La Quête onirique de Kadath l’inconnue, de Florentino Flores, Guillermo Sanna et Jacques Salomon

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler de l’adaptation de l’une des nouvelles de H. P. Lovecraft en bande dessinée.

La Quête onirique de Kadath l’inconnue, de Florentino Flores, Guillermo Sanna et Jacques Salomon


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Black River, que je remercie chaleureusement pour leur envoi de la BD !

Florentino Flores est un scénariste espagnol. Il est également professeur d’illustration et de bande dessinée. Il a été nommé au Prix Eisner pour deux de ses œuvres, Ditko Unleashed et Woodwork

Guillermo Sanna est un dessinateur qui travaille actuellement avec Marvel, mais aussi Les Humanoïdes Associés, ou encore IDW.

Jacques Salomon est un dessinateur qui a pu se consacrer à la BD après La Quête onirique de Kadath l’inconnue, dont je vais vous parler aujourd’hui. Il travaille maintenant chez Boom ! Studios.

Ensemble, ces trois auteurs ont adapté une novella de H. P. Lovecraft en bande dessinée, La Quête onirique de Kadath l’inconnue, pour Diabolo Ediciones. Elle a ensuite été traduite par David Guélou pour les éditions Black River, qui ont publié la version française en 2023. Une interview des trois auteurs, ainsi qu’une galerie d’études et de concepts arts sont données en fin d’ouvrage.

En voici la quatrième de couverture :

« « Hei! Aa-shanta nygh ! Va-t’en ! Renvoie les dieux de la Terre dans leur repaire de Kadath l’inconnue, et prie l’espace tout entier de ne jamais me rencontrer sous mes mille autres formes…; car je suis Nyarlathotep, le Chaos Rampant ! »

Randolph Carter, voyageur au pays des rêves, tente de ne pas se réveiller avant d’avoir atteint son objectif, l’inaccessible Kadath : la demeure des dieux, un lieu de fantastique et d’imagination débordante. Carter parcourt un monde rempli de menaces et de monstres abominables, mais aussi de palais, de cités exubérantes et de paysages qui rappellent à l’homme son rôle insignifiant sur le gigantesque échiquier cosmique.

Quelles sont les raisons de continuer quand tout autour de soi est terrifiant et mortel ? Kadath peut apporter des réponses à cette question ! »

Dans mon analyse de cette BD, je commencerai par évoquer le matériau d’origine, c’est-à-dire la nouvelle de Lovecraft, puis je m’intéresserai à la manière dont les auteurs s’en sont emparés pour l’adapter.

L’Analyse : Randolph Carter, de la lettre à l’image


Le matériau d’origine


La Quête onirique de Kadath l’inconnue est une novella de Howard Philips Lovecraft (1890-1937), l’un des auteurs des littératures  de l’imaginaire les plus influents qui soient, comme le montre l’un des ses surnoms, « Le Maître de Providence ».

Ses nouvelles mêlent en effet les genres de l’horreur, de la science-fiction et de la fantasy et mettent en scène des créatures cosmiques grotesques, à l’apparence radicalement inhumaine, qui provoquent terreur et folie dans les yeux de ceux qui ont le malheur de les rencontrer. L’Appel de Cthulhu, Les Montagnes hallucinées, Le Cauchemar d’Innsmouth, ou L’Abomination de Dunwich sont ainsi des récits séminaux pour la Weird Fiction, un mode fictionnel qui cherche à maximiser l’étrangeté à travers des descriptions extrêmement fournies de créatures surnaturelles, ou par une manière spécifique d’apporter (ou non) des informations au lecteur. 

La Quête onirique de Kadath l’inconnue, écrite entre 1926 et 1927, est une novella qui prend s’inscrit dans le Cycle du Rêve, où l’auteur met en scène un univers de Fantasy, les Contrées du rêve, inspirées par l’œuvre de Lord Dunsany.

Dans ce récit, on suit le personnage de Randolph Carter, un être humain provenant du « monde de l’éveil », c’est-à-dire une réalité similaire à la nôtre, qui recherche une majestueuse cité dont il a rêvé, qui se trouverait au sein des Contrées du rêve. Pour y parvenir, il entend cheminer jusqu’à la demeure des dieux, Kadath, pour les supplier de lui en montrer le chemin. Cependant, son périple jusqu’à Kadath est semé d’embûches, puisqu’il a attiré l’attention de Nyarlathotep, messager des dieux qui entend l’empêcher de parvenir à ses fins. Ainsi, Carter croise la route de multiples créatures surnaturelles, telles que les zoogs, les goules, les oiseaux shantak, les maigres bêtes de la nuit. Certaines d’entre elles s’allient à lui, tandis que d’autres cherchent à le tuer.

Si les récits qui mettent Cthulhu et d’autres créatures cosmiques en scène sont des récits horrifiques, La Quête onirique de Kadath l’inconnue lorgne davantage du côté du récit d’aventures. Carter tombe dans des pièges tendus par Nyarlatothep et ses sbires, mais il parvient à s’en sortir grâce à son astuce et surtout l’aide de ses alliés. Il n’est pas donc pas totalement démuni face au surnaturel, au contraire d’autres personnages de Lovecraft, et devient donc plus actif, plus aventurier.

