Superluminal, de Vonda McIntyre

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de science-fiction écrit par une autrice dont j’ai aimé découvrir la plume.

Superluminal, de Vonda McIntyre


Introduction


Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Mnémos, que je remercie chaleureusement pour l’envoi du roman !

Vonda McIntyre est une autrice de science-fiction américaine née en 1948 et morte en 2019. Elle avait une formation de biologiste. Son œuvre comporte des novellisations de Star Trek et de Star Wars, mais aussi des créations originales. Ainsi, son roman Le Serpent du rêve, paru en 1979 et récemment réédité par Mnémos a remporté les Prix Nebula et Hugo, faisant de l’autrice la troisième femme à remporter ce dernier.

Superluminal, dont je vais vous parler aujourd’hui, est à l’origine paru en 1983. Il a été traduit par Daniel Lemoine pour la collection du « Club du livre d’anticipation » des Éditions Opta, qui l’ont publié en 1986. Cette traduction a été révisée par Olivier Bérenval pour la collection « Stellaires » des éditions Mnémos en 2022. Pour rappel, la collection Stellaires a pour but de rendre de nouveau disponibles certains classiques de la SF. Cette réédition contient une préface d’Olivier Bérenval ainsi qu’une interview de l’autrice datant de 2009 pour SF Signal, un blog consacré aux littératures de l’imaginaire.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Désormais, l’humanité peut mener des vaisseaux au-delà de la vitesse de la lumière. Afin de rejoindre le prestigieux corps des pilotes interstellaires, Laenea n’hésite pas à sacrifier son cœur humain pour une machine sophistiquée. Mais pour aller encore plus loin, vers de nouveaux mondes distants ou d’autres dimensions, devra-t-elle renoncer à tout jamais à sa nature humaine ou pire, à aimer ?

L’avis de l’éditeur :

Avec Superluminal, Vonda McIntyre explore une société futuriste et utopiste où les voyages plus rapides que la lumière sont devenus possibles et où les humains améliorés vivent sur d’étranges exoplanètes comme dans les profondeurs des océans. Les polyamours interstellaires de Laena et de Radu nous laissent entrevoir des possibilités infinies, non seulement aux confins de l’univers, mais aussi dans nos cœurs, dans nos âmes.

L’autrice réussit à rendre intensément vivants ses personnages, et la relation impossible entre les deux amants hante chaque page. Elle nous offre ici l’une des odyssées les plus dépaysantes et les plus émouvantes de la science-fiction moderne. »

Dans mon analyse du roman, je traiterai de la manière dont Vonda McIntyre met en scène une forme d’incommunicabilité entre les groupes sociaux qu’elle décrit.

L’Analyse : Comment ceux de l’espace et de la mer peuvent-ils communiquer avec ceux qui sont restés sur terre ?


Commençons par remettre Superluminal dans son contexte de parution. Le camarade FeydRautha du blog L’Épaule d’Orion l’a également fait dans sa chronique. Cette démarche est importante lorsqu’on parle d’œuvres marquantes, surtout lorsqu’elles se démarquent de leurs contemporaines.

Superluminal se démarque de la production de son époque parce qu’il s’agit d’un space opera, genre qui n’est plus forcément pratiqué depuis la fin du supposé âge d’or de la science-fiction, avec des auteurs comme Isaac Asimov ou Frank Herbert plus tardivement. Le début des années 1980 marque en effet la fin de la New Wave, un courant de la SF ayant d’abord émergé au Royaume-Uni avant d’essaimer aux États-Unis. Les écrivains de la New Wave, tels que J. G. Ballard, Brian Aldyss ou Samuel Delany, s’intéressaient davantage aux thématiques du futur proche et des thématiques sociales. Les sciences humaines, mais aussi les expérimentations littéraires et narratives, motivent alors davantage les auteurs que l’exploration spatiale et les thématiques qui lui sont liées. Superluminal se démarque donc de ces romans du fait de son décor et sa mise en scène de voyages supraluminiques. Par ailleurs, le roman de Vonda McIntyre est publié avant l’émergence du Cyberpunk, dont le fer de lance est Neuromancien de William Gibson, mais traite de thématiques qui peuvent s’en rapprocher. En effet, il montre des modifications de l’être humain par le biais de la technologie et de la génétique, ainsi que des avatars numériques de personnes bien réelles, ce qui rejoint l’un des grands thèmes du Cyberpunk, à savoir les interfaces entre l’Homme et la machine et leurs conséquences. Cependant, le Cyberpunk, Schismatrice mis à part, ne s’intéresse pas véritablement à l’espace, la plupart des récits du genre se déroulant sur Terre. De par ses thématiques, Superluminal est donc une œuvre à part à son époque. Elle l’est aussi par son ton, résolument positif, mais j’y reviendrai plus bas.

