Les Tambours du dieu noir, de P. Djèlí Clark

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un auteur que j’ai récemment découvert avec la première traduction française de ses œuvres !

Les Tambours du dieu noir, de P. Djèlí Clark

Introduction

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions l’Atalante. Je remercie cette maison d’édition et Julien Guerry pour l’envoi du recueil !

P. Djèlí Clark est le nom de plume de Dexter Gabriel, un auteur afro-américain de fantasy, de science-fiction et d’horreur né en 1971. Il exerce le métier de professeur à l’université du Connecticut et est également historien. Sa nouvelle The Secret Lives of the Nine Negro Teeth of George Washington a remporté les prix Locus et Nebula.

Les nouvelles dont je vais vous parler aujourd’hui, Les Tambours du dieu noir et L’étrange affaire du Djinn du Caire, sont à l’origine parues respectivement en 2018 et 2016. Elles ont été traduites par Mathilde Montier pour les éditions l’Atalante, qui les ont publié en recueil en Avril 2021.

Voici la quatrième de couverture de ce recueil :

« Louisiane. Années 1880. Tandis qu’une guerre de Sécession interminable démantèle les États-Unis d’Amérique, un complot menace La Nouvelle-Orléans, territoire indépendant libéré de l’esclavage, au cœur duquel les Tambours du dieu noir, une arme dévastatrice jalousement gardée, attisent les convoitises. Il faudra tout le courage et la ténacité de Jacqueline « LaVrille » – jeune pickpocket qui rêve de découvrir le monde –, ainsi que la magie ancestrale des dieux africains qui coule dans ses veines, pour se faire entendre et éviter le désastre.

Le Caire. 1912. Depuis une cinquantaine d’années, les djinns vivent parmi les hommes et, grâce à leur génie mécanique, l’Égypte nouvelle s’est imposée parmi les puissants. Ce qui ne va pas sans complications… Pour preuve L’étrange affaire du djinn du Caire, que se voit confier Fatma el-Sha’arawi – agente du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles – quand un djinn majeur est retrouvé mort. Suicide ? Trop évident. C’est une machination diabolique que Fatma va mettre au jour. »

Mon analyse du roman traitera des mondes et des personnages que l’auteur met en scène.


L’Analyse


Uchronies magiques et technologiques


Les deux nouvelles de P. Djèlí Clark mettent en scène des villes marquées par la présence ou l’émergence de la magie au sein de mondes industrialisés et uchroniques. Pour rappel, l’uchronie est une réécriture de l’Histoire à partir d’un point de divergence. Par exemple, la trilogie du Grand Siècle de Johan Heliot modifie considérablement l’histoire du XVIIème siècle en mettant en scène un premier contact entre Louis XIV et une Intelligence Artificielle extraterrestre (oui oui).

Dans Les Tambours du dieu noir, la Nouvelle Orléans est une véritable cité-état qui constitue un refuge pour les anciens esclaves noirs qui se sont rebellés contre les soldats Confédérés pendant la guerre de Sécession. Cette dernière a été interrompue quinze ans avant le début de l’intrigue par une armistice, mais l’opposition entre états du Nord et du Sud continue, puisque la narratrice mentionne la « guérilla de la vielle générale Tubman », qui vise à libérer les esclaves des états du Sud. Ces derniers sont totalement aliénés par un gaz, le « drapeto », qui annihile totalement leur volonté. La paix qui semble régner sur la Nouvelle Orléans n’est donc pas stable, puisque des dirigeables et des navires anglais, français et haïtiens patrouillent pour parer à d’éventuels assauts confédérés.

La Nouvelle Orléans semble alors vivre sous une menace perpétuelle, malgré le fait qu’elle soit un lieu de brassage et de mélange des populations. On remarque ainsi que le racisme a toujours cours, perpétué par les confédérés ou des européens présents dans la ville, malgré le fait qu’elle soit dirigée par « un conseil constitué d’anciens esclaves, de mulâtres et de marchands blancs ». Cette menace pèse aussi sur Haïti et les « Isles Libres », qui ont développé des technologies pour se défendre face aux colons, avec les dirigeables par exemple. N. K. Jemisin mobilise aussi ce type de technologie dans le même cadre, celui d’une lutte entre colonisés et colonisateurs, dans la nouvelle « Le Moteur à effluent », présente dans le recueil Lumières noires, que je vous conseille chaudement !

Dans L’étrange affaire du djinn du Caire, le point de divergence est l’ouverture d’un portail entre le « Kaf, l’outre-royaume des djinns » et le monde des humains par le mage et scientifique al-Jahiz, au moyen de « de pratiques mystiques et de machines » quarante ans avant le début de l’intrigue, c’est-à-dire le début du XXème siècle. Un procédé technomagique, qui mêle science et magie, est donc la source de l’histoire alternative que décrit l’auteur. Cette émergence des djinns, puis des anges, qui s’incarnent dans des corps mécaniques dotés de plusieurs paires de bras et d’ailes (oui oui) reconfigure le destin du monde, puisque les créatures surnaturelles ont aidé les égyptiens à se débarrasser des colons britanniques. L’Égypte fait alors partie des grandes puissances mondiales et est indépendante.

Les faits remontaient à un peu plus de quarante ans. Fatma était née dans le monde qu’al-Jahiz avait laissé derrière lui, un monde transformé par la magie et le surnaturel. Les djinns, fidèles à leur vocation de bâtisseurs, s’étaient très bien adaptés à l’époque, produisant plus de merveilles qu’on ne pouvait en compter. L’Égypte siégeait désormais parmi les puissants, et Le Caire en était le cœur battant.

