L’Impassible armada, de Lionel Davoust

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’une novella maritime et glacée.

L’Impassible armada, de Lionel Davoust


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions 1115, que je remercie chaleureusement pour l’envoi de cette novella !

Lionel Davoust est un auteur français né en 1978. Parallèlement à sa carrière d’écrivain, il est également musicien, anthologiste et traducteur. Il a par exemple dirigé les anthologies du festival des Imaginales de 2012 à 2014, et a notamment traduit la série du Bibliomancien de Jim C. Hines chez l’Atalante. Il anime aussi le podcast « Procrastination », une émission bimensuelle d’une quinzaine de minutes pendant lesquelles il discute et donne des conseils au sujet de l’écriture, avec Mélanie Fazi et Estelle Faye. Laurent Genefort, auteur de SF français reconnu a participé à l’émission jusqu’à la deuxième moitié de 2019. Si vous écrivez, je ne peux que vous conseiller l’écoute de ce podcast qui donne des conseils éclairés sur l’écriture de fiction.

Il a écrit une trentaine de nouvelles, parues dans des anthologies ou en recueils, et plusieurs romans, dont Port d’âmes en 2015 aux éditions Critic et la série des Dieux Sauvages commencée en 2017 avec La Messagère du ciel, paru chez Critic également. Il faut savoir que la série des Dieux sauvages, Port d’âmes, ainsi que plusieurs autres récits de l’auteur, notamment les nouvelles regroupées dans La Route de la conquête et le roman La Volonté du dragon font partie d’un même univers, appelé Évanégyre, dont Lionel Davoust cherche à transmettre l’histoire sur plusieurs millénaires.

L’Impassible armada, dont je vais vous parler aujourd’hui, est àl’origine paru dans l’anthologie des Imaginales Rois et capitaines aux éditions Mnémos puis dans le recueil de nouvelles de l’auteur L’Importance de ton regard publié chez Rivière Blanche. Les éditions 1115 l’ont rééditée dans une version corrigée et augmentée en 2021.

En voici la quatrième de couverture :

« On avait regardé, horrifiés, les cristaux mous submerger le pont et les camarades sauter à la mer sans même attendre la fin, gelés par dizaines. Ce jour-là, la glace avait chanté fort pour eux.

À présent, elle chantait aussi, alors que notre propre bâtiment, l’Awesome Pride, prenait de la vitesse, porté par le Flux. La glace, on la voyait ruisseler comme de l’eau sur de la pierre noire – le véritable océan. Ce que j’aurais voulu le retrouver, lui. Elle, j’essayais de pas l’écouter, mais ce glouglou apaisant, tranquille, libérait une note bleue, obsédante, qui me faisait mal à la tête, comme quand on boit trop froid. »

Dans mon analyse de la novella, je traiterai de la description d’un milieu étrange qui rend absurdes les décisions humaines.

L’Analyse


La glace chante, la glace contamine, la glace condamne


Lionel Davoust décrit un environnement étrange, avec une sorte de glace qui recouvre un océan situé loin au nord et contamine les membres de l’équipage de L’Awesome Pride et de leurs adversaires pirates qui se suicident en se jetant dans les flots après avoir vu leur raison altérée par une forme de chant. Les matelots perdus emploient le terme glace, mais il leur paraît inadéquat. Ils l’utilisent alors faute de mieux pour qualifier cette substance étrange qui les environne.

Elle est montée haut dans le ciel noir, énorme, dévorant les constellations, et la glace a commencé à lâcher son emprise, comme à chaque fois. On a senti le navire tanguer un peu alors qu’elle se ramollissait et que la coque retrouvait la mer véritable. Je sais pas pourquoi on appelle ça de la glace, en fait. Probablement parce que ça y ressemble. Parce qu’on a pas de meilleur terme. Mais c’en est pas.

La novella met en scène une forme d’indicible qui s’observe avant tout dans la possibilité de nommer correctement la chose. En effet, si ses effets sur l’esprit et le corps des marins sont connus, son fonctionnement et son origine ne le sont pas, ce qui empêche de la nommer correctement. Il apparaît alors impossible de totalement la rationnaliser, d’autant que les personnages qui l’observent ne sont pas équipés pour. Ainsi, si les universitaires de la Miskatonic peuvent construire des hypothèses dans La Couleur tombée du ciel chez H. P. Lovecraft, les matelots de la novella de Lionel Davoust n’en ont pas les moyens. Leur discours tente alors d’exprimer une expérience dont la cause est complexe à exprimer.

