Interview de Grégory Da Rosa

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai l’immense plaisir de pouvoir te montrer une interview de Grégory Da Rosa, l’auteur de la trilogie Sénéchal, publiée aux éditions Mnémos entre 2017 et 2018 et dont les deux premiers tomes seront bientôt repris dans la collection Folio SF de Gallimard.

Je tiens à chaleureusement remercier l’auteur pour avoir accepté de répondre à mes questions et pour avoir donné autant de détails !

Vous pouvez retrouver les autres interviews réalisées par mes soins grâce au à la catégorie Interviews et au tag qui lui est associé. J’en profite pour annoncer que j’en ferai d’autres. Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment, mais vous serez tenus au courant !

Ensuite, sachez que j’ai chroniqué l’intégralité de la série Sénéchal, vous pouvez retrouver les articles correspondants ici.

Sur ce, je laisse la parole à Grégory Da Rosa !

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(Petite tentative de jolie photo avec les romans de la série. Je m’excuse pour le watermark imposé par mon téléphone.)

Interview de Grégory Da Rosa

 

Marc Ang-Cho : Peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?

Grégory Da Rosa : Grégory Da Rosa, 29 ans, auteur français de fantasy vivant non loin de Montpellier. Sénéchal est mon premier roman.

 

Marc Ang-Cho : Quand as-tu commencé à écrire ?

Grégory Da Rosa : J’ai commencé à écrire à 13 ans dans l’unique but de fausser compagnie à la solitude qui était mienne à cet âge. L’époque de mes années collège remporte haut la main la palme de la pire période de ma scolarité (la faute aux moqueries, harcèlements, violences et autres joyeusetés malheureusement trop habituelles dans cette jungle d’hormones en folie). Mes seuls amis étaient alors Harry Potter, Hermione Granger, Ronald Weasley, Lyra Belacqua et Will Pary. Ça paraît mièvre mais, bon sang ! que c’était vrai ! De fait, quand arrivait la fin d’un tome et que la suite n’était pas à portée de main, c’était une sacrée épreuve. La solitude toquait derechef à la porte. C’est presque par la force des choses que j’ai pris un stylo, un vieux cahier et mon imagination. Mes premiers textes sont nés comme ça, et mes personnages d’alors n’étaient rien d’autres que l’étrange écho de mes amis de papier.

 

Marc Ang-Cho : Comment en es-tu venu à écrire de la Fantasy, et surtout ta série Sénéchal ?

Grégory Da Rosa : Par mimétisme au début. Et quand je parle de début, je parle toujours de mes 13 ans. J’avais commencé à lire du fantastique, puis de la fantasy, il était logique et confortable de poursuivre sur ce chemin. Mes premiers textes servaient surtout d’échappatoire, et la Fantasy, avouons-le, est bigrement bien taillée pour ça. Puis les années passant, les lectures s’accumulant, on grandit, on s’émancipe des textes fondateurs tout en consolidant son attachement pour le mauvais genre.

À l’âge de mes 17 ans, j’ai fini par créer l’univers dans lequel se déroule aujourd’hui la trilogie Sénéchal, créé sur un coup de tête pour « sauver » une communauté de rôlistes qui n’avait plus nulle part où jouer à la suite de la suppression d’un forum de jeu de rôle textuel. Dans ses heures fastes, mon petit forum aura connu environ 200 membres très motivés pour faire vagabonder leurs personnages dans l’univers que j’avais créé.

Ce forum s’est éteint à son tour, et ne pouvant me résoudre à quitter ce monde, je continue de le faire vivre aujourd’hui par le biais des romans. Sénéchal en est le premier, et j’espère en toute franchise qu’il ne sera pas le dernier. Pour tout dire, j’ai toujours vu cette trilogie comme une introduction à l’univers que je veux développer. Cela se voit notamment par le fait que Sénéchal est un huis-clos dans une cité assiégée. Le siège étant achevé, il est temps d’ouvrir les portes. Un monde nous attend, là, dehors. Alors allons voir !

Quant à la genèse de la trilogie en elle-même, je dirais que ça a commencé au moment où j’ai eu l’idée d’une fin, la fin.

