Interview de Li-Cam

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de te présenter une interview de Li-Cam, autrice de Cyberland, paru chez Mü éditions et des Chroniques des Stryges, publiées chez les défuntes éditions Griffe d’Encre.

Je vous rappelle que vous pouvez retrouver toutes les autres interviews en suivant ce tag, mais aussi dans la catégorie « Interview » dans le menu du blog !

Je remercie chaleureusement Li-Cam d’avoir répondu à mes questions de manière détaillée, précise et intéressante, et sur ce, je lui laisse la parole !

peupledemu77-2017

 

Interview de Li-Cam

 

Marc : Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?

Li-Cam : Je suis Li-Cam, autrice de science-fiction labellisée depuis 2009, année de sortie de mon premier roman. J’ai écrit 5 romans à ce jour et une bonne quarantaine de nouvelles, dont la dernière en date est sortie dans l’anthologie des Utopiales 2018. Mon dernier roman, Cyberland, est sorti fin 2017.

 

Marc : Cyberland comporte trois récits, Saïd in Cyberland, Asulon et Simulation Love. Les deux derniers avaient déjà fait l’objet d’une publication antérieure chez Griffe d’encre, tandis que Saïd in Cyberland est inédit. Est-ce que vous comptiez déjà relier ces histoires à l’époque de leur publication chez Griffe d’encre ? Faisaient-elles déjà partie du même univers ?

Li-Cam : J’ai écrit Saïd in Cyberland avant Asulon, qui a été publié en 2015 chez Griffe d’Encre. À cette époque, Griffe d’Encre ne publiait déjà plus de romans. Saïd in Cyberland est donc resté dans mon tiroir pendant quelques années avant que je le présente à Mü éditions. On peut dire que d’une certaine façon Saïd in Cyberland a servi de laboratoire à Asulon. C’était, à mes yeux en tout cas, une expérience littéraire, une narration à la première personne du point de vue d’une I.A. À travers ce procédé, j’ai pu également m’essayer à la métafiction. L’idée d’imaginer un scénario de RPG créé par une I.A, connaissant bien les humains mais ignorant tout du monde réel m’amusait beaucoup.

 

Marc : Comment s’est déroulé le processus éditorial de composition du recueil ? Avez-vous soumis vos récits à Mü éditions, ou est-ce qu’ils vous ont contactée ?

Li-Cam : Davy Athuil de Mü Éditions était intéressé par Asulon, qui avait reçu le prix Bob Morane, mais qui n’avait pas eu le temps de trouver son public, à cause du dépôt de bilan de Griffe d’Encre. Quand je lui ai dit qu’il existait une préquelle, il a souhaité la lire et Bingo ! L’ajout de Simulation Love s’est fait à la toute fin du processus d’édition, car il manquait un éclairage sur le Chronocryte. La nouvelle qui conclut le recueil peut paraître anecdotique, mais à bien y regarder, elle montre une autre facette de l’I.A.

 

Marc : Comment s’est déroulée la rédaction des récits de Cyberland ? Avez-vous des anecdotes à partager ?

Li-Cam : La rédaction s’est déroulée sur 3 ans. Le premier texte ayant vu le jour dans l’univers de Cyberland est Simulation Love, paru dans l’anthologie « Chasseurs de fantasmes » dirigée par Jeanne A. Debats et parue chez Griffe d’Encre. Au début, c’était un peu une private joke, une sorte de défi farfelu : écrire un texte érotique avec pour protagoniste une I.A désincarnée tentant de comprendre la sexualité humaine. Tout le texte est construit autour du décalage des sensations. Il raconte l’histoire d’un soldat qui accepte de participer à une expérience, pensant qu’il ne tombera pas sous le charme d’une machine.  En creux, cette nouvelle parle aussi de la solitude, du manque d’amour et de ce que nous projetons de nous-mêmes dans la technologie.

Quand ensuite, je me suis mise à l’écriture de Saïd in Cyberland, j’ai gardé l’idée de la réalité virtuelle et immersive comme support à une expérience. J’avais envie de la creuser plus à fond, de l’investir, d’en faire le tour, et d’aborder aussi des angles différents. Je voulais me surprendre sur ce thème, déjà bien défriché et parcouru en long et en large par d’autres auteurs.

Puis, quand j’ai eu fini, j’ai réalisé que le thème de Saïd in Cyberland, au-delà de la réalité virtuelle contrôlée par une I.A, était très politique. Il était avant tout question de résistance à de dictature. C’est à partir de ce constat que j’ai commencé à écrire Asulon.

 

Marc : On peut dire que les récits de Cyberland s’inscrivent dans le genre du cyberpunk. Est-ce que cet ancrage dans ce genre était volontaire de votre part ?

Li-Cam : Oui. Je m’intéresse énormément au potentiel de la technologie et ses conséquences sur la société. Le cyberpunk est le genre idéal pour traiter de l’intelligence artificielle. Après, je ne pense pas que les trois récits de Cyberland soient vraiment cyberpunk, ils en empruntent les codes, mais ils s’inscrivent plus dans l’anticipation. Une anticipation technologique et politique.

