Interview de Jean Krug

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de te proposer une interview de Jean Kurg, auteur du roman Le Chant des glaces, paru aux éditions Critic !

Je vous rappelle que vous pouvez trouver toutes les interviews du blog dans le menu ou la catégorie dédiée.

Je remercie chaleureusement Jean Krug pour ses réponses détaillées, et sur ce, je lui laisse la parole !


Interview de Jean Krug



Marc : Pouvez-vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?

Jean Krug : Bonjour ! J’ai 34 ans, je suis né à Strasbourg et je vis aujourd’hui à Lyon. Avant d’y arriver, j’ai fait un détour de quelques années par Grenoble, pour y faire un doctorat en glaciologie. À présent, entre autres activités, j’accompagne des croisières en milieu polaire et j’y donne des conférences. Sauf lorsque je suis, comme en ce moment, confiné bien loin de la glace…


Marc : Avez-vous toujours voulu devenir écrivain ? Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture et aux genres de l’imaginaire en particulier ?

Jean Krug : Honnêtement, quand j’ai commencé à écrire, je l’ai fait pour moi avant tout. Comme beaucoup d’autres auteurs, je crois. J’avais un truc à sortir de mes tripes, et l’écriture m’est venue assez spontanément. C’est souvent plus facile d’écrire les choses que de les dire.

Ensuite, en geek assumé, je ne lis quasiment que de l’imaginaire. C’est donc assez naturellement que je me suis dirigé vers ce genre littéraire. Isaac Asimov, Dan Simmons. J’ai toujours baigné dans cette ambiance d’espace, de space op. C’était alors assez naturel d’écrire sur ce thème. Par ailleurs, l’imaginaire est un bon moyen pour questionner le réel. Comme j’avais des choses à dire, j’en ai profité ;-).


Marc : Le Chant des glaces est votre premier roman. Comment vous est venue l’idée de ce texte ?

Jean Krug : L’idée est venue de manière un peu improbable, un soir, pendant mon doctorat. J’en avais un peu marre des protocoles expérimentaux, des modélisations et des simulations que j’avais dû enchainer toute la semaine. J’avais envie d’exploiter la glace sous un autre angle de vue. D’y ajouter un peu de folie, et de pousser encore plus loin la démesure déjà bien réelle des glaciers. J’ai imaginé deux personnes crapahutant au bord d’un front glaciaire. Rapidement, ils sont devenus prisonniers. Puis potes. Puis rebelles.

À partir de là, quoi de plus logique que d’ajouter de la musique et des vaisseaux spatiaux ?


Marc : Comment s’est déroulée la rédaction du Chant des glaces ? Comment s’est déroulé le processus éditorial du roman ? Avez-vous des anecdotes à partager ?

Jean Krug : La rédaction a été longue. Plusieurs années entrecoupées de phases d’écritures et de repos. Puis, un gros travail éditorial avec les éditions Critic. Je dois admettre que j’ai été superbement accompagné. Quand on sort un premier roman, il y a beaucoup de choses imparfaites. En plus, on peut être rapidement perdu dans ce milieu et dans son fonctionnement, dans ses codes… L’équipe des éditions Critic a été top ! Les commentaires étaient pertinents, les aller-retour, nombreux, et tout cela a permis d’améliorer largement la qualité du récit. Je les remercie encore largement pour cet accompagnement, qui a largement dépassé le simple aspect de correction de l’ouvrage !

Comme anecdote, il me reste en tête ce soir de décembre, deux jours avant Noël, où j’ai reçu les premiers retours sur mon roman. J’étais allongé dans mon lit quand j’ai ouvert le manuscrit. J’ai vu mon éditeur de texte charger péniblement une horde de révisions et de commentaires. Il y en avait plus de 1500. J’ai aussitôt éteint mon ordi !


Marc : Comme son titre l’indique, Le Chant des glaces traite de la glace, notamment sur la planète pénitentiaire de Delas, où des mineurs extraient des « cryels », des cristaux aux propriétés particulières, dans des glaciers. Vos descriptions des glaciers de Delas et le discours scientifique du personnage de Jennah font apparaître votre formation de glaciologue. Pourquoi décrire des environnements glaciaires dans un roman de SF ? Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce type d’environnement ? Pourquoi êtes-vous devenu glaciologue ?

