Le Dieu d’automne et d’hiver, de Pauline Sidre

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman qui traite d’un dieu enquêteur, sur les traces de son passé.

Le Dieu d’automne et d’hiver, de Pauline Sidre


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser qu’à l’heure où j’écris ces lignes, le roman de Pauline Sidre est toujours en cours de financement sur la plateforme Ulule. C’est dans le cadre de ce financement participatif que les éditions Projets Sillex m’ont envoyé le roman, et je les en remercie chaleureusement !

Pauline Sidre est une autrice française née en 1988. Elle a remporté le prix Imaginales 2022 de la nouvelle avec l’anthologie Féro(ce)cités de Projets Sillex. Son premier roman, Rocaille, publié chez le même éditeur, a reçu le prix Aventuriales.

Le Dieu d’automne et d’hiver, dont je vais vous parler aujourd’hui, paraîtra en Mai 2024, si son financement participatif aboutit.

En voici la quatrième de couverture :

« Lorsque Helkeziro, dieu de justice et de vengeance, est invoqué par un autre immortel, il sait que l’heure est grave. Le seigneur de l’élégance, Semma d’Or, vient de perdre un serviteur, frappé de pétrification, un mal que tous pensaient disparu.

Pour cause : Helkeziro a tué la seule créature capable d’une telle calamité, des siècles plus tôt.

Mais peut-il encore se fier à sa mémoire, après une éternité à arpenter le pays de Defroy ? »

Dans mon analyse du roman, je traiterai de la manière dont Pauline Sidre décrit une enquête menée par un personnage immortel.

L’Analyse : Mélancolie et enquête immortelle


Le Dieu d’automne et d’hiver met en scène le personnage d’Helkeziro, dit le Discordieux, dieu de la justice et de la vengeance du panthéon du pays de Defroy, invoqué par le « dieu de noblesse et de richesse », Semma d’Or. En effet, ce dernier a perdu l’un de ses serviteurs, vraisemblablement tué par pétrification. Semma d’Or charge alors Helkeziro de trouver le coupable de ce meurtre, qui pourrait bien menacer la totalité des dieux.

Le roman de Pauline Sidre est donc un récit d’enquête, puisque Helkeziro recherche et collecte des indices, des traces du meurtrier, et effectue des suppositions, comme le montre le premier chapitre, où le dieu procède à un examen de scène de crime.

La pierre meurtrière, lisse, permet de distinguer tous les détails de la scène de crime. L’expression de la victime est frappée de surprise, teintée d’un peu de dégoût. Le pauvre homme n’a pas compris ce qu’il lui arrivait.  Sa tenue est simple, adaptée à une promenade. Vestas a probablement été découvert peu après sa pétrification. Il a pu partir dans la matinée, ou bien la veille au soir tout au plus.
Voilà qui chiffonne Helkeziro. Pour s’en venir jusqu’au bosquet, il a fallu marcher une petite heure, passer un ruisseau aux abords bourbeux, quitter les sentiers pour tailler sa route entre des ronciers. C’est une promenade pénible, qu’on n’entreprend pas juste pour prendre le frais.
Qu’est-ce que Vestas fabriquait ici ? Difficile de croire qu’il flânait simplement dans les environs. Helkeziro s’écarte de la statue, estime les distances.
Il se retourne, à l’affût. Au milieu des halliers, il devine quelques brindilles écrasées, des feuilles tombées, de la terre retournée. Quelqu’un est passé par-là. Helkeziro s’accorde un instant d’exultation. Quelqu’un est passé par-là pour retrouver Vestas. Le meurtrier ? Ou un contact à rencontrer ?

Pauline Sidre déploie ici le topos de l’examen la scène de crime, qui est explicitement nommée comme telle pour marquer l’emprunt au roman policier. Helkeziro apparaît ici comme un véritable enquêteur qui s’attarde sur chaque détail, qui deviennent les supports de réflexions et d’hypothèses. Cette description détaillée constitue alors un tableau à interpréter afin d’obtenir des indices sur le meurtrier, mais aussi la victime. Il détaille d’abord le cadavre pétrifié, en insistant sur son expression faciale, mais aussi sur sa tenue vestimentaire, qui donne déjà lieu à des hypothèses sur le moment de sa découverte, et par extension, sur l’heure probable du crime. On observe que la pensée du personnage fonctionne à plein régime, puisqu’il parvient à déduire que la victime ne se trouvait pas sur le lieu du crime sans raison, ce que confirme son examen des distances. On remarque que le dieu dispose d’une vue extrêmement perçante, capable de « deviner » les pas d’un individu à partir de détails infimes, « quelques brindilles écrasées, des feuilles tombées, de la terre retournée », ce qui confirme sa réputation d’enquêteur chevronné.

