Louves, de la Compagnie Rugir

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je te propose un article un peu spécial, puisque je vais te parler d’une pièce de théâtre que j’ai vue au théâtre de la Jonquière à Paris, le 23 Mars 2024.


Louves, de la Compagnie Rugir


Introduction


La Compagnie Rugir a été fondée en Octobre 2020 par Clémence Bressolier, Margot Chevrel, rejointes par la suite par Mélanie Nonnotte. Elle se veut pluridisciplinaire et s’exprime à travers des créations théâtrales originales en salle, mais aussi dans la rue.

Louves, dont je vais vous parler aujourd’hui, est une pièce de théâtre de science-fiction dont la première a eu lieu en Mars 2024, au théâtre de la Jonquière, à Paris. Elle a été écrite et mise en scène par Mélanie Nonnotte, est jouée par Clémence Bressolier et Margot Chevrel, avec une dramaturgie de Louise Lavauzelle. Do Cellou a conçu la voix et a régi l’Intelligence Artificielle mise en scène dans la pièce, Thomas Faure a composé la musique de la pièce, et Mélanie Nonotte (encore elle !) et Thibauld Delrieux ont effectué les créations lumière.

La pièce relate l’histoire d’Etna et de Cécili, des femmes enfermées dans des tanières par un régime totalitaire et répressif, dans un monde ravagé par le changement climatique. Ensemble, elles se révoltent progressivement contre le système qui les a enfermées.

Dans mon analyse de la pièce, je traiterai de la manière dont la Compagnie Rugir met en scène le combat de ses personnages dans un monde dystopique.

L’Analyse : Enfermées dans les tanières mais prêtes à rugir


Louves se déroule en 2173, dans un régime autoritaire qui oblitère les droits des femmes et les enferme dans des « tanières » lorsqu’elles se rebellent contre l’autorité, la notion de rébellion étant extrêmement large et incluant des « lectures interdites » ou lorsqu’elles « échouent au test de fertilité » à l’âge de 16 ans. Les femmes sont alors dépossédées de leurs corps, aliénées par un système qui les réduit à l’état de subalternes obéissantes et de reproductrices. Celles qui se retrouvent dans les tanières sont appelées les « infra » et doivent travailler gratuitement pour effectuer les tâches considérées comme pénibles ou de second ordre socialement, telles tenir la caisse des supermarchés, le secrétariat d’une clinique, ou des travaux particulièrement abominables, nettoyer du sang et des cadavres par exemple (oui oui). Les infras deviennent alors une forme de prolétariat qui ne peut échapper à sa condition puisqu’elle a été déterminée par un pouvoir inflexible qui veut éliminer toute forme de subversion. Mélanie Nonnotte met donc en scène une dystopie effroyable, où les femmes constituent une catégorie victime de discriminations systémiques et violentes.

Par ailleurs, cette dystopie s’inscrit dans un univers apocalyptique, où règnent un taux de pollution extrême et un réchauffement climatique violent, au point où les personnages ne peuvent sortir que pendant les « heures sombres », les « heures claires » semblant trop dangereuses pour la population. Les dégâts environnementaux ont détruit les ressources naturelles, puisque la viande animale est devenue une denrée extrêmement rare, comme le souligne Cécili lorsqu’elle dit qu’il ne faut surtout pas la gâcher, de même que les fruits et légumes, devenus introuvables au point qu’Etna déclare n’avoir jamais mangé de pomme de sa vie (oui oui). L’état de la planète est montré par le fait qu’Etna comme Cécili portent et des combinaisons de protection lorsqu’elles sortent ou entrent dans leur tanière. Les costumes et les accessoires permettent alors de souligner la dangerosité du monde extérieur aux yeux des spectateurs, qui n’ont accès qu’à la tanière des deux infras pendant la grande majorité de la pièce.

Louves se déroule en effet dans le huis-clos de la tanière d’Etna et de Cécili. Au théâtre, mais aussi en littérature, un huis-clos désigne une œuvre dont l’action prend place au sein d’un lieu unique, dont les personnages ne peuvent véritablement sortir. Par exemple, Le Volcryn de George R. R. Martin ou L’Antre de Brian Evenson sont des huis-clos qui enferment leurs personnages respectivement dans un vaisseau spatial et dans le dernier refuge de ce qui reste de l’humanité. Dans le cas de Louves, l’usage du huis-clos permet de matérialiser l’enfermement des personnages et leur statut social de prisonnières exploitées.

