Les Derniers jours du Nouveau-Paris, de China Miéville

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’une novella de China Miéville. Puisqu’elle m’a fait découvrir cet auteur, cette chronique est dédiée à Kat.

Les Derniers jours du Nouveau Paris

Introduction

China Miéville est un écrivain britannique né en 1972. Il procède à un mélange des genres littéraires dans nombre de ses romans, pour les faire sortir des clichés de la Fantasy, établis par un certain J. R. R. Tolkien et son Seigneur des Anneaux, dont il a longtemps contesté l’influence et les positions. C’est également un marxiste convaincu, et ses idées politiques marquent profondément son œuvre. Il est par ailleurs rattaché au courant et à l’esthétique du New Weird (auquel je vais consacrer une thèse), qui prend ses sources dans le « Old Weird », à savoir (entre autres) les récits de H. P. Lovecraft, Clark Ashton Smith, la New Wave de la SF, et des auteurs comme Clive Barker ou Mervyn Peake.

Tous ses romans ou presque ont été nominés ou ont remporté des prix littéraires, tels que le Locus qu’il obtenu 8 fois dans diverses catégories et pour des œuvres différentes (Perdido Street Station, Les Scarifiés, Légationville, The City and The City…), ou le Arthur C. Clarke qu’il a obtenu deux fois, pour Perdido Street Station et Le Concile de Fer.
La novella dont je vais vous parler aujourd’hui, Les Derniers jours du Nouveau Paris, est parue à l’origine en 2016 chez Del Rey Books. Elle a été traduite par Nathalie Mège, qui a traduit les autres romans et récits de l’auteur à l’exception du Roi des rats, pour les éditions Au Diable Vauvert, qui ont publié la version française de la novella en 2018. Les éditions Pocket Imaginaire ont par la suite repris la novella en format poche en 2019.

En voici la quatrième de couverture :

« 1941. À Marseille, Jack Parsons, jeune ingénieur américain versé dans les sciences occultes, rencontre un groupe de résistants auquel appartient André Breton. Il souhaite s’inspirer du surréalisme pour créer un golem capable de renverser le Troisième Reich, mais change involontairement le cours de la guerre…

1950. Dans Paris occupé, les œuvres surréalistes ont pris vie après l’explosion de la Bombe S, et combattent les démons et leurs maîtres nazis aux côtés de la résistance, dans un décor halluciné. »

Dans mon analyse du roman, je traiterai de la manière dont China Mieville rend hommage au surréalisme et traite de la fonction politique de l’art.

L’Analyse


Ce que China Miéville doit au surréalisme


Avant de continuer, il convient de rapidement définir le surréalisme. Si vous cherchez à creuser cette définition, ou même l’histoire du surréalisme, je vous recommande la lecture de l’ouvrage Le Surréalisme de Michel Murat, paru en 2013 au Livre de poche, dans la collection « Références » et qui donne une synthèse de ce qu’est ce mouvement artistique.

Le surréalisme est un mouvement artistique du XXème siècle, qui comprend un grand nombre de formes d’expression artistique (peinture, dessin, cinéma, musique et littérature), et qui cherche à faire en sorte que l’inconscient des artistes s’exprime, grâce aux récits de rêve, au dessin ou à l’écriture automatique par exemple. Cette expression de l’inconscient permettrait de créer des formes d’art libérées de la raison, comme l’explique André Breton, l’auteur des Manifestes du surréalisme, dans puisqu’il évoque un

« automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale […] ».

Parmi les auteurs et artistes du surréalisme, on peut citer André Breton, Paul Éluard, Man Ray, René Magritte, ou encore Marcel Duchamp.

Dans un article disponible sur le site des Quarante-Deux, Philippe Curval examine les rapports entre science-fiction et surréalisme, en montrant comment ces deux pôles peuvent se rapprocher, et en évoquant des auteurs de SF qui pourraient être influencés par le surréalisme, tels que Jacques Barbéri ou Richard Kadrey. Un autre auteur désormais rattaché aux genres de l’imaginaire, Jacques Abeille, dont le Cycle des contrées est désormais réédité dans la collection Folio SF de Gallimard.