Les suppositions et les hypothèses d’Helkeziro s’affichent par le biais d’énoncés à valeur épistémique, « il a pu partir dans la matinée », mais aussi de questions qui émergent dans l’esprit du personnage, telles que « Qu’est-ce que Vestas fabriquait ici ? », « Le meurtrier ? », « Ou un contact à rencontrer ? ». Cela lui permet de faire émerger des possibilités, et donc de se lancer sur la piste du tueur.

Lors de cet examen de la scène de crime, Helkeziro apparaît comme un enquêteur de roman policier, puisqu’il est doté d’une grande intuition, d’un grand sens de l’observation, et il se révèle capable d’échafauder des hypothèses, qu’il va chercher à infirmer ou confirmer à la lumière d’autres informations et des pistes qu’il parvient à remonter. Si le personnage du roman de Pauline Sidre est un dieu, il est aussi et surtout un détective. Le fait de placer cette scène dans l’incipit du roman permet de montrer au lecteur qu’il a certes affaire à un roman de Fantasy, mais aussi à une enquête.

Cette dernière se révèle pourtant marquée par un paradoxe, puisque le coupable présumé, une Gorgone, est présumé mort depuis longtemps. L’un des enjeux du récit est alors de vérifier si le coupable est bel et bien celui que l’on croit, mais aussi quel peut être son mobile. Le fait d’enquêter sur la Gorgone plonge par ailleurs Helkeziro dans son passé troublé, hanté par la mort de sa famille.

Ce passé nous est présenté et décrit, puisque la narration du Dieu d’automne et d’hiver est non-linéaire. Ainsi, le présent d’Helkeziro alterne avec son passé, lorsqu’il était Helki, descendant du héros Bramlir Voix-d’Automne, héros légendaire ayant affronté des monstres marins, et dont la famille a été persécutée par une Gorgone. Il a fini par s’y confronter pour lever la malédiction, se libérer de la peur constante qui l’accompagnait, mais aussi venger les membres de sa famille, morts les uns après les autres des mains (ou des yeux, plutôt) de la créature. La Gorgone apparaît alors comme une créature dangereuse et monstrueuse, dont le pouvoir est le seul capable de détruire un immortel, et pose donc un problème à l’ensemble des divinités. Cependant, elle constitue aussi un traumatisme individuel pour Helkeziro, dont les souvenirs sont hantés par sa rencontre avec le monstre. Son enquête constitue alors un moyen de se confronter à son passé et de l’exorciser.

Le Dieu d’automne et d’hiver, en confrontant ses personnages à leur passé et à leurs sentiments, explore la psychologie d’être divins, et selon moi, il s’agit de l’une de ses grandes forces. Pauline Sidre adopte un discours sur la condition très humaine d’immortels ne le sont pas de naissance. Ainsi, Helkeziro est marqué par son passé, de même que les autres dieux, à l’image de Saltiomel, qui patronne le panthéon, ou des dieux artistes, tels que Cassim la poétesse, Komeo le sculpteur, ou Pall-Ne, le peintre. L’autrice s’attarde sur les émotions de ses personnages, à l’image de la colère et de la rage qui habitent Helkeziro , de son passé qui le poursuit, mais aussi de la culpabilité qu’il ressent vis-à-vis de son rituel d’invocation. En effet, le roman de Pauline Sidre évoque le fait que chaque dieu du panthéon de Defroy dispose de sa propre manière d’être invoqué par ses fidèles. Par exemple, les dieux artistes exigent une production exceptionnelle dans leurs domaines respectifs, Lehii la déesse des sciences demande des « théorèmes biscornus » (oui oui) et des calculs complexes, tandis que le dieu des architectes, Aek, doit mobiliser « un mécanisme ingénieux ». Cet ensemble de rituels est particulièrement original et montre de manière tangible les liens qui unissent les dieux à leurs fidèles.

Les immortels ne sont toutefois pas totalement maîtres de leur destin, puisqu’ils peuvent être invoqués par les mortels qui ont besoin de leur aide. Le voyage (et donc l’enquête) d’Helkeziro est ainsi interrompu par un grand nombre d’invocations qui l’éloignent parfois de son objectif et lui font perdre du temps. Ainsi, les immortels du roman de Pauline Sidre, loin d’être des divinités invincibles et surpuissantes qui dominent le monde, sont faillibles et sont rattachés à leurs fidèles. Par ailleurs, les dieux apparaissent humains de par leurs émotions et l’empathie qu’ils ressentent vis-à-vis des mortels auxquels ils viennent en aide, dans le cas d’Helkeziro. D’autres apparaissent espiègles et prennent par exemple plaisir à cambrioler des musées d’art, à l’image de Saltiomel (oui oui), maître d’un panthéon permis par un vol.