Le roman nous fait suivre trois personnages, Radu, Laena et Orca. Tous trois s’éloignent de l’humanité telle qu’on la connaît. En effet, Laena et Orca appartiennent à des formes de posthumanités, tandis que Radu a survécu à une épidémie mortelle ayant ravagé sa planète d’origine qui semble l’avoir transformé, puisqu’il n’est pas affecté par ce qui devrait le tuer. Il peut ainsi rester éveillé lors des voyages dans le Flux, un équivalent de l’hyperespace qui permet les voyages supraluminiques, mais fait vieillir puis mourir toute personne qui ne serait pas endormie ou modifiée pour y survivre. Les humains lambda doivent alors être placés en hibernation pour effectuer ce type de trajet.

Ceux qui restent éveillés lors de ces voyages interstellaires sont les pilotes, dont fait partie Laena. L’incipit du roman montre qu’elle a « renoncé à son cœur » (littéralement, oui oui) pour le remplacer par un organe mécanique qui lui permet le biocontrôle, c’est-à-dire le contrôle de son corps et notamment de son flux sanguin, des battements de son cœur et de sa tension artérielle. C’est grâce à ce cœur artificiel que les pilotes peuvent naviguer dans le Flux et survivre aux distorsions de l’espace-temps qu’il fait peser sur l’organisme.

Les pilotes apparaissent donc comme une composante essentielle de la société décrite par Vonda McIntyre, puisque ce sont eux qui assurent le transport de personnes et de marchandises à travers l’espace, mieux que les vaisseaux automatiques, et qui explorent l’univers pour en percer les mystères.

Orca appartient quant à elle au peuple des plongeurs, qui sont des êtres humains ayant subi des modifications génétiques programmées à l’aide de virus afin de pouvoir vivre dans l’eau, parmi les animaux marins qu’ils considèrent comme des égaux et des membres de leur famille. Ils appellent ainsi les orques « cousins », et révèrent les baleines bleues. Leur corps se rapprochent des formes de vie marines, puisque leurs mains et leurs pieds sont palmés. Une partie des plongeurs désire aller plus loin et accélérer l’évolution de leur peuple, pour ainsi rompre complètement avec les habitants de la surface, dont ils sont de moins en moins familiers, ce que montrent les langues qu’ils emploient en plus de celle de la surface. Ils parlent ainsi la « langue moyenne », qui ressemble à un chant, mais aussi la « langue véritable », qui ne semble porteuse de sens que dans l’eau. Les plongeurs divergent alors radicalement d’homo sapiens, d’abord par leurs gènes et leur apparence physique, puis par le changement d’écosystème et linguistique, qui engendre une incompréhension entre eux et ceux de la surface, puisque les plongeurs ne peuvent s’exprimer dans leur langue véritable sur Terre.

Pilotes et plongeurs sont donc des posthumains, puisqu’ils divergent de l’humanité telle qu’on la connaît grâce à la biologie ou la technologie, qui leur confèrent de nouvelles capacités, survivre au Flux et sous l’eau et transforment leurs corps, avec un cœur artificiel et des membres palmés, ce qui leur permet de vivre dans des milieux hostiles au reste de l’humanité. Par ailleurs, les pilotes et les plongeurs forment des groupes sociaux distincts de l’humanité non modifiée. Les pilotes jouissent de privilèges de par leur statut et sont glorifiés par la population, mais ne vivent pratiquement qu’entre eux, tandis que les plongeurs forment une communauté autarcique et isolée de la surface.

Radu apparaît quant à lui comme une énigme, puisque sa survie dans le Flux est incompréhensible aux yeux des pilotes, qui le voient comme une forme de menace. Sa rationalisation est alors nécessaire, même si cela le fait rompre avec la population non modifiée.

Superluminal est donc un roman qui traite de thématiques qui seront questionnées plus tard dans l’histoire de la science-fiction, avec notamment le Cyberpunk, et par extension les œuvres qui montrent de nouvelles branches de l’humanité, à l’image de Diaspora de Greg Egan ou du Magicien quantique de Derek Künsken.  

À travers ces trois personnages, Vonda McIntyre interroge la nature d’homo sapiens, sa capacité à aimer, mais aussi et surtout à comprendre les expériences d’autrui et communiquer la sienne propre.

Ainsi, Radu et Laena tombent amoureux l’un de l’autre. Cependant, un monde les sépare, puisque l’une est pilote et l’autre pas. Laena peut ainsi disposer d’un statut social élevé, ce qui n’est pas le cas de Radu, qui se sent par ailleurs inférieur à elle, ce que montre le passage lors duquel il se déclare à sa bien-aimée.

« Je crois que je t’aime depuis le jour où tu es arrivée sur Crépuscule. » Il se leva brusquement, mais retira doucement sa main. « Je ne devrais pas… »
Elle se leva à son tour.
« Pourquoi pas ? »

  • Je n’ai pas le droit de…
  • De quoi ?
  • De te demander quelque chose. De croire… » Incapable de continuer, il s’interrompt. « De t’imposer mes espoirs.
  • Et que fais-tu de mes espoirs à moi ? »

Le sentiment d’infériorité de Radu transparaît dans ses multiples hésitations, matérialisées par des points de suspension qui interrompent ses répliques. Ce sentiment le pousse à croire qu’une relation avec Laena est impossible. Cependant, son discours occulte l’agentivité de celle-ci, qui lui fait remarquer dans sa dernière réplique. Ce passage nous montre donc que les pilotes sont perçus comme socialement supérieurs, puisqu’il est impossible de leur « demander quelque chose ». La relation entre Radu et Laena est alors marquée comme une impossibilité avant même son commencement à cause de leur différence de statut social, mais aussi par la manière dont ils vivent.

