Le Magicien quantique, de Derek Künsken

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un formidable premier roman de Hard SF.

Le Magicien quantique, de Derek Künsken

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Introduction

 

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Albin Michel Imaginaire, que je remercie pour l’envoi du roman !

Derek Künsken est un auteur de science-fiction et de Fantasy canadien né en 1971. Jusqu’ici, il s’est surtout illustré dans la forme courte, au point de faire une très bonne impression à son éditeur français.

Son premier roman, originellement paru sous le titre The Quantum Magician en 2018, est paru en France en Mars 2020 chez Albin Michel Imaginaire, dans une traduction de Gilles Goullet, sous le titre Le Magicien quantique.

En voici la quatrième de couverture :

« Belisarius Arjona est un homme quantique. Ses pairs ont été créés pour pousser les capacités cognitives de l’humain à un niveau extrême. En fugue quantique, Belisarius est capable de transformer la probabilité en réalité. Toujours sur le fil, de par sa nature-même, il a trouvé un équilibre précaire en tant qu’escroc. Et quand un client lui offre une immense richesse pour déplacer une flotte de vaisseaux de guerre à travers un trou de ver ennemi, Belisarius accepte la mission. Il se met alors en quête d’un équipage composé de post-humains comme lui, mais aussi d’une Intelligence Artificielle surpuissante répondant au doux nom de saint Mathieu. Réussiront-ils leur mission, au risque de déclencher une guerre interstellaire ? »

Dans mon analyse du roman, je traiterai d’abord du fait que le roman de Derek Künsken s’ancre dans une « soft Hard SF », puis je m’intéresserai à la narration et aux personnages.

 

L’Analyse

 

« Soft Hard SF » spatiale et posthumaine

 

Dans Le Magicien quantique, Derek Künsken décrit une époque future où on observe de nombreuses posthumanités dérivées de l’Humanité standard. On a par exemple les homo quantus, originellement destinés à servir des buts économiques et militaires, mais dont les centres d’intérêts se révèlent éloignées de ces domaines (ils les jugent bien trop concrets pour être dignes d’intérêt), les homo pupa, ou Fantoches configurés pour vénérer leurs créateurs, les Numen, et travailler en adoration devant eux, et les homo eridanus, ou Bâtards, conçus pour résister aux environnements extrêmes, au prix d’une apparence inhumaine et quasi monstrueuse, avec une peau de baleine, des ouïes, une gueule de poisson (et un langage fleuri, j’y reviens plus bas)… . On observe que ces populations relèvent d’une posthumanité et non pas d’une transhumanité dans le fait qu’elles appartiennent au genre homo¸ mais plus à l’espèce sapiens, ce qui est signalé dans leur nom.

À travers cette diversité de posthumanités et leurs différences de comportements, Derek Kunsken interroge ce qui fait d’être humain, ce qui rattache toutes ces humanités entre elles, malgré leurs « câblages » différents. Ainsi, les homo quantus ont la soif de connaissance théorique mais apparaissent complètement déroutés par le monde extérieur qui leur apparaît bien trop concret, les Fantoches ont enfermé et torturent leurs créateurs Numen pour les vénérer d’une façon pour le moins violente, et les Bâtards ne peuvent pas vivre en dehors des environnements extrêmes pour lesquels ils sont programmés. Derek Künsken traite ainsi de l’aliénation engendrée par l’espèce humaine sur elle-même par l’évolution forcée qu’elle a induite par les manipulations génétiques exécutées sur des individus. Cette aliénation est poussée à bout dans le comportement des Fantoches, qui ont une relation extrêmement toxique avec les humains qu’ils voient comme des dieux, les Numen, mais contre lesquels ils ont fini par se révolter.

La posthumanité s’observe également dans la création des Épouvantails, qui sont des agents de renseignement qu’on a transformés en IA en électronisant leurs cerveaux pour les transformer en redoutables machines dotées de capacités cognitives à la fois humaines et mécaniques.

Cette mise en scène de posthumanités créées par la biologie et la technologie peut rappeler l’excellent Diaspora de Greg Egan, dans lequel des posthumains cherchent des solutions pour sauver leur espèce d’une catastrophe cosmique, ou l’incroyable Vision Aveugle de Peter Watts, dans lequel un équipage d’humains modifiés doit entrer en contact avec une espèce extraterrestre radicalement différente de tout ce que peut connaître l’Humanité.

Derek Kunsken s’inscrit ainsi dans la Hard SF, mais s’il vous plaît, ne prenez pas peur. Apophis le soulignait dans sa chronique, malgré les comparaisons que l’on peut faire avec Greg Egan ou Peter Watts, Le Magicien quantique reste accessible, ou en tant moins ardu que Diaspora par exemple, à mon sens, puisque les concepts scientifiques ardus abordés par l’auteur sont expliqués de manière claire.

