Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler du nouvel essai d’Ariel Kyrou, qui porte sur un auteur que j’affectionne désormais.
L’ABCDick

Introduction
Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions ActuSF, que je remercie chaleureusement pour l’envoi de cet ouvrage !
Ariel Kyrou est un auteur, journaliste, essayiste et chroniqueur de radio né en 1962. Il est diplômé de l’institut d’études politiques de Paris et a notamment scénarisé un documentaire sur Philip K. Dick, intitulé Les Mondes de Philip K. Dick. Il est aussi l’auteur de la préface des Nouveaux mystères de la chambre noire de Philippe Curval, et de l’essai Dans les imaginaires du futur. Plus tôt cette année, j’ai eu le plaisir de participer à un épisode de Volutes, le podcast de La Volte, en sa compagnie et celle de Philippe Curval, qui portait sur le thème de l’utopie. J’ai également enregistré l’épisode de Mana et Plasma consacré à Philip K. Dick en sa compagnie, et celle d’un certain Laurent Queyssi.
L’ABCDick, dont je vais vous parler aujourd’hui, est une réédition revue, corrigée et augmentée de l’ouvrage du même titre paru en 2009 aux éditions Inculte, dans la collection « Temps Réel ». Cette nouvelle version est disponible chez ActuSF, avec une magnifique couverture de Zariel.
En voici la quatrième de couverture :
« Et si notre monde avait été imaginé par Philip K. Dick ??
Quarante ans après sa disparition, l’auteur d’Ubik, du Maître du Haut Château et du roman à l’origine du film Blade Runner est aujourd’hui plus présent que jamais, tant ses textes restent d’une actualité brûlante.
Nous sommes vivants et il est mort, à moins que ça ne soit l’inverse. »
Dans ma chronique de cet essai, je parlerai de la manière dont Ariel Kyrou traite de l’œuvre de Philip K. Dick et de son actualité. Comme il s’agit d’un essai assez dense, je ne traiterai pas de tous les aspects de l’ouvrage, tout en vous donnant une idée de son propos.
L’Analyse
Philip K. Dick, prolifique, actuel, politique
Le format d’abécédaire adopté par Ariel Kyrou permet de cerner et de détailler les topoi présents dans l’œuvre de Dick, dans leurs diverses occurrences et leur fonctionnement. Cela va des plus évidents, comme l’humanité ou l’empathie, qui fonctionnent ensemble et dont peuvent faire preuve même les machines et les non-humains, ce qu’on observe dans Les Clans de la lune alphane avec un alien qui sauve un individu du suicide, à la fin D’En attendant l’année dernière, où un « robot-taxi » prend Éric Sweetscent en pitié et lui recommande de s’occuper de sa femme atteinte d’une addiction grave. L’auteur met en évidence d’autres moments d’humanité forte des romans de Philip K. Dick, notamment dans Le Maître du haut château, avec M. Tagomi qui sauve un Juif de la mort, et la fin bouleversante de Coulez mes larmes, dit le policier.
Ariel Kyrou montre aussi, en s’appuyant sur un article de Laurent Queyssi, intitulé « Un artisan de génie : personnages et structures narratives chez Philip K. Dick », que les personnages de Philip K. Dick constituent pour la plupart des figures d’antihéros. Ce sont en effet des marginaux, des inadaptés qualifiés de fous, ou bien des personnages du commun, issus des classes laborieuses, à l’image des réparateurs, artisans et bureaucrates, tels que Jack Bohlen dans Glissement de temps sur Mars, Frank Fink dans Le Maître du haut château, et Joe Chip dans Ubik, par exemple. À ces antihéros s’opposent d’autres figures topiques, de femmes fatales et manipulatrices, souvent des « filles aux cheveux noirs », mais aussi les surhommes qui s’éloignent de l’humanité standard en termes de capacités et de statut social, avec Leo Bulero dans Le Dieu venu du Centaure, Gino Molinari dans En attendant l’année dernière, Glen Rucinter dans Ubik, ou encore Palmer Eldritch, de manière particulièrement extrême.
Certaines entrées sont plus inattendues, comme « pot et poterie » (oui oui), grâce à laquelle l’auteur montre une certaine récurrence de personnages de potiers chez Dick, à partir d’exemples notamment issus du Dieu venu du centaure, Le Guérisseur de cathédrales et Coulez mes larmes, dit le policier, qui montrent l’importance de l’artisanat et du travail manuel chez Philip K. Dick.
