Underdog Samuraï, de Romain Ternaux

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler du dernier roman en date de Romain Ternaux.

Underdog Samuraï


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Aux Forges de Vulcain, que je remercie chaleureusement pour leur envoi !

Romain Ternaux est un auteur français né en 1987. Son éditeur rattache ses romans à la Bizarro Fiction, qui est un genre littéraire que l’on peut intégrer dans les transfictions, qui, selon Francis Berthelot, sont des récits qui se situent entre la littérature dite générale et la littérature de genre. La Bizarro Fiction peut se définir par son utilisation de la satire et du grotesque dans les récits dans lesquels elle s’inscrit. De par son étrangeté, la Bizarro Fiction peut se rapprocher de la Weird Fiction, dont elle pourrait être une variante (encore) plus grotesque, avec un aspect satirique beaucoup plus assumé.

Samuraï Underdog, dont je vais vous parler aujourd’hui, a été publié en 2022 Aux Forges de Vulcain.

En voici la quatrième de couverture :

« Un jeune homme, un peu loser sur les bords, se procure un sabre japonais sur le dark web. Hélas, l’objet de collection s’avère être un faux qui se brise en deux temps trois mouvements. Pris de rage, car, à l’époque moderne, il n’est pas de plus juste courroux que celui de la personne qui, sur le web, a acheté à son insu un truc en toc, notre héros part au Japon pour se venger des yakuzas qui ont abusé de sa crédulité. Ce qui n’était au début qu’une simple expédition sanglante et vengeresse se transforme très vite en une quête des origines où, au contact de sumotoris sensibles et de yokais goguenards, le jeune homme va découvrir qu’il est peut-être l’élu dont parlent d’anciennes prophéties. »

Dans mon analyse du roman, je traiterai de la manière dont Romain Ternaux subvertit les topoi des récits d’arts martiaux.

L’Analyse


Yokaïs et samouraï, anti-héros vengeur


De la même manière que dans I am vampire, Romain Ternaux décrit un personnage qui entre dans la catégorie des « losers », puisqu’il vit avec son grand-père, dont il exploite les économies et le logement, il ne travaille pas et se concentre sur sa fascination pour les arts martiaux et le Japon. Il possède ainsi un nunchaku dont il se sert comme d’une arme d’apparat, et se rend régulièrement au Palais Nippon, un restaurant japonais bon marché, pour tenter de séduire une serveuse, Yukiko, qui reste totalement imperméable à ses avances. Le personnage principal du roman apparaît donc déjà comme un antihéros antipathique, qui se fantasme comme guerrier du Japon médiéval et fantasme (et même fétichise) une femme qui le méprise. Tout comme dans le roman précédent de Romain Ternaux, le personnage est donc dépendant financièrement d’un individu qui ne l’apprécie pas ou peu (a priori du moins).

Romain Ternaux fait de ce personnage anonyme et détestable le narrateur autodiégétique de son roman, au présent. Ce temps permet de marquer l’immédiateté de la diégèse, mais aussi de rendre compte des pensées du narrateur, souvent pleines d’amertume. Le point de vue de cet antihéros rend par ailleurs compte de son parler, souvent très cru et trash, ce qui participe de l’humour du récit, mais aussi de la détestation qu’il peut engendrer chez le lecteur.

En effet, Underdog Samuraï est un roman qui fait preuve d’un humour particulièrement décapant, parfois en-dessous de la ceinture, qui joue sur l’aspect grotesque et absurde des situations qu’il met en scène.

Alors il fond sur moi et m’éclabousse, se répand dans mes cheveux et sur mes joues. Sa carcasse d’eau se démultiplie partout sur mon corps et m’inonde, il s’infiltre carrément dans ma bouche ! Je m’affale sur la cuvette et m’empresse de vomir mon grand-père, mon bras cogne contre le rebord et dix-mille points lumineux s’allument dans un spectacle son et lumière inattendu. Des jets d’eau partent dans tous les sens et des bruits de sèche-linge nous vrombissent dessus, mais papi s’en fiche et resserre toujours plus son étreinte. Je sens tous ses litres m’entourer le corps comme un tsunami, il veut me rentrer dans le cul ou quoi ?

