Symposium Inc. , d’Olivier Caruso

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’une novella d’un auteur de science-fiction français que je découvre.

Symposium Inc., d’Olivier Caruso


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions du Bélial’. Je remercie chaleureusement Julien Guerry pour l’envoi de la novella !

Olivier Caruso est un auteur de science-fiction français né en 1978. Il est l’auteur de plusieurs nouvelles, publiées dans les anthologies de Malpertuis, ou dans les pages de la revue Bifrost.

Symposium Inc., dont je vais vous parler aujourd’hui, paraîtra fin Août 2021 dans la collection Une Heure Lumière des éditions du Bélial’.

En voici la quatrième de couverture :

« Le jour de ses dix-huit ans, Rebecca Bertrand a commis l’irréparable. Au couteau. Dans un déferlement de violence rien moins qu’effroyable. Rebecca Bertrand, fille de Stéphane Bertrand, ce génie des neurosciences en passe de révolutionner la biotechnologie à l’échelle du monde avec sa firme Neurotech. Que s’est-il passé dans la tête de Rebecca pour se livrer à une telle atrocité ? Le jour de sa majorité ? Sur sa propre mère ? C’est tout l’enjeu du procès en passe de s’ouvrir, et ce qu’Amélie Lua, charismatique ténor du barreau, devra découvrir. Et vite, si elle veut éviter la perpétuité à sa cliente. Car déjà la vox populi des réseaux sociaux omniprésents a rendu son verdict… et quelque part, dans les secrets du cerveau malade d’une jeune femme, entre la pianiste assassinée, le scientifique révolutionnaire et l’avocate en quête d’absolu, patiemment, une araignée tisse sa toile… »

Dans mon analyse du récit, je traiterai de la manière dont l’auteur décrit une société du spectacle à travers un procès médiatisé.

L’Analyse

Neurotechnologies, procès, société du spectacle


La novella d’Olivier Caruso nous donne deux points de vue, celui d’Amélie Lua, avocate qui n’a jamais perdu un seul procès, et Stéphane Bertrand, fondateur de la mégacorporation Neurotech. Les deux personnages sont censés sauver Rebecca Bertrand, la fille de Stéphane, qui a tué sa mère, Rose, une pianiste mondialement reconnue, à coups de couteau, le jour de ses dix-huit ans. Ces deux points de vue nous sont donnés au présent, avec des incursions au passé lors des évocations des souvenirs communs d’Amélie, Rose et Stéphane, qui montrent que les personnages ont été très intimes avant une rupture après la naissance de Rebecca. Le procès apparaît donc un révélateur du conflit latent entre Amélie et Stéphane qui devient de plus en plus ouvert.

Les deux points de vue narratifs sont traversés par l’omniprésence des réseaux sociaux, comme le montrent les commentaires qui apparaissent entre parenthèses, avec le taux de culpabilité de Rebecca d’après l’opinion publique.

(Le nom de l’avocate est tombé : Amélie Lua, la reine de la com’, la patronne du prétoire, la sainte des causes désespérées.)

(Amélie Lua, pas un seul procès perdu en dix ans. De quoi relancer le suspense.)

[…]

Son téléphone vibre. Une nouvelle vague de commentaires lui arrive. Le taux de culpabilité franchit les 87 %. Un stream live massif sur lequel elle reconnait les grilles du commissariat, un fourgon et la silhouette de Rebecca.

(Père et veuf. Fille et monstre.)

(88 %)

La polytextualité fait donc apparaître une forme de justice populaire dans toute sa violence et la cruauté de son discours. Cette retranscription des commentaires montre aussi une société spectacle au sens debordien du terme, ce qu’on voit dans le fait que le procès de Rebecca et les campagnes de communication autour de son crime deviennent des sujets tendances sur les réseaux sociaux, dont les utilisateurs s’emparent pour évoquer l’affaire et le procès.

Les utilisateurs des réseaux sociaux commentent ainsi le déroulement de l’enquête d’Amélie, ainsi que la vie de Stéphane. Leur opinion apparaît cependant complètement manipulable, puisque l’avocate met en place des campagnes de communication, des fuites de pièces du dossier de la prévenue, mais aussi des montages et des trucages parfois illégaux afin de faire baisser le taux de culpabilité de Rebecca. L’opinion se construit donc en parallèle de l’enquête, mais aussi au fil des scandales qui l’agitent (j’y reviens plus bas).

Amélie s’aide par exemple de Rodolphe, un hacker artiste, qui exprime son art dans des pièces de théâtre de Shakespeare jouées par des robots dans lesquels il s’incarne tour à tour. Il utilise aussi des « nanobots » pour augmenter sa capacité à cracker des codes. Sans rentrer dans les détails, Rodolphe s’avère être un des personnages clés du récit, et doté d’une morale très ambiguë.

– Je diffuse sur notre bien-aimé Neutrans. Dans ma catégorie, je m’affiche parmi les favoris.

– Qui regarde encore du Shakespeare à notre époque ? Shakespeare joué par des robots en plus.

– Avec les derniers constagrammes, on peut ressentir les émotions que j’infuse dans les personnages. La palette du Barde est inouïe : l’amour, la mélancolie, le désespoir,… Mes abonnés finissent en larmes. Ils en redemandent.

– Ce genre de contagion émotionnelle, c’est pas illégal ?

– Je préfère le mot “expérimental”. Et moi, je ne fais qu’agiter mes robots sur la scène. Rien d’interdit.

