs espoirs ne le sont pas. En outre, ce qu’ils ont perdus sur le terrain technique semble en partie compensé sur le terrain spirituel, du moins pour certains.


Marc : On observe que les décisions politiques prises par les personnages de votre roman doivent s’effectuer à (très) long terme, notamment lorsqu’elles visent à décider des déplacements d’Odessa, qui prennent plusieurs années. Pourquoi interroger des choix politiques sur le long cours ?

Léafar Izen : Le fait que les humains soient contraints au déplacement leur interdit de se reposer sur leurs lauriers, comme pourrait le faire un empire sédentaire. Le voyage et la géographie impose une remise en question permanente.

En outre, on pourrait dire que le personnage principal de ce roman n’est ni Célérya, ni Akeyra, ni Oroverne… Le personnage central, c’est le temps ! Ce Long Jour de 300 ans agit comme un métronome, une horloge impitoyable. Le questionnement sur le temps est omniprésent dans l’œuvre, depuis l’avertissement initial, jusqu’à l’épilogue.

Si vous prêtez attention au rythme du récit, vous constatez qu’il s’accélère. Vers la fin du récit, les décennies défilent… Les protagonistes vieillissent, le temps leur échappe et le récit semble contempler leurs existences de très haut… Comme si Khron, l’impitoyable Dieu du temps, prenait la plume et décrivait le devenir des hommes du haut de son indifférence.

L’Archiprêtre, en tant que souverain, est celui qui semble le plus préoccupé par la politique à long terme. Ce n’est certes pas un personnage très reluisant, mais d’une certaine façon, il n’est qu’une victime de ce temps impitoyable. Plus que tout autre, il est terrorisé par l’idée de disparaître sans avoir laissé de trace, dans ce monde où tout s’efface. Son humour cynique et ses calculs machiavéliques sont une façon de conjurer sa mortalité. Beaucoup de chroniqueurs l’ont vu comme l’archétype du méchant absolu, mais je ne peux m’empêcher de lui trouver certaines circonstances atténuantes.


Marc : Odessa organise aussi sa route de manière à s’approvisionner en « bois planté » par son avant-garde plusieurs années auparavant, ce qui témoigne encore de l’équilibre précaire dans lequel vit cette cité, mais également de son rapport à la nature, avec laquelle elle doit composer pour se maintenir. Est-ce que vous qualifieriez Odessa de société dotée de préoccupations écologiques ?

Léafar Izen : Les protagonistes de La Marche Du Levant n’ont aucune préoccupation écologique, pour la bonne et simple raison qu’ils ne sont que quelques millions à survivre sur cette planète. La trace que laisse cette humanité sur la terre n’est qu’un dessin à la craie. Un dessin bientôt effacé par le coup d’éponge du Long Jour… Dans le monde de La Marche, la nature est redevenue toute puissante et l’humanité une chose fragile, précaire…

Cependant, l’épilogue donne une dimension écologique à l’œuvre, comme vous l’avez remarqué.


Marc : Votre roman joue avec les notions d’Élu et de prophétie, à travers le personnage d’Akeyra et ceux qui croient en elle et aux changements qu’elle peut apporter à son univers à travers la destinée qu’on lui attribue. Pourquoi avoir choisi de jouer avec ces notions ? Souhaitiez-vous faire d’Akeyra un personnage Élu dès le départ ?

Léafar Izen : Le mythe de l’élu(e) – celui du héros qui se révèle à lui-même – est clairement un grand classique. De Gilgamesh à Ulysse, du Christ au roi Arthur, de Star Wars à Matrix…  C’est un classique dont nous raffolons. Pourquoi ? Peut-être qu’au fond de chacun de nous, une petite voix murmure : il y a un graal au fond de toi-même, quelque chose à découvrir qui fera de toi quelqu’un d’autre…

Dans les contes de fées, vous êtes-vous déjà demandé ce que pouvait symboliser, ce dragon qu’il faut terrasser et cette princesse qu’il faut délivrer… ?


Marc : Vous montrez également que le destin supposément manifeste d’Akeyra se trouve manipulé par les personnages qui croient en elle et cherchent à la légitimer, à l’image d’Ak Bahak, qui cherche absolument à coller à la prophétie dictée par les Versets. Cela peut conférer une certaine artificialité au statut d’Elue d’Akeyra. Pourquoi créer une sorte d’Elue artificielle ?

