Sénéchal III, de Grégory Da Rosa

Il est temps, lecteur. Temps de chroniquer le troisième volume de la série Sénéchal de Grégory Da Rosa, et ainsi rendre justice à une œuvre qui le mérite amplement.

Sénéchal III

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Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Mnémos, que je remercie chaleureusement pour leur envoi ! Ensuite, gardez en tête que je vais vous parler d’un Tome 3, et si je prendrai bien garde à ne rien spoiler de ce volume-ci, je risque de dévoiler des éléments des deux premiers tomes de la série. Cela étant dit, nous pouvons commencer.

Grégory Da Rosa est un auteur de fantasy français né en 1989. Il est passionné par l’Histoire et les littératures de l’imaginaire, et déclare ouvertement être influencé par le style Jean-Philippe Jaworski (la suite de Même pas mort et le Vieux Royaume m’attendent toujours à l’heure actuelle…).

Il a pour l’instant publié les trois volumes de la série Sénéchal aux éditions Mnémos, les deux premier tomes étant sortis en 2017, février pour l’un, octobre pour l’autre, tandis que le troisième et dernier tome est paru en octobre 2018. L’auteur a également contribué à l’anthologie des imaginales de 2017, avec la nouvelle « FIN ».

Pour ma part, j’avais beaucoup apprécié le premier tome de Sénéchal. J’avais donc hâte de pouvoir lire ses suites, et croyez-moi, je n’ai pas été déçu, puisque j’ai lu Sénéchal II en trois jours et Sénéchal III en deux jours tellement j’ai été captivé.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« « Aimeriez-vous vous confesser, mon fils ?

— Je ne le veux pas, monseigneur. »

Le froid… toujours le froid. Est–ce la fin ? Nos ennemis ont-ils eu raison de nous ? Il y a une chose que je sais : l’espoir, la loyauté, l’amour, la foi… rien de tout cela ne pourra plus nous sauver.

Alors que l’empereur Lysander de Castlewing et le séraphin Démosthène assiègent toujours la cité, Philippe Gardeval est emprisonné et relevé de sa charge. Le roi est persuadé d’avoir trouvé son traître et le sourire de la victoire orne maintenant les visages de ceux qui souhaitaient la chute du sénéchal. Basse politique ou véritable trahison ? Violence, regrets, haine, amour, les personnages de Grégory Da Rosa n’auront jamais été aussi humains, touchants et détestables. »

Dans mon analyse, je vous parlerai du tragique et de l’intrigue de manière générale, avant de m’attarder un peu plus en détail sur le personnage du Sénéchal Gardeval. À noter que sans spoiler, analyser le personnage va probablement se révéler assez difficile, et par conséquent, si jamais cela intéresse quelqu’un, je consacrerai des articles aux personnages intéressants et complexes de l’imaginaire ! Notez également que je ferai de mon mieux pour ne pas spoiler.

L’Analyse

Une intrigue tragique

 

Sénéchal III reprend l’intrigue en exposant les conséquences de la fin du second tome : Philippe Gardeval est accusé d’avoir trahi la couronne du royaume de Méronne et est enfermé dans les « Geôles inversées », dans l’attente de son jugement par le roi et les aristocrates de la cour, dont le baron Othon de Ligias, qui est plus perfide que jamais. Le Sénéchal va alors devoir remonter la pente pour regagner l’estime du roi et trouver les véritables traîtres à la couronne, tandis que les intrigues politiques, les complots, le siège des castellois, mais aussi les révoltes et les émeutes du peuple de Lysimaque causent toujours plus de morts atroces et sanglantes. Soyez prévenus, certaines morts, qu’elles concernent des personnages importants ou qu’elles soient présentes en arrière plan, se feront sentir, dans tous les sens du terme. L’auteur décrit des scènes très explicites de corps pendus (« avec leurs tripes », mais sans l’ambiance comique de la chanson évoquant le « Bailli du Limousin » dans un film bien connu), mutilés, écorchés, et fait ainsi surgir l’horreur et la violence qui règne dans les bas-quartiers de Lysimaque, complètement laissés pour compte et en proie à une violence extrême, et instrumentalisée par le mystérieux personnage du « Bossu ».

C’est donc dans ce climat de violence et de tension extrême que Grégory Da Rosa dresse donc le tableau de la fin d’un royaume et d’une époque, celle de la monarchie de Méronne, ce qui luipermet à l’auteur de déployer complètement le tragique de son intrigue et de déchaîner les passions (au sens racinien du terme) qui tiraillent ses personnages.