 

Marc Ang-Cho : Quels genres, époques et auteurs t’inspirent le plus ? As-tu des modèles en termes de narration ou de style ?

Grégory Da Rosa : Les seules cases que je veux absolument cocher en ouvrant un livre, ce sont le voyage, le panache et la bonne compagnie. Peut-être, dirais-je, ai-je un attachement certain pour les époques anciennes, allant de la Protohistoire à la Renaissance, ce qui laisse tout de même une certaine marge de manœuvre, d’autant plus lorsqu’un ouvrage historique est capable de me faire voyager comme sait le faire un roman.

Concernant les genres, je glisse volontiers vers la fantasy et le roman historique. Je m’intéresse également depuis peu à la science-fiction, mais je reste assez peu réceptif aux polars ou aux romans de littérature générale, trop ancrés dans le réel. J’aime le challenge de l’impossible, le rêve et le cauchemar, et je crois présenter un encéphalogramme plat à chaque fois que je lis une histoire s’ancrant dans le réel. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer…

Pour ce qui est des auteurs, Jean-Philippe Jaworski (Gagner la Guerre), Christian Chavassieux (Les Nefs de Pangée), Justine Niogret (Chien du heaume) et Stéphane Beauverger (Le Déchronologue) ont su, par leur roman, me donner envie d’écrire. Ils ont tous un point commun : une plume hallucinante ! Plus anciennement, je peux citer les géants George R.R. Martin, Robin Hobb, R. Scott Bakker et Greg Keyes pour la densité de leurs univers. Côté roman historique, je resterai marqué par l’érudition et les personnages de Pierre Naudin (Le Cycle d’Ogier d’Argouges), Maurice Druon (Les Rois Maudits) et Umberto Eco (Le Nom de la Rose).

 

Marc Ang-Cho : La rédaction de Sénéchal a-t-elle été longue ? Quelles ont été les étapes successives de l’écriture de la trilogie ? Avais-tu déjà la fin en tête ? Es-tu un auteur qui planifie son récit ?

Grégory Da Rosa : Le premier tome a été écrit en 3 ans. Sans me douter une seconde de l’ampleur de ce que j’étais en train de commettre ni même du destin qu’aurait ce texte, j’écrivais de manière sporadique, lorsque j’en avais l’envie et le temps, sans aucun objectif particulier.

Le deuxième aura été écrit en 8 mois et, définitivement, il aura s’agit du plus complexe des trois. Les pressions qu’engendrent un contrat d’édition, une première parution, l’accueil du public, l’arrivée des premières critiques, les premières dédicaces et conférences, couplées simultanément à un métier à plein temps plus ou moins épanouissant et à une série de déménagements et de colocations, m’en auront fait voir des vertes et des pas mûres. Pour tout dire, j’ai failli craquer (et mon éditeur s’en souvient), mais j’ai relevé le défi !

Le troisième tome, lui, aura été rédigé en 4 mois et demi. Pour ce dernier, j’avais l’expérience des deux premiers et l’excitation de conclure toute une histoire. Sa rédaction s’est faite avec une fluidité qui m’étonne encore.

Quant à savoir quelles ont été les étapes successives de l’écriture, c’est difficile à dire, car je ne fonctionne pas par étapes. Je suis – excusez ma familiarité – un grand bordélique quand il s’agit de créer ! Je n’ai quasiment pas de brouillon, et quand j’en ai un, j’ai la fabuleuse idée de ne jamais le suivre. J’ai donc écrit Sénéchal en ayant un plan en tête qui, pauvre de lui, a été souvent sujet à modifications. Les seules choses qui étaient inscrites dans le marbre étaient la fin de l’histoire et quelques moments clefs des premier et deuxième volumes. Quant au reste, je me gardais la surprise de la découverte, car c’est un très bon moyen de garder la motivation. Être surpris par son propre texte, ça a du bon !

 

Marc Ang-Cho : Quelles sont les difficultés que tu as pu éprouver lors de la rédaction de Sénéchal ? Lesquelles t’ont le plus marqué ? As-tu des anecdotes de cette rédaction ?