Léafar Izen : Peut-être qu’il n’y a rien de véritablement authentique mais rien d’artificiel non plus. Tout est une question de foi. Tout dépend du regard qu’on porte sur les choses.

Ak Bhalak triche-t-il vraiment ou bien, croyant tricher, se fait-il l’instrument du destin ? Vivons-nous ou sommes-nous vécus… ?


Marc : La Marche du Levant montre, à travers des personnages dont les vies semblent dictées par les Versets, une certaine aliénation par le destin. Pourquoi décrire ce type d’aliénation ? 

Léafar Izen : Il y a, d’une part, l’aliénation évidente que représente tout dogme religieux lorsqu’il est pris au pied de la lettre. Plus généralement, nos croyances, qu’elles soient religieuses, politiques, philosophiques ou scientifiques ont tendance à nous aveugler, à nous empêcher de percevoir l’infinie richesse du réel.

L’autre question sous-jacente, c’est celle du libre arbitre. Disposons-nous vraiment de libre arbitre, ou bien nos pensées, nos choix, nos actions sont-ils le résultat de la contingence et du hasard ?

Enfin, l’épilogue donne un nouvel éclairage sur l’origine de ces versets… Il y a un petit jeu de mise en abyme. Peut-on encore parler de prophétie… ?  


Marc : Votre roman est divisé en trois parties, que vous avez appelées « Chants ». Est-ce que ce choix découle d’une volonté de rapprochement avec le registre épique ?

Léafar Izen : Tout à fait. Durant l’écriture de ce roman, je lisais les romans arthuriens de Chrestien de Troye. La chanson de geste. Les scénarios sont assez stéréotypés, mais la langue versifiée est extrêmement musicale.

J’ai modestement essayé de glisser un peu de ce charme classique dans mon travail, mais je suis bien conscient qu’il reste de la marge de progrès, c’est bien.


Marc : On remarque d’ailleurs que le personnage de Célérya, qui se trouve au centre des deux premiers chants du roman, ne semble pas soumis à une destinée écrite au préalable, parce qu’elle cherche à acquérir sa liberté. Pourquoi avoir choisi de mettre en scène une maîtresse assassin impliquée dans un combat politique ?

Léafar Izen : Comme je le disais au début de cette entrevue, je n’ai pas choisi grand-chose. Cela s’est fait ainsi… Maintenant, avec du recul, je suis comme tout lecteur, j’essaye de comprendre. Il me semble que Célérya est une personne extrêmement intelligente, mais absolument dénuée de questionnements spirituels. Pour elle, habituée à retirer la vie, la mort est une affaire entendue : fondu au noir ! Et l’or est son seul étalon de réussite.

Mais il faut croire que cette vision terre à terre ne va pas lui suffire, puisqu’elle finit par embrasser une cause qui dépasse ses intérêts égoïstes. Il faut dire aussi que certaines expériences vont bousculer ses certitudes…


Marc : Sans rentrer dans les détails, le niveau technologique du monde que vous décrivez et la manière dont vous mettez en scène une prédestination peut rattacher votre roman à la Fantasy, mais l’épilogue de votre roman montre qu’il n’appartient pas véritablement à ce genre. Personnellement, à quel genre rattachez-vous La Marche du Levant ? Pourquoi avoir mêlé éléments science-fictifs et topoï de Fantasy dans votre récit ?

Léafar Izen : Je laisse les questions de genre aux spécialistes des genres. Pour moi, il y a des bouquins, c’est tout.

En France, pendant longtemps, la littérature imaginaire semblait considérée comme un sous-genre. Des bouquins pour les grands enfants. C’est du moins l’impression que j’avais. Pourtant, on m’a fait remarquer récemment que les œuvres qui ont le mieux traversé les époques sont, à leur manière, des œuvres imaginaires. Gilgamesh, l’Odyssée d’Ulysse, les mythologies du monde entier sont des récits fantastiques et très fantasques. Prenez la Bible, avec ce type qui a le super pouvoir de marcher sur l’eau et de cloner les petits pains…

Alors peu importe les genres. L’important ce sont les idées et les émotions qu’on arrive parfois à partager.


