Solaris, de Stanislas Lem

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de science-fiction qui met en scène un océan vivant.

Solaris, de Stanislas Lem


Introduction


Stanislaw Lem, francisé Stanislas Lem, est un auteur polonais né en 1921 et mort en 2006. Dans plusieurs de ses romans, il a écrit sur les comportements humains et a traité de l’impossibilité de communication entre les êtres humains et les espèces extraterrestres. Il s’est également montré très virulent à l’égard de la science-fiction américaine dans les années 1970, qu’il jugeait mal pensée, très mal écrite et plus tournée vers le fait de gagner de l’argent que celui d’expérimenter de nouvelles idées ou formes littéraires, ce qui le conduit à n’apprécier qu’un seul auteur de SF des États-Unis, Philip K. Dick (oui oui).

Solaris, dont je vais vous parler aujourd’hui, est à l’origine paru en 1961. Il a été traduit en français par Jean-Michel Jasienko pour les éditions Denoël, qui l’ont publié dans la collection « Présence du futur » en 1967. Aujourd’hui, il est disponible dans la collection « Folio SF » de Gallimard, ainsi que dans la collection « Babel » d’Actes Sud. Solaris a été adapté à trois reprises, comme téléfilm en 1968 par Boris Nirenburg et Linda Isinbaïeva, puis au cinéma en 1972 par Andreï Tarkovski, et en 2002 par Steven Soderbergh.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Solaris : un monde inhabité tournant autour de deux soleils, entièrement recouvert d’un immense océan protoplasmique qui, pour les scientifiques de la Terre, demeure un irritant mystère.

Dès son arrivée sur Solaris, le Dr Kelvin est intrigué par le comportement du physicien Sartorius et du cybernéticien Snaut, qui semblent terrorisés. Lui-même reçoit la visite d’une femme, Harey ; une femme qu’il a autrefois aimée et qui s’est suicidée plusieurs années auparavant.

Impossible… À moins qu’une entité intelligente n’essaie d’entrer en contact avec lui en matérialisant ses fantasmes les plus secrets, et qu’en l’océan lui-même réside la clé de cette énigme aux dimensions d’un monde. »

Dans mon analyse du roman, je traiterai de la manière dont Stanislas Lem décrit une forme d’altérité radicale avec laquelle la communication est impossible.

L’Analyse


Communiquer avec un océan vivant


Le roman de Stanislas Lem nous fait suivre le psychologue Kris Kelvin dans une station spatiale orbitant autour de la planète Solaris, dont la particularité est d’abriter un gigantesque océan qui constitue un macroorganisme protoplasmique (oui oui) capable de modifier l’orbite de sa planète, située dans un système binaire. Cet océan attire (ou attirait, j’y reviens plus bas) la curiosité des terriens, qui l’étudient pour mieux le comprendre, et surtout savoir si c’est un organisme vivant, s’il est doté d’une intelligence ou d’une conscience, et le cas échéant, s’il est possible de communiquer avec lui. Solaris explore donc le topos du premier contact, classique en science-fiction.

Ce qui n’est pas (si) classique, c’est que ce premier contact s’avère un échec, pour différentes raisons.

En effet, les humains étudient l’océan en quête d’un signe intelligible de la part de l’océan protoplasmique. Cela passe par la recherche de signes, puisque pour qu’une communication ait lieu, il faut un émetteur et un récepteur, qui échangent des signes interprétables sur le plan linguistique, composés d’un signifiant, c’est-à-dire du mot dans une langue, et d’un signifié, la représentation mentale du concept désigné par un mot.

Les terriens observent et décrivent une myriade de formes et de structures qui émergent de l’océan, telles que les « longus », les « mymoïdes », les « symétriades », les « asymétriades », et les « vertébridés », avec une science qui a émergé, la solaristique. Cependant, si ces formations constituent des signes pour les terriens, il n’existe aucun consensus quant à leur interprétation, ce qui met la communication en échec. Les désaccords entre les scientifiques, vis-à-vis des formations, mais aussi de l’océan en lui-même, sont matérialisés sur le plan intradiégétique dans les lectures d’ouvrages scientifiques effectués par Kelvin.