Grégory Da Rosa : Écrire est un exercice très solitaire qui peut à la longue être pesant. C’est un marathon, et même si l’éditeur apporte son soutien, même si les critiques et l’accueil du public sont bons, même si l’entourage se montre compréhensif, il y a irrémédiablement des moments de doute et de démotivation. Vous êtes et resterez l’auteur, et c’est à vous de faire le job. On ne peut pas déléguer. C’est à mon sens la plus grande difficulté : ne pas faillir et continuer à garder la foi en ce que l’on fait, en ce que l’on est. Ajoutez à cela les impératifs éditoriaux (date de rendu du manuscrit, parution programmée) et vous voilà embarqué dans un tourbillon de stress.

L’autre difficulté est celle d’aimer son histoire. Je sais, ça paraît étrange. Il n’en reste pas moins que si votre intrigue vous passionne et vous enflamme à ses débuts, il en sera peut-être tout autrement au bout d’un an de travail. Pour exemple, je suis resté enfermé dans Lysimaque et dans la tête de Philippe Gardeval pendant 5 années (ce qui correspond grosso modo au temps de rédaction de la trilogie en comptant les coupures) alors que l’histoire même du Sénéchal ne couvre qu’une trentaine de jours. Imaginez un peu la distorsion temporelle. Une distorsion que le lecteur ne doit absolument pas ressentir. Plus encore en sachant que l’auteur peut mettre 2 ans à écrire son roman et que le lecteur, lui, peut le lire en 2 jours. Il faut développer une certaine constance.

Quant aux anecdotes, j’en ai une qui n’était pas particulièrement drôle à vivre sur le moment, mais avec le recul… C’était lors de la rédaction de Sénéchal II – la plus difficile des trois –, j’étais en retard sur le planning et dans un état de stress à vous filer de délectables insomnies. Un soir, j’ai carrément dû me rendre aux urgences de Montpellier pour une douleur dans le bras gauche, une forte pression à la poitrine et des difficultés à respirer. Avec ces symptômes, j’ai été embarqué très rapidement par les médecins qui ont cru à un infarctus, d’autant que nous avons des antécédents assez lourds dans la famille. Il n’en était rien. Lorsque j’étais allongé sur le brancard, branché de partout, le médecin m’a dit de sa voix de père mécontent : « Monsieur, vous faîtes une crise d’angoisse ! Ressaisissez-vous. » L’effet a été immédiat. Je me suis calmé et, tout penaud, ai présenté mes excuses pour le temps et l’énergie que je venais de leur voler. Je n’avais aucune idée de ce qu’était une crise d’angoisse. Je le sais à présent ! Et devinez quoi… En sortant de l’hôpital, j’ai immédiatement angoissé, car je venais de perdre un temps précieux, temps que j’aurais pu mettre à profit pour écrire, évidemment…

Bon, rassurez-vous, je gère bien mieux la pression à présent.

 

Marc Ang-Cho : Pourquoi avoir choisi de donner cette (surprenante) fin à Sénéchal ? Est-ce que tes prochains récits se situeront dans le même univers que la série ?

Grégory Da Rosa : J’ai donné cette fin à Sénéchal en premier lieu pour le divertissement, pour surprendre, car c’est surtout pour ça que j’écris. Et, ma foi, je crois que ça a fonctionné ! L’autre motif est que j’ai voulu littéralement exploser toute idée de manichéisme. Le Bien et le Mal sont à mon sens souvent des questions de point de vue, et je crois que la phrase qui correspond le mieux à ce que j’ai essayé de faire est celle-ci : « L’Enfer est pavé de bonnes intentions. » Ce à quoi je réponds : « Le Paradis est donc certainement pavé des mauvaises. »

Quant à mes prochains récits, ils seront en effet dans le même univers. Sénéchal est une porte d’entrée, et le troisième tome ouvre d’ailleurs vers quelques nouvelles pistes que le lecteur, s’il le souhaite, pourra explorer dans les futurs textes. Après tout, il nous reste à connaître l’origine du Syncrétisme, ce grand cataclysme qui a engendré la fusion des trois anciens mondes en un seul, à découvrir la menace de l’Extrême Anathème, à partir à la recherche du Syncral perdu, à faire connaissance avec les Archaï, les Malsangs d’Éméodia et du Zéhyr, les Varaks du désert du Raakghar, les Ombres du Santugal et les Augors de la Sylve-Brune.