Cet extrait subvertit une scène d’attaque d’un personnage par un monstre contre lequel il ne peut rien, ce qu’on observe dans le fait qu’il se retrouve totalement passif. Il n’est plus le sujet des verbes d’action, mais leur objet sur le plan grammatical. Cette situation qui est canoniquement dramatique se trouve ici désamorcée par son lieu, la salle de bain d’un hôtel japonais, mais surtout par les commentaires du narrateur, qui établit une proximité (réelle) entre lui et son agresseur, qui est son grand-père, qu’il appelle « papi ». L’interrogation finale, marquée par son ton graveleux, subvertit le caractère hyperbolique de l’invasion de son corps par la créature aquatique, pourtant comparée à un « tsunami » capable de s’infiltrer partout. Le récit mobilise le folklore japonais est présent à travers les yokai, des créatures surnaturelles souvent malicieuses qui peuvent porter malheur à ceux qui les rencontrent. Dans le cas du roman de Romain Ternaux, les yokai croisés par le personnage principal constituent des mises à l’épreuve de ses talents de guerrier. Il croise ainsi la route (et le fer) avec Kanbari Nyudo, le yokai des toilettes (oui oui), qui tente de contaminer son corps à plusieurs reprises, et pas toujours de manière propre. L’étrangeté du roman se trouve alors accompagnée d’une forme de comique. Cette forme de comique peut être caractéristique de la Bizarro Fiction et vient appuyer les éléments surnaturels en désamorçant l’horreur qu’ils pourraient provoquer. Il s’agirait donc d’un point de différenciation entre la Bizarro et la Weird Fiction.

Underdog Samuraï constitue ainsi une parodique des récits d’arts martiaux et du schéma initiatique sur lequel ils s’appuient, dont il prend le contrepied dans sa construction. Son personnage principal est un antihéros, motivé par une antiquête, puisque le point de départ du récit est la vengeance qu’il veut exercer sur des yakuzas auxquels il a acheté un katana sur le darknet après avoir découvert qu’il s’agissait d’une contrefaçon (oui oui). Le déclencheur de son voyage au Japon puis aux États-Unis et des nombreuses épreuves et combat qu’il traverse, mais aussi de son initiation de pratiquant des arts martiaux, est donc un motif extrêmement trivial, une arnaque sur Internet, et surtout un motif particulièrement égoïste (et idiot, puisqu’il cherche tout de même à affronter les yakuza). Le roman présente par ailleurs des figures d’antimaîtres, à travers le grand-père du narrateur, qui maltraite son petit-fils, mais aussi « Maître » Robert, un ivrogne de parking (oui oui), mais aussi des antiadjuvants, avec les compagnons étranges qu’il se fait en cours de route, tels que le docteur Tanaka qui est héroïnomane, ou encore Sato qui est un sumo dont le respect des codes est plus que relatif. Par ailleurs, le narrateur est porté par une antiprophétie, énoncée dans un passage qui parodie une scène de mort tragique du maître qui révèle des informations importantes à son disciple alors qu’il est en train de mourir.


— […] Un samouraï d’or est apparu… Et il a commencé à me parler !
Mon grand-père crache un caillot, son teint devient blême mais il semble déterminé à finir. Je devrais peut-être appeler les urgences plutôt que d’écouter ses conneries ?
— Le Samouraï d’or… m’a dit…
D’un coup, son souffle semble coupé. Du bout des lèvres, il reprend:
— Il m’a dit…
Nous penchons la tête, suspendus à sa voix presque éteinte :
— Il… m’a dit… que j’étais une merde. […]
— …Que j’étais une merde… Mais que la merde… ça partait après deux passages au lavoir… Et donc… Que mon petit-fils…
Merde, mais il allait parler de moi ? Ne meurs pas maintenant, putain ! Un Samouraï d’or du Japon m’aurait mentionné avant même que je sois né ? C’est quoi, ces conneries ? […]
— … Que… mon petit-fils… serait le plus grand combattant du monde…

