Un étranger en Olondre, de Sofia Samatar

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman qui traite du pouvoir des mots et de la littérature.

Un étranger en Olondre, de Sofia Samatar


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des les éditions Argyll, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Sofia Samatar est une autrice américano-somalienne née en 1971.

Son premier roman, Un étranger en Olondre, est à l’origine paru en 2013. Il a été traduit en français par Patrick Dechesne, pour les éditions de l’Instant en 2016. Cette traduction a ensuite été revue et corrigée pour une nouvelle publication aux éditions Argyll en 2022, avec une couverture magnifique de Xavier Collette. Le roman a reçu le World Fantasy Award et le British Fantasy Award en 2014.

En voici la quatrième de couverture :

« Fils d’un riche marchand de poivre, Jevick a été bercé toute son enfance par les contes et légendes de la lointaine Olondre, une contrée merveilleuse où les livres sont aussi communs qu’ils sont rares sur son île. Et voilà qu’à la mort de son père, afin de perpétuer le commerce familial, il doit se rend en Olondre.

Malheureusement, le rêve tourne au cauchemar lorsqu’au lendemain du festival des Oiseaux il se découvre hanté par le fantôme d’une jeune femme. Suspecté d’un crime religieux puis enfermé, Jevick devient rapidement un pion dans la lutte impitoyable qui se joue entre les deux principales religions olondriennes.

Dans un pays au bord de la guerre civile, s’il veut un jour retrouver sa liberté, Jevick devra affronter son fantôme, traverser les limites du monde et dépasser les frontières de ses connaissances… »

Dans mon analyse du roman, je traiterai d’abord de la manière dont Sofia Samatar met en scène un récit de voyage, puis je m’intéresserai au traitement de la littérature.

L’Analyse

Jevick en Olondre


Le roman de Sofia Samatar s’appuie sur un narrateur autodiégétique, Jevick, qui relate son histoire à la première personne et au passé. Cela montre que le personnage prend en charge le récit de manière rétrospective, de son enfance à la fin de sa vie, en passant bien sûr par son voyage en Olondre, qui constitue le cœur de son histoire et l’a changé à jamais. Le narrateur revient donc sur les causes de ce voyage en Olondre, qui s’explique par la fascination du personnage pour ce pays, mais aussi par ses origines sociales, puisque son père est marchand de poivre et s’y rend pour ses voyages d’affaires au marché aux épices. Jevick ne connaît donc avant tout l’Olondre que par ce que son père veut bien lui en dire (ou pas, d’ailleurs). Son imagination, mais aussi son éducation le conduisent alors à fantasmer ce pays comme une échappatoire à son enfance difficile. En effet, son père s’avère maltraitant et distant, qui se moque plus de ses enfants qu’il ne leur montre de marques d’affection et leur fait subir des violences physiques comme psychologiques. Il humilie et punit par exemple son fils en le forçant à manger de la terre pour lui apprendre « à la connaître » (oui oui) lorsque celui-ci l’espionne. Par ailleurs, le frère de Jevick, Jom, fait les frais de la violence de son père, qui ne comprend pas et ne cherche pas à comprendre le décalage de son fils avec le monde qui l’entoure, ce qui s’observe dans la manière dont il interagit avec sa famille. Les deux épouses de leur père se trouvent mises en concurrence, puisque la mère de Jevick est vue comme subalterne vis-à-vis de sa belle-mère, qui la rabaisse et la méprise. Ce climat familial est bouleversé par l’arrivée d’un précepteur olondrien, Lunre, en compagnie duquel Jevick apprend la langue olondrienne, mais surtout sa littérature (j’y reviendrai). Lunre transmet donc une langue, mais aussi une partie de sa culture, à son élève.

Jevick est alors captivé par Olondre, dans laquelle il finit par se rendre en voyage d’affaires pour y vendre du poivre, de la même manière que son père avant lui.

Il découvre alors la capitale de l’Olondre, Bain, dont il rend compte par des descriptions d’une extrême richesse.

Si vous aimez Bain autant que je l’ai aimée, alors vous connaîtrez son âme, un mélange enivrant d’arrogance et de vitalité au sein duquel repose un immense soupir, semblable à celui d’un océan tout juste traversé, le soupir de sa terrible antiquité, qui souffle des profondeurs de ses pierres. Vous connaîtrez les arcades sous le Mur Doré, où les vieillards se réunissent pour jouer au londo et boire leurs verres de teiva, cet alcool de figue incolore et inodore dont l’arrière-goût est « comme une bouchée de chèvrefeuille ». […] Et vous connaîtrez les murs blancs, l’odeur du sumac, l’odeur de la poussière, celle du café bouillant et des aubergines frites dans leur pâte […]. Tout ceci, je le découvris au cours du mois de fanlei, le « mois des pommes », un des mois olondriens les plus heureux et insouciants. Peut-être existe-t-il toujours à Bain quelques personnes qui se souviennent de moi tel que j’étais alors : un jeune aristocrate étranger vêtu d’un costume de soie grise.