Pour le prochain roman, je projette de faire voyager le lecteur un siècle et demi après Sénéchal, sur un autre continent, à la quête d’une étrange cité perdue dans le désert qui se déplace au gré des mirages. Il n’est pas impossible d’ailleurs qu’on y rencontre le descendant d’un certain sénéchal de Méronne…

 

Marc Ang-Cho : Le personnage de Philippe Gardeval est complexe et nuancé. Quelles ont été tes sources d’inspiration lors de sa construction ? Quel(s) personnage(s) as-tu aimé écrire dans Sénéchal ? 

Grégory Da Rosa : Pour écrire Philippe, je me suis inspiré de ma propre personne pour son caractère à la fois acide, désabusé, méfiant et sensible. Inquiétant, n’est-ce pas ? Bien sûr, les traits sont grossis, appuyés, distendus et que sais-je encore ! mais il y a indéniablement un bout de moi en lui. Les artifices scénaristiques ont fait le reste. Pour les autres traits, et notamment sa gouaille, je crois qu’il a quelques airs, plus ou moins lointains, d’un Petyr Baelish (le Trône de Fer), d’un Frank Underwood (House of Cards) et, plus rarement, d’un Sand dan Glokta (La Première Loi).

Pour ce qui est des personnages que j’ai aimé écrire, je dirais : TOUS ! Mais j’ai tout de même un penchant pour Jacques Rodenteux, l’architecte. Il est baroque, bavard, peureux, curieux. C’est le seul personnage de cette histoire qui, au fond, se moque bien de savoir qui va gagner la guerre.

 

Marc Ang-Cho : Est-ce que tu t’imposes une discipline pour écrire ? Éprouves-tu des difficultés ? As-tu déjà eu des blocages ?

Grégory Da Rosa : Oui et non. J’essaie d’écrire tous les jours en ayant un minimum de mots rédigés (500, pour tout dire). La seule chose que je m’impose vraiment, c’est de me mettre devant le clavier et d’essayer au moins une fois par jour. Parfois, on a l’impression de ne pas avoir envie d’écrire et, miraculeusement, sans savoir pourquoi, ça vient. Mais il m’arrive aussi de ne pas être en condition, et dans ces cas-là, je ne force pas et je fais tout autre chose.

J’ai déjà eu des blocages, en effet. Des blocages mineurs. La plupart du temps, j’y remédie en écrivant une autre scène qui intervient plus tardivement dans le roman. Ça fonctionne souvent. D’autres fois, j’écris un texte qui n’a strictement rien à voir. C’est d’ailleurs ainsi qu’est née la nouvelle « Comme ça » qui sera présente dans l’anthologie Natures des Imaginales 2019. Par chance, je n’ai pour l’instant jamais vraiment eu de gros blocages. Croisons les doigts pour qu’ils ne surviennent jamais.

 

Marc Ang-Cho : Dans Sénéchal, tu mobilises énormément de vocabulaire et de tournures médiévales. As-tu fait des recherches, lu de la littérature d’époque pour « mieux » t’imprégner du langage médiéval ?

Grégory Da Rosa : Les recherches ont été constantes tout au long de l’écriture. Il y avait une documentation de fond, dirais-je, et une documentation ponctuelle. La documentation de fond était utile pour m’imprégner d’une certaine ambiance, à la fois politique, militaire, religieuse. Je citerai notamment la lecture de L’âge d’or capétien (1180–1328) de Jean-Louis Biget et de Jean-Christophe Cassard aux éditions Belin, et la Guerre au Moyen-Âge de Philippe Contamine, Presses Universitaires de France. Pour la documentation ponctuelle, c’était celle qui intervenait pendant la rédaction de certaines scènes nécessitant par exemple des descriptions architecturales, vestimentaires, culinaires, etc. L’Encyclopédie Médiévale d’Eugène Viollet-le-Duc était parfaite pour ça, car elle répondait à un besoin plus immédiat de détails. Il en est de même pour les termes d’ancien et de moyen-français qui ont pour la plupart été extraits du DMF du CNRTL et du dictionnaire Godefroy, tous deux disponibles en ligne.