Jean Krug : À l’origine, j’avais suivi une formation en ingénierie lourde. Agroalimentaire, pétrochimie, tout ça… Ça ne m’a pas emballé du tout. Alors, au sortir de l’école, quand j’ai découvert l’existence des hivernages en Antarctique, je me suis dit que ça devait être formidable de vivre une expérience pareille. J’ai donc repris des études sur la glace et le climat à Grenoble. Les choix et les opportunités m’ont dirigé sur une thèse plutôt qu’un hivernage, mais j’ai tout de même découvert la neige et la glace, et je n’ai jamais perdu cette passion.

Au retour de son premier hivernage, en 1905, Jean-Baptiste Charcot a laissé cette petite phrase : « D’où vient l’étrange attirance de ces régions polaires, si puissante, si tenace qu’après en être revenu, on oublie les fatigues morales et physiques pour ne songer qu’à retourner vers elles. » Je l’ai intégrée dans mon manuscrit parce qu’elle est brillamment trouvée. Il y a quelque chose d’hypnotique dans la glace, dans ces univers. Quand on y est, la tête dans le froid et dans le vent, les vêtements trempés, gelés, on se demande vraiment ce qu’on fabrique là. Quand on en revient, on pense déjà à y retourner.

Pour moi, ces conditions difficiles qui justement vous poussent à sortir ce qu’il y a de plus vivant en vous, c’est cela, ce virus. Une sorte de surpassement de soi qui, quoique bien modeste de nos jours par rapport à ce qu’ont pu expérimenter Scott, Charcot ou Shackelton en leur temps, est tout de même présent. Dans le froid, on se sent entier.


Marc : Votre roman est polyphonique et prend appui sur différents personnages point de vue, à savoir Ferley, prisonnier sur Delas, la scientifique Jennah, la commandante du Solarius Helroy, et le soldat Elkeïd, présent sur le même vaisseau. Pourquoi mobiliser plusieurs personnages point de vue ? Lequel d’entre eux vous a paru le plus difficile à mettre en scène ? Pourquoi ?

Jean Krug : Pour plusieurs raisons. La première, c’est pour une raison de réalisme. Je n’aime pas trop les situations manichéennes. Pour moi, il n’y a pas de méchants et de gentils absolus. On essaye tous de vivre au mieux avec nos pulsions, nos besoins, nos peurs, nos rêves. Le personnage de fiction juste extrême n’est pas très intéressant à travailler. Au contraire, ce sont leurs rouages internes, beaucoup plus subtils, qui leur donnent une consistance, et qui en font, selon moi, des humains. Et cette approche par point de vue permet de faire ressortir ces aspects.

Ensuite, je voulais parler de liberté. Et de la liberté, telle que chacun peut l’imaginer. On n’a pas tous le même rapport à ce concept. Elle peut être très concrète, comme pour Ferley, sociale, pour Jennah, sujette à d’autres impératifs, pour Lizz Helroy, ou plus philosophique, finalement, pour Elkeïd. Pourtant, on y est tous attachés. Je voulais que chaque personnage en démontre un petit aspect.

Enfin, il y a l’aspect pratique, rythmique, de changer régulièrement de narration. J’aime beaucoup alterner les styles d’écriture !

Quant au personnage le plus difficile à mettre en scène, c’est Jennah, sans hésiter. Les trois autres, d’une certaine façon, suivent leur vie en attrapant les opportunités quand elles se présentent. Jennah, elle, a véritablement la possibilité de la choisir. Elle est prise dans un système, bien sûr, mais elle pourrait très bien claquer la porte et dire : « j’en ai marre, je me tire ». Or, elle est un personnage pivot de l’intrigue. Il fallait donc concilier ses envies et son caractère avec ce qui servait ma trame.