Sofia Samatar construit sa description structurée par la répétition anaphorique de « vous connaîtrez », qui instaure une connivence entre le narrateur et son lecteur et permet d’introduire de multiples détails en les inscrivant dans une mémoire partagée. La description est une hypotypose, qui décrit Bain et ses quartiers de manière extrêmement précise, en convoquant un grand nombre de sens, avec l’architecture des bâtiments, les odeurs et le goût des aliments. Les mots-fictions déployés par l’autrice sont présents par petites touches, avec une traduction donnée en apposition ou que l’on peut deviner, et qui permettent au narrateur de retranscrire à la fois le paysage physique et linguistique de Bain. 

Le roman mobilise donc le topos de l’étranger candide qui se retrouve dans un pays qu’il ne connaît pas et tente de le connaître et d’en comprendre la culture, malgré la barrière de la langue, mais aussi celles des religions et des us culturels. En effet, malgré sa connaissance de la langue et de la littérature olondrienne, Jevick est un candide, d’abord parce qu’il ne connaît la cité de Bain que par les descriptions littéraires parfois anciennes qu’il a pu en lire, ce qui fait qu’il est d’une certaine façon bercé d’illusions quant à la réalité de la capitale, mais aussi parce qu’il est altérisé par les olondriens, qui voient en lui un étranger qui maîtrise à peine leur langue, pas plus qu’il ne comprend leur culture ou leur religion.

Les cultes rendus en Olondre ne sont pas ceux qu’il voue dans son pays natal. La partie du récit qui se déroule avant le voyage en Olondre montre en effet que les questions religieuses du pays natal de Jevick se trouvent liés au jut, des statuettes qui représentent l’âme de leur détenteur. Les individus sans jut sont victimes de discrimination. En Olondre, deux cultes s’opposent. L’un, officiel, le culte de la Pierre, est parvenu à s’imposer à la gouvernance du pays, avec un prêtre qui le dirige. L’autre est le culte d’Avalei, déesse de l’amour et de la mort dont les prêtres et les fidèles sont considérés comme des hérétiques, et sont donc chassés par le pouvoir, qui cherche à maintenir une emprise, souvent violente, sur l’ensemble du territoire. Les tentants du culte d’Avalei cherchent à exercer librement leur religion et défient donc l’autorité politique et religieuse du prêtre de la Pierre.

Jevick est emporté malgré lui dans ce conflit lorsqu’il se rend compte qu’il est hanté par un « ange », à savoir le fantôme d’une jeune femme. Il doit alors l’exorciser au péril de sa vie, d’abord psychique et physique au sens strict, puisqu’il est pris pour une personne dont la santé mentale est défaillante et est interné et se blesse à cause de ses visions de l’ange qu’il ne supporte pas, mais aussi parce qu’il devient l’instrument d’une guerre de religion. Le culte d’Avalei voit en lui un avneanyi, c’est-à-dire un prophète mystique capable de communiquer avec les anges. Il devient alors un symbole de la lutte contre le prêtre de la Pierre, ce que montre son cheminement en compagnie du prêtre Auram et de son neveu Miros, mais je ne peux pas vous en dire plus.

Vallon, chambre d’écho des mots des morts


Un étranger en Olondre est un roman sur la lecture. Jevick découvre la lecture à travers les livres, qui sont les vecteurs de la littérature et constituent une étape particulièrement marquante de sa vie. Cette découverte se fait grâce à Lunre et lui permet de la découvrir d’abord à travers ce que ses auteurs en disent dans leurs poèmes ou dans leurs romans avant d’y voyager. Sofia Samatar met donc en scène la découverte d’une langue étrangère par son personnage narrateur.

La corvée des cours, les interminables copies de lettres, la conjugaison des verbes – « ayein, kayein, bayeinan, haveinun » -, tout cela, a la longue, me mena à travers un voile de flammes vers un monde qui offrait une nouvelle façon de parler et de penser, une manière neuve de se mouvoir, un moyen d’évasion. […] Moi-même, après avoir lu mon premier livre, Les Contes de l’âge tendre, de Nardien, je succombai à ces voix magiques qui m’appelaient de leurs demeures de vélin. C’était pour moi grande merveille de me sentir si proche de ces esprits étrangers, de voir par leurs yeux et d’entendre par leurs oreilles, de converser avec les morts, de constater que je les connaissais intimement et qu’ils me connaissaient plus intimement encore, bien plus que n’importe quel être de chair que j’eus rencontré. J’avoue être tombé désespérément amoureux de Tala d’Yenith, qui était déjà une vieille femme lorsque la presse à imprimer fut inventée.