Celles-ci de Kelvin constituent alors des segments didactiques qui peuvent être contestés, soit par d’autres ouvrages dont dispose le personnage, soit par son expérience empyrique de Solaris, mais qui contribuent à rendre tangible le monde décrit par Stanislas Lem. L’évolution de la solaristique montre ainsi un véritable dialogue scientifique et une histoire de la perception de Solaris et de son océan, que l’on observe dans les querelles entre les scientifiques et les hypothèses qui portent leurs noms, « Ganom-Shapley », « Civito-Vitta »…). L’océan a ainsi été d’abord vu comme une « formation géologique » extrêmement inhabituelle, puisqu’elle est capable de stabiliser l’orbite de la planète qui se trouve entre deux soleils (oui oui), puis comme une véritable forme de vie qui constitue non pas le résultat d’une évolution progressive, mais l’aboutissement presque instantané de la domination de son milieu. Les querelles scientifiques montrent une évolution réaliste de la science, avec le fait que différentes hypothèses entrent en concurrence et permettent de faire avancer la compréhension d’un environnement et d’une entité qui reste malgré tout lacunaire. Comme le dit Frédéric Landragin dans l’ouvrage Comment parler à un alien lorsqu’il évoque Solaris, « nommer un objet ne conduit pas à le comprendre, cela lui donne une existence et permet tout au plus d’en parler entre humains ». Bien que l’océan de Solaris alimente des rumeurs et des croyances parfois farfelues, comme le fait qu’il s’agirait d’un « yogi cosmique » doté d’omniscience et qui n’entre pas en contact avec l’humanité parce qu’il aurait compris « la vanité de toute activité » (oui oui, cette théorie s’oppose dans le roman à celle de « l’océan débile), il ne reste que le sujet de spéculations invérifiables puisqu’il ne laisse pas de prise aux humains, d’autant que les formations qui apparaissent en son sein ne sont peut-être même pas des signes, au sens communicationnel du terme, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas émis en vue d’être reçus ou interprétés par qui que ce soit.

Ainsi, malgré les supposés progrès scientifiques, Solaris reste un mystère malgré les tentatives humaines de la percer à jour, ce qui fait que l’intérêt qu’elle suscite s’estompe, avec pour conséquence la baisse des fonds alloués à la solaristique. Cela constitue un parallèle très pertinent avec l’actualité, puisque les domaines de recherche qui ne peuvent rapporter d’argent, qui n’intéressent pas le public (ou qui sont désignés comme des ennemis politiques) sont dédaignés et sous-financés. Ainsi, quand bien même l’océan protoplasmique de Solaris est une entité vivante, homo sapiens ne peut se faire comprendre de lui, ce qui met la science en échec, malgré les nombreuses expériences conduites par la solaristique.

L’océan de Solaris apparaît alors comme une énigme qui prend la forme d’une altérité radicale avec laquelle il est impossible d’interagir. On peut y voir une forme de cosmicisme, puisque l’humanité et la masse protoplasmique ne se trouvent pas à la même échelle et n’émettent pas le même type de signaux, ce qui fait qu’ils ne peuvent communiquer. Les terriens ne peuvent pas non plus identifier les intentions de l’océan. En effet, puisque les scientifiques ne le comprennent pas, ils ne peuvent pas comprendre la signification des messages qu’il émet sous la forme de doubles de personnes de leur entourage, si tant est que cela soit intentionnel et réfléchi, ni même son but. Stanislaw Lem donne donc à voir, au-delà de l’indifférence hostile qui oppose les créatures de Lovecraft à des humains incapables de les comprendre et qui deviennent leurs victimes, une créature qui constitue une énigme insoluble qui met la science en échec, de la même façon que les brouilleurs, l’espèce extraterrestre décrite par Peter Watts dans Vision aveugle, par exemple.