Le roman décrit des technologies très avancées, avec des IA très développées, capables de détecter toutes sortes de triches dans les casinos, ou de créer des machines de Von Neumann, c’est-à-dire des machines autoréplicantes capables de s’améliorer et de se réparer elles-mêmes, des moteurs à inflatons¸ qui mobilisent donc les particules de l’expansion de l’espace (oui oui), et des trous de ver laissés par une civilisation extraterrestre ancienne, par exemple. L’univers développé par Derek Künsken est donc très avancé sur le plan technologique, bien que l’ingénierie génétique et biologique semble être plus avancée que l’ingénierie spatiale, dont l’une des révolutions, à savoir le moteur à inflatons, est au centre de l’intrigue du roman.

Le futur décrit par l’auteur est également en proie à des conflits politiques qui s’articulent autour des contrôles des « Axes », des trous de ver créés par une espèce extraterrestre disparue permettant de franchir plusieurs dizaines d’années lumières en un instant. La Fédération des Théocraties Fantoches en contrôle un (il est d’ailleurs au centre de l’intrigue), et une autre puissance politique, la Congrégation vénusienne en contrôle d’autres.

 

Narration et personnages retors

 

Le Magicien quantique nous fait suivre Belisarius Arjona, un homo quantus qu’on dit capable de transformer les probabilités en réalités, de par son statut d’homo quantus vivant dans le monde extérieur et d’arnaqueur de haut vol.

On observe que le cerveau de Belisarius a été considérablement modifié, et est donc radicalement différent de celui des autres humains, comme le montre la narration de son point de vue, marquée par les descriptions de ses schémas de pensée, sa vitesse de réflexion et les calculs auxquels il se livre constamment. Il se trouve également capable de percevoir et de calculer de la géométrie extrêmement complexe, par exemple. L’auteur décrit aussi des scènes absolument vertigineuses lors desquelles Belisarius devient son propre outil de hacking, doté de capacités absolument immenses destinées à forcer des sécurités.

Belisarius est également capable d’entrer en fugue quantique, c’est-à-dire qu’il peut momentanément réduire à néant sa subjectivité et sa conscience pour observer le monde quantique de manière purement objective. En effet, la subjectivité étant ce qui rend le monde quantique inobservable, la fugue des homo quantus les transforme en intelligence quantique objective. Le passage en fugue modifie ainsi complètement la narration du roman, puisque celle-ci ne prend alors plus en compte les sentiments ou le ressenti subjectif du personnage, et se focalise sur l’objectivité de ses perceptions.

Au-delà de ses capacités d’homo quantus, Belisarius s’avère être un personnage extrêmement retors, aux plans complètement inattendus et imbriqués les uns dans les autres, ce qui fait qu’il ment constamment, et à (presque) tous ses partenaires afin de fragmenter l’information pour que personne (ou presque) ne connaisse ses véritables objectifs. Il s’avère donc être un manipulateur extrêmement habile, qui joue avec les émotions, les attentes, et les procès d’intention que les autres personnages, alliés ou ennemis, lui font.

Les talents d’arnaqueur du personnage sont ainsi rattachés à son statut d’homo quantus, mais également à sa fascination pour les comportements humains, qu’il peut observer et anticiper à loisir pendant ses arnaques. On observe aussi que Belisarius essaie de prendre ses distances par rapport à son statut d’homo quantus, et de la manière dont il est programmé génétiquement. Les homo quantus sont en effet configurés pour aimer entrer en fugue et rechercher des connaissances théoriques abstraites. Belisarius, que le fugue peut mortellement blesser, ce qui fait de lui un homo quantus partiellement raté, se confronte et survit alors dans le monde extérieur pour se libérer de l’aliénation génétique qu’il subit, mais aussi pour observer la multitude des comportements humains lors de ses arnaques.

Le récit nous donne également les points de vue des compagnons de Belisarius à savoir Cassandra, Marie, Del Casal, Gates-15, Stills et William. Ces chapitres nous montrent le vocabulaire des personnages et leur manière de penser, parfois très fleurie, à l’image de Stills (j’y reviendrai). Ces chapitres permettent au lecteur de comprendre quel est le rôle que doivent jouer chacun d’entre eux dans l’arnaque de Belisarius, mais également les informations que l’homo quantus a consenti à leur donner, et celles qu’il leur manque, dans ses plans de grande envergure pour une escroquerie de toute aussi grande envergure. L’ironie dramatique et l’effet de surprise jouent ainsi beaucoup dans le roman de Derek Künsken et dans les plans de son personnage.

En effet, Le Magicien quantique mêle hard-SF et organisation de casse. En effet, Belisarius est contacté par l’Union subsaharienne, une faction politique, pour mettre en place une opération qui consiste à déplacer des vaisseaux dotés d’une technologie très avancée, dans un trou de ver pour que l’Union puisse se libérer de l’emprise de la Congrégation vénusienne, qui les dominent. Ces vaisseaux utilisent en effet la technologie des inflatons (les particules de l’expansion de l’univers, re oui oui), mais se trouvent dans une zone déserte de l’espace. Ils doivent donc être ramenés dans l’espace connu pour permettre à l’Union d’affirmer son indépendance face aux vénusiens, mais pour cela Belisarius Arjona doit trouver un moyen de faire traverser l’Axe Fantoche, c’est-à-dire leur trou de ver, aux vaisseaux, alors que ce dernier est extrêmement bien défendu.