Les mots olondriens différent de la langue maternelle de Jevick, le kideti, dans laquelle le professeur est tchavi, par exemple. Sofia Samatar fait apparaître les mots-fiction en montrant les commentaires de son personnage narrateur sur la langue qu’il apprend, mais aussi la manière dont il l’apprend. Ainsi, le narrateur évoque son initiation à la graphie, puis à la grammaire olondrienne, ce qu’on observe à travers les usages en mention des verbes qu’il doit maîtriser. Cette maîtrise de la langue l’amène ensuite à découvrir la littérature à travers la lecture, puisque l’écriture, et par extension, les livres, ne sont pas implantés dans son pays d’origine. La littérature provoque alors un bouleversement en Jevick, ce que montrent les différentes de manières de la percevoir, d’abord comme « une nouvelle façon de parler et de penser, une manière neuve de se mouvoir, un moyen d’évasion. », ce qui signifie qu’elle lui permet d’échapper à son quotidien souvent difficile, mais aussi de réfléchir avec des outils dont il ne disposait pas auparavant. Jevick devient alors un amoureux des lettres, ce qu’on remarque dans la métaphore qui désigne les livres et leurs auteurs, « ces voix magiques qui m’appelaient de leurs demeures de vélin », qui dénote l’aspect merveilleux de la littérature et met en évidence le fait qu’elle constitue un dialogue passionné, ce que mettent en évidence les dernières phrases. L’apprentissage de la lecture permet donc à Jevick de se faire des amis de papier.

Un étranger en Olondre est ainsi un roman qui porte sur la littérature et son pouvoir. Ce pouvoir transparaît par l’emploi de la polytextualité, qui insère des textes fictifs connus dans la narration, tels que des poèmes ou des extraits de romans. Sofia Samatar montre donc les références culturelles communes de ses personnages, ce qui appuie le caractère métalittéraire de son roman, à travers diverses histoires enchâssées. On note par ailleurs que la polytextualité permet à l’autrice d’insérer des extraits du journal personnel de Jevick et de la presse.

Des œuvres importantes parsèment donc le texte de manière parfois très matérielle, puisqu’il s’agit d’éditions ou d’exemplaires chargés de l’histoire des personnages, avec par exemple Le Roman de la Vallée, qui contient l’histoire de Finya le Sorcier, que Jevick connaît grâce à l’exemplaire de Lunre. L’autrice montre aussi que si les récits peuvent se transmettre par le biais de l’objet-livre, ils peuvent également l’être par l’oralité, ce qu’on relève lorsqu’un conte narré par une grand-mère lors d’une veillée est intégralement connu « de mémoire ».

Les personnages du roman se racontent ainsi des histoires.

Hivnawir, souffla-t-il, les yeux brillants, est un personnage légendaire, un de nos plus grands amants. Son histoire nous vient du grand siècle de Bain, à l’époque où les clans ideiri se trucidaient les uns les autres en pleine rue. C’est l’époque où furent bâtis quartier des Soupirs et ses fenêtres étroitement grillagées, l’époque où on l’appelait encore le quartier des Princes. Bain était une cité de nobles pervertis et de tueurs à gages, au pinacle de son inventivité artistique. Vous devez imaginer, avneanyi : des carrosses bardés de pointes de fer, des femmes qui ne quittaient jamais leurs palais de marbre… Darvan l’Ancien, qui mourut dans son jardin d’hiver, frappé d’une flèche dans l’œil, ou Bei l’Innocent à qui on a coulé du plomb fondu dans les oreilles.

Enfin, mais sans trop vous en dire, Un étranger en Olondre raconte l’écriture d’un livre par Jevick, un vallon en olondrien, qui signifie « chambre des mots », et qui est considéré comme « un objet d’art et d’enchantement », pour Jissavet, l’ange qui hante son esprit. Ainsi, au-delà de la lecture, Un étranger en Olondre est un roman qui met en scène l’acte d’écriture, qui peut s’avérer salvateur pour la préservation de la vie, la sienne et celle d’autrui.

Le mot de la fin


Un étranger en Olondre est un roman de Fantasy de Sofia Samatar qui raconte le voyage de Jevick de Tyom, fils d’un marchand de poivre, en Olondre, un pays qu’il n’a d’abord connu que par l’apprentissage de sa langue et la découverte de sa littérature grâce à son précepteur, Lunre. Cependant, Jevick se retrouve emporté malgré lui dans un conflit religieux entre un pouvoir autoritaire et un culte qui recherche la liberté de s’exprimer, qui l’instrumentalise parce qu’il est hanté par le fantôme de Jissavet, une jeune femme qui l’exhorte d’écrire un livre qui la raconte.

Un étranger en Olondre traite de la puissance de la littérature, qu’elle soit lue, racontée ou écrite. Je vous le recommande très vivement !

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