C’est le parti pris que choisissent les auteurs de la BD.

Une adaptation dynamique et pleine de bonnes idées


La Quête onirique de Kadath l’inconnue de Florez, Sanna et Salomon n’est pas le reflet case par case du texte de Lovecraft. En effet, si elle respecte le parcours de Randolph Carter, et donc la structure du récit, ce qu’on observe dans le chapitrage qui donne les étapes de son voyage, avec « Dylath-Leen », « Le Mont Ngranek », « La Vallée de Pnoth » par exemple, la narration a été modifiée par la modification du rôle de l’un des personnages, à savoir le chat qui l’accompagne ou encore la romance de Carter avec le roi Kuranes de Celephaïs, qui s’avère capable de changer de genre au gré de ses envies.

Le chat que Carter rencontre à Ulthar devient son ami, mais aussi et surtout son compagnon de route pendant la majeure partie de son périple. C’est déjà le cas dans l’œuvre originale, mais son rôle se trouve ici plus important que chez Lovecraf. Il permet davantage de dialogues et d’interactions lors du périple de Randolph, et a donc été rendu nécessaire lors du processus d’adaptation, ce que soulignent les auteurs dans l’interview en fin de volume. Ainsi, puisque la narration de la novella de Lovecraft ne s’appuyait que sur le point de vue interne de Carter, le changement médium appelait de revoir le discours narratif afin d’éviter de l’alourdir, car ce type de dispositif apparaît plus adapté à la littérature qu’à la bande dessinée. Le personnage du chat permet des échanges qui montrent les ambitions et les états d’âme de Carter, mais aussi de dynamiser la narration. Par ailleurs, ce changement rend Carter plus humain, car ses interactions avec le jeune chat sont parfois pleines d’humour et mettent en évidence la manière dont il protège son ami félin. Cela participe alors de l’héroïsation du personnage. Son aventure était majoritairement solitaire chez Lovecraft, elle se révèle accompagnée dans la BD de Flores, Sanna et Salomon. Parmi les autres ajouts qui touchent les personnages, on peut par ailleurs citer la romance entre Carter et le roi Kuranes, qui devient une reine lorsqu’elle le désire, puisque son domaine est façonné à son image, ce qui inclut également son apparence physique. La romance humanise encore davantage le personnage, puisqu’il est capable d’éprouver des sentiments nobles que l’on ne voit jamais chez Lovecraft et qui constituent alors une prise de risque intéressante. Sur le plan narratif, on peut remarquer que le passage de Carter auprès de Kuranes constituer un moment de tentation lors duquel le héros est invité à interrompre son périple afin de trouver la sérénité et surtout d’éviter la mort.

Entre chaque étape des aventures de Carter se trouvent des interludes qui mettent en scène les rêves d’un enfant qui se trouve dans son lit et que ses parents veulent réveiller. Cela donne corps au fait que le voyage du personnage est littéralement une aventure onirique. Ainsi, le jeune enfant se retrouve souvent dans des situations surréalistes qui montrent qu’il rêve, avec par exemple une expédition sur la lune à dos de chat ou le fait d’être dévoré par ses parents (oui oui), alors que la réalité révèle qu’il se trouve dans son lit, sans cesse appelé par ses parents qui souhaiteraient qu’il se réveille et regagne le monde de l’éveil. Cette adaptation prend ainsi le parti de rattacher explicitement les aventures de Carter avec de véritables rêves, ce qui ajoute donc une dimension métanarrative au récit, qui reflète l’étrangeté des rêves et la manière dont ils affectent les perceptions.

La planche part d’une situation a priori banale, un enfant qui dort dans son lit, mais les deux cases suivantes montrent des mouvements peu ordinaires, qui montrent que progressivement les rêves du jeune homme. On bascule ensuite complètement vers le surnaturel, le lit devenant un chat, l’environnement passant du beige de la chambre au noir de l’espace qu’occupe une lune tout droit sortie du film de George Méliès. Les rêves du jeune homme reflètent alors les événements de l’intrigue, puisque Carter s’est effectivement retrouvé sur la lune et a été sauvé par des chats.

Le dessin fait quant à lui ressortir l’aspect monstrueux et grotesque des créatures surnaturelles rencontrées par Carter, mais aussi et surtout surtout le gigantisme des décors, avec le Mont Ngranek par exemple, avec un jeu sur le contraste entre la taille du personnage et celle de la statue qui ne représente pourtant qu’un visage.

Le mot de la fin


La Quête onirique de Kadath l’inconnue de de Florentino Flores, Guillermo Sanna et Jacques Salomon est une adaptation en BD de la novella du même nom de H. P. Lovecraft. Les auteurs en reprennent donc la trame, mais choisissent de donner un rôle plus important au chat sauvé par le héros pour en faire son compagnon de route, ce qui permet de rendre le récit plus dynamique grâce aux échanges des deux personnages. Par ailleurs, le voyage de Carter s’accompagne d’une dimension métanarrative, avec les rêves d’un enfant qui constituent des interludes aux étapes de son périple.

J’ai aimé découvrir cette bande-dessinée et je vous la recommande.

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