Marc : Chacun de ces points de vue montre les limites, politiques, éthiques et géographiques du secteur Epsilon, au sein duquel vivent vos personnages. Le secteur Epsilon englobe ainsi plusieurs systèmes solaires, mais les planètes qu’il a colonisées ne sont pas toutes indépendantes et doivent être alimentées en eau potable, par exemple. Les militaires ne peuvent pas non plus assurer la sécurité de l’ensemble des populations à cause des distances que leurs vaisseaux spatiaux doivent parcourir. Pourquoi montrer les limites d’un système qui est parvenu à accomplir la conquête spatiale ? Pourquoi montrer l’échec d’une technologie qui permet de voyager entre les systèmes solaires ?

Jean Krug : C’est peut-être un des aspects les plus politiques du Chant des Glaces, selon moi. Sous-jacent à cette question de la liberté, se pose celle d’un système grippé dans un fonctionnement totalement inadapté à sa réalité, qui profite à quelques-uns au détriment du plus grand nombre, et qu’on n’ose pas remettre en cause. Le secteur Epsilon tend vers un développement infini dans un univers fini, et même ses prouesses technologiques ne permettent pas à ses habitants de vivre dignement. Logique infinie, monde fini. Il y a une incohérence de taille, et une analogie assez évidente avec ce qu’on est en train de vivre ici, je crois.

Comme je le disais plus haut, l’imaginaire ouvre cette possibilité de faire un pas de côté afin de poser un regard critique sur nos réalités d’humains. C’est donc un outil fantastique – sans jeu de mots – pour (se) remettre en cause, et il est capital pour moi de m’en servir.


Marc : En effet, vos personnages utilisent la technologie du « subespace » pour voyager entre différents systèmes solaires. Est-ce que c’est un clin d’œil à l’hyperespace des récits de SF plus anciens comme Fondation ?

Jean Krug : Ce fichu cosmos est beaucoup trop grand !

Plus sérieusement, dans le Chant des Glaces, j’ai fait le choix de ne pas prendre en compte ces limitations fondamentales, afin de ne pas nuire à l’histoire. Aussi, le « subespace » se rapproche effectivement davantage de l’hyperespace de Fondation, de Star Wars ou Star Trek. Pour autant, j’ai essayé de me baser sur la Métrique d’Alcubierre, reposant sur une compression/dilatation de l’espace-temps, et qui aurait, théoriquement, je crois, une certaine logique. Mais ne rentrons pas dans ces détails, le web regorge d’explications à ce sujet !

Je suis cependant fasciné par les récits qui parviennent à respecter certaines de ces contraintes physiques, et à jouer avec. Comme Liu Cixin, dans Le Problème à Trois Corps. Ou Dan Simmons, avec sa « propulsion Hawking » et son déficit de temps, qui lui sert réellement de pivot pour articuler son histoire. D’ailleurs, finalement, ce dernier joue aussi sur les limites de ces technologies pour dénoncer les déviances de la société.


Marc : Les personnages de Ferley et Jennah sont en quête de liberté dans un monde qui les opprime, l’un parce qu’il est prisonnier sur Delas, l’autre parce qu’elle a tenté de se rebeller contre les autorités d’Epsilon. Pourquoi donner de tels idéaux à vos personnages ?

Jean Krug : J’avais envie de porter un message avec cet écrit. En ce moment, cette question est très prégnante. Elle l’était déjà avant, bien sûr, elle n’a jamais cessé de l’être. Le combat de chacun pour sa liberté est quelque chose de perpétuel. Mais tout de même, les dernières années ravivent ces questions (et celle qui vient de s’écouler l’illustre malheureusement encore davantage). Cette question de fond, on l’observe dans les manifs’, dans les projets de loi, dans nos discussions quotidiennes, et, bien sûr, dans ces alternances de couvre-feu et de confinement.

Alors, bien sûr, loin de moi l’idée de donner des réponses à ces problèmes. Les sciences sociales et la philosophie abordent ce sujet bien plus profondément et efficacement que moi. Simplement, j’avais envie que cette question relie mes personnages. J’avais envie de proposer une discussion. J’avais juste envie qu’on questionne un peu cette notion, qui est aujourd’hui tordue dans tous les sens, et maniée un peu comme une variable quelconque, et qui perd parfois de sa substance.