Ensuite, il y a également eu la lecture de romans historiques qui me permettaient une plongée plus ludique dans le Moyen-Âge, ainsi que l’écoute de chansons. Je pense par exemple à Le Roi Renaud (https://www.youtube.com/watch?v=nEntJFgbCHQqui m’a été très utile pour écrire la chanson Diane présente dans le premier volume.

 

Marc Ang-Cho : Si cette question n’est pas trop indiscrète, es-tu auteur à temps plein ? Si oui, parviens-tu à vivre de ta plume ?

Grégory Da Rosa : Non, je ne suis pas un auteur à temps plein, et non, je ne peux pas vivre de ma plume. Je vais me permettre de vous expliquer pourquoi avec un cas théorique.

Un auteur débutant commence fréquemment en signant un contrat d’édition qui lui confère 7% de droits d’auteur par livre vendu, prix hors taxe. Sur un livre au prix public de 20 euros, la taxe est de 5,5%, l’auteur gagne donc 7% de 18,90 euros, soit 1,32 euros.

Supposons donc que 2 000 exemplaires d’un roman s’écoulent en 2019 (ce qui est déjà une belle vente pour un auteur de l’imaginaire), l’auteur gagnera donc 18,9 x 1,32 = 2 640 euros, qu’il percevra début 2020, à la reddition des comptes (entre février et avril en général, mais l’attente peut être plus ou moins longue). Ce chiffre n’est pourtant que le revenu brut, car il faut encore déduire quelques cotisations (CSG, CRDS, Sécurité sociale, contribution à la formation professionnelle) de 10,45% si je ne m’abuse, ce qui fait tomber le revenu net à 2 366,76 euros.

Ainsi, si l’étrange idée nous vient de nous lancer dans un calcul savant en nous disant que 2 000 exemplaires se sont vendus à 20 euros l’unité, nous comprendrons que les lecteurs auront dépensé la modique somme de 40 000 euros pour obtenir le roman. L’auteur, hélas, n’en verra que 2 366,76 euros.

Bien sûr, ce chiffre peut être revu à la hausse (légèrement). Les éditeurs proposent par exemple un pourcentage évolutif, par palier, c’est-à-dire que plus il y a d’exemplaires vendus, plus le pourcentage de droits d’auteur augmente (7%, puis 8, puis 9, puis 10, etc., modulables aussi en fonction de la notoriété et du succès de l’auteur). Il y a également des revenus annexes, comme les conférences (en salon, festival, médiathèque et école par exemple) qui peuvent parfois être rémunérées. Je dis « parfois », car nous nous souviendrons sans mal de la viralité de #payetonauteur sur les réseaux sociaux. À ce propos, en cette année 2019, le festival des Imaginales montre l’exemple et envoie un message fort en rémunérant les auteurs et autrices qui interviendront lors de ses tables rondes.

Outre le livre papier, il y a aussi le livre numérique qui, délivré des frais d’impression, de stockage, de distribution, devrait normalement permettre aux auteurs de percevoir des droits d’auteur bien plus conséquents que pour le livre papier. Sur ce point, pourtant, aucune « règle » préétablie ne semble avoir été fixée, et c’est à négocier avec l’éditeur. Les droits d’auteur fluctuent donc superbement entre 15 et 50%, ai-je entendu dire.

Alors, la faute à qui ? L’auteur pourrait accuser l’éditeur, qui pourrait accuser à son tour le distributeur-diffuseur, qui pourrait lui aussi accuser les libraires de ne pas travailler leurs fonds, de ne faire de la place sur ses rayons qu’au premier de cordée, et les libraires, quant à eux, pourraient accuser la surproduction et les librairies en ligne phagocytaires comme Amazon. De tous côtés, les motifs de reproche pourraient être nombreux et alimenter sans cesse. Il semble donc que ce soit le système dans sa totalité qui accuse un essoufflement évident, surtout lorsque certains affirment que le lectorat, en sus, s’amenuise.

