Interview de Romain Lucazeau

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de te proposer une interview de Romain Lucazeau, auteur de La Nuit du Faune, récemment paru chez Albin Michel Imaginaire !

Je vous rappelle que vous pouvez trouver toutes les autres interviews dans le menu du blog et grâce au tag dédié.

Je remercie chaleureusement Romain Lucazeau d’avoir répondu à mes questions, et sur ce, je lui laisse la parole !

Interview de Romain Lucazeau


Marc : Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ? 

Romain Lucazeau : J’arrive au mitan de ma vie. Je n’écris pas pour l’argent, ni par vanité. J’essaie de n’accomplir que des actes significatifs, notamment sur le plan littéraire.  


Marc : Avez-vous toujours voulu devenir écrivain ? Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture, et aux genres de l’imaginaire en particulier ?  

Romain Lucazeau : Je n’ai jamais voulu devenir écrivain. Je ne me considère pas comme un écrivain, d’ailleurs. J’ai été enseignant chercheur en philosophie, et quand j’ai quitté cet univers, j’ai continué à spéculer par d’autres moyens. La science-fiction constitue le meilleur moyen pour pratiquer une telle spéculation.  


Marc : Vous êtes normalien et agrégé de philosophie. Comment est perçue la science-fiction en études de philosophie et au sein de l’ENS ?  

Romain Lucazeau : Je ne sais pas. On avait une « sf-theque » bien achalandée, et l’existence de Jacques Goimard témoigne que la présence de normaliens dans les « mauvais genres » ne date pas d’hier.  


Marc : En philosophie, quels auteurs vous ont particulièrement marqué ?  

Romain Lucazeau : Il m’est arrivé de me définir comme post-kantien à tendance métaphysique. Mais en prenant de l’âge,  je me fatigue plus vite. J’ai commis une agrégation, donc j’ai tout mis en fiche de toute façon.  


Marc : La Nuit du Faune est votre deuxième roman. Comment vous est venue l’idée de ce récit ?  

Romain Lucazeau : Il ne m’est jamais arrivé d’avoir l’idée d’un récit. Du coup je ne sais pas trop vous répondre. J’avais envie de chanter un cosmos, d’ailleurs plus beau que l’univers dans lequel nous sommes.  


Marc : Comment s’est déroulée la rédaction de ce roman ? Avez-vous des anecdotes à partager ?  

Romain Lucazeau : Rapidement après quelques années de préparation. J’écris sur la base d’une matrice à trois dimensions, que je représente sur Excel, avec un pilotage fin du nombre de signes par sous-section : dum Deus calculat fit mundus


Marc : Comment s’est déroulé le processus éditorial du roman ?  

Romain Lucazeau : J’ai parlé à l’éditeur tout en ingérant des substances solides et liquides. Puis il a eu peur. Puis le processus d’acceptation s’est enclenché.  


Marc : Vous adressez des clins d’œil à d’autres œuvres de SF dans votre roman. Pourquoi ? Est-ce que vous vouliez rendre hommage à des auteurs qui vous ont marqué ?  

Romain Lucazeau : Non, je positionne mon texte au regard de tous les autres textes. La littérature est un dialogue avec les morts.  


Marc : De la même manière, les noms de Polémas et Astrée renvoient à L’Astrée de d’Honoré d’Urfé. Pourquoi faire une référence à ce roman ? Quel est votre rapport à cette œuvre ?  

Romain Lucazeau : C’est la clé du texte. Si je la révèle je serai obligé de vous anéantir.  


Marc : Votre roman raconte la rencontre de Polémas, un faune issu d’une civilisation pré-industrielle et d’Astrée, une humaine âgée de plusieurs dizaines de millions d’années. La dernière décide de voyager avec le premier pour lui enseigner la vérité sur l’univers à travers différentes rencontres, ce qui fait qu’on peut voir votre récit comme un roman ou un contre philosophique. Diriez-vous que La Nuit du Faune appartient à cette catégorie ? Selon vous, quels rapports entretiennent la science-fiction et la philosophie ?  

Romain Lucazeau : Vous avez raison. Ça n’est classé comme roman que parce que les éditeurs, lecteurs et critiques sont trop anémiés intellectuellement pour se rappeler que le conte et le roman ne sont pas la même chose.  