Au-delà des formations visibles à la surface de l’océan se trouvent aussi les doubles d’humains qu’il fabrique, tirés des souvenirs des occupants de la station spatiale, qui peuvent constituer une tentative d’interagir avec eux. Cependant, la communication est là aussi insoluble, d’abord parce que les intentions de l’océan restent inconnus, mais aussi parce que les clones n’ont pas conscience d’être générés par l’océan, ce qui fait qu’ils ne peuvent pas porter de message explicite. Par conséquent, toute possibilité de dialogue avec l’océan par l’entremise des clones se révèle impossible. Même si les doubles sont des messages émis par l’océan, ils ne transmettent pas d’informations claires et ne constituent pas des signes interprétables, bien qu’ils soient capables de communiquer.

Stanislas Lem traite à travers eux le topos du double, habituellement présent dans les récits fantastiques, sous un prisme science-fictif. Kelvin voit ainsi apparaître le simulacre de sa petite amie Harey, qui s’est suicidée plusieurs années auparavant. Cependant, ce dernier s’aperçoit bien vite qu’il ne s’agit pas de la vraie Harey, puisqu’elle connaissance d’événements et d’individus postérieurs à sa mort, ses vêtements n’ont pas d’agrafes ou de coutures, elle se révèle dotée d’une force physique faramineuse, capable de se régénérer, de résister aux médicaments, et elle n’a pas conscience de ne pas être humaine. Les doubles constituent alors des énigmes qui ne peuvent que renvoyer à l’océan sur le plan scientifique, puisqu’ils émanent de lui, mais pas sur le plan communicationnel. Les doubles renvoient aux rapports des habitants de la station avec ce que représente les simulacres, leur signifié. Le double d’Harey renvoie ainsi à la véritable Harey, et à l’échec de Kelvin, qui n’a pas pu l’empêcher de se tuer et en porte la culpabilité.

On peut établir un parallèle entre le récit et d’autres œuvres de SF mobilisant le topos du double, à l’image des Meurtres de Molly Southborne de Tade Thompson, par exemple. Toutefois, là où les clones cherchent à tuer Molly, les simulacres de Solaris cherchent à maintenir les scientifiques dans l’illusion, à les détourner de la vérité, celle de l’océan qu’ils essaient de comprendre. On pourrait aussi penser à La Chose de John W. Campbell, où la créature extraterrestre mime la forme d’un humain, et devient donc un simulacre, pour pouvoir plus facilement tuer ses victimes. Cependant, si l’alien se sert de l’imitation comme une technique de prédation de manière consciente, les doubles se croient vraiment humains, et sont donc aliénés par leur statut de simulacre.

L’impossibilité d’interaction avec l’océan pose alors une forme de dilemme tragique aux occupants de la station spatiale. Peuvent-ils choisir de vivre éternellement auprès d’une illusion confortable qu’ils peuvent appréhender, ou bien doivent-ils tenter de percer les simulacres pour tenter d’obtenir la vérité sur l’océan ? Mais, en allant plus loin, est-il même possible pour l’humanité d’obtenir cette vérité ?

Le mot de la fin


Solaris est un roman de science-fiction de Stanislas Lem, considéré comme un classique du genre. À travers le regard de Kris Kelvin, psychologue et astronaute, l’auteur décrit l’énigme que constitue l’océan protoplasmique de la planète Solaris, que les humains tentent de comprendre et avec lequel ils essaient d’interagir. Le roman traite alors d’un premier contact qui ne peut avoir lieu, puisque les deux espèces ne peuvent pas interpréter les signaux qu’elles s’envoient, même lorsque ceux-ci prennent la forme de doubles issus des souvenirs des occupants d’une station spatiale. Au discours scientifique mis en échec malgré ses hypothèses succède alors la tentation de vivre dans l’illusion.

J’ai beaucoup aimé découvrir ce roman, et je vous le conseille !

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