Le décor de la tanière constitue alors le microcosme au sein duquel Etna et Cécili sont à l’abri du monde extérieur et de sa violence, accompagnées par Gisèle, une IA hébergée dans une radio qui échange avec les deux infras. Les effets sonores soulignent d’ailleurs la rupture entre la tanière et le reste, puisque l’entrée comme la sortie des personnages sont marquées par un bruit d’ouverture de sas qui signale l’aspect science-fictif de la pièce, mais qui souligne également le besoin de séparer l’intérieur de l’extérieur.

C’est à travers ce microcosme, des dialogues entre les trois personnages physiquement présents sur scène, et des voix présentes en fond, telles que celles des Giso, les radios programmées pour délivrer les messages du pouvoir, que s’effectue le didactisme qui permet au spectateur de comprendre l’univers du récit. Les radios deviennent alors à la fois des personnages et des outils didactiques qui permettent de décrire au spectateur les changements environnementaux catastrophiques, ce que soulignent aussi les costumes et les accessoires, tandis que le décor, constitué de deux lits, d’un bidon d’eau et d’une radio, nous montre les conditions de vie dégradées des personnages.

L’univers science-fictif est alors rendu véritablement tangible par le décor, les effets sonores, mais aussi le jeu des actrices. Clémence Bressolier et Margot Chevrel ont un jeu extrêmement expressif, qui marque les violences et l’oppression que leurs personnages subissent, mais aussi leurs moments d’espoir d’amusement, avec notamment une scène de danse sur de l’electropunk avec des jeux de lumière du plus bel effet. Elles emploient un vocabulaire spécifique, avec des mots-fictions comme « infra », les « Blackcels » et « la Mâchoire » qui sont les tenants de l’autorité du pouvoir, le « Giso » et « Gisèle », les heures « sombres » et « claires », mais aussi de l’argot comme « remâcher », qui signifie ruminer. Le jeu des actrices, mais aussi le langage qu’elles mobilisent, renforcent la tangibilité de l’univers fictionnel, mais aussi les personnages, dont la relation se construit sous les yeux du spectateur.

La pièce aborde l’aspect ambivalent de la technologie à travers les Giso et la figure de Gisèle. Ainsi, les Giso sont au service du pouvoir et servent à surveiller la population et permettent la mise en place d’un régime sécuritaire qui s’immisce jusque dans le contrôle du corps des personnages. On voit en effet à plusieurs reprises Etna et Cécili effectuer des exercices physiques obligatoires, mais aussi se coucher sur les ordres de la machine. Les Giso participent par ailleurs à l’aliénation des infras par le travail, puisque ce sont eux qui leur délivrent leurs ordres de mission et les tâches qu’elles doivent accomplir. Ils sont alors les relais du pouvoir et de la violence qu’il véhicule, comme en témoigne par ailleurs leur voix masculine. Gisèle, au contraire, est une Intelligence Artificielle programmée par la compagne d’Etna, Mathilda, et lui vient en aide, ainsi qu’à Cecili. Elle veille au bien-être des deux personnages, leur fournit des informations utiles, et se trouve même dotée d’une personnalité propre, puisqu’elle tente d’apprendre l’humour pour détendre Etna, et déclare que sa centaine de cœurs aiment les deux infras de la tanière. Gisèle constitue alors un outil de subversion du pouvoir autoritaire, un moyen pour Etna et Cécili de s’émanciper et de reconquérir leur liberté perdue.

Vous l’aurez compris, Louves est une pièce dotée d’un fort propos politique. Mélanie Nonnotte montre que les droits sociaux ne sont jamais totalement conquis, mais acquis de haute lutte, et peuvent par conséquent être remis en question par des régimes autoritaires et réactionnaires, ce qui fait malheureusement écho à des faits d’actualité bien trop contemporains et effrayants. Il est alors nécessaire de faire preuve de solidarité pour leur résister, comme le font Etna et Cécili.

Le mot de la fin


Louves est une pièce de théâtre de science-fiction réalisée par la Compagnie Rugir. Elle met en scène deux personnages, Etna et Cécili, dans un monde dominé par un régime autoritaire qui enferme les femmes rebelles ou infertiles dans des tanières et les condamne aux travaux forcés, les dépossédant de leur corps et de leur volonté, mais aussi de leur confort de vie, ce dont témoigne le décor dépouillé. Elles sont par ailleurs surveillées par des Intelligences Artificielles implantées dans des radios, les Giso. Le monde fictionnel s’avère par ailleurs apocalyptique, ce que montrent parfaitement les costumes et les accessoires, puisque les personnages portent des combinaisons de protection et des masques pour supporter les conditions climatiques extrêmes. Pourtant, Etna et Cécili s’érigent peu à peu contre le pouvoir, avec l’aide de Gisèle, une IA modifiée, et redécouvrent l’espoir.

J’ai vraiment beaucoup aimé voir Louves, et j’espère de tout cœur que vous pourrez la découvrir aussi !

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