Marc : Si votre récit se rattache au genre de la science-fiction, pourquoi avoir décrit des  éléments assimilables à de la magie, à l’image des pouvoirs de « l’absenteur » ou certains événements qui concernent Oroverne ? Souhaitiez-vous jouer sur les frontières entre la science et la magie ?

Léafar Izen : Peut-être tout simplement, parce que je crois à une forme de magie, comme tous les enfants, et qu’on ne devrait jamais laisser mourir complètement l’enfant qui est en nous.

Rien que le fait qu’il y ait quelque chose dans l’univers plutôt que rien, le fait qu’il y ait conscience, ressentant… N’est-ce pas tout à fait magique ?

Pour le dire de façon plus sérieuse : il est indéniable que le réel est infiniment plus complexe que ce que notre expérience sensible nous laisse entrevoir. Notre époque à tendance à confondre la réalité et l’effet qu’elle nous fait. Au-delà des limites de notre expérience sensible, agissent des forces et des phénomènes dont nous n’avons, au mieux, qu’une vague intuition. Qu’on considère cette terra incognita comme un territoire magique ou comme un terrain de conquêtes scientifiques futures, peu m’importe. Aussi vaste soient nos connaissances, il restera toujours du mystère.

Or, ce mystère, il est très difficile d’en parler autrement que par des images, des caricatures. Toutes les religions ont eu recours à des allégories, c’est-à-dire des caricatures plus ou moins grotesques pour évoquer le divin, le mystère, l’inconnu. C’est également ce que font les auteurs de l’imaginaire.

La frontière entre science et magie à laquelle vous faite référence est intéressante. On pourrait parler de la frontière entre physique et métaphysique. Une frontière mouvante bien entendu… Il y a vingt-trois siècles, lorsque Démocrite imagine l’existence d’un atome, constituant élémentaire de la matière, on est dans la spéculation métaphysique. Il n’y a rien pour étayer une telle croyance. Aujourd’hui, l’atome est clairement du domaine de la physique.


Marc : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs ?

Léafar Izen : C’est bien difficile de donner des conseils généraux. Il n’y a pas beaucoup de généralités qui résistent à la variété des chemins de vie. Essayer de devenir écrivain c’est s’engager sur un chemin assez solitaire que personne ne pourra baliser pour vous. Maintenant, je peux quand même vous donner quelques ingrédients qui m’ont été nécessaires : beaucoup de lecture, beaucoup d’expériences vécues, quelques amis assez honnêtes pour vous dire sans détour ce qu’ils pensent de votre travail, surtout lorsque c’est mauvais, de la patience, de l’abnégation… Certes, il existe aussi des génies capables de pondre un chef-d’œuvre à 17 ans, mais avant de se prendre pour l ‘un de ceux-là, mieux vaut rester humble.

Je conseillerais aussi de garder une chose en tête : il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus chez les grands éditeurs. Mieux vaut écrire pour soi, pour la satisfaction personnelle, pour évacuer le trop plein d’idées, en acceptant d’emblée que votre travail puisse rester confidentiel. Et si l’argent est la motivation principale, fuyez cette carrière ! Mieux vaut vendre des crêpes au Nutella à Palavas-les-flots.


Marc : Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

Léafar Izen : Je suis en train de peaufiner le manuscrit d’un ouvrage de « psyience fiction ». Un space opéra un peu barré. Ça parle d’un univers sur-connecté dans lequel une sorte de virus se met à faire de vilains ravages… Mais toute ressemblance avec des évènements contemporains est absolument fortuite. J’ai terminé cette histoire avant la crise du Covid. Sortie prévue : novembre 2021, toujours chez Albin Michel Imaginaire.

Pour le suivant, j’ai mon idée, mais il faudra être patient, car ça va être plutôt mariole à écrire…


Marc : Quelles sont vos prochaines dates de dédicace ?

Aucune idée pour l’instant. Tout est devenu compliqué avec ces histoires… En revanche, je peux vous dire que la société Audible proposera La Marche Du Levant en audio-livre en octobre 2020 et que le titre sera proposé aux éditeurs étrangers à l’occasion du salon de Frankfort. Si un éditeur espagnol pouvait se dévouer pour la traduction, ce serait bien aimable de sa part, rapport aux amis du Chili qui aimeraient bien le lire un jour…

Merci pour votre attention et merci d’aimer les livres, Marc.

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