Belisarius doit donc alors monter une équipe de choc pour mener son (ses) plan(s) à bien. Cette équipe comprend des posthumains ou des humains standards extrêmement singularisés par l’auteur, avec Cassandra Mejia, une homo quantus complètement accomplie, William Gander, un vieil ami de Bellisarius expert en escroqueries chargé d’exécuter une dangereuse diversion, Gates-15, un Fantoche incapable de reconnaître le divin parce que ses gènes sont supposément mal configurés, Saint Matthieu, une IA surpuissante qui se prend pour l’apôtre évangéliste Saint Matthieu (oui oui) et qui cherche à créer des machines dotées d’une âme pour les convertir à la religion catholique (double oui oui), Antonio Del Casal, un généticien fasciné par l’évolution humaine, Marie, une soldate renégate fanatique des explosifs et capable de créer des bombes pour le moins originales, et enfin, Vincent Stills, un homo eridanus au langage incroyablement fleuri. L’équipe réunie par Belisarius est donc pleine de personnages fantasques et hautement singuliers !

On suit également un Épouvantail, qui cherche à percer à jour les plans de Bellisarius, afin de l’arrêter. Un duel d’intelligences se joue alors entre Bellisarius et l’Épouvantail, mais aussi au sein de l’équipe de l’homo quantus, où on trouve des jeux de dupes, à la fois politiques, entre l’union, la congrégation et les fantoches, mais aussi à l’intérieur même de l’arnaque, puisque Belisarius imbrique certains plans dans ses plans, voire une arnaque dans son arnaque. Le Magicien quantique est alors un roman doté de beaucoup de jeux d’esprit entre les personnages qu’il oppose, mais également de beaucoup de scènes d’actions pyrotechniques, notamment lorsque l’arnaque se met réellement en place !

Derek Künsken rajoute également de l’humour dans son récit, parce que Belisarius dispose de beaucoup de ressources physiques et surtout intellectuelles, dont ses bons mots extrêmement bien sentis. La Voie du Bâtard, sorte de livre saint des homo eridanus, est également une source de comique avec ses maximes fleuries et bien senties telles que « si tu n’es pas en train de baiser, t’es celui qui se fait baiser », ainsi que dans les interactions entre les personnages, qui s’échangent des répliques et des vannes, même lors de scènes d’actions nerveuses. Belisarius doit alors composer avec les caractères excentriques et bien trempés de ses complices, mais aussi dans leur entente et leur coordination, qui ne s’avère pas toujours simple.

 

Le mot de la fin

 

Le Magicien quantique dépeint un futur extrêmement technologique, dans lequel l’Humanité a évolué dans diverses directions grâce à l’ingénierie génétique. Derek Künsken décrit des posthumanités différentes, mais aliénées par leurs génétiques respectives, qui les enferment dans des environnements, qu’ils soient physiques ou mentaux.

Belisarius Arjona appartient à l’une de ces posthumanités. Il est en effet un homo quantus, programmé génétiquement pour disposer de facultés intellectuelles ahurissantes et observer les phénomènes quantiques en devenant une véritable intelligence objective débarrassée de ses perceptions subjectives. Toutefois, pour se libérer de sa condition, Belisarius a fui la Mansarde, où se trouvent les homo quantus, pour se confronter au monde extérieur, au sein duquel il se passionne pour les arnaques, le défi intellectuel qu’elles représentent et les comportements humains qu’elles déchaînent.

Son plus grand défi est de faire traverser un trou de ver extrêmement bien gardé à des vaisseaux de l’Union subsaharienne, qui souhaite se libérer de l’emprise de la Congrégation vénusienne. Il doit alors réunir une équipe de choc, composée de personnages hauts en couleur et gouailleurs, pour monter un véritable casse interstellaire, aux implications politiques et qui est une source d’affrontements tant intellectuels que physiques !

J’ai beaucoup apprécié Le Magicien quantique, et je ne peux que vous le recommander !

Vous pouvez également consulter les chroniques de FeydRautha, Apophis, Célindanaé, Le Chien critique, Yogo, Tachan, Lianne, Anudar, Gromovar, Blackwolf, Dionysos

25 commentaires sur “Le Magicien quantique, de Derek Künsken

  1. (merci pour le lien)

    Très bonne critique (comme d’habitude) ! Oui, pour moi une partie de l’intérêt considérable de ce roman vient de l’association d’une Hard SF qui tient la route avec un côté franchement accessible qu’on ne retrouve d’habitude pas vraiment (ou alors seulement chez Peter Watts) à ce genre de hauteurs. Cela en fait un livre assez unique, de mon point de vue. J’espère que la suite sera traduite. Elle est relativement différente (notamment en terme d’ambiance), mais toujours intéressante.

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    1. Merci pour le compliment, ça fait super plaisir 🙂 !
      Effectivement ouaip, j’ai trouvé ça plus accessible que Watts ou Egan en tout cas. J’ai lu ta chronique du tome suivant, ça a l’air d’être hyper intéressant (le côté voyage dans le temps et espèces extraterrestres résolument autres piquent beaucoup ma curiosité), donc j’espère que ce sera traduit 🙂 .

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