L’œuf du dragon, de Robert Forward

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de Hard SF qui met en scène un premier contact entre l’humanité et une forme de vie apparue sur une étoile à neutrons.

L’œuf du dragon, de Robert Forward

Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Mnémos, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Robert Forward, né en 1932 et mort en 2002, est un auteur de science-fiction américain. Il exerçait également la profession de physicien et d’ingénieur aérospatial. Ses travaux en physique ont notamment porté sur la recherche et la détection des ondes gravitationnelles.

L’œuf du dragon est originellement paru en 1980. En français, il a été traduit par Jacques Polanis pour la collection « Ailleurs et Demain » de Robert Laffont, qui l’ont publié en 1984. En 2023, les éditions Mnémos l’ont réédité, avec une traduction révisée par Olivier Bérenval, qui signe également une préface du roman, dans la collection « Stellaire », qui vise à rendre à nouveau disponible des classiques de la SF.

En voici la quatrième de couverture :

« De nos jours, une étoile à neutrons est détectée dans la constellation du Dragon. Les agences spatiales du monde entier décident alors d’envoyer une mission d’exploration. Contre toute attente, une forme de vie a réussi à apparaître sur l’étoile naine, malgré la densité prodigieuse et la pesanteur écrasante. L’espèce des Cheelas s’est développée et a même bâti une civilisation sous ces conditions extrêmes.

Les scientifiques humains à bord de leur vaisseau initient une nouvelle rencontre du troisième type afin de communiquer avec les Cheelas de l’Œuf du Dragon. Mais peut-on se comprendre lorsque le temps sur l’étoile passe un million de fois plus vite ? »

Dans mon analyse du roman, je traiterai de la manière dont Robert Forward décrit un Premier Contact entre deux civilisations qui ne vivent pas sur la même échelle de temps.

L’Analyse : Humains et Cheelas, temporalités séparées


Vous l’aurez peut-être compris en lisant l’introduction et la quatrième de couverture, mais L’œuf du dragon appartient à la branche de la Hard Science, qui vise à décrire des avancées et des objets technologiques vraisemblables au regard de l’état des connaissances scientifiques au moment de l’écriture. L’œuf du dragon s’appuie ainsi sur les savoirs disponibles à propos des étoiles à neutrons. Pour rappel, une étoile à neutrons est un astre composé majoritairement de neutrons qui sont maintenus ensemble par la gravité. Les étoiles à neutrons se forment après l’effondrement de certaines étoiles, trop grandes pour devenir des naines blanches, mais trop petites pour devenir des trous noirs.

Le roman de Robert Forward porte alors un discours scientifique très abondant, qui porte notamment sur les étoiles à neutrons (étonnant, non ?), avec leur fonctionnement physique et gravitationnel. Le discours scientifique permet d’accentuer la tangibilité de l’objet décrit par l’auteur, mais aussi de vulgariser des connaissances auprès du public. Cet aspect du roman se trouve d’ailleurs renforcé par les notes du traducteur, qui expliquent certains termes de physique ou d’astronomie.

L’auteur met en scène un contact entre le système solaire et une étoile à neutrons, dont l’humanité découvre l’existence avant de décider d’aller l’observer. Ellle envoie alors un vaisseau avec à son bord une équipe de scientifiques chevronnés, tels Pierre Carnot-Niven, physicien spécialiste des étoiles à neutrons, ou encore Jean Kelly Thomas, qui étudie l’atmosphère de l’étoile. Le lecteur a d’ailleurs accès aux relevés des sondes qui gravitent non loin de l’étoile à neutrons. Cette forme de polytextualité permet de donner une tangibilité à l’objet céleste mis en scène par l’auteur et vient appuyer le discours scientifique des personnages, qui observent la surface de l’étoile.

L’œuf du dragon décrit alors deux évolutions parallèles. Celle de la formation d’une étoile à neutrons après une supernova, puis l’apparition de la vie à sa surface (oui oui), celle de l’espèce des Cheelas et leur évolution, et dans le même temps, la découverte de ladite étoile par l’humanité, en la personne de Jacqueline Carnot, puis de son fils Pierre, qui part l’explorer et être alors en contact avec une civlisation extraterrestre. Le roman mobilise alors le topos du premier contact, c’est-à-dire la rencontre entre l’humanité et une espèce extraterrestre. Celui-ci est d’ailleurs effectué par une équipe de scientifique. On retrouvera cette configuration dans Vision aveugle de Peter Watts, mais aussi dans la novella L’Histoire de ta vie de Ted Chiang, adaptée au cinéma sous le titre Premier Contact, par Denis Villeneuve. À noter que les humains ne savent pas immédiatement communiquer avec les Cheelas, et doivent trouver des moyens d’échanger avec eux. Ils s’inspirent alors… de récits de science-fiction contenus dans leur base de données (oui oui), ce qui témoigne du caractère autoréférentiel du genre.

