Deuxième intégrale des œuvres d’Alejandro Jodorowsky

Salutations, lecteur. Je t’ai récemment parlé de la première intégrale des œuvres d’Alejandro Jodorowsky, publiée chez les Humanoïdes Associés, qui contenait Les Yeux du chat et L’Incal, dessinés par Moebius. Aujourd’hui, je vais te parler de la deuxième de ces intégrales.

La Saga d’Alandor, La Passion de Diosamante, Dune, le film que vous ne verrez jamais, Le Soleil eucharistique, L’œuf alchimique, Qui rêve maintenant ?

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Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais remercier Ambre et les Humanoïdes Associés pour m’avoir permis de découvrir l’œuvre d’Alejandro Jodorowsky, par laquelle j’ai été totalement conquis.

Alejandro Jodorowsky est un artiste né en 1929. Il a exercé comme, poète, romancier, mime, et il est notamment connu pour ses scénarios de BD et ses films. C’est à ces deux derniers aspects de son œuvre que je vais m’intéresser. Au milieu des années 1970, Jodorowsky tente d’adapter Dune de Frank Herbert au cinéma, avec le soutien d’énormément d’artistes (le peintre H. R. Giger, Moebius, Salvador Dali, Pink Floyd…), mais le projet est avorté par manque de soutien des producteurs. L’histoire de ce défunt projet est retracée dans le documentaire Jodoroswsky’s Dune, paru en 2013.

Après l’échec de Dune, Alejandro Jodorowsky, dit « Jodo », s’illustrera dans la scénarisation de BD aux côtés de dessinateurs divers et variés, éditées la plupart du temps aux Humanoïdes Associés.

Pour fêter le 90ème anniversaire de l’artiste, les Humanoïdes Associés ont décidé de republier l’intégralité de son œuvre en 12 volumes, enrichies de préfaces et de postfaces de l’auteur, des dessinateurs, ou encore de spécialistes, mais également de planches inédites. Aujourd’hui, je vais vous parler des œuvres contenues dans le deuxième de ces intégrales. Comme chacune d’entre elles sont dessinées par des artistes différents, je vous présenterai chacun d’entre eux lorsque je parlerai de leurs œuvres respectives. À noter que je ne vous parlerai pas toujours en détails de certaines d’entre elles, puisque cette intégrale comporte des histoires courtes et à chute, que j’aimerais éviter de vous spoiler. Comme à mon habitude lorsque je parle de BD, je vous parlerai d’abord du dessin, puis de la narration, des personnages et des thématiques.

Ceci étant dit, nous pouvons commencer.

 

La saga d’Alandor

 

La Saga d’Alandor comporte deux volumes, Le Dieu jaloux et L’Ange Carnivore, respectivement publiés en 1984 et 1986. Une édition intégrale, revue et corrigée, est ensuite parue en 1991.

Cette série est scénarisée par Alejandro Jodorowsky et dessinée par Silvio Cadelo, que je vais vous présenter rapidement.

Silvio Cadelo est un dessinateur italien né en 1948. Avant de travailler pour la bande-dessinée il a notamment été acteur, mime et metteur en scène de théâtre. Puis, en 1982, le magazine Métal Hurlant des Humanoïdes Associés publie l’une de ses histoires courtes, Strappi. Alejandro Jodorowsky scénarisera ensuite pour lui La Saga d’Alandor. À noter que Silvio Cadelo est également connu pour ses BD érotiques.

La Saga d’Alandor est centrée autour d’une guerre politique et religieuse entre différents peuples non-humains de la planète Karnar, qui cherchent à s’approprier un artefact aux pouvoirs divins, l’Andragorus, pour prendre le pouvoir sur toute la planète. Cependant, l’Andragorus est très dangereux et peut corrompre quiconque ne connaît pas ses secrets, physiquement comme mentalement. Les Navigateurs du Saint Axe, des sortes de guerriers saints, vont tenter de sauver la planète des méfais d’Andragorus. Le lecteur suivra également les mésaventures d’Alandor, un noble déchu et chassé de son domaine parce qu’il est porteur de la peste, et qui va devoir survivre parmi les dangers du monde en compagnie de Tiril, un orphelin à qui il a sauvé la vie.