Les Derniers jours du Nouveau Paris établit lui aussi un pont entre les littératures de l’imaginaire et le surréalisme. Le récit de China Miéville se situe dans une uchronie, c’est-à-dire dans une histoire alternative écrite à partir d’un point de divergence. En effet, il décrit une ville de Paris toujours en guerre et occupée par les nazis en 1950, et est confinée (non, pas de la manière dont vous l’imaginez) suite à l’explosion d’une « bombe S », c’est-à-dire une bombe surréaliste (j’y reviendrai). Le Paris décrit par l’auteur est alors profondément transformé, à la façon du Londres qu’il met en scène dans Kraken, « En quête de Jake »ou « Le Tain », présentes dans En quête de Jake et autres nouvelles.

La novella est structurée en deux lignes temporelles qui alternent à chaque chapitre, auxquelles s’adjoignent une postface et des notes. La première ligne temporelle se situe en 1950 dans le Nouveau Paris, et nous fait suivre Thibaut, un résistant du groupe surréaliste des Main à Plume, dont font partie des artistes réels, tels que Régine Raufast, Édouard Jaguer, Christian Dotremont, Robert Rius et Jean-François Chabrun, dans ce Paris alternatif en proie à la confrontation de l’occulte et du merveilleux. Le groupe Main à Plume a d’ailleurs réellement existé sous l’Occupation et a publié clandestinement des textes et des illustrations pour maintenir le surréalisme en vie.

La deuxième ligne temporelle de la novella se déroule en 1941 à Marseille, lorsque Jack Parsons, personnage historique, pionnier de la propulsion spatiale, mais aussi disciple d’Aleister Crowley, rencontre André Breton et d’autres surréalistes et décide de tester avec eux une machine occulte de sa conception pour faire face aux nazis. Les expériences de Jack Parsons provoquent ainsi la rencontre d’une science rationnelle et d’énergies occultes, détachées de la raison. Ces expériences montrent que la science et une forme de magie coexistent et peuvent fusionner, comme dans d’autres récits de China Miéville, à l’image de Perdido Street Station, où un scientifique mobilise les pouvoirs d’une IA et d’une araignée géante cosmique voyageant entre les dimensions (oui oui) pour affronter des créatures monstrueuses.

Sans trop rentrer dans les détails, la postface et les notes des Derniers jours du Nouveau Paris sont placées dans un cadre métanarratif et structurent les deux trames temporelles du récit, en formant une sorte de récit encadrant. L’auteur opère le même processus métanarratif dans la nouvelle « De certains événements survenus à Londres », dans le recueil En quête de Jake et autres nouvelles. Les notes permettent quant à elles de décrypter les références artistiques que fait l’auteur avec les « manifs » surréalistes.

En effet, l’explosion de la bombe S a matérialisé les œuvres des artistes surréalistes dans Paris, mais aussi celles de ceux qu’ils considèrent comme leurs prédécesseurs, les symbolistes et les décadentistes, ainsi que les rêves des personnes qui ne sont pas des artistes. La capitale française est alors envahie par des objets et des créatures étranges. Thibaut croise ainsi la route de « La Vélo », issue de I am an Amateur of Velocipedes, un dessin de Leonora Carrington, il est épaulé par la manifestation d’un « cadavre exquis » créé par André Breton, Jacqueline Lamba, et Yves Tanguy en 1938, et protégé par le « pyjama benjoin marteau doré d’azur » de Simone Yoyotte qu’il porte. D’autres manifs sont décrites par China Miéville et reconfigurent le paysage de Paris, puisque seule la moitié supérieure de la tour Eiffel est visible dans la capitale, et que le Musée de l’Armée est peu à peu remplacé par une forêt, par exemple. D’autres, à l’image de L’Éléphant de Célèbes de Max Ernst, ou L’Araignée souriante d’Odilon Redon, se manifestent sous forme de créatures imprévisibles qui hantent les rues de Paris et peuvent tuer ceux qui les approchent. Cependant, les manifs semblent plutôt viser les l’occupant nazi et se rallient aux surréalistes qui semblent pouvoir communiquer avec elles.