On remarque donc que les deux nouvelles de P. Djèlí Clark montrent des sociétés où les personnages non-blancs sont parvenus à se libérer de la domination blanche, qu’elle soit représentée par l’esclavage ou la colonisation. Ils créent alors des états indépendants, mais menacés. La Nouvelle Orléans est ainsi frappée par la menace des Tambours du dieu Noir, qui donnent leur nom au récit et font référence au dieu afro-américain du tonnerre Shango et sont une arme de guerre redoutable pouvant noyer la ville sous les flots. Sans trop en dévoiler, le Caire est quant à lui victime d’un complot que ne renierait pas un certain Howard Philips Lovecraft.

Les deux personnages point de vue des nouvelles, Jacqueline, dite « LaVrille » pour Les Tambours du dieu noir et l’enquêtrice Fatma el-Sha’arawi pour L’étrange affaire du djinn du Caire, doivent alors protéger leurs villes respectives contre des forces qui veulent les dominer.

La Nouvelle Orléans alternative des Tambours du dieu noir nous est ainsi montrée à travers le regard à la première personne, LaVrille, âgée de treize ans. Son point de vue est retranscrit avec une forte dose d’oralité, qu’on remarque dans des phrases telles que « Moi, je m’a réservé un emplacement de choix » ou « alors autant que ce soye moi », qui montrent qu’elle emploie une grammaire extrêmement relâchée. On observe aussi que la capitaine du dirigeable Détrousseur de minuit, Anne Marie St. Augustine, qui accompagne LaVrille dans son enquête sur les Tambours du dieu noir, parle créole. L’usage du créole de la capitaine a été adapté par la traductrice pour qu’il ressorte mieux, ce qui a du être assez difficile, mais personnellement, je trouve que cela fonctionne très bien !

— Parti avec mwen ? s’étonne-t-elle. Où ça ?

— Sur vot’ dirigeable, le Détrousseur de Minuit. Je veux faire partie de l’équipage. »

Le front plissé, elle me regarde comme si j’avais sauté de ma peau pour exécuter une foutue gigue, puis elle éclate de rire. Rien qu’à l’entendre, mes poils se dressent. « Quiça mwen feré d’une pickney conm toi abò de mon bâtiment ? » Elle inspire bruyamment entre ses dents. « Tu pensé mwen vouloir une tifille à sivéyé ?

— J’ai pas besoin qu’on me surveille », je m’emporte malgré moi.

LaVrille cherche ainsi à échapper à sa condition de jeune fille issue des classes laborieuses de la Nouvelle Orléans pour partir à l’aventure, malgré son manque de manières et d’éducation. On l’observe notamment dans les reproches que lui adressent Madame Diouf, gérante du bordel du « Shá Rouj » et « les sœurs de la Famille sacrée », des bonnes sœurs qui veillent sur la Nouvelle Orléans et dotées d’un immense réseau d’informateurs (oui oui), mais aussi la capitaine. Fatma el-Sha’arawi, elle, s’oppose aux hommes de son service et à leur vision traditionnaliste des mœurs et des vêtements, en s’habillent à l’anglaise. P. Djèlí Clark met donc en scène des personnages féminins forts qui s’émancipent du contrôle que l’on veut exercer sur elles.

Les deux nouvelles font la part belle à des formes de surnaturel magique. Les Tambours du dieu noir montre en effet que des divinités afro-américaines, les orishas, peuvent se lier à un être humain et lui donner des capacités surnaturelles. LaVrille porte ainsi une part d’Oya la déesse des vents, tandis que la capitaine est liée à Oshun, déesse des rivières. Ces divinités sont également présentes dans Les Tentacules de Rita Indiana, mais elles y sont célébrées selon les rites de la Santeria, une religion d’origine cubaine, elle aussi dérivée de la culture yoruba. L’étrange affaire du Djinn du Caire décrit des djinns (oui oui), des Anges dans des corps mécaniques immenses, mais aussi des horreurs cosmiques. Les deux récits comportent également des éléments de technologie plus ou moins avancées, avec des dirigeables, des « fiacres autonomes », des armes à feu, mais aussi des automates fabriqués par les anges. On remarque donc que magie et technologie se côtoient dans les récits, ce qui les rend particulièrement modernes !

Le mot de la fin


Les Tambours du dieu noir est un recueil qui regroupe deux récits de P. Djèlí Clark qui se situent dans des univers de Fantasy uchroniques qui mêlent magie et technologie, au sein de deux villes marquées par le surnaturel, la Nouvelle Orléans et le Caire, dont les populations non-blanches se sont libérées du joug des esclavagistes et des colonisateurs au cours des XIXème et XXème siècle.

À travers le regard de deux personnages féminins forts qui affrontent des confédérés et des horreurs cosmiques, l’auteur met en scène des univers originaux et modernes, dans tous les sens du terme !

Si vous aimez les uchronies et la Fantasy, je vous recommande la lecture des Tambours du dieu noir !

Vous pouvez également consulter les chroniques de Lutin, Apophis, Ombrebones, Un bouquin sinon rien, Outrelivres, Aelinel, Célindanaé, Le Nocher des Livres

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17 commentaires sur “Les Tambours du dieu noir, de P. Djèlí Clark

  1. Je l’ai lu assez récemment et j’ai beaucoup aimé ! J’ai vraiment adoré ces deux ambiances que l’auteur créée, et la profondeur qu’il parvient à mettre en place dans des récits aussi courts. J’ai trouvé à ces deux textes un « petit quelque chose de plus » qui fait vraiment du bien en imaginaire, sur lequel tu mets les mots bien plus facilement que moi ! As-tu lu sa deuxième nouvelle et Maître des djinns ? Il me reste le roman à découvrir, je suis curieuse de voir ce dont l’auteur est capable dans un format beaucoup plus long !

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