Sur le plan narratif, le lecteur dispose de deux points de vue qui s’alternent mais interviennent au même moment, celui des Cheelas, mais aussi celui des humains, qui ne vivent pas de la même manière et ne progressent pas à la même vitesse. En effet, puisque la rotation de leur étoile est extrêmement rapide, les Cheelas vivent un million de fois plus vite que les humains (oui oui), ce qui fait que leur longévité est de quinze minutes (oui oui). Leurs avancées technologiques et sociales se produisent alors à un rythme qui paraît effréné à l’équipe de Pierre Carnot, puisqu’ils passent du stade de civilisation préindustrielle à celui de peuple spatial ayant percé les mystères de l’univers en six jours humains. Cela créé un contraste énorme entre les deux espèces et matérialise le fait qu’elles ne vivent pas sur les mêmes échelles temporelles, puisque les scientifiques voient défiler sous leurs yeux l’équivalent de plusieurs millénaires de progrès technologiques et sociaux.

Le lecteur suit ainsi l’évolution des cheelas et de leur société, mais aussi les conséquences des actions humaines sur leur environnement. Ainsi, ils apprennent à compter, avec un système duodécimal et non décimal, ce qui leur permet de quantifier leurs récoltes, et voient leur sentiment religieux émerger à la suite de l’apparition du « Messager de Vif-Eclat dans leur ciel », qui n’est autre que l’ascenseur spatial des humains (oui oui). Les événements et opérations astronomiques conçus rationnellement par les humains apparaissent alors de manière mystique aux Cheelas, ce qu’on percevoir comme de l’interventionnisme, puisque les actions des scientifiques bouleversent le développement de leur civilisation. À ce titre, il est d’ailleurs amusant que les observations effectuées par l’équipe de Pierre Carnot donnent naissance à l’équivalent de Jésus chez les Cheelas, avec le personnage de Yeux Roses, qui interprète les rayons projetés par le vaisseau comme des signes de dieu (oui oui). La science des Cheelas connaît aussi des progrès visibles et des parallèles avec ceux d’homo sapiens, avec par exemple le fait que les religieux proclament que les astres tournent autour de leur étoile, mais aussi et surtout le personnage de Tueuse de Pied Vif, qui conduit des expériences qui lui permettent de véritablement entrer en contact avec les humains. À noter que leurs progrès technologiques finissent par complètement diverger des avancées humaines, puisque leur équivalent de la télévision et leur moyen d’archiver des données s’appuient sur un autre sens que la vue, à savoir le goût.

Ainsi, l’espèce des Cheelas s’avère complètement différente des êtres humains, et pour cause, elle vit dans un environnement radicalement différent, où la gravité est bien plus élevé et le temps s’écoule beaucoup plus rapidement. Leur forme est considérablement aplatie, ils glissent sur le sol pour se déplacer, mais ils sont en revanche capables de réorganiser leur corps en faisant pousser des appendices plus ou moins fins, avec par exemple des pseudopodes leur permettant de manier des épées, mais aussi des « manipulateurs », grâce auxquels ils manient des outils plus sophistiqués. Les objets qu’ils utilisent au quotidien, de même que leur nourriture, des « cosses » qu’ils cultivent, cueillent et font sécher, sont rangées dans des « poches », qui sont des cavités situées à l’intérieur de leur corps, en l’absence de vêtements (oui oui).

De par leur physiologie et leur environnement, les Cheelas constituent une forme d’altérité radicale, mais ils ne constituent pas une source d’étrangeté qui pourrait être vue comme Weird. Ainsi, les Cheelas ne sont pas altérisés de manière intense, puisqu’ils ne sont pas perçus ou décrits comme des sources d’horreur, mais observés sous l’angle de la raison et s’avèrent capables de communiquer sur un mode pacifique avec l’espèce humaine et échangent avec elle, d’abord comme une espèce apprenant de l’humanité, puis comme un peuple capable d’enseigner les secrets du monde aux humains, puisqu’elle finit par les dépasser, mais je ne vous en dirai pas plus !

Le mot de la fin


L’œuf du dragon est un roman de Hard SF de Robert Forward, dans lequel il met en scène un premier contact entre l’humanité et les Cheelas, une espèce extraterrestre vivant dans un environnement pour le moins insolite, à savoir une étoile à neutrons. Le récit détaille alors la formation et le fonctionnement de ce type d’astre, mais aussi la manière dont la vie s’y développe. Les scientifiques humains venus observer l’étoile à neutrons proche du système solaire observent alors le développement de la civilisation des Cheelas, avec notamment l’émergence de leurs religions et de leurs sciences, et avec lesquels ils finissent par entrer en contact, sans qu’un conflit entre eux n’éclate.

Si vous vous intéressez à la Hard SF, au topos du premier contact, ou aux étoiles à neutrons, je ne peux que vous recommander ce roman !

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