The Dark Knight Returns, Frank Miller

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un comics qui a changé Batman et changé notre perception du personnage.

The Dark Knight Returns, de Frank Miller


Introduction


Frank Miller est un scénariste pour la bande dessinée et le cinéma et dessinateur américain né en 1957. Il est également réalisateur pour le cinéma. Il a travaillé pour différents éditeurs de comics, avec d’abord Marvel, pour qui il retravaille le personnage de Daredevil en profondeur, DC Comics avec Batman Année Un et The Dark Knight Returns, dont je vais vous parler aujourd’hui, et Dark Horse, où il créé ses propres séries, Sin City et 300, respectivement adaptées au cinéma par Robert Rodriguez et Zack Snyder.

The Dark Knight Returns est une minisérie dessinée et scénarisée par Frank Miller et colorisée par Lynn Varley, parue en quatre volumes en 1986 chez DC Comics, puis rassemblée plus tard sous forme d’intégrale. En France, la série a été publiée en plusieurs volumes chez Aedena en 1987 et Zenda en 1989. Actuellement, elle est disponible chez Urban Comics, dans plusieurs collections, DC Essentiels, DC Black Label, et à partir de Janvier 2024 au format poche avec Urban Nomad.  A noter que l’édition Black Label dispose d’une préface de l’auteur.

En voici la quatrième de couverture :

« Des années après avoir pris une retraite forcée, Bruce Wayne est devenu un quinquagénaire aigri et porté sur l’alcool.

Mais la plongée de Gotham City dans le crime et le désespoir va le pousser à redevenir le justicier Batman. Traqué par la police et le gouvernement, le Chevalier Noir va mener sa dernière horde sauvage. »

Dans mon analyse de ce comics, j’évoquerai d’abord le contexte de sa création et de sa parution, pour ensuite m’attarder sur la manière dont il traite du personnage de Batman et du genre super-héroïque, pour enfin brièvement traiter de sa postérité.

L’Analyse


Contexte : Une refonte de Batman nécessaire ?


Pour contextualiser le moment où The Dark Knight Returns paraît, on peut déjà évoquer le parcours de son auteur, Frank Miller. En 1986, il est déjà connu pour son travail sur le personnage de Daredevil chez Marvel, avec des apports importants pour le personnage qui l’ont rendu davantage attrayant pour le lectorat et ont fait augmenter les ventes, avec par exemple la création d’Elektra et de la secte criminelle appelée la Main. Lorsque l’auteur arrive chez DC Comics, le responsable éditorial de la maison, Dick Giordano, lui fait une proposition, celle de raconter la dernière affaire de Batman, alors qu’il est âgé d’une cinquantaine d’années.

Frank Miller évoque en effet le fait que Batman n’avait jamais été décrit comme un personnage dont l’âge pouvait varier, ayant éternellement 29 ans depuis cinquante ans de publication. Une manière de démarquer et de lui redonner un coup de jeune était donc de le faire vieillir, paradoxalement (oui oui).

En effet, au milieu des années 1980, Batman se trouvait en déclin en termes de ventes de comics, de même que les autres super-héros de chez DC avant Crisis on Infinite Earths en 1985, qui a permis de redresser la barre commercialement, en simplifiant les différentes lignes narratives et temporalités de DC Comics pour permettre l’arrivée de nouveaux lecteurs. Dark Knight Returns permet donc de revitaliser Batman, l’un des rares super-héros encore dans le cœur des lecteurs. Cette revitalisation de Batman permet d’ailleurs le renouveau du genre super-héroïque et d’apporter une légitimité aux comics. Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, paru à la même époque, propose le même type d’apport au genre, avec une dimension métanarrative supplémentaire.

D’ailleurs, de la même manière que pour Watchmen, il faut avoir à l’esprit le contexte historique de publication de Dark Knight Returns, à savoir la Guerre Froide, qui oppose le bloc de l’Ouest, mené par les Etats-Unis et l’OTAN, et le Bloc de l’Est, qui regroupe l’URSS et les pays ayant signé le pacte de Varsovie, après la Seconde Guerre Mondiale. Malgré l’apaisement des tensions entre les deux superpuissances à la fin des années 1980, la peur d’une guerre ouverte et la possibilité d’un conflit nucléaire subsiste. Le comics de Frank Miller se situe très explicitement dans ce contexte, en mobilisant un Superman fermement engagé dans la défense de son pays contre les attaques Russes (j’y reviendrai) contre un pays fictif, le Corto Maltese, où les troupes américaines interviennent. La tension de la Guerre Froide se trouve retranscrite dans l’évocation de ce conflit.