La glace permet de mobiliser le topos de la contamination. Elle apparaît monstrueuse et est régulièrement personnifiée par le personnage narrateur, comme un monstre qui chercherait à avaler la totalité des matelots et détruire leurs navires.

Ils ne s’étaient pas écartés assez vite quand le gel avait repris. Ils s’étaient pilonnés nuit et jour. On avait regardé, horrifiés, les cristaux mous submerger le pont et les camarades sauter à la mer sans même attendre la fin, gelés par dizaines. Ce jour-là, la glace avait chanté fort pour eux.
À présent, elle chantait aussi, alors que notre propre bâtiment, l’Awesome Pride, prenait de la vitesse, porté par le Flux. La glace, on la voyait ruisseler comme de l’eau sur de la pierre noire – le véritable océan. Ce que j’aurais voulu le retrouver, lui. Elle, j’essayais de pas l’écouter, mais ce glouglou apaisant, tranquille, libérait une note bleue, obsédante, qui me faisait mal à la tête, comme quand on boit trop froid.

On remarque ici que la glace contamine les corps, les esprits, mais aussi l’environnement. Ainsi, elle recouvre l’océan et coule sur lui « comme de l’eau sur de la pierre noire », ce qui fait qu’elle l’entrave et semble empêcher le développement de la vie, puisque les marins ne semblent pas pouvoir pêcher beaucoup de poissons. Ensuite, elle contamine les corps en les gelant (oui oui), puisque ceux qui se retrouvent pris au piège périssent enserrés dans ses cristaux. Enfin, son « chant » résonne dans les esprits des marins, ce qui marque son étrangeté, mais aussi l’emprise fascinante qu’elle peut exercer. Son chant apparaît alors comme une tentation, celle de l’abandon à une mort certaine et glacée, dont l’emprise transparaît dans le froid que peuvent ressentir ceux qui l’entendent.

On suit un personnage narrateur autodiégétique, qui est Davenport, un matelot de L’Awesome Pride, lancé sur les traces de pirates et de leur vaisseau amiral, le Calamidad Calamidad, à bord duquel est retenue une princesse, Lady Bourneswatting, que les marins sont censés secourir. Le point de vue de Davenport donne lieu à des tournures très orales dans la narration et les dialogues. Le matelot et ses compagnons d’infortune sont dépassés par les événements qui se déroulent autour de lui, mais tentent de trouver des solutions malgré tout.

Ils se heurtent cependant à l’absurdité (au sens strict, c’est-à-dire l’absence de sens) de leurs décisions et de celles qui ont été prises par leurs supérieurs hiérarchiques. Ainsi, ils poursuivent leur route alors que leur quête perd de plus en plus de sens, puisqu’ils sont en sursis, parce qu’ils succombent à la glace, parce qu’ils continuent de se battre pour leur patrie alors qu’ils en sont bien trop éloignés, et parce que leurs ressources s’épuisent. Lionel Davoust met par ailleurs en évidence l’échec de la quête du chef et de l’homme providentiel capable de sauver ses compagnons et de régler tous les problèmes, mais je ne vous en dirai pas plus.

On remarque que la novella mobilise une forme de polytextualité. Les chapitres sont entrecoupés d’extraits du journal du capitaine du navire qui tente tant bien que mal de maintenir l’ordre à bord avec des mesures violentes et coercitives qui visent à garder le cap par la torture (oui oui), mais aussi à limiter l’emprise de la glace sur les matelots. Ces extraits de journal sont écrits à la main, ou imitent en tout cas une graphie manuscrite, dont la forme change, avec de plus en plus de ratures et de taches d’encre à mesure que le commandant de l’expédition est lui aussi contaminé par la glace et son chant qui parasite son esprit.

Le mot de la fin


L’Impassible armada est une novella de Lionel Davoust qui décrit des navires piégés, au milieu d’un océan situé au nord, par une sorte de glace qui recouvre l’eau et contamine les corps et les esprits des marins qui finissent fatalement par s’y jeter.

Davenport, matelot de L’Awesome Pride, cherche à sauver ses camarades d’un destin funeste et absurde, alors que leur quête de sauvetage a perdu tout son sens.

J’ai pris un grand plaisir à retrouver la plume de Lionel Davoust !

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