En effet, les passions, c’est-à-dire les souffrances émotionnelles violentes, viennent appuyer l’intrigue et en deviennent même des moteurs. Les souffrances personnelles des personnages, (Philippe Gardeval, Othon de Ligias, Sybille, le roi Édouard…), leurs haine, leur ressentiment les uns vis-à-vis des autres, leur colère et surtout leur désespoir influencent énormément la diégèse et son déroulement, et certaines scènes nous donnent à voir toute la « démesure » (terme employé par l’éditeur dans la quatrième de couverture et qui est loin d’être anodin) dont ils sont capables de faire preuve, avec des répliques très théâtrales et pleines de pathos qui donnent pleinement à voir les sentiments des personnages, qu’ils soient hantés par leurs ambitions ou leurs passions. À noter que le fantôme d’une certaine « Pénélope » hante ce troisième tome plus que tous les autres, puisque Philippe Gardeval va enfin découvrir la vérité sur sa mort, avec des conséquences évidemment funestes pour les coupables, mais je ne vous en dirai pas plus.

Le tragique et la tension montent également et de manière continuelle avec la cascade de révélations faites par l’auteur, qui dévoile des pans extrêmement surprenants de son intrigue. Le lecteur découvrira à ses dépens que les apparences peuvent décidément être extrêmement trompeuses, et la fin, complètement inattendue sur bien des points, permet un nouvel éclairage (ou un nouvel assombrissement, selon le point de vue) de toute la trilogie. Cette fin risque fort de ne pas vous laisser indifférents, en tout cas, parce qu’elle n’épargne absolument aucun personnage et montre toute la noirceur de chacun d’entre eux. Elles vous montrera aussi, tout comme le récit dans son ensemble, que très peu des protagonistes du récit sont moralement positifs. La fin du récit donne également des clés de compréhension sur les raisons de la Guerre Sainte menée par les Castellois contre le royaume de Méronne, et apporte un éclairage très intéressant sur la véritable nature de l’ange Lysimaque, qui était mise en question dans le tome précédent.

Les thématiques sociales sont toujours présentes dans ce volume et se trouvent accentuées. En effet, là où le tome II montrait un désintéressement complet du roi, des nobles et des bourgeois pour le bas-peuple et les prémices d’une rébellion de celui-ci, Sénéchal III dépeint toute la fureur du peuple dans ce qu’elle a de plus abominable, mais également son instrumentalisation, que ce soit par le personnage du « Bossu », ou par le Sénéchal, qui cherche à gagner l’appui du peuple et des foules pour pouvoir prendre l’avantage sur la couronne de Méronne et être perçu comme un sauveur. L’auteur nous montre donc une vision très cynique de la politique, où les couches moins favorisées de la société ne sont pas aidées par charité, mais par pur calcul, qu’il soit politique ou religieux, de la part des personnages.

On peut également constater, même si cela n’a rien à voir avec le tragique, que l’auteur fait des clins d’œil à des grands auteurs de l’imaginaire, puisqu’un personnage s’appelle Franck Herbert , tout comme l’auteur de Dune, tandis que « l’andiacre » et les anneaux qui sont fabriqués à part de celui-ci possèdent un pouvoir puissant, mais également corrupteur et irrésistible pour leurs possesseurs, à l’instar d’un certain anneau unique provenant d’une œuvre bien connue de Tolkien.

Le Sénéchal Gardeval, détestable et pourtant tragique

 

Si vous pensiez encore que Philippe Gardeval était un personnage moralement positif et aligné « Loyal Bon », ce troisième va éparpilles puis enterrer vos convictions. Grégory Da Rosa nuance formidablement son personnage, à travers plusieurs points que je vais détailler maintenant, et qui montrent que le sénéchal est incroyablement ambivalent (et encore, je ne vais pas spoiler pour que vous gardiez quelques surprises).

Le récit cadre extradiégétique de la série Sénéchal, c’est-à-dire ce qui est porteur du récit, est le journal tenu par Philippe Gardeval durant le siège de Lysimaque par les Castellois, qui détaille l’évolution de la situation heure par heure, du point de vue du personnage, à l’image d’une autobiographie qui se voudrait être une fidèle retranscription du réel et du vécu d’un personnage. Cependant, il faut bien garder à l’esprit que le personnage du Sénéchal est un fieffé rusé, et qu’il ne raconte sans doute (et effectivement) pas tout, et qu’ensuite, il raconte le siège de Lysimaque de son propre point de vue. Cela signifie d’une part que le personnage peut mentir (en déformant la vérité ou par omission), et qu’ensuite, il n’est pas tenu de raconter les divers événements de manière fidèle, dans leur ordre chronologique, ce qui fait de lui un personnage marqué par la duplicité, qui joue avec les autres personnages à travers ses manipulations toujours plus retorses (j’y reviendrai), mais également avec son lecteur, c’est-à-dire nous, puisqu’il cherche à être perçu d’une certaine façon, alors que la réalité est toute autre.