Bien sûr, certains s’en sortent mieux que d’autres. Les auteurs à succès face aux auteurs de niche, les gros éditeurs face aux petits, les grandes librairies face aux plus modestes. De là dire qu’il y a un comme un étrange parallèle entre la situation de la chaine du livre et la situation actuelle et globale de notre société, (le creusement des inégalités, la dictature du chiffre et du rendement, les riches toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres), c’est un autre débat… Et je suis déjà assez bavard comme ça.

 

Marc Ang-Cho : Quelle est ta vision de la Fantasy ? Quel est le premier roman de Fantasy que tu as lu ?

Grégory Da Rosa : Quand je pense à la Fantasy, je pense au voyage, à l’aventure, aux paysages, au gigantisme, à la magie. Elle est pour moi avant tout une source de divertissement dans ce qu’il a de plus noble. Elle sort le lecteur de son quotidien et le propulse dans une tout autre vie. C’est, à mon humble avis, sa force et son rôle premiers. Elle peut aussi apporter une critique ou une description métaphorique, parfois poussée à l’extrême, de la société. Dans ce cas, j’aime que ce soit discret et que ça ne prenne pas le pas ni sur l’intrigue ni sur les personnages, mais que ça les accompagne : le voyage d’abord, le message ensuite !

Pour conclure, je dirais que la Fantasy est une vieille amie qui, si elle a toujours le même but, se plaît à changer de visage.

Le premier roman de Fantasy que j’ai lu est À la croisée des mondes de Philip Pullman. Je devais avoir 12 ou 13 ans. Ceci explique cela.

 

Marc Ang-Cho : Es-tu rôliste ? Joues-tu à des jeux-vidéo ?

Grégory Da Rosa : J’étais rôliste sur des forums de jeu de rôle textuel. C’était une très belle façon de faire évoluer ma plume, ma capacité à créer et à gérer un personnage, ma créativité et mon sens du worldbuilding, comme on dit dans le jargon.

Quant au jeux vidéo, je ne joue qu’à des jeux solos, jamais en ligne, jamais ! J’aurais trop peur de plonger tête la première dans les mondes multi-joueurs pour ne plus en sortir, trop galvanisé par le fait d’être accompagné par d’autres joueurs. Je suis un homme d’excès, et si je me lance dans une activité chronophage, alors je sais que mes proches (et mon éditeur comme mes lecteurs) pourront me dire adieu.

Je joue donc principalement (et même exclusivement) à des jeux RPG en monde ouvert. Je suis un inconditionnel des jeux aux maps gigantesques et denses, aux quêtes secondaires indénombrables. Étonnant, n’est-ce pas ? J’ai donc écumé Bordeciel dans Skyrim pendant plus de 300 heures (et il m’arrive d’y jouer encore juste pour le plaisir de la balade), pareillement avec The Witcher III. Quant aux deux « nouveaux » Assassin’s Creed Origins, ils m’attendent.

 

Marc Ang-Cho : Quels conseils donnerais-tu à de jeunes auteurs et autrices de SFFF ?

Grégory Da Rosa : J’en suis un moi-même, alors cette question me paraît assez difficile mais je vais essayer d’y répondre.

Dans le désordre, je dirais qu’un auteur est avant tout un lecteur. Nourrissez votre imaginaire, votre culture. Ayez une lecture analytique plus que critique.

Remettez votre travail en question sans tomber dans le dénigrement. Prenez du recul sur vos textes. Laissez-les reposer pendant quelques semaines, quelques mois sans les relire. C’est selon moi le meilleur moyen pour retrouver une certaine objectivité face à sa création.

N’écrivez pas pour faire plaisir aux autres. Écrivez pour vous-même. Si vous vous êtes régalé à écrire votre texte, il y a de fortes chances pour que les lecteurs, inconsciemment, le ressentent et prennent plaisir à leur tour. Si vous vous ennuyez à l’écrire, ils s’ennuieront à le lire. Si un passage vous bloque, ils bloqueront. Je l’ai remarqué pour Sénéchal. Les passages régulièrement encensés par les lecteurs sont ceux que j’ai tout simplement adoré écrire.

