Le Dossier Arkham, d’Alex Nikolavitch

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman lovecraftien écrit par Alex Nikolavitch. Et non, il ne s’agit pas d’Eschaton.

Le Dossier Arkham


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Leha. Je remercie chaleureusement Julien Guerry pour l’envoi du roman !

Alex Nikolavtich est un auteur et scénariste né en 1971. En parallèle de sa carrière d’écrivain, il exerce le métier de traducteur de comics depuis plusieurs années. On lui doit entre autres, les versions françaises de V pour Vendetta (celle de 2009), de Top 10, et plus récemment de Wolverine – Arme XBlack Magick, ou encore The Old Guard, récemment adapté sur Netflix. Il a également scénarisé une BD biographique sur H. P. Lovecraft, intitulée Celui qui écrivait dans les ténèbres, et a fait partie de l’équipe de traducteurs de Je suis Providence, la biographie de Lovecraft par S. T. Joshi.

En tant qu’écrivain, Alex Nikolavitch a publié plusieurs nouvelles dans des anthologies des éditions Rivière Blanche, notamment dans les recueils Dimensions Paris (2018), Dimensions Super-Héros no 4 (2018), mais également dans des revues, telles que le deuxième numéro du Novelliste (2018), et plus anciennement dans le premier numéro de la revue Fiction relancée de 2005 à 2015 par les Moutons Électriques. Ces derniers sont les éditeurs de ses trois premiers romans, à savoir Eschaton (2016), L’Ile de Peter (2017), et Trois Coracles cinglaient vers le couchant (2019). Dernièrement, il a publié le formidable Les Canaux du Mitan, que je vous recommande vivement, et une de ses nouvelles, « Cuisine de la Terre lointaine », sera au sommaire de l’anthologie Marmites et Micro-ondes.

Le roman dont je vais vous parler aujourd’hui, Le Dossier Arkham, est paru en Novembre 2020 aux éditions Leha.

En voici la quatrième de couverture :

« Arkham, 1941.

Le corps déchiqueté du détective Mike Danjer est retrouvé au milieu d’un monceau de papiers. Il pourrait s’agir à première vue d’un banal meurtre en chambre close. L’examen des feuillets souillés, un dossier qu’il avait constitué au fil d’une très longue enquête, démontre qu’il avait mis au jour un indicible complot.

Des forêts insalubres de Nouvelle-Angleterre aux plateaux du Tibet, des Contrées du Rêve au marché de Damas, de sinistres individus se préparent à un événement cosmique…

Danjer y a laissé la vie, d’autres y ont perdu la raison…

Saurez-vous démêler tous les fils du Dossier Arkham ? »

Dans mon analyse du roman, j’examinerai comment le récit d’Alex Nikolavitch se construit sur une trame métalovecraftienne dotée de clins d’œil.

L’Analyse


Métalovecraft, formes plurielles, clins d’œil


Le récit d’Alex Nikolavitch s’appuie sur une narration enchâssée et protéiforme. En effet, dans la ville d’Arkham, en 1941, les policiers Thompson et Thomson (qui renvoient à Dupont et Dupond de la bande-dessinée Tintin, oui oui), découvrent des textes et des documents rassemblés par un enquêteur privé, Mike Danjer, chargé d’enquêter sur la disparition d’un enfant, Kurt Plissen. L’enquêteur s’est visiblement retrouvé embarqué dans une enquête à propos d’une secte aux ramifications immenses, et est mort de manière particulièrement affreuse alors qu’il se trouvait seul chez lui. Le Dossier Arkham est donc la somme de ces documents rassemblés par l’enquêteur et récupérés, puis archivées par la police, après l’échec de l’inspecteur Gordon (sans doute un cousin de celui qui travaille à Gotham City) et la décision du commissaire Harold P. Loch-Lomond. Vous l’aurez compris, Le Dossier Arkham est rempli de références culturelles et se situe dans l’univers d’un certain Howard Philips Lovecraft, qui s’articulent autour d’une intrigue visant à comprendre comment et pourquoi Mike Danjer est mort, et par qui il a pu être tué, à travers l’exploration des documents qu’il a rassemblés. On observe que l’auteur mobilise le topos du manuscrit retrouvé, que Lovecraft emploie également volontiers dans L’Appel de Cthulhu, ou que Maurice Renard mobilise dans L’Homme truqué.

