Interview de Jean-Laurent del Socorro

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de te proposer une interview de Jean-Laurent del Socorro, auteur de Royaumes de vent et de colères, Boudicca, et Je suis fille de rage, aux éditions ActuSF ! Ses deux premiers romans sont également disponibles au format poche chez J’ai Lu. Il a également répondu aux questions de Célindanaé dans une interview q

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Je remercie très chaleureusement Jean-Laurent del Socorro pour ses réponses détaillées, et sur ce, je lui laisse la parole !

 

Interview de Jean-Laurent del Socorro

 

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Marc : Peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?

Jean-Laurent Del Socorro : Bonjour. Je suis auteur de trois romans de fantasy historique aux éditions ActuSF : Royaume de vent et de colères sur les guerres de religions à Marseille ; Boudicca, sur une reine celte et Je suis fille de rage, qui vient juste de sortir, sur la guerre de Sécession américaine.

 

Marc : As-tu toujours voulu devenir écrivain ? Qu’est-ce qui t’a conduit à écrire ?

Jean-Laurent Del Socorro : Non, je ne suis pas écrivain « de naissance ». Je suis venu tard à l’écriture, vers les 35 ans. Au début, j’avais envie de coucher des choses sur le papier, pour moi. Je me suis essayé aux nouvelles puis au roman.

 

Marc : Tes trois premiers romans, Royaumes de vents et de colère, Boudicca et Je suis fille de rage, se déroulent dans des contextes historiques très précis, les guerres de religion en France au 16ème siècle, l’invasion des terres de ce qui deviendra l’Angleterre par l’empire romain, et la guerre de Sécession aux États-Unis. Pourquoi choisir de mêler l’histoire à la fiction, et surtout à l’imaginaire ? Pourquoi avoir choisi ces périodes particulièrement ?

Jean-Laurent Del Socorro : Le choix des périodes est d’abord une rencontre avec une publication universitaire, un documentaire, un ami qui me parle d’un personnage historique. Quand je sens qu’il y a matière à faire un récit, je le note dans un coin de ma tête et m’y repenche plus tard dessus. C’est ainsi qu’est né mon roman Boudicca, suite à la lecture d’un article universitaire qui avait attiré mon attention.

Pourquoi mettre de l’imaginaire dans l’histoire ? D’abord parce je revendique d’écrire dans la littérature de genre. Ensuite, parce j’aime faire en sorte qu’il reste dans une part de mystère dans cette réalité. Je suis d’ailleurs presque plus un auteur de fantastique que de fantasy.

 

Marc : Comment se sont déroulées les rédactions de tes romans ? As-tu des anecdotes à partager ?

Jean-Laurent Del Socorro : Je ne suis pas un poète maudit. J’écris pour me faire plaisir L’acte d’écriture ne doit pas se faire dans la douleur, selon moi. Quand je travaille sur un texte, je le fais au clam, sans musique, à mon rythme.

Côté anecdote, la plus fameuse est sans doute celle sur Boudicca. Mon relecteur historique, Gwendal Gueguen – un archéologue spécialisé sur l’époque celte que je remercie encore ici – me faisait part de ses retours sur mon premier manuscrit. Il était vraiment bienveillant et ses remarques étaient précieuses. À mon moment, il m’invalide une scène qu’il estime irréaliste au sens historique du terme. Cela aurait pu être un détail… mais la scène était centrale au récit.

Du coup, j’ai du revoir la globalité du texte et en réécrire une partie. Mais ça fait partie du jeu.  Je le sais car sinon, je ne demanderais pas à des spécialistes historiques de me donner leurs avis sur mes romans.

 

Marc : Pourquoi avoir choisi des périodes de conflit ?

Jean-Laurent Del Socorro : Ce n’est pas un choix conscient. Je ne me dis pas : « Je vais travailler sur telle ou telle guerre ». C’est plus une constatation a priori : mes trois premiers romans prennent pour cadre des conflits guerriers.

Pourquoi : sans doute parce que ces périodes sont riches à la fois sur le fond (les thématiques et les enjeux soulevés) et sur la forme (il y a un moteur narratif intrinsèque fort dans le principe du conflit).