 

Le dessin

 

La BD est marquée par ses thématiques religieuses et mystiques, avec des personnages de fanatiques religieux (les Uslimans et les Inghings, par exemple), de prophètes et d’oracles. Cet aspect mystique marqué est transmis par le dessin de Silvio Cadelo à travers l’utilisation de couleurs parfois très vives et un certain psychédélisme lors des séquences de visions ou de transe de certains personnages. On note par exemple que les prédictions de certains oracles se lisent dans leur bave. L’Andragorus et la corruption permet des trouvailles visuelles impressionnantes, puisque la substance peut ronger des individus comme des bâtiments entiers, et qui engendre des mutations qui leur donnent un aspect monstrueux, grotesque et maladif. Les personnages pestiférés ont aussi un aspect particulièrement horrible et maladif, avec les « mains pleureuses » qui leur poussent sur tous leurs corps, comme des tentacules grouillantes qui gémissent de plus en plus et finissent par les rendre fous.

Le trait de Silvio Cadelo tout comme la narration donnent une grande importance à la faune et à la flore de Karnar. En effet, des insectes peuvent être utilisés comme armes lors d’attentats, on doit demander leur autorisation aux plantes lorsque l’on veut manger leurs fruits, des créatures serpentines semblent être utilisées pour réaliser des transfusions, tandis que la nature corrompue engendrée par l’Andragorus prend un aspect tentaculaire, grouillant, et tout aussi grotesque que lorsqu’elle contamine des personnages humanoïdes.

À noter également que certaines planches ne comportent pas de dessin, mais seulement du texte, ce qui permet aux auteurs de détailler certains pans de l’intrigue et de l’univers dans lequel elle se déroule, notamment lors du premier chapitre du premier volume.

 

 

Narration et personnages

 

La saga d’Alandor se déroule donc dans son intégralité sur la planète Karnar, séparée en quatre fragments à cause du peuple des Géants qui ont contesté la puissance d’Aour, une divinité, grâce à la puissance de l’Andragorus. L’artefact a depuis été perdu, et semble se trouver dans la région hostile d’Aouralis, où des guerres saintes se livrent entre différents peuples, qui cherchent à en prendre le contrôle. La BD raconte donc l’évolution d’un conflit politique, mais également religieux, puisque tous les peuples sont dotés de croyances différentes et veulent utiliser l’Andragorus pour réduire à néant ceux qu’ils considèrent comme « hérétiques ». Les affrontements sont donc très violents et sans pitié, et le récit ne prend parti pour aucun des peuples, mis à part les Navigateurs du Saint Axe et Alandor, puisqu’il démontre le fanatisme et les ambitions démesurées de tous leurs opposants, qui cherchent à acquérir le contrôle d’un artefact qui est presque incontrôlable si l’on ne connaît pas ses « secrets ». Le récit sous-tend également, et de manière assez brutale, que l’Andragorus ne peut exprimer ses pouvoirs sans destruction seulement lorsqu’il se trouve entre de bonnes mains, et par conséquent, pas celles de fanatiques religieux ou d’ambitieux dirigeants, ce qui peut constituer un parallèle assez évident avec les progrès scientifiques.

Les peuples de Karnar sont tous humanoïdes, mais le lecteur se rendra vite compte qu’ils n’appartiennent pas à l’espèce humaine, de par leurs apparences, qui se démarquent profondément de celles des Hommes. En revanche, leurs croyances peuvent rappeler des religions humaines, ce qui montre que la religion et les guerres qu’elle engendre peuvent se retrouver même chez des peuples qui ne sont pas humains. Par exemple, les Inghings ont trois yeux, une tête cylindrique et des sortes de barbillons et croient en Bur-Tse, un nain qui médite, tandis que les Uslimans ont le sommet du crâne noir et évoquent des sortes de poissons, adorent le prophète Ram-Aldar.

Le lecteur suivra donc les Navigateurs du Saint Axe, des chevaliers qui croient en la toute-puissance d’Aour et qui ont pour but d’amener la paix sur Karnar. Ils sont armés de sphères de pierre vivantes capables de se déplacer dans les airs pour transpercer leurs ennemis, et sont presque invulnérables du fait de leur foi en Aour, qui semble les protéger des blessures mortelles qui leur sont infligées. Ainsi, les Navigateurs Oulibo et Higne vont souvent se tirer vivants de situations désespérées grâce à leur simple foi, tandis que leurs adversaires fanatiques seront vaincus. Les auteurs semblent transmettre ici que la simple « foi » en un dieu peut surpasser la dévotion et le fanatisme des ambitions qu’un individu peut cacher derrière une religion, ce qui est appuyé par le fait que les divers chefs religieux que l’on voit apparaître durant la saga semblent plus préoccupés par l’acquisition du pouvoir que par leurs croyances. Cela permet également quelques traits d’humour, car Higne survivra à de nombreuses blessures, qui le feront tout de même souffrir, parce que selon Oulibo, sa foi n’est pas assez forte pour être complètement invincible.