Cet extrait s’appuie sur un mécanisme de jeu entre l’attente du personnage narrateur, à laquelle s’ajoute celle du lecteur, devant les répliques du grand-père mourant, qui fonctionnent comme des chutes comiques. Cet effet comique désamorce déjà l’effet dramatique de la scène. Ce désamorçage se trouve renforcé par le manque total d’empathie du personnage pour son grand-père et les propos qu’il tient, mais aussi et surtout par la manière dont la prophétie est énoncée, en plusieurs répliques qui prolongent l’attente de manière exacerbée, et en des termes triviaux et scatologiques. On remarque par ailleurs que ladite prophétie, c’est-à-dire le fait que le personnage puisse être « le plus grand combattant du monde », censée le légitimer, contraste grandement avec sa morale et ses motivations. Romain Ternaux subvertit donc la construction du héros tel que l’entendent les schémas narratifs canoniques, en y injectant une forte dose de satire. Je soulignerai aussi que le comique du roman passe par certaines comparaisons, telles que « une substance me prend à la gorge comme le gaz moutarde dans les tranchées de 14 », ou encore « Tel Énée portant Anchise pour fuir Troie en flammes, je ramasse le médecin en jogging et l’installe sur le dos cabossé de mon armure ». Cette dernière créé un décalage entre un moment mythique et grave de la littérature, le départ d’Enée dans L’Énéide de Virgile, et ce à quoi elle est comparée, à savoir le fait que le fait que le personnage vienne en aide à un médecin toxicomane en pleine crise de manque.

L’aspect parodique du roman transparaît alors dans son détournement des codes, mais aussi dans l’attitude des personnages. Ceux-ci sont en effet portés sur l’alcool, la drogue, le sexe, la violence, parfois les quatre à la fois. Ainsi, ils s’avèrent souvent, à l’instar du héros, particulièrement idiots. Le second degré du roman apparaît par ailleurs dans la violence des combats, et la violence tout court, souvent gore et hyperbolique, avec des membres découpés et arrachés et plusieurs litres de sang.

Alors un truc se passe, personne ne s’y attendait. À force de trop tirer sur mon masque coincé, il se débloque d’un coup et part comme une balle de fusil. En direction du cockpit…
Avec sa porte ouverte…
Et son pilote trop curieux !
Un bruit de pastèque éclatée succède au vrombissement du projectile, la face de métal vient de s’écraser sur le visage de chair. C’est la merde ! Le nez pointu de Pinocchio a transpercé le crâne du pauvre type comme un harpon, mais nous sommes toujours coincés dans le ventre de Monstro ! Et déjà, l’avion penche pour nous enfoncer dans les abysses.

On retrouve ici les comparaisons qui prêtent à rire et tendent à désamorcer les situations dramatiques, puisque le masque de l’armure de samouraï du personnage est comparé au visage de « Pinocchio », tandis que l’avion à bord duquel il se trouve avec ses compagnons d’infortune est assimilé au « ventre de Monstro ». Là encore, l’auteur joue sur les effets d’attente de son lecteur, avec des sauts de ligne, des points de suspension et une chute fatale (sans mauvais jeu de mots). La violence de la mort du pilote de l’avion se trouve alors désamorcée par un dispositif comique.

Le mot de la fin


Underdog Samuraï est un roman de Romain Ternaux qui met en scène un personnage narrateur détestable qui décide de se venger des yakuzas japonais qui lui ont vendu un faux katana, acheté sur le darknet. Sa quête constitue l’occasion pour l’auteur de dresser une satire des codes des récits d’arts martiaux par l’utilisation des ressorts de la parodie, mais aussi par l’emploi du point de vue d’un personnage qui n’a rien d’un samouraï honorable, bien au contraire !

Si vous connaissez la plume de Romain Ternaux, parce que vous avez lu I am vampire par exemple, vous savez à quoi vous attendre de la part de l’auteur. Si ce n’est pas le cas, attendez-vous à un humour souvent trash et un ton satirique omniprésent. Je vous recommande ce roman !

3 commentaires sur “Underdog Samuraï, de Romain Ternaux

  1. Que de causerie pour un livre abandonné au bout d une centaine de pages…au cinéma on appelle ça un nanar volontaire. Non?
    Bon entraînement pour vous en tous cas!

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