 

Marc : On voit dans Je suis fille de rage ou Boudicca que tu donnes une bibliographie d’ouvrages qui t’ont aidé à construire ton récit. Comment est-ce choisis-tu ces ouvrages ? Comment se déroulent tes recherches ? Est-ce que tu suis une méthode particulière ?

Jean-Laurent Del Socorro : Je suis très scolaire. Je vais regarder les noms des auteurs/chercheurs qui font référence sur la période. Je commence à lire puis j’étoffe peu à peu ma bibliographie. En cours d’écriture, je complète en fonction des besoins.

Sur ce dernier point, cela peut être varié. Par exemple, pour Je suis fille de rage, je suis allé chercher un livre sur les armes de 1860-1870 pour avoir les bons termes descriptifs et apprendre comment fonctionnent les fusils de l’époque. Mais je me suis aussi plongé dans les poèmes de Walt Whitman, quand j’ai découvert qu’il était infirmier pendant la guerre de Sécession, pour inclure des passages de ses œuvres dans mon texte.

 

Marc : Boudicca s’intéresse à un personnage historique sur lequel nous sommes peu renseignés, une reine celte qui a lutté contre l’Empire romain. Pourquoi avoir choisi de lui donner une « biographie onirique » ? Comment se sont déroulées tes recherches sur le personnage et son époque ?

Jean-Laurent Del Socorro : Les recherches ont été rapides : il n’y avait en tout et pour tout que deux textes romains qui parlaient de cette reine celte. J Du coup, je suis passé par l’archéologie. Deux chercheurs anglais se sont beaucoup intéressés à la période au clan de Boudicca, les Icènes. Mon premier relecteur, un archéologue spécialiste de l’époque, m’a donné ses précieux avis et des conseils de lectures pour compléter ce travail.

 

Marc : Est-ce que tu rapprocherais ta démarche pour Boudicca de celle de Jean-Philippe Jaworski pour sa série des Rois du monde, et/ou de celles d’Alex Nikolavitch ou de Thomas Spock dans leurs romans sur Uther Pendragon ?

Jean-Laurent Del Socorro : Je ne connais pas la démarche d’Alex Nikolavitch ou de Thomas Spock. Pour Jaworski et son cycle Les Rois du monde, il y a en effet quelques similitudes, notamment sur le choix de dire que le fantastique existe dans le regard des personnages de l’époque. Finalement, il n’y a peut-être pas vraiment de magie, mais si les gens y croient, alors, pourquoi pas ? Dans Boudicca, je laisse le choix au lecteur de voir ou pas, cette part de magie dans le roman.

 

Marc : Je suis fille de rage retrace l’histoire de la guerre de Sécession aux États-Unis. Pourquoi t’es-tu intéressé à ce conflit ?

Jean-Laurent Del Socorro : J’essaye de faire en sorte que mes textes aient un écho fort avec des problématiques d’aujourd’hui. Boudicca évoque la question de la place de la femme, celle de la domination d’une culture sur une autre, etc. La guerre de sécession aborde directement des thématiques contemporaines : la notion de liberté, l’esclavage, le racisme, la ségrégation… Ce sont autant de pistes que je souhaitais explorer avec ce roman.

 

Marc : Dans Je suis fille de rage, tu crées une polyphonie à partir des points de vue de tous les personnages que tu dépeins. Est-ce que transmettre tous ces vécus, toutes ces sensibilités au lecteur, dans une narration à la première personne, t’a paru difficile à mettre en œuvre ?

Jean-Laurent Del Socorro : Non, au contraire, c’est une facilité pour moi. J’adore « incarner » mes personnages quand j’écris, aussi divers soit-il. Je cherche leur voix comme un comédien cherche le personnage qu’il va incarner sur scène. Je tiens ça de mes années au conservatoire d’art dramatique, sans aucun doute.

 

Marc : Pourquoi avoir mêlé documents historiques et fiction dans le roman ?

Jean-Laurent Del Socorro : Pour apporter encore plus de poids au texte. La réalité dépasse parfois la fiction. Avec certaines lettres que j’ai traduites des généraux Grant et Lee, c’est flagrant. On voit à la fois une cruauté que l’on aurait excessive si cela avait été inventé pour un personnage de fiction et, à l’inverse, des passages très touchants (Grant qui demande à son père de bruler sa lettre car elle montre ses faiblesse).