Marc : Le point de vue de Jennah montre la manière dont les recherches sur le cryel sont instrumentalisées par les pouvoirs militaires, ce qui montre que la science et ses applications ne sont pas forcément au service des civils. Est-ce que vous dénoncez les dérives du progrès technologique ? Pourquoi montrer des recherches scientifiques contrôlées et exploitées par les autorités ?

Jean Krug : Parce que je suis un grand supporter de la recherche publique ! Je pense que la recherche scientifique est un bien universel et intemporel. Privatiser les bénéfices de recherches pouvant servir l’humanité dans son ensemble est pour moi une aberration, et ce, quel que soit le domaine considéré. La pandémie actuelle illustre parfaitement ces questions : par exemple, dans quelle mesure a-t-on le droit de refuser la suppression des brevets dans le domaine de la santé, quand cela peut sauver des vies ? Dans le Chant des Glaces, en faisant un pas de côté, en attribuant ces déviances à l’armée, l’indignation devient naturelle. Mais dans la réalité, la question reste celle de la privatisation de la science.

Petite anecdote : dans les années 90, une collaboration de chercheurs français, états-uniens et russes a eu lieu sur la base de Vostok, en Antarctique. Elle a permis de réaliser un forage de la calotte à plus de 3600 m de profondeur, et de reconstruire ainsi le climat des 400 000 dernières années. Et si cette collaboration a été rendue possible, c’est parce qu’en 1959, douze états ont signé le Traité sur l’Antarctique, toujours valide, et qui impose, dans ses articles 2 et 3, la liberté de recherche en Antarctique et la coopération à cette fin, ainsi que le partage et l’échange des résultats scientifiques.

On a réussi à le faire en Antarctique. Pourquoi on ne le ferait pas ailleurs ?


Marc : On remarque que Jennah fait partie d’un groupe de hackers, U-Résistance, qui vise à libérer l’accès aux travaux scientifiques et montrer la corruption qui règne au sein de l’appareil d’état. Pourquoi montrer des personnages de hackers contestataires ?

Jean Krug : Le Robert donne la définition suivante du hackeur : « Pirate informatique qui agit par jeu, sans intention de nuire. » Je trouve ça intéressant, parce que souvent, quand on parle de hackeur, on sous-entend quelqu’un qui agit, justement, par intention de nuire. Alors que ce n’est pas aussi évident que ça. C’est l’exemple de Jennah, qui, dès les toutes premières pages, pirate l’U-Res pour aider les habitants de sa planète.

Il me semblait important d’apporter une nuance à la notion générale de pirate, de crack du code, tel qu’on l’imagine habituellement. D’amener la question du logiciel libre, des systèmes open source et de la liberté du web. Une source d’inspiration assez riche est le petit livre du groupe Ippolita : Internet, l’illusion démocratique, qui questionne assez largement nos libertés à travers le web. Passionnant !

Et puis, le hacker est, par excellence, cette figure à la fois attirante et effrayante, qui peut semer la zizanie en quelques lignes de code seulement. C’est diablement efficace !


Marc : Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?

Jean Krug : Toujours sur des romans. La pandémie, me confinant dans mon appartement lyonnais, m’aura au moins donné cette opportunité d’écrire. Je travaille donc actuellement sur un projet davantage lié au changement climatique. Avec toujours, en filigrane, cette question de liberté.

Mais Delas, ses glaciers et ses vaisseaux ne demeurent jamais très loin. L’univers est grand, et je n’ai encore fait que l’effleurer d’un bout de plume.


Marc : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs ?

Jean Krug : Honnêtement, je ne saurais pas donner de conseil, car j’admets n’être encore qu’un débutant. Je me contenterai plutôt de dire que si j’écris, c’est parce que j’ai quelque chose au fond de moi, quelque chose à raconter : cette question de la liberté, des injustices, de la nécessité de se dépasser. C’est viscéral, ça doit sortir. Faire une histoire m’a beaucoup amusé, vraiment. Travailler les planètes, les vaisseaux, la musique, trouver les mots justes et la polyphonie. Vraiment. Mais sans ce discours, au fond de moi, tout cela n’aurait probablement été qu’une vaste coquille vide.

Alors, je dirais : écrivez vos colères, vos joies, vos pulsions. Que ça vienne de vous.

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