Cependant, le rituel d’Helkeziro s’avère particulièrement sanglant, puisque celui-ci nécessite le sacrifice d’un bel animal (oui oui). Ainsi, lorsqu’il est invoqué, l’immortel ressent une profonde culpabilité, puisque le procédé nécessite une vie innocente. On observe ce sentiment lorsqu’Helkeziro est invoqué lors d’un procès.  

À peine a-t-il posé le pied hors de la tour qu’Helkeziro se sent partir. Il s’envole, s’effrite, la nausée coutumière le saisit à la gorge. Il reprend pied au cœur d’une scène effroyable.
Il se trouve dans un immense tribunal. […] Le carrelage sous ses pieds, d’un beau jaune doré, disparaît sous une fange infâme. Des entrailles dénouées, des cœurs éclatés et du sang qui barbouille le pied des meubles. Helkeziro se hérisse immédiatement. […]
Le dieu n’est pas venu. Alors, on a songé que le chat n’était pas aussi magnifique que prévu. On lui a sacrifié un grand paon blanc, dont les plumes ornent encore la tribune des jurés. Mais le dieu n’est pas encore venu. Alors on a acheté à grands frais le plus beau des bœufs du marché, on l’a découpé devant le juge en personne, devant les accusés et devant le public, en éparpillant ses entrailles avec soin. Et le dieu, de nouveau, a gardé le silence. […]
Ses yeux vont et viennent le long de la pièce infecte. Les marbres du tribunal sont spongieux de cervelle et le sang roule dans les rainures des dalles.

On remarque un contraste saisissant entre la beauté du tribunal, « immense », et dont le carrelage est « d’un beau jaune doré »,  et la « scène effroyable » qui s’y déroule. La description de Pauline Sidre met en évidence le caractère particulièrement sanglant des sacrifices offerts au dieu de la justice, mais aussi de leur nombre, et mobilise le registre du Body Horror au moyen du pluriel de groupes nominaux désignant des organes, « des entrailles dénouées, des cœurs éclatés », et d’hyperboles, « scène effroyable », « fange infâme ». Le nombre est par ailleurs mis en évidence par le détail des animaux sacrifiés, avec d’abord un « chat », puis un « grand paon blanc », puis « le plus beau des bœufs du marché ». Ces derniers ne sont plus présents que par métonymie, c’est-à-dire qu’il ne reste que des fragments de leurs corps pour les représenter, tels que les « plumes », les « entrailles » ou « la cervelle ».  La beauté du tribunal est alors contaminée par les sacrifices rendus à Helkeziro, ce qu’on observe dans la dernière phrase de l’extrait, qui associe ses « marbres » et « ses dalles » au « sang » et à la « cervelle » qui les entachent, de même que la conscience du dieu, resté absent pendant trop long. Les répétitions de « le dieu n’est pas venu » permettent de marquer l’inutilité de chaque sacrifice, et par extension, celle de la violence perpétrée à l’encontre d’animaux innocents. Helkeziro se sent alors coupable d’avoir provoqué leur mort. Il apparaît comme un dieu sensible et faillible, dont l’invocation se paie au prix fort, pour ceux qui l’appellent, ceux qui sont sacrifiés, et lui-même. Cela montre toute la faillibilité du personnage, et par conséquent, toute son humanité.

Le mot de la fin


Le Dieu d’automne et d’hiver est un roman de Fantasy de Pauline Sidre, dans lequel l’autrice met en scène le pays de Defroy, où vivent un ensemble de dieux immortels pouvant venir en aide à leurs fidèles grâce à des rituels d’invocation originaux, liés à ce qu’ils représentent.

Le récit nous fait suivre l’enquête d’Helkeziro, dieu de la justice et de la vengeance, invoqué par l’un de ses pairs pour enquêter à propos de la pétrification, seule méthode capable de tuer les immortels. Le roman de Pauline Sidre mobilise donc les topoi des romans policiers, et lance son personnage principal sur les traces d’un suspect censé être mort depuis longtemps, et dont la résurgence pourrait signer la fin du panthéon de Defroy. 

L’autrice fait la part belle à l’évocation du passé et des sentiments d’Helkeziro et de ses camarades divins, et montre des immortels sensibles, capables d’une grande empathie à l’égard des mortels, et donc extrêmement humains.

Le Dieu d’automne et d’hiver traite de la condition humaine des immortels avec beaucoup de justesse, et je ne peux que vous le recommander ! Je vous encourage à participer au crowdfunding encore en cours à l’heure ou je publie ces lignes.

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