De par sa nature de dossier, le récit s’avère donc protéiforme et mobilise des articles de presse, des publicités, des journaux de bord, des entretiens, des récits tirés de magazines pulp, des lettres, et une narration romanesque plus conventionnelle. Alex Nikolavitch met ainsi en scène tous les éléments constitutifs du dossier de Mike Danjer. Son lecteur doit alors les mettre en relation les uns avec les autres pour reconstituer le déroulement des faits, au cours d’un jeu de piste aux accents métalovecraftiens.

Avant de continuer, il convient donc de définir ce qu’est un récit métalovecraftien. Il s’agit de récits qui s’appuient sur les nouvelles de Howard Philips Lovecraft et les mettent en scène de manière métalittéraire. Lovecraft peut y apparaître en tant que personne ou en tant qu’objet textuel, dans le fait qu’on fait mention de ses histoires par exemple. Cet aspect métalittéraire s’observe par exemple dans Etranges Eons de Robert Bloch, où les personnages font référence aux similarités entre les horreurs (cosmiques) qu’ils vivent et les récits de HPL, Ceux des profondeurs de Fritz Leiber, qui mentionne l’écrivain mais aussi Une cosmologie de monstres de Shaun Hamil (bien que ce roman ne relève pas de l’horreur cosmique), qui traite de l’histoire surnaturelle d’une famille américaine dont les parents sont des lecteurs du Maître de Providence et le font découvrir à leurs enfants. Les nouvelles « Les Mangeuses venues de l’espace » et « Sombre éveil » du recueil Les Chiens de Tindalos de Frank Belknap Long mettent également l’écrivain Lovecraft en scène.

On peut donc définir les récits métalovecraftiens comme des diégèses mettant en scène Lovecraft et son œuvre au second degré, c’est-à-dire à l’intérieur même d’une œuvre.

Le Dossier Arkham est un récit métalovecraftien, parce qu’il adresse de nombreux clins d’œil à l’œuvre du Maître de Providence, en évoquant les événements qui se déroulent dans ses récits, des Montagnes Hallucinées à L’Abomination de Dunwich, en passant par Le Cauchemar d’Innsmouth, Horreur à Red Hook, La Quête onirique de Kadath l’inconnue et bien sûr L’Appel de Cthulhu. Ces renvois aux nouvelles de Lovecraft montrent que Le Dossier Arkham en est une sorte de prolongement, parce que sa trame narrative s’intègre dans l’univers du Maître de Providence tout en l’exhibant.  

Les clins d’œil d’Alex Nikolavitch à Lovecraft s’avèrent particulièrement érudits, parce qu’ils renvoient à ses diégèses, mais aussi à ses personnages. Ainsi, il évoque une expédition en Antarctique et ses conséquences, une descente de police dans le quartier de Red Hook dans un article de journal, l’ambiance étrange et la fascination pour les tentacules qui règne à Innsmouth dans le récit d’Annie Wilkes, les terres reculées de Dunwich dans le journal de Jérusalem Whateley, ou encore le « lac coloré » et la « lande foudroyée » dans des publicités et des articles de presse. Tous ces éléments rappellent de manière explicite un grand nombre de nouvelles de Lovecraft pour ceux qui les connaissent. Des personnages comme le sculpteur Wilcox de L’Appel de Cthulhu, Charles Dexter Ward, ou les professeurs plus ou moins scrupuleux de l’université Miskatonic d’Arkham sont également mentionnés. Le récit mentionne également des formules désormais célèbres telles que « Fhaghn » et l’injonction « Iä Iä », qui marquent le caractère occulte et cosmique de certains personnages, sans oublier les mentions d’un certain Necronomicon et de son auteur, Abdul Al Alhazred, ou de Nyarlatothep.