Parfois, cela permet aussi d’aborder des faits de façons inattendues, comme la traduction que je propose du poème de Walt Whitman, qui évoque avec finesse la réalité difficile des hôpitaux militaires pendant la guerre. De plus, comme les documents historiques sont tous à la première personne et que je les ai traduits moi-même, il y a une continuité de style qui, je pense, ne provoque pas rupture à la lecture du roman.

 

Marc : Comment s’est déroulée la construction narrative du roman ? Est-ce que l’idée de suivre le conflit année par année, avec des dates clés, t’es venue naturellement ? Est-ce qu’elle a eu des conséquences sur ta manière d’écrire ?

Jean-Laurent Del Socorro : J’écris, sans plan, les scènes comme elle me viennent. Puis peu à peu je les organise. En effet, l’idée de découper la narration par année de conflit est venue assez vite. J’ai donc positionné tous mes morceaux de texte sur cette ligne temporelle, puis je les ai complétés/coupés au fur à mesure pour équilibrer les parties. L’insertion des documents historiques s’est faite en parallèle de ça. Cela reste très proche de ma façon d’écrire habituellement. Royaume de vent et de colères a été écrit avec la même méthodologie.

 

Quels personnages de tes romans t’ont le plus marqué ?

Jean-Laurent Del Socorro : Difficile à dire, vraiment. J’ai un souvenir différent pour chacun d’entres eux. Par exemple, j’ai passé beaucoup de temps à (re)travailler Lincoln pour lui donner de la profondeur, de la complexité. Minuit est un monologue de théâtre, je la voyais comme une actrice sur une scène. Le général Sherman était un personnage secondaire au départ. Du coup, quand il est passé au premier plan, j’ai du beaucoup compléter mes lecture sur lui pour tisser peu à pu son histoire qui ne finissait pas de grandir au fil des pages. Et pour Caroline, la « fille de rage », il y avait quelque chose d’intime quand j’écrivais sur elle.

 

Marc : Je suis fille de rage traite des horreurs de la guerre et du déchirement causé par la guerre de Sécession au sein des États-Unis, à travers toutes les voix de tes personnages, les récits de batailles, mais aussi le personnage de la Mort, qui rappelle au président Abraham Lincoln que ses actes ont des conséquences extrêmement funestes, et qui constitue le seul élément surnaturel du roman. Pourquoi avoir choisi de faire de la Mort un personnage ?

Jean-Laurent Del Socorro : C’est d’abord un hommage au personnage de la mort dans Le Septième sceau d’Ingmar Bergman. Un chevalier fait une partie d’échecs avec elle tout en philosophant. On retrouve cette idée dans Je suis fille de rage avec Lincoln et la mort qui parle du sens de la guerre. J’avais au début du projet cette image d’un huis-clos dans le bureau de la maison blanche entre ces deux personnages.

 

Marc : Le roman parle aussi de l’esclavage et de son abolition, avec les personnages de Minuit, de Kate Loomis, ou la figure historique d’Harriet Tubman par exemple. Pourquoi traiter de cette thématique ?

Jean-Laurent Del Socorro : Parce qu’elle est centrale à la guerre. Parce que l’esclavage et le racisme ne sont malheureusement pas du passé, mais une réalité bien contemporaine. L’abolition de l’esclavage a été un combat dans tout les sens du terme. Et ces batailles se poursuivent aujourd’hui, face à des inégalités qui perdurent. Je voulais montrer cette lutte et ces victoires, mais aussi et surtout, les personnages historiques qui les incarnent comme Harriet Tubman ou Frederick Douglas.

 

Marc : Tu traites aussi des incursions du continent européen dans cette guerre, avec la vente d’armes, mais aussi les opinions de l’observateur Arthur Fremantle. Est-ce qu’il te semblait important pour toi de rappeler que les pays européens avaient eu un certain rôle à jouer dans la guerre de Sécession ?

Jean-Laurent Del Socorro : Un « non-rôle » à jouer plutôt, parce que le vieux continent n’est pas intervenu. Il s’est contenté de faire du commerce d’armes avec le nord comme le sud.  Le personnage – historique – d’Arthur Freemantle est là pour nous le rappeler. Les européens regardent ce conflit meurtrier de loin, en prenant surtout garde de ne pas intervenir s’ils peuvent s’en passer.