Grégory Da Rosa nuance ainsi énormément son personnage en faisant de lui un narrateur qui n’est pas forcément fiable vis-à-vis de son propre vécu. Cependant, il est important de noter que les écrits du Sénéchal sont physiquement présents dans le récit, puisqu’ils sont un enjeu important au début de ce troisième volume, et qu’ils finissent conservés par une certaine faction à la fin du récit. Ensuite, l’écrit est perçu comme salvateur à plusieurs reprises, puisqu’il permet au Sénéchal de garder des souvenirs d’une période extrêmement troublée, dans laquelle il a joué un rôle important, mais néanmoins tragique, ce qui le pousse à vouloir exorciser certains de ses souvenirs, en les mettant à distance à travers l’écrit.

En effet, si le personnage du Sénéchal peut être considéré comme très ambigu moralement (voire carrément abominable), il faut également comprendre qu’il est en proie à une tragédie personnelle très importante tout au long de ce dernier volume. Lorsqu’il est démis de ses fonctions, Philippe Gardeval est ramené à son statut d’homme du peuple, de gueux parmi les puissants, enfermé dans sa position parce qu’il n’est pas né noble et qu’il reste donc un membre de la basse couche de la société aux yeux des aristocrates, auquel on peut ôter ses privilèges sans porter atteinte à ses droits ancestraux. Bien au contraire, l’héritage de la fonction de sénéchal de Philippe Gardeval est ici montrée comme un moteur de tragique et d’aliénation (au sens marxiste du terme), puisqu’elle vient d’un héros de guerre, du royaume de Méronne qui est l’aïeul des Gardeval, Lothaire Gardeval, qui a obtenu la confiance du roi après l’avoir aidé à remporter une bataille et qui a obtenu le premier la fonction de sénéchal, de conseiller du roi, opérant ainsi une élévation au-dessus de la condition du bas-peuple mais enfermant sa famille dans un rôle unique, sans possibilité d’acquérir un titre de noblesse, celui de « garder le val ». La scène (dont je ne vous donnerai pas le contexte), durant laquelle Philippe Gardeval s’adresse à une statue de son ancêtre illustre bien le tragique de sa condition, qui est porteuse de conséquences très funestes. Malgré tout, la fonction de sénéchal, à défaut d’être respectée par les nobles, est adulée par les « gueux », parce qu’elle illustre la possibilité pour une personne du bas-peuple d’approcher l’aristocratie. La fonction de sénéchal est alors porteuse de tragique et cristallise également les problématiques sociales de la série de Grégory Da Rosa.

Néanmoins, malgré le fait que la condition de Philippe Gardeval pourrait susciter la pitié du lecteur, l’auteur parvient à le rendre détestable (attention, ceci n’est pas un reproche, ou plutôt, je ne dis pas que rendre un personnage détestable dans le cas présent est mal), puisque le personnage se révèle être toujours aussi bon acteur et retors lorsqu’il s’agit de retrouver grâce aux yeux de la couronne de Méronne ou de retrouver et se débarrasser des traîtres, mettant en œuvre des moyens toujours plus extrêmes pour les débusquer ou redorer son image, qui incluent l’assassinat, le mensonge, la manipulation… . Les dernières parties et la fin du roman donnent également un nouvel éclairage sur le personnage, qui ne vous laissera clairement pas indifférents ! Vous constaterez en tout cas que Philippe Gardeval n’a rien d’un « héros » au sens strict du terme.

Avant de conclure, j’évoquerai encore une fois rapidement le style de l’auteur, toujours aussi travaillé, chargé et médiévalisant, qui retranscrit à merveille l’ambiance de ce dernier tome.

Le mot de la fin

 

Sénéchal III signe la fin d’une trilogie extrêmement prometteuse et qui balaiera probablement les doutes de ceux qui étaient restés mitigés devant les deux premiers volumes. Grégory Da Rosa dépeint une ambiance funeste et tragique dans une intrigue au rythme effréné, qui va de rebondissements en rebondissements et dotée d’un personnage principal bien plus retors et ambigu qu’il n’y paraît. J’ai adoré la série Sénéchal et je vous la conseille très fortement, ne serait-ce que pour son final incroyablement maîtrisé.

Vous pouvez également consulter les chroniques de L’Ours Inculte, Elhyandra, Boudicca

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