Écrivez régulièrement, quotidiennement si possible. Même s’il ne s’agit que d’un paragraphe de trois lignes, ouvrez votre traitement de texte et allez-y. On m’a souvent dit que l’écriture était comme le vélo : ça ne s’oublie pas ! C’est peut-être vrai, car vous savez encore, même après des années d’inaction, rouler et tenir en équilibre sur votre selle. Mais l’écriture d’un roman, c’est comme participer au Tour de France. Mieux vaut s’entrainer régulièrement, car il y a certaines montées assez difficiles à gravir…

 

Marc Ang-Cho : Quels sont tes prochains projets d’écriture ? Peux-tu nous donner quelques indices ?

Grégory Da Rosa : J’ai commencé la rédaction d’un nouveau roman dont le titre extrêmement provisoire est Miragaï.

Il se déroule 150 ans après l’histoire du Sénéchal, sur un autre continent plus aride, plus exotique, aux inspirations orientales. Je vais essayer d’en faire un pitch. Dans les grandes lignes, ça donnerait ça :

Dans le nord brûlant du Haut-Raakghar, les bords du monde s’affaissent, rongés par le Grand-Vide. La cité de Kapur, pour moitié, a déjà été avalée. Les Varaks qui y vivent, coincés entre le vide et le désert, fuient en masse les steppes d’Ip-Kowh. Plus au sud, dans la péninsule du Zéhyr, les sept lumières du temple d’Almyriad se sont éteintes, et l’émirat est soudain la proie d’étranges ombres qui, la nuit, rôdent et tuent sans distinction petits comme puissants. Le Grand-Émir Yusuf, qui doit faire face à ces meurtres sans meurtrier, à la vague migratoire sans précédent et au mécontentement croissant de ses vassaux vacille sur son trône. D’autant plus qu’à l’Est, l’empire varmynide, lui, n’en finit pas de vouloir s’étendre. Et le voilà justement qu’il tourne son regard vers la péninsule…

Nous aurons donc, je l’espère – car tout est encore très hypothétique –, un roman choral qui lorgnera vers la fantasy épique.

 

Marc Ang-Cho : Sénéchal va prochainement être republié dans la collection FolioSF de Gallimard, où l’on trouve des auteurs tels qu’Isaac Asimov ou Gene Wolfe, mais aussi Fabien Cerutti, Jean-Philippe Jaworski ou encore Estelle Faye. Est-ce que tu retires une certaine satisfaction de voir tes romans dans cette collection ?

Grégory Da Rosa : Indéniablement !

Si l’on m’avait dit, il y a tout juste trois ans, que mon roman paraîtrait dans cette collection, j’aurais très certainement ri sans y croire.

Pour tout dire, je suis principalement un lecteur de livres au format poche. Mes premières lectures proviennent des catalogues de J’ai lu, Pocket, le Livre de Poche et Folio SF. Alors oui, que Sénéchal ait attiré l’œil de l’un d’entre eux – et non des moindres ! – voilà qui me fait tout drôle.

 

Marc Ang-Cho : Est-ce que tu seras au Salon du Livre de Paris ? Dans quel salons et conventions pourra-t-on te retrouver prochainement ?

Grégory Da Rosa : Il est probable que je sois présent au Salon du Livre de Paris, en effet, mais ça reste encore à confirmer.

En mai, je serai au festival des Imaginales d’Épinal et, à une date plus lointaine, je serai également au festival Méditerranée Polar et Aventure le 13 et 14 juin de Barcarès.

9 commentaires sur “Interview de Grégory Da Rosa

  1. Hey super interview mon chroniquer ! Greg Da Rosa propose des réponses intéressantes, notamment sur la solitude que cela soit dans son enfance ou dans l’écriture. Le fait qu’il ai mis de lui dans son personnage principal est intéressant également car je crois qu’on met tout un peu de nous et de nos caractères dans notre personnage principal (toutes proportions gardées bien entendu). Son idée de futur roman fleure bon en tout cas. Il serait vraiment, mais genre vraiment temps que je lise le tome 1 de Sénéchal. Je me le suis procuré en numérique car je ne savais pas du tout si le style assez soutenu allait me convenir.
    Encore une fois, belle interview l’ami !

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