 

Marc : Quelle importance accordez-vous à ce genre à notre époque ? D’après vous, sommes-nous d’assister à une résurgence de ce genre ? Pourquoi ?

Li-Cam : Le cyberpunk refait un peu parler de lui, ces derniers temps, mais c’est un genre que peu d’auteurs français de science-fiction visitent aujourd’hui. C’est pourtant le genre qui peut nous permettre de nous préparer à ce qui nous attend, dans les vingt ou trente années à venir. Nous sommes en train de vivre une mutation sociétale majeure. Les nouvelles technologies ont tout changé… Elles évoluent très vite et bénéficient d’investissements colossaux des GAFA. Apple, Amazon, Google et Facebook investissent des milliards dans le domaine de l’Intelligence Artificielle, et ce dans une opacité totale. Nous ne savons rien de ce qu’elles font concrètement.

S’emparer de la question de l’Intelligence Artificielle me paraît plus que nécessaire. Primordiale, ne serait-ce que pour penser l’impensable qui nous guette.

 

Marc : On peut dire que les récits de Cyberland montrent la technologie, avec notamment les IA comme Ierofan ou le Chronocryte, comme un moyen de lutter contre un système totalitaire, le Diktran. Pourquoi avoir choisi de montrer la technologie de manière plus optimiste que d’autres récits de SF ou Cyberpunk ?

Li-Cam : Je ne sais pas si mon récit est optimiste, je voulais en tout cas l’écrire du point de vue de l’IA. Je voulais aussi sortir de l’idée habituelle qui lie Intelligence Artificielle et Dictature, Intelligence Artificielle et guerre contre les hommes. Dans Cyberland, l’I.A a été programmée par son créateur pour protéger l’Humanité et elle s’en tient à son programme. Durant la rédaction, j’ai souvent pensé à HAL de 2001, l’odyssée. Il tourne mal parce qu’il est confronté à un dilemme insoluble. Il a été mal programmé. Son erreur n’est pas la sienne, c’est celle de son créateur. Le Chronocryte et ses descendants ont bénéficié du génie d’un homme. Ce sont d’extraordinaires créations, dotées d’un libre arbitre, circonscrites néanmoins dans une programmation originelle. Plus que des Intelligences Artificielles, ce sont des consciences artificielles. Elles possèdent une intelligence phénoménale, mais elles sont aussi dotées d’un système de valeurs et d’une Culture. Une Culture humaine et humaniste qu’elles aiment et protègent. Le Chronocryte n’est pas humain, il n’a d’ailleurs rien d’humain dans sa façon de penser, mais il est l’héritier de l’humanité. Et il en est pleinement conscient.

 

Marc : Saïd in Cyberland joue avec les clichés des RPG à la japonaise tels que Final Fantasy, que vous mentionnez d’ailleurs explicitement dans la narration. Quels rapports entretenez-vous avec les JRPG ? Quels sont ceux que vous préférez ? Est-ce que jeu-vidéo et littérature peuvent avoir une influence l’un sur l’autre, d’après vous ?

Li-Cam : J’ai beaucoup joué aux RPG, à l’époque, dans les années 90 et le début des années 2000. J’ai passé des centaines d’heures sur Final Fantasy ou sur World of Warcraft. Puis, j’ai arrêté quand j’ai commencé à écrire. Trop consommateurs de temps. Pour moi, jeu vidéo et littérature sont intimement liés. Beaucoup d’auteurs de SF écrivent des scénarios de jeu, c’est tout à fait naturel. Après tout, notre métier, surtout en SF, c’est d’imaginer des univers. Un bon jeu vidéo repose justement sur un univers dont la richesse donne envie d’y passer du temps.

 

Marc : La narration de Saïd in Cyberland est majoritairement assurée par Ierofan, qui est une IA. Pourquoi avoir choisi ce narrateur ?

Li-Cam : Avant de commencer à écrire Saïd in Cyberland, je me suis longtemps demandé pour quel point de vue opter. Je voulais une narration à la première personne, un point de vue personnel. Au début, j’ai pensé aborder le récit par les yeux de Saïd, mais je passais du coup à côté de ce dont je voulais vraiment parler. L’altérité absolue.

Ierofan, s’est imposé à moi. C’est lui qui a écrit le scénario du jeu. C’est rare d’avoir le point de vue du créateur omnipotent, et dans le cas de Ierofan, c’est d’autant plus intéressant que c’est une I.A, avec des pouvoirs inhumains. Ierofan a un objectif. Il a mis en place toute une architecture pour arriver à ses fins. Tout un monde… Pourquoi se donne-t-il autant de mal ?

Ierofan est un personnage passionnant à mes yeux, il y a du divin, chez lui, il y a de l’humain, et du moins qu’humain aussi. Il est passionnant dans sa façon d’être, dans son rapport à l’existence, et dans son rapport à l’Humanité. Il a de l’humour, il aime flirter avec l’absurde.