La novella d’Olivier Caruso fait la part belle aux « neurotechnologies ». Stéphane Bertrand dirige l’entreprise Neurotech, qui dispose de nombreux brevets technologiques, ce qui est noté dans l’incise « brevet Neurotech », répétée à de nombreuses reprises dans le texte, ce qui marque l’omniprésence de la firme dans la vie humaine, des portes de fourgon qui s’ouvrent en détectant la « signature neuronale » d’une prévenue aux « chewing-gum menthe-sérotonine ». Ces technologies avancées se sont répandues, ce qu’on remarque avec la présence systématique des « constagrammes » des implants qui affichent les constantes vitales des individus, avec notamment leurs taux d’hormones, que l’on peut interpréter pour connaître leur psychologie et leur état d’esprit. Les constagrammes, de la même manière que les que les IRM améliorés de Neurotech, qui permettent d’obtenir des données sur le corps, mais aussi pensée et les souvenirs des patients, matérialisent « l’invasion cérébrale », l’une des thématiques phares du Cyberpunk, malgré les progrès médicaux faramineux qu’elles permettent. On peut aussi rapprocher les constagrammes du Biopunk, de même que certains objets de consommation courante, comme les chewing-gum menthe-sérotonine, fraise-dopamine, ou citron-ocytocine, qui permettent à leurs utilisateurs de manipuler leurs taux hormonaux.

Les constagrammes et les données qu’ils affichent s’inscrivent cependant dans une société du spectacle qui s’appuie sur les réseaux sociaux et leurs algorithmes, symbolisés par Neutrans et les commentaires plus ou moins haineux qu’on peut y trouver.

Neurotech, la société qui fabrique et implante les constagrammes, clame à tout va : Commentez, c’est bon pour la santé. À chaque fois, un shot de dopamine, vous vous êtes indignés, vous avez participé, vous avez raison. Zieutez un peu votre avant-bras, votre plaisir se chiffre en milligrammes. Dopamine, sérotonine, adrénaline. Vous vous sentez mieux, n’est-ce pas ? Tout est calibré. Le calibrage est tout.

Les utilisateurs sont ainsi incités par Neurotech à s’indigner sur les réseaux sociaux pour augmenter leur taux hormonaux en stimulant leurs centres du plaisir, comme le montre la reprise du discours de la firme, qui s’adresse directement à eux, en employant un « vous » de connivence publicitaire, mais aussi un slogan à l’impératif, « Commentez, c’est bon pour la santé ». Ce discours publicitaire montre alors que ce sont les posts et les commentaires les plus stimulants hormonalement qui sont mis en avant par les algorithmes, et donc ceux qui appellent le plus les instincts primaires (toute ressemblance avec le fonctionnement réel des réseaux sociaux serait évidemment fortuite, n’est-ce pas ?). Les discours apaisés ou rationnels se trouvent donc grandement dévalués, parce qu’ils suscitent peu de réactions, contrairement à ceux qui en appellent aux sentiments ou à des réactions instantanées. Le procès de Rebecca est donc un révélateur de toutes les dérives possibles de cette manière d’envisager les interactions sociales en ligne, avec une dose d’ironie grinçante, parce que l’invention de Stéphane se retourne contre lui et sa fille. Sans rentrer dans les détails, le roman met aussi en scène des nanotechnologies capables de reprogrammer le cerveau humain (oui oui), pour traiter l’alcoolisme d’un individu, par exemple.

Cette affaire judiciaire interroge donc le retentissement médiatique des procès, puisque la narration montre que le jugement de Rebecca aurait eu lieu à huis-clos si elle avait commis ce crime avant ses dix-huit ans, empêchant alors que le public s’en empare, l’expression de la justice populaire, mais aussi des questions éthiques vis-à-vis des technologies appliquées au cerveau humain. Ces questions se dévoilent progressivement, à mesure que l’enquête d’Amélie progresse et dévoile (ou entraîne) des scandales, qui font que l’on remet en question la fiabilité de la narration de Stéphane, mais aussi la sienne.

Sans rentrer dans les détails, la novella aborde également la question du déterminisme criminel à travers le personnage de Rebecca. Est-elle une sorte de tueuse née à cause de son kyste arachnoïde, qui a empêché son développement cérébral ? Est-ce que son crime aurait pu être évité ? Par qui ? Peut-on lui trouver des circonstances atténuantes ? L’enquête d’Amélie et l’exploration du passé tortueux de Rebecca et de ses parents répond à toutes ces questions, en montrant toute l’horreur vécue par une famille plusieurs fois brisée.

Le mot de la fin


Symposium Inc. d’Olivier Caruso est une novella de SF dans laquelle il met en scène l’enquête d’une avocate, Amélie Lua, qui tente de sauver sa cliente, Rebecca, une jeune femme qui a tué sa mère le soir de ses dix-huit ans, pour le compte de Stéphane Bertrand, son père, patron de l’entreprise Neurotech. Cette firme promet aux utilisateurs de ses produits d’observer leurs constantes hormonales et de stimuler leurs taux grâce aux réactions indignées et instantanées sur les réseaux sociaux.

L’auteur décrit le déchaînement de posts, de commentaires et de campagnes de communication autour de l’affaire et des personnages permis par Neurotech, ce qui montre les limites d’une certaine vision des interactions sociales numériques. Le récit pose également des questions éthiques liées à l’interfaçage entre le cerveau humain et les machines, au déterminisme criminel, et à la manière dont on peut trouver des circonstances atténuantes à un crime en apparence barbare.

Je vous recommande vivement cette novella !

Vous pouvez également consulter les chroniques de FeydRautha, Ombreboones, Gromovar, Aelinel

17 commentaires sur “Symposium Inc. , d’Olivier Caruso

      1. C’est ça, mais aussi aux adultes qui n’ont pas leur cess (leur bac pour vous) et qui veulent le passer. Ça fait des publics très différents, c’est intéressant de voir la manière dont ils réagissent à une même œuvre du coup.

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