Les pilotes et les plongeurs sont en effet séparés du reste de l’humanité par leur expérience unique du vivant, ce qui engendre une forme d’ altérisation. Ainsi, les pilotes forment une caste à part. Ils ne se parlent qu’entre eux et suscitent la fascination du commun des mortels qui les voit comme des curiosités, des sortes de surhommes. Ainsi, les pilotes ne peuvent jamais véritablement communiquer leur expérience du Flux à quelqu’un qui ne peut pas l’éprouver directement. Leur perception du monde dépasse alors complètement le reste du monde, comme le montre une réplique de Radu.

« Personne n’a jamais produit cette impression sur moi. J’ai cru me trouver en présence de quelqu’un de si différent de moi me dépassant dans des proportions telles que nous ne pouvions même pas parler ensemble. »

On observe ici qu’un gouffre séparé les pilotes des « rampants », nom donné à ceux qui sont restés à terre et avec lesquels ils n’interagissent pas ou peu. Les hyperboles dans le discours de Radu marquent la rupture radicale entre les pilotes et les autres, qui conduit à une aporie du langage, puisqu’ils ne pourraient « pas parler ensemble » et donc à un épuisement possible de la communication. Les perceptions et la vie des pilotes ne seraient ainsi pas communicables et appartiendraient au registre de l’indicible. Cela se matérialise d’ailleurs dans le fait que les perceptions des pilotes leur sont exclusives. Ils peuvent ainsi voir des dimensions supplémentaires, de la quatrième jusqu’à la septième (oui oui), qu’ils ne peuvent décrire aux non-pilotes, et à peine plus à leurs collègues.

De la même manière, les plongeurs ne peuvent pas parler en langue moyenne ou véritable avec les habitants de la surface. Leur expérience du monde se rapproche alors davantage de celle des animaux marins que celle des humains dont ils s’éloignent de plus en plus de par les mutations qu’ils subissent. Les plongeurs ne peuvent alors être pleinement compris des humains et des pilotes lorsqu’ils parlent la langue moyenne ou la langue véritable, dont le sens se déploie d’ailleurs sous l’eau. Lorsqu’elle est interrogée à propos de sa perception du monde, Orca répond « Je ne dispose pas de mots que vous puissiez comprendre », ce qui signifie qu’une barrière de la langue sépare les plongeurs et les humains de la surface. Cette barrière pourrait d’ailleurs devenir de plus en plus infranchissable, puisqu’ils cherchent à accélérer leur évolution, ce qui cause l’inquiétude d’Orca.

« Je ne sais pas ce que nous sommes en train de devenir. Et je ne suis pas sûre d’avoir envie de le savoir. »

Vonda McIntyre pose alors la question de la communication entre trois humanités séparées par leur expérience du monde, qui ne peut pas forcément être partagée. Les plongeurs ne peuvent pas parler leur véritable langue avec ceux de la surface, et les pilotes ne partagent jamais leur expérience du Flux et des dimensions qu’ils empruntent lors de leurs voyages stellaires. Cependant, si les plongeurs et les pilotes forment des castes à part et représentent des formes d’altérité, Vonda McIntyre décrit une tentative de compréhension mutuelle, à travers des personnages qui ne se laissent pas séparer et tentent de communiquer du mieux qu’ils le peuvent. Superluminal relève alors d’une science-fiction positive qui perçoit la posthumanité non comme une source de conflits meurtriers, mais comme un heureux possible.

Le mot de la fin


Superluminal est un roman de science-fiction de Vonda McIntyre, dans lequel l’autrice met en scène un futur où les voyages supraluminiques sont possibles grâce au Flux, une distorsion de l’espace temps qui permet de couvrir de très longues distances. Cependant, seuls des êtres humains dotés d’un cœur artificiel, les pilotes, peuvent rester éveillés lors de ces voyages, qui peuvent tuer toute autre personne ne se trouvant pas en hibernation. Les pilotes forment alors un groupe social séparé du reste de l’humanité, tout comme les plongeurs, qui ont subi des modifications génétiques pour vivre sous l’eau et communiquer avec les animaux marins.

Si les perceptions de ces groupes semblent être incommunicables de prime abord, les parcours de trois personnages, Laena, une pilote, Orca, une plongeuse, et Radu, un être humain transformé par une épidémie, montre qu’une compréhension mutuelle, de même que des relations amicales et amoureuses, sont possibles.

Superluminal était un roman qui se démarquait de la production de son époque lorsqu’il a été publié, et je comprends pourquoi. Il semble annoncer la science-fiction positive représentée par Becky Chambers, et aborde des thématiques qui ne se retrouveront que plus tardivement, sous la plume d’autres auteurs.

Je ne peux que vous le recommander !

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