On suit également Alandor, un noble chassé de son domaine le soir même de son mariage parce qu’il est pestiféré, parce qu’on remarque qu’il porte une « main pleureuse ». L’orphelin Tiril, qui lui doit la vie, va l’accompagner, et ils vont se retrouver parmi les pestiférés révoltés contre le pouvoir en place qui les opprime, et plonger dans les exactions du banditisme, du pillage et du massacre. La narration va beaucoup jouer sur les différences entre le passé privilégié d’Alandor et celui, plus complexe, de Tiril, qui a grandi seul dans la forêt. Les deux personnages croiseront la route des Navigateurs du Saint Axe, permettant à Alandor de leur venir en aide grâce à sa foi en Aour. Le personnage va donc avoir droit à la rédemption pour les crimes qu’il a commis en étant un bandit, et finira par devenir un véritable saint lorsqu’il affrontera les détenteurs de l’Andragorus, dont je ne peux malheureusement rien vous dire sans vous spoiler. Le récit prend en tout cas la forme d’une initiation mystique, au terme de laquelle Alandor, après avoir vécu dans le crime et la douleur, se transformera en héros capables d’affronter les créatures monstrueuses engendrées par l’Andragorus et ceux qui le convoitent.

La Saga d’Alandor relate donc une quête mystique et salvatrice au sein d’une planète marquée par les guerres de religion menées par des peuples fanatiques, marquée par dessin porteur d’un certain psychédélisme et qui souligne l’aspect monstrueux de certains personnages et de certaines créatures.

 

La Passion de Diosamante

 

La Passion de Diosamante est le premier et seul volume d’une série scénarisée par Alejandro Jodorowsky, puisque son dessinateur, Jean-Claude Gal, est malheureusement mort pendant la création du deuxième tome, en 1994, laissant cette série inachevée.

Jean-Claude Gal, né en 1942, était professeur de dessin en région parisienne. Il était connu pour l’aspect extrêmement détaillé de son dessin (j’y reviendrai plus bas), mais également pour être « un adepte de la lenteur ». Avant de travailler aux côtés d’Alejandro Jodorowsky, Jean-Claude Gal a crée Les Armées du conquérant et la série Arn (composée de La Vengeance d’Arn et Le Triomphe d’Arn) avec Jean-Pierre Dionnet, l’un des fondateurs des Humanoïdes Associés et de Métal Hurlant. Ces albums avaient été dessinés en noir et blanc.

L’édition de La Passion de Diosamante comprise dans cette deuxième intégrale des œuvres d’Alejandro Jodorowsky comporte une préface rédigée par « Jodo » lui-même, qui raconte l’histoire de sa collaboration avec Jean-Claude Gal, qu’il voyait comme un « mythe vivant » et un « être immatériel », ainsi que la manière dont il a demandé au dessinateur de se mettre à intégrer la couleur à son art. Jean-Claude Gal, en dessinant La Passion de Diosamante, visait une « perfection difficile à atteindre, dans laquelle le trait à la plume et la couleur s’exprimeraient pareillement, se complétant sans que l’un ne soit asservi par l’autre ».

La Passion de Diosamante est centré autour du personnage de Diosamante, une reine guerrière en quête de rédemption et d’initiation dans un monde brutal d’heroic fantasy parfois brutal et très sombre.

 

Le dessin

 

J’ai été totalement bluffé par le trait de Jean-Claude Gal, qui donne un aspect incroyablement détaillé aux architectures gigantesques que l’on voit dans ses planches, avec beaucoup de reliefs dans les gravures et les sculptures que l’on observe. Les couleurs (ou leur absence) mettent complètement en valeur les détails architecturaux, que ce soit dans leur aspect martial dans la cité de Diosamante, ou plus apaisé chez le roi Urbal.

Les environnements naturels ou dévastés sont également très bien représentés, avec des enchevêtrements de végétaux et de sculptures, notamment dans les deuxième et troisième parties du récit. La troisième partie du récit montre également des enchevêtrement de minéraux et de personnages humains, avec des moines en méditation qui ressemblent à s’y méprendre à de véritables statues.

Jean-Claude Gal parvient également à retransmettre avec beaucoup d’authenticité (et un certain souci du détail) les expressions faciales des personnages, qui ont des traits marqués par les événements qu’ils traversent. Les armures et les pièces d’équipements portées par Diosamante et d’autres guerriers sont magnifiques, à mon sens.