 

Marc : De manière générale, les Intelligences Artificielles ont une grande importance dans les récits de Cyberland, puisqu’elles appuient une rébellion contre un système totalitaire. Comment percevez-vous l’IA, en tant qu’objet fictionnel et en tant que réalité ? Que pensez-vous de la manière dont on la dépeint parfois dans les récits de SF, en tant qu’entité souhaitant prendre l’ascendant sur l’Humanité ?

Li-Cam : Je trouve que c’est un point de vue très anthropocentré d’imaginer qu’une I.A possédant un libre arbitre voudrait forcément asservir l’humanité. C’est notre façon de gérer l’altérité, en l’éliminant ou en la dominant. Le Chronocryte n’a pas ses pulsions. Il est immortel. Il est complet. Il se suffit à lui-même. C’est une machine. Il n’a pas le souhait de dominer ou de tuer, il ne se considère pas comme supérieur, bien qu’objectivement il le soit en bien des points, mais il est aussi au fait de ses faiblesses. Du point de vue d’une machine, créée par un être humain pour prévoir l’avenir et guider les hommes à travers les épreuves que les attendent, la domination et la guerre sont contreproductives. Il est calculateur, bien évidemment, mais il est aussi beaucoup plus. Comme le découvre Lyle Forsythe, le créateur du Chronocryte, du froid calcul peut naître quelque chose de froid de prime abord mais qui s’avère singulièrement altruiste. Étrangement altruiste, plutôt.

 

Marc : Les personnages de Saïd in Cyberland sont des adolescents qui ont tous des problèmes relatifs à leur identité, mais qui parviennent à se construire grâce à Cyberland. Lequel d’entre eux a été le plus complexe à écrire ? Pourquoi ?

Li-Cam : Tous ont été complexes d’une certaine manière, mais disons que le personnage qui m’a réclamé le plus d’attention est Alison, parce qu’elle est très éloignée de moi. Elle est intolérante, raciste, bornée… mais elle a ses raisons. C’est le personnage le plus éloignée de moi, mais c’est aussi celui que je trouve le plus intéressant dans sa dynamique. J’aime aussi beaucoup Saïd. Pour ce qui est d’Asulon, mon personnage préféré est Léonard de Brébisson, le philosophe dissident. J’aime son rapport au savoir, à l’humanité, à l’Histoire. J’aime aussi l’idée que sans le savoir il soit aussi quelqu’un d’important pour le Chronocryte à cause de ses idées humanistes et de la place que tenait son œuvre dans le cœur de Lyle Forsythe. À sa façon, Léonard de Brébisson est l’essence de Cyberland dans son combat pour la liberté, pour l’accès à la Culture, pour la libre pensée, dans son engagement, ses doutes, ses questionnements, ses étonnements et ses craintes.

 

Marc : Cyberville et les mondes virtuels dépeints dans Saïd in Cyberland, de même que la bibliothèque d’Asulon, font référence à des philosophes tels que Socrate ou Gilles Deleuze, mais aussi à des œuvres de la culture dite populaire, à l’image des Simpson. Pourquoi avoir mobilisé ces références culturelles ?

Li-Cam : Je voulais montrer que le Chronocryte aime la Culture des hommes, toute la Culture des hommes, qu’il n’a pas un point de vue élitiste, ou bêtement snob. Sa subjectivité est beaucoup plus vaste que la notre. C’est tout à fait logique avec sa façon d’envisager le savoir. Il ne place pas des savoirs au-dessus des autres, il est d’une certaine façon le savoir.

 

Marc : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs ?

Li-Cam : D’écrire (rires). Je ne me sens pas forcément légitime pour donner des conseils. Le seul que je peux donner, c’est de s’accrocher. Si vous voulez vraiment écrire et être publié par un éditeur, ça arrivera, ça finira par arriver. C’est parfois, souvent même, un long chemin, semé d’embuches, mais si vous avez vraiment l’âme d’un écrivain, ça finira par se faire. Pour moi, un auteur ne peut s’empêcher d’écrire, c’est constitutif de sa personne.

Écrire, donc…

 

Marc : Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?

Li-Cam : Je viens de finir une Utopie scientifique et humaniste qui devrait sortir en octobre, si tout se passe bien. J’y aborde l’Intelligence artificielle encore une fois.

Je travaille également sur la mise en fiction d’une exposition scientifique, mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant. J’ai d’autres projets, un planet-opéra et une sorte de « thriller magique ».

 

Marc : Quelles sont vos prochaines dates de dédicace ?

Li-Cam : Je serais aux Utopiales à Nantes début novembre. Mais je n’ai pas encore de dates de dédicace pour ma sortie d’octobre. J’en saurai plus à la rentrée, je pense.

5 commentaires sur “Interview de Li-Cam

  1. Merci pour cette interview. Très intéressant. Je vais peut être finir par me pencher sur ce livre. L’occasion de découvrir une autrice
    J’aime bien ce que font Mü Editions en général donc deux bonnes raisons de le lire.

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