 

Marc :Tu montres également qu’à l’époque où elle se déroule, la guerre de Sécession constitue la guerre la plus meurtrière de son époque, avec la bataille de Gettysburg par exemple. Pourquoi avoir mis l’accent sur l’aspect non-héroïque et complètement meurtrier de la guerre, à la fois pour l’Union et la Confédération ?

Jean-Laurent Del Socorro : Parce que la guerre et complètement non-héroïque et meurtrière ! Je n’évoque pas de héros dans mes romans. Je parle de gens comme vous et moi, qui traversent des conflits avec leur bon et mauvais chois, leur bonnes et mauvaise conscience. Ce sont des tranches de vie.

Désolé, il n’y a pas de héros. Juste des gens qui cherchent à exister.

 

Marc : Je suis fille de rage met aussi en scène l’influence que peuvent avoir les médias dans un conflit, soit en le dénonçant, soit en mentant sur son déroulement, soit en calomniant ses acteurs, les généraux en tête, comme le montre le cas de William Sherman. Est-ce que montrer l’influence des médias lors d’un conflit militaire est un enjeu important pour toi ?

Jean-Laurent Del Socorro : En fait, les médias sont un personnage à part entière. Tous les personnages historiques du roman y font référence, je mets des extraits de journaux d’époque (qui, parfois, indiquent tous que leur camp, nord ou sud, est victorieux d’un bataille même si ce n’est pas le cas !).

Plus que l’influence des médias, c’est leur place et le rapport qu’ils ont avec le conflit : sensationnalistes pour les uns, mais réalistes pour d’autres – jusqu’à se faire censurer parfois. La guerre de sécession est un des premiers conflits avec des photographes, des reporters de guerre réguliers, etc. je ne pouvais pas passer à côté de cette dimension-là du récit.

 

Quels conseils donnerais-tu aux jeunes auteurs ?

Jean-Laurent Del Socorro : Lisez et réécrivez ! On ne peut pas être un bon auteur, sans lire – et de tout : imaginaire, mais aussi littérature générale, polar, Bd, mangas… Il faut se forger la culture la plus large possible, en piochant aussi dans les autres arts (cinéma, théâtre, danse).

Et réécrire, c’est essentiel selon moi. On ne devient réellement écrivant que lorsque l’on est capable de retravailler son texte.

 

Peux-tu nous en dire plus sur tes prochains projets de romans ?

Jean-Laurent Del Socorro : Je sors en février prochain Le Château en flammes et La Montagne brisée, deux romans pour la jeunesse de la série Les Chevaliers de la raclette, que j’ai coécrits avec Nadia Coste. Ce sont les aventures de six enfants qui voyagent à travers la Savoie et le temps pour essayer changer l’histoire.

Sinon, en mai 2020, je sors une novella ; la novella La Guerre des trois rois illustrée par Marc Simonetti ! Je suis fan de cet artiste et je suis ravi d’avoir pu travailler avec lui.

La Guerre des trois rois nous replonge dans l’univers de Royaume de vent et de colères. On y suit des lansquenets de la compagnie du Chariot, au milieu des intrigues d’Henri III et du Duc de Guise, le tout parsemé d’Artbon, cette pierre magique dangereuse pour celui qui l’utilise.

 

Quelles sont tes prochaines dates de dédicace ?

Le samedi 30 novembre, j’aurai la joie et le plaisir d’être aux rencontres de l’imaginaire de Sèvres. Un festival à l’ambiance familiale, où les auteurs sont très accessibles, et dense en tables rondes et rencontres.

Mercredi 11 décembre de 18h30 à 20h00, je participerai à une lecture-rencontre à la librairie Garin de Chambéry.

Le Samedi 14 décembre, je serai de 10h00 à 18h00 au Cultura d’Aubagne pour une dédicace aux côtés de Cécile Duquenne, autrice des jubilatoires Brigades du steam, coécrites avec Étienne Barillier, qui viennent juste de sortir.

Le lundi 23 décembre, je serai de 16h00 à 18h00 à la Librairies Sauramps Comédie de Montpellier, pour une dédicace de dernière minute pour ceux qui n’auraient pas encore de cadeaux à ce moment-là.

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