C’est dans ce contexte que Frank Miller s’empare du personnage de Batman pour lui faire reprendre du service et le confronter à ses limites.

Le pire adversaire de Batman : Son âge ? Les médias ? Les gangs ? La police ? Le Joker ? Superman ?


Commençons par le dessin de Frank Miller, qui fait ressortir toute la noirceur de son récit et de ses personnages. Les planches sont marquées par l’utilisation massive de couleurs froides, les tons plus chauds n’étant mobilisés que pour Robin et les explosions (oui oui). Les traits des personnages sont anguleux et marqués par la vie dans le cas de Bruce Wayne ou Gordon, ce qui permet de souligner leur âge, tandis que ceux des Mutants, le gang auquel se confronte Batman, caricaturent les punks de cette époque, avec des cheveux pointus et des clous sur le crâne, des lunettes rose fluo qui masquent leur regard et des dents limées, qui font ressortir leur aspect violent et monstrueux, ce que souligne le trait de Miller, particulièrement dur. Les onomatopées occupent beaucoup d’espace au sein des cases et en débordent même lors des combats et des fusillades pour souligner la violence de l’action. Cet aspect du récit est par ailleurs redoublé par  les jeux d’ombres et l’éclairage sombre des planches, qui montrent toute la noirceur de Gotham et des personnages qu’elle abrite, héros comme criminels, les premiers se rapprochant parfois des seconds.

Frank Miller déconstruit la figure de Batman et s’attaque à son rôle social et à ce qu’il représente vis-à-vis de l’autorité de la police et de l’état. Cela commence par la mise en scène d’un Bruce Wayne âgé et alcoolique, à distance de Batman depuis dix ans. Cette retraite s’explique à la fois par la mise en place d’une loi visant à encadrer les activités des super-héros, à laquelle Batman s’est opposé sans succès, mais aussi par la mort de Jason Todd, le deuxième Robin. Cependant, il est en proie au manque et en mal de sensations fortes. Ce manque s’exprime dans le discours intérieur du personnage, Batman devient une « créature qui se tord et se noue », il est persuadé que les « odeurs de la ville crient son nom », il ramène Bruce Wayne à Crime Alley, où ses parents ont été tués…

La vague de violence et de criminalité qui frappe Gotham, incarnée par le gang des Mutants, responsable d’exactions toutes plus horribles les unes que les autres, provoquent alors son retour, plus violent, plus extrémiste, et surtout plus égoïste que jamais. Bruce Wayne enfile de nouveau le costume de Batman à cause du manque et par volonté d’imposer de nouveau sa loi à Gotham, battant en brèche celle des criminels, celle de la police, et celle des autres super-héros, allant même jusqu’à frôler son ultime limite, celle de ne pas tuer. Batman n’est plus un détective comme il avait pu l’être à l’origine, mais un justicier violent, en conflit avec les forces de police de Gotham, incarnées par la commissaire Elen Yindel, déterminée à l’arrêter, ainsi que les autorités américaines, qui enverront Superman pour l’arrêter.

La violence de Batman, et par extension le justicier lui-même deviennent un sujet médiatique, ce que montrent l’omniprésence de journaux télévisés, où des opinions néfastes et favorables s’affrontent sur la question de l’homme chauve-souris, qui voit sa place et sa légitimité questionnées. La télévision se trouve d’ailleurs matérialisée dans les planches sous forme de petites cases carrées, qui miment la forme des écrans. Le mode d’action de Batman est par ailleurs violemment attaqué par la police, puisqu’un policier l’accuse d’avoir molesté un criminel alors qu’il vient de lui sauver la vie, mais aussi par les médias. Ces derniers le traitent de « justicier cruel et monstrueux, s’attaquant aux fondements mêmes de notre démocratie ». Dans le même temps, ils se montrent dans le même temps incroyablement crédules vis-à-vis de la rédemption de supervilains comme Double-Face, qu’une opération chirurgicale a soigné, ou le Joker, prétendument guéri, de même que les psychiatres qui croient les avoir guéris et qualifient Batman de « maladie sociale ». Le justicier favoriserait les explosions de violence criminelle parce que les criminels se fondent dans la « matrice d’auto-illusion pathologique de Batman ». On peut relever que cette hypothèse qui caricature le discours médical trouve des échos dans le Batman White Knight de Sean Murphy, où Batman serait la cause des vagues de crimes qui secouent la ville. Le lecteur assiste donc à une inversion des valeurs orchestrée par la société du spectacle, que Miller dénonce à travers leurs discours extrêmement caricaturaux et clivants, générateurs de polémiques qui renforcent la tension au sein d’une population déjà aux abois.