 

La narration

 

Le personnage de Diosamante est précipité dans sa quête par une certaine ironie du sort, puisque son royaume est envahi par les barbares lors d’une nuit où ses sujets masculins se battent à mort afin d’obtenir les faveurs de leur reine, qui se retrouve seule contre une armée. Le récit la place donc face à ses propres crimes et ses erreurs, qu’elle devra tenter de racheter par la quête initiatique qu’elle entreprend afin d’être digne du roi Urbal.

Diosamante va donc suivre un voyage de formation et d’élévation spirituelle, durant lequel elle va se mettre au service des autres, qui ne lui voudront pas toujours que du bien. Ainsi, elle va subir des épreuves brutales et violentes, tels que des tortures et même des viols atroces. Le personnage est donc toujours plus malmené par son destin et sa quête, puisqu’elle doit faire face à des événements atroces, physiquement comme psychiquement, ce qui la fait passer du statut d’anti-héroïne à celui d’une héroïne profondément tragique, qui voit sa vie partir en miettes à plusieurs reprises. Pourtant, elle continue de se battre et de lutter.

La Passion de Diosamante nous livre donc une quête spirituelle, mystique et marquée par les terribles (terme euphémistique) épreuves subies par Diosamante pour se laver de ses crimes et accéder à l’élévation spirituelle.

 

Dune, le film que vous ne verrez jamais

 

Je vais rapidement évoquer ce fac-similé de Métal Hurlant, qui donne des informations et des détails très intéressants sur la genèse du projet de film sur Dune par Alejandro Jodorowsky, avec des planches de Moebius, des tableaux d’H. R. Giger (un peintre suisse dont je vous conseille d’aller voir les tableaux, et qui a entre autres créé le design du xénomorphe de la série de films Alien), et de Christopher Foss, un illustrateur génial de couvertures de romans de science-fiction. On y trouve des anecdotes sur la prise de contacts avec des artistes qui avaient été pressentis pour travailler sur le projet, avec notamment Salvador Dali, qui devait jouer le rôle de l’Empereur, et qui voulait être payé pas moins que « 100 000 dollars de l’heure », parce que « Dieu a fait l’univers en sept jours, et que Dali, en étant pas moins que Dieu, doit coûter une fortune ». D’autres anecdotes sont également de la partie (avec un trône scatologique, par exemple) et permettent de cerner l’ambition du projet du Dune de Jodorowsky, ce qui permet de donner des compléments d’informations au documentaire qui traite du projet.

 

Le Soleil eucharistique

 

Le Soleil eucharistique est une histoire courte dessinée par J. H.Williams III, né en 1965 et cocréateur de la série Promethea avec l’illustre Alan Moore.

Cette histoire met l’emphase sur ses personnages et traite de la relation des vampires avec le soleil à travers une histoire enchâssée qui provoque une chute assez surprenante. On peut également noter que le dessinateur crée un contraste surprenant entre le monde du récit enchâssé, qui est celui des vampires, qui vivent la nuit, et qui est donc marqué par des tons sombres, et le monde du récit encadrant, qui se déroule de jour, avec des tons plus clairs.

Soleil Eucharistique

L’œuf alchimique

 

L’œuf alchimique a est histoire courte dessinée par Ciruelo Cabral, un dessinateur spécialisé dans les illustrations d’h

eroic fantasy né en 1963, qui est notamment à l’origine des cartes du jeu Magic : The Gathering.

Ce court récit a pour thème la création de la pierre philosophale et l’éternel recommencement cyclique de la vie et du temps, dans un cadre de Fantasy servi par des dessins que j’ai trouvés magnifiques, avec des dragons gigantesques et majestueux, et des personnages humains qu’on croirait sortis de tableaux de maîtres !

Oeuf Alchimique

 

Qui rêve maintenant ?

 

Jerome Opena est le dessinateur de ce récit. Il est né en 1975 et a travaillé pour divers éditeurs de comics américains, notamment Image Comics et Marvel.

Qui rêve maintenant traite des thématiques du rêve et de la réalité, alors que 500 papes venus de divers systèmes solaires se sont fait massacrer, alors qu’un pape suprême leur donnait sa bénédiction. Je n’en dirai pas plus, parce que ce que récit a une chute vertigineuse et comporte deux animaux surnaturels, un tigre ailé et un éléphant-pieuvre bien dessinés et cohérents (sans aspect caricatural), qui sont incroyablement massifs par rapport aux personnages humains.

Qui rêve

Le mot de la fin

 

Cette deuxième intégrale des œuvres d’Alejandro Jodorowsky regroupe des œuvres parfois vertigineuses, parfois sombres, tantôt science-fictives, tantôt Fantasy, mais qui sont toutes porteuses de la patte exceptionnelle du scénariste, à laquelle les dessinateurs mêlent pour donner un résultat marquant !

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