On remarque que l’université Miskatonic joue un rôle important dans l’intrigue tissée par l’auteur, à travers les expériences menées par l’inquiétant professeur Blake. Il semble toutefois être le rival de sectateurs de forces indicibles basées à Innsmouth, mais je ne vous en dirai pas plus. L’influence de cette secte et du professeur Blake se font sentir dans les narrations classiques, mais on peut également observer leurs méfaits par le biais des autres documents, comme les articles de presse liées à la police par exemple.

L’auteur renvoie également au contexte historique de son récit, c’est-à-dire le début de la Seconde guerre Mondiale, et les tentatives de tentacularisation du régime hitlérien, qui s’inscrivent dans la préparation de l’avènement de créatures cosmiques à la suite d’événements astraux de grande envergure.

L’aspect métalittéraire du Dossier Arkham s’observe pleinement lorsqu’Alex Nikolavitch mentionne la mort de l’auteur et les circonstances de son décès dans un article de presse daté du 16 Mars 1937, c’est-à-dire au lendemain de sa mort réelle. L’évocation directe de l’auteur juxtapose alors son existence réelle et ses récits, ce qui renforce et révèle le côté « méta » du récit. Cet aspect métalittéraire témoigne du fait qu’Alex Nikolavitch connaît particulièrement bien la vie et l’œuvre de Lovecraft, ce qui apparaît logique, quand on sait qu’il s’y intéresse beaucoup et a travaillé sur la biographie de l’auteur.  

L’auteur dissémine également d’autres clins d’œil dans son roman, avec d’abord des mentions de Clark Ashton Smith et Robert Howard, des écrivains et amis de Lovecraft. Howard apparaît sous le nom de T. G. Bob, qui renvoie à Two Guns Bob, l’un de ses surnoms. Alex Nikolavitch lui adresse également un clin d’œil dans Les Canaux du Mitan.

Il renvoie aussi à des personnes du monde de l’édition, comme David Camus, le traducteur de Lovecraft qui travaille sur l’intégrale de l’auteur à paraître prochainement aux éditions Mnémos, l’auteur de SF Raphaël Granier de Cassagnac, ou encore Frederic Weil, directeur de Mnémos. Certaines références culturelles sont plus improbables, avec Les Lacs du Connemara de Michel Sardou, présenté comme « une litanie maudite qui détruit le Mental » (oui oui), Raskar Kapak de la bande-dessinée Tintin, l’expression « Osef » qui correspond au nom d’un prophète que personne n’écoute, les gilets Parbat, « Aggarta-Christi », le moine S. T., un mystérieux médium surnommé Jodo… Tous ces clins d’œil renforcent le côté métadiscursif du roman, tout en montrant l’amour de l’auteur pour les jeux de mots douteux et les clins d’œil bien placés.

Le mot de la fin


Le Dossier Arkham est un récit métalovecraftien protéiforme. À travers la mise en scène du dossier d’un enquêteur tué par des forces occultes, Alex Nikolavitch déploie une intrigue tentaculaire autour de sectes qui appellent des horreurs cosmiques de tous leurs vœux. Le récit s’appuie sur des références très érudites aux récits de H. P. Lovecraft, mais aussi d’autres clins d’œil plus comiques.

Si vous aimez Lovecraft et les œuvres qui jouent avec ses récits, je vous recommande Le Dossier Arkham !

J’ai lu et chroniqué d’autres œuvres de l’auteur, Trois coracles cinglaient vers le couchant, Les Canaux du Mitan, et j’ai interviewé l’auteur à deux reprises, la première pour parler des Trois coracles et la deuxième pour parler des Canaux du Mitan

Vous pouvez également consulter les chroniques de Lutin, Outrelivres, Lhotseshar, Célindanaé

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4 commentaires sur “Le Dossier Arkham, d’Alex Nikolavitch

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