Lors de sa dernière croisade contre le crime, Batman s’oppose à son pire ennemi, le Joker, resté catatonique pendant dix ans et réveillé par son retour. Frank Miller explore à travers leur dernière confrontation la relation ambiguë des deux personnages, marquée par des sentiments amoureux du Joker envers Batman, mais surtout leur interdépendance, puisque le Joker ne peut pas vivre sans le justicier masqué. Alors qu’il n’avait pas prononcé un mot pendant cette période, son retour au langage s’opère par les paroles « Batman chéri » (oui oui). Il l’appelle également « mon chou » lors de leur dernier combat, qui se déroule d’ailleurs dans le tunnel de l’amour. Par ailleurs, le Joker pousse Batman à se montrer toujours plus violent en l’étant lui-même, puisqu’il assassine une centaine de personnes en direct pour le provoquer et le pousser à le tuer et le rendre aussi coupable que ses ennemis. Leur dernier combat pose alors la question de l’ultime règle de Batman : est-il prêt à tuer l’un de ses ennemis ? Plus encore, est-il prêt à assumer les morts dont on l’accuse ?

The Dark Knight Returns oppose Batman à son pire ennemi, mais aussi à son ami Superman, devenu un agent de l’état. On l’observe dans le fait qu’il règle les problèmes extérieurs, en intervenant notamment contre les soviétiques dans le contexte de la guerre froide, matérialisée dans la narration par un conflit sur le sol du Corto Maltese (oui, c’est sans doute un clin d’œil), un pays fictif. Superman intervient pour contrer la menace du bloc de l’Est comme on peut le voir lorsqu’il arrête une bombe nucléaire.

Superman n’apparaît ici plus comme un homme, mais comme le super-héros qu’il est. Sa silhouette humaine est effacée, devenant une masse d’ombre noire dont ne ressortent que ses symboles, sa cape, sa ceinture, et son emblème. On observe un contraste énorme entre la taille gigantesque de la bombe atomique soviétique et la petitesse du personnage, puisqu’elle occupe la majeure partie de la case tandis qu’il n’en est qu’un minuscule point, alors qu’il parvient pourtant à l’arrêter à mains nues. Cette planche permet de montrer toute la puissance de Superman, puisqu’il est capable d’arrêter l’arme la plus terrible qu’ait inventé l’humanité, mais aussi son rôle vis-à-vis de cette dernière, qu’il veut à tout prix protéger d’elle-même.

Superman devient alors un outil, dont le président des Etats-Unis peut user à sa guise sans remise en question aucune du bien-fondé de ses agissements, même si cela implique d’affronter l’un de ses plus chers amis. Il s’oppose alors à Batman, qui s’est opposé aux lois visant à encadrer les super-héros et les placer sous le contrôle de l’état, en s’arrêtant d’exercer plutôt que de se rattacher aux autorités. Sans trop vous en dire, l’affrontement entre les deux super-héros est extrêmement bien mené et montre que les simples humains sont capables de surpasser les surhommes.

La thématique de la subordination à l’état se retrouve dans un autre comics de la même époque, Watchmen, dans lequel certains héros coopèrent avec le gouvernement américain, tandis que tous les autres ont cessé leurs activités, à l’exception notable et violente de Rorschach. Dans le cas de The Dark Knight Returns, Batman endosse le rôle du dissident, qui devient de plus en plus dangereux pour le pouvoir en place. Il constitue alors un enjeu politique, d’autant plus lorsqu’il forme sa propre milice, « les fils de Batman », en enrôlant des jeunes issus des gangs de Gotham, fascinés par le personnage et ce qu’il représente, à savoir une justice expéditive, violente et répressive, ce qui le rapproche dangereusement du fascisme. Batman se trouve alors sur la corde raide, puisqu’il légitime la violence en la présentant comme une forme de justice.