Ensuite, d’autres entrées font écho à des notions très actuelles. Ainsi, si l’œuvre de Dick met parfois en scène un capitalisme effréné, dans Ubik, « Service avant achat » ou « Marché captif » par exemple, elle traite aussi de problématiques très contemporaines et théorisées très récemment. On peut ainsi citer les « Bulles de filtre », notion définie par le militant Eli Pariser pour montrer « l’isolement intellectuel et culturel » des individus qui subissent une personnalisation des contenus Web auxquels ils ont accès sans s’en rendre compte, qu’Ariel Kyrou met en parallèle avec les univers parallèles décrits dans Le Dieu venu du centaure et L’œil dans le ciel, qui mettent littéralement en scène des réalités subjectives. Ariel Kyrou évoque aussi les « Fake News », qui prolifèrent désormais dans notre quotidien, et les relie au gouvernement du Zappeur de mondes qui abrutit sa population avec des fausses informations. Parmi les échos actuels que l’on peut trouver dans les romans et les nouvelles de Philip K. Dick, l’auteur évoque aussi le « storytelling », analysé par Christian Salmon dans son ouvrage Storytelling : la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits comme un instrument communicationnel permettant de remporter l’adhésion d’un public grâce au récit. On peut en effet voir le personnage principal du Profanateur, Allen Purcell, comme un utilisateur du storytelling lorsqu’il écrit ses émissions diffusées sur Télémédia et destinées à conforter la population dans le maintien du système dans lequel elle vit.
En reliant ces notions à l’œuvre de Philip K. Dick, Ariel Kyrou montre toute la contemporanéité de son œuvre, en la réactualisant à l’aune de thématiques de notre époque. Il montre donc que ses romans et nouvelles sont encore lisibles aujourd’hui, et que leur propos n’a pas (ou peu) vieilli, mais qu’il est aussi possible d’éclairer son œuvre à partir de notions de communication médiatique et politique. On peut alors observer que la reconfiguration et le délitement du réel, constants dans ses récits, passe aussi par les actes de discours, au-delà de sa déstructuration surnaturelle, dans Ubik, Le Dieu venu du Centaure ou Glissement de temps sur Mars par exemple.
Par ailleurs, L’ABCDick met en évidence la manière dont l’œuvre de Dick aborde l’effondrement du monde et de la civilisation, à partir des récits dans lesquels le monde est ravagé par des explosions nucléaires, comme dans Blade Runner, Docteur Bloodmoney et Deus Irae, ce qui entraîne la chute de la civilisation telle que nous la connaissons, puis des tentatives de reconstruction. L’auteur envisage donc les suites des effondrements causés par des catastrophes qui à son époque découlaient à son époque de possibles conséquences funestes de la Guerre Froide, mais qui à la nôtre relèvent d’un changement climatique de plus en plus visible. La réactualisation de l’œuvre dickienne passe donc, pour Ariel Kyrou, par un écho des peurs et des interrogations de Philip K. Dick avec celles de notre temps.
Son essai emploie ainsi la même méthode que Dans les imaginaires du futur, qui interrogeait les devenirs politiques à partir de discours politiques, philosophiques et science-fictifs, mais l’applique à Dick pour montrer toute l’actualité politique, et même science-fictive de son œuvre.
Dans la partie « Bibliographie », Ariel Kyrou examine l’actualité des romans de Dick et de certaines de ses nouvelles pour les rattacher aux notions de son abécédaire, pour montrer en quoi les personnages, les intrigues et les inventions dickiennes peuvent s’inscrire et résonner avec notre époque. Il prend le parti d’assumer une subjectivité pleine pour défendre des romans vus comme mineurs par la critique dickienne. Ainsi, Les Chaînes de l’avenir et Le Profanateur, qui font partie des premiers romans de l’auteur et se trouvent parfois déconsidérés, sont mis en avant par Ariel Kyrou, l’un par son aspect prospectif, l’autre par la subversion qu’il opère. D’autres romans plus canoniques chez Dick, comme Ubik ou Le Dieu venu du Centaure, conservent selon lui toute leur actualité.
Le mot de la fin
L’ABCDick est un essai d’Ariel Kyrou dans lequel l’auteur montre toute l’actualité de l’œuvre de Philip K. Dick, en traitant des topoi dickiens pour les inscrire dans notre actualité au sein de laquelle la réalité se reconfigure par le biais des discours et des expériences virtuelles de chaque individu, et hantée par de possibles catastrophes climatiques.
Peut-être que nous sommes vivants et que Philip K. Dick est mort, mais ses mots continuent de résonner.
Si Dans les imaginaires du futur avait nourri votre réflexion et que vous appréciez l’œuvre dickienne, foncez sur cet essai.
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