Cependant, les résistants et leurs alliés se heurtent à l’occultisme des soldats SS, associés au prêtre défroqué Alesch, grâce auquel ils sont parvenus à invoquer des démons (qui a dit Wolfenstein ?) surgis des Enfers, qu’ils contrôlent et utilisent pour soumettre définitivement Paris et ses habitants. Les nazis tentent également de créer leurs propres manifs en utilisant une forme d’art qui correspond à leurs idées, avec par exemple « Les colosses marmoréens, kitsch et rétrogrades » sculptés par Arno Breker, artiste « officiel » de leur régime. On observe alors que la lutte entre les manifs surréalistes et les créatures invoquées par les occupants symbolise la lutte entre un art militant qui n’est pas sous contrôle, et un art subordonné à un système. Le point culminant de cette lutte s’observe dans les apparitions les plus terribles de la novella, dont celle de « Fall Rot », un « centaure mi-tank mi-colosse […] festonné de drapeaux allemands » (oui oui).

Des roulements à billes de chenilles grincent. Le tissu huilé tombe en lambeaux et révèle un char d’assaut. Un Panzer III taché par la guerre, qui s’avance sur le béton. À l’avant du châssis, devant la tourelle du canon, se dressent le torse et la tête d’un géant. Un homme.
Fall Rot.
Il est énorme. Il porte un casque allemand gigantesque. Il a la peau d’un blanc froid, les veines et les muscles marqués, comme parcourus de galeries de vers. Des ombres se déversent de ses yeux. Sa bouche est pleine de dents acérées. Il rassemble ses bras immenses.

Fall Rot apparaît comme le résultat de la combinaison de travaux occultes et scientifiques, puisque le médecin criminel de guerre Joseph Mengele a collaboré avec Alesch pour le créer. Ainsi, si la Bombe S a donné malgré elle des alliés à une partie de la résistance, China Miéville montre comment la science, la magie, et même l’art peuvent être utilisés à des fins abominables.

À travers les diverses utilisations des manifs, mais également le parcours de résistant de Thibaut, l’auteur met en évidence la place de l’art, qui se manifeste ici littéralement aux côtés de ses créateurs, dans la politique, mais aussi la manière dont l’art prend place dans le combat politique (ce qu’il fait là encore de manière littérale dans la novella). Les manifs sont ainsi les porteuses du merveilleux et de l’aspect surréaliste de l’œuvre, mais aussi ce qui marque la manière dont l’art s’incarne dans les questions politiques.

Le mot de la fin


Les Derniers jours du Nouveau Paris est une novella de China Miéville dans laquelle l’auteur met en scène une capitale française reconfigurée par l’explosion d’une bombe qui matérialise l’art des surréalistes et de leurs prédécesseurs, mais aussi celui de l’occupant nazi, également allié à des démons.

À travers Thibaut, du groupe résistant des Main à Plume dans un Paris encore occupé en 1950, l’auteur rend hommage au mouvement surréaliste et aux œuvres qu’il a engendrées, et met en évidence la portée politique de l’art dans les combats pour la liberté.

Si vous vous intéressez au surréalisme et à l’œuvre de China Miéville, je vous recommande ce roman !

J’ai également lu et chroniqué d’autres œuvres de l’auteur, Kraken, Perdido Street Station, En quête de Jake et autres nouvelles

Vous pouvez également consulter les chroniques de Just A Word

12 commentaires sur “Les Derniers jours du Nouveau-Paris, de China Miéville

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