La science-fiction est une littérature philosophique, voire métaphysique. Sinon elle n’a strictement aucun intérêt, à mon humble avis.  

Ni l’aventure, ni la politique ne la sauveront.  


Marc : Le (très) grande âge d’Astrée peut frapper. Pourquoi mettre en scène un personnage aussi âgé ?  

Romain Lucazeau : Parce que c’est un trope.  


Marc : Polémas est un faune, comme l’indique le titre du roman. Pourquoi mettre en scène ce type de personnage dans un roman de science-fiction ?  

Romain Lucazeau : Parce que c’est un trope.  


Marc : Votre roman peut aussi être perçu comme un roman de Hard SF, de par les objets cosmologique et technologiques qu’il décrit. Diriez-vous que vous êtes un auteur de Hard SF ? Pourquoi décrire ce type d’objets ? Est-ce que vous vouliez susciter un vertige cosmique chez votre lecteur ?  

Romain Lucazeau : Ça fait des sensations à certains lecteurs quand ils se disent que c’est hard. Je respecte cela, chacun sa vie sexuelle.  

Moi, je tire des sensations de mon processus d’écriture quand j’ai l’impression que c’est poétique, c’est-à-dire beau. La référence à la science constitue une matière excellente pour déployer ce dispositif poétique. 


Marc : J’ai personnellement beaucoup aimé la figure de Galatée, une IA extrêmement puissante encodée dans une étoile à neutrons. Comment vous est venue l’idée d’un tel objet ?  

Romain Lucazeau : C’est un trope.  


Marc : Sans rentrer dans les détails, un autre point que j’ai beaucoup apprécié est la manière dont vous mettez en scène le trou noir supermassif au centre de la Voie Lactée, Sagittarius A*. Pourquoi le décrire de cette façon ?  

Romain Lucazeau : Parce qu’il est très exactement comme ça. Je l’a vu.  


Marc : L’un des points communs des civilisations spatiales que Polémas et Astrée rencontrent est leur recherche de la conservation à des échelles de temps vertigineuses, qui confine à une forme d’immortalité. Pourquoi décrire différentes civilisations aux prises avec leur chute possible ? Pourquoi montrer autant d’inventivité dans leur préservation ?  

Romain Lucazeau : Parce que c’est flippant, et beau, et universel.  

Ça s’appelle la mort.  

C’est un trope.  

Et quand c’est trope, c’est tropico.  


Marc : De la même manière, l’une des constances que l’on retrouve chez toutes les civilisations est la guerre. Pourquoi mettre en scène une permanence de la guerre, quels que soient l’avancement technologique ou les mœurs d’une population ?  

Romain Lucazeau : Parce que c’est vrai. Et tragiquement beau. 


Marc : Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?  

Romain Lucazeau : Une surprise agréable (ou désagréable) pour désarçonner mes lecteurs et les obliger à ressentir avec vivacité l’incertitude existentielle.  


Marc : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs ? 

Romain Lucazeau : Cultivez-vous. Vos productions spontanées ne tiennent pas la route. Confrontez-vous à ce qui est meilleur que vous, en vous.  

Écoutez, si vous êtes trop paresseux pour lire, le podcast C’est plus que de la SF. Vous serez moins ignare (et moi j’ai gagné un verre d’alcool avec ce placement de produit).   

Sacrifiez votre humanité au service d’une plus vaste posture, qui consiste à réenchanter.  

Sinon vous serez des anecdotes dans un processus commercial sans signification.  

4 commentaires sur “Interview de Romain Lucazeau

  1. Ne sachant si c’est du lard ou du cochon (et de toute manière on s’en fout, il paraît que tout est bon dans le cochon),
    Je ne retiendrai qu’une seule chose : « Quand c’est trop, c’est Tropico » 🤣

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  2.  » Ça n’est classé comme roman que parce que les éditeurs, lecteurs et critiques sont trop anémiés intellectuellement pour se rappeler que le conte et le roman ne sont pas la même chose.  »

    Monsieur Gérard Klein sortez du corps de Romain Lucazeau !

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