L’héritage de Dark Knight Returns


Après The Dark Knight Returns, Frank Miller a réalisé plusieurs suites, telles que Dark Knight Strikes Again (2001-2002), dans laquelle Batman et son armée libèrent les super-héros gardés prisonniers par le gouvernement américain, puis Dark Knight III : The Master Race (2016-2017), et Dark Knight : The Golden Child (2019), qui explorent cet univers où les personnages de l’univers de DC Comics sont plus âgés. Si le deuxième volume s’attaque aux médias et à la société du spectacle, The Golden Child s’en prend ouvertement à Donald Trump. Ces suites montrent l’aspect hautement politisé de l’auteur, pour le meilleur comme pour le pire. L’auteur a en effet fait des déclarations particulièrement rétrogrades lors du mouvement Occupy Wall Street, et prend désormais ses distances vis-à-vis de son conservatisme.

L’ambiguïté de la relation entre Batman et le Joker, au centre de The Dark Knight Returns, a été explorée par d’autres auteurs depuis, avec d’abord Alan Moore dans Batman : Killing Joke, puis Sean Murphy, dans Batman White Knight, où le Joker déclare explicitement son amour au chevalier noir, auquel il finit par être lié à travers Harley Quinn (je ne vous en dirai pas plus, mais il faudra vraiment que je vous parle des comics de Sean Murphy). Cette relation est explorée au sein de la continuité officielle par Scott Snyder et Greg Capullo, dans Le Deuil de la famille, où le Joker veut se débarrasser de la Batfamille pour renforcer son ennemi juré (oui oui), ou lors de son retour dans Masquarade, où il déclenche une folie meurtrière dans Gotham. Dans Batman Metal, les deux auteurs mettent en scène une alliance entre le chevalier noir et le clown prince du crime pour affronter le Batman qui Rit, un Bruce Wayne qui aurait tué le Joker et été contaminé par une toxine pour le rendre pareil à lui, alliant dès lors les capacités de Batman à l’absence de sens moral de sa nemesis et donnant naissance à un personnage malfaisant et redoutable. On peut d’ailleurs noter que le début de Batman Metal montre un Joker qui tente rien de moins que protéger Batman de l’arrivée d’un dieu cosmique (oui oui).

De la même manière, l’opposition entre Batman et Superman se retrouve chez différents auteurs et moments scénaristiques de la continuité, dans Batman Silence par exemple, où l’homme d’acier se trouve contrôlé par Poison Ivy, par exemple. Lorsque Superman contrôle l’URSS d’une main de fer dans Superman Red Son (dont il faudra vraiment que je vous parle), Batman est un militant anarchiste qui lutte contre la dictature du surhomme. Cela montre que si Superman peut être vu comme un rempart contre les débordements de Batman, l’inverse est également vrai. Dans le très récent Dark Knights of Steel (dont il faut… vous avez compris), qui transpose l’univers DC à l’époque médiévale, Batman est le chef de la garde du royaume des El, c’est-à-dire le royaume de Superman et de sa famille, avec laquelle il partage des liens très étroits.

Au-delà de son influence sur le personnage de Batman, dont il montre les limites, l’ambiguïté et l’aspect politique, The Dark Knight Returns marque l’univers des comics de super-héros, de la même manière que Watchmen, en montrant un univers noir, avec des thématiques matures qui changent ce médium à jamais.

Le mot de la fin


The Dark Knight Returns est un comics de Frank Miller qui questionne et redéfinit le personnage de Batman.

Âge de cinquante-cinq ans, Bruce Wayne reprend du service après dix ans d’inactivité en tant que Batman pour combattre la violence extrême qui règne dans les rues de Gotham, à laquelle il répond par l’extrémisme de ses méthodes et une opposition brutale à la police et à l’état. Le personnage est poussé dans ses derniers retranchements par ses ennemis, mais aussi par ses anciens alliés, puisqu’il doit se confronter à Superman. Il se trouve par ailleurs mis à mal par la télévision, omniprésente dans le récit, caricaturale dans ses propos, inversant les valeurs et questionnant la légitimité des actions du justicier masqué.

À travers un trait dur, Frank Miller a fait rejaillir toute la violence de l’univers de Batman, ce qui a métamorphosé non seulement l’homme chauve-souris, mais aussi l’industrie des comics.

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