La Piste des cendres, d’Emmanuel Chastellière

Salutations, lecteur. J’ai déjà eu l’occasion de te parler d’Emmanuel Chastellière, lorsque j’ai chroniqué Célestopol et L’Empire du Léopard. C’est d’ailleurs dans l’univers de L’Empire du Léopard que nous allons retourner aujourd’hui, avec le dernier roman de l’auteur, à savoir

La Piste des cendres

Impression

Introduction

Avant de commencer, j’aimerais préciser que cette chronique émane d’un service de presse de l’auteur lui-même. Je remercie donc chaleureusement Emmanuel Chastellière pour l’envoi du roman !

Emmanuel Chastellière est un auteur français né en 1981. Il est aussi l’un des fondateurs et rédacteurs du site Elbakin, consacré à la Fantasy, et traducteur de romans. On lui doit par exemple les versions françaises de La Chute de la maison aux flèches d’argent d’Aliette de Bodard, Les Milles noms de Django Wexler, ou encore des Jardins de la lune de Steven Erikson.

En tant qu’auteur, Emmanuel Chastellière a pour l’instant publié trois romans, Le Village, publié en 2016 aux Éditions de l’Instant, L’Empire du léopard, aux éditions Critic en 2018, et Poussière fantôme chez Scrinéo la même année. Il a également publié un recueil de nouvelles steampunk, Célestopol, paru à l’origine aux Éditions de l’Instant et repris en poche chez Libretto.

Son dernier roman, La Piste des cendres, est paru en Février 2020 aux éditions Critic. Je précise d’ailleurs que s’il se déroule dans l’univers de L’Empire du Léopard, il peut tout à fait être lu indépendamment de ce dernier.

En voici la quatrième de couverture :

« « Telle était la seule chose en laquelle il pouvait avoir encore confiance : le chant du métal et de la poudre. »

1896, Nouveau-Coronado.

Fils illégitime d’un influent propriétaire terrien, Azel fuit son destin, ballotté entre des origines indigènes qu’il renie et une famille qui ne l’accepte pas. Il a préféré rejoindre les montagnes, où il se contente de jouer les chasseurs de primes.

Pourtant, loin des hauts plateaux, la menace d’une guerre se profile dans la péninsule : le Nord, véritable grenier à blé, estime être exploité par le Sud, plus industriel, qui dispose d’un accès à l’océan grâce au port de Carthagène.

Lorsque Azel accepte à contrecœur d’accompagner un convoi d’indigènes décidés à quitter leurs anciennes terres pour le Grand Exil, le jeune homme est loin d’imaginer

qu’il va lui-même se retrouver entraîné dans cette guerre civile… et tout ce qu’elle risque fort de réveiller. »

Mon analyse du roman traitera de l’univers, de l’inspiration historique et de la question générique du roman, puis de la narration et des personnages.

L’Analyse

Univers, question générique et inspiration historique

Le roman d’Emmanuel Chastellière se déroule au Nouveau Coronado, 25 ans après la fin des événements relatés dans L’Empire du Léopard (je le redis, il n’est toutefois pas nécessaire de le lire pour saisir l’intrigue de La Piste des cendres). La colonisation de la péninsule de la Lune d’Or a donc été effectuée par les ressortissants du Coronado, mais plusieurs problèmes d’ordre politique se présentent au sein de la colonie.

En effet, on observe des dissensions entre le Nord rural, où vivent de grands propriétaires terriens rivaux, et le Sud industriel, dont les tenants cherchent à exploiter le pétrole du Nord pour le compte de leurs compagnies. Le Nord cherche alors à déclarer son indépendance vis-à-vis du Coronado, quitte à s’allier avec des puissances étrangères, ou avec les indigènes opprimés, tandis que le Sud souhaite maintenir à tout prix une cohésion avec la couronne. Les indigènes de la péninsule de la Lune d’Or, opprimés et réduits en esclavage par les colons, se rebellent également sous la bannière sous la bannière d’un mystérieux personnage, le « Loup Gris », qui cherche à leur apporter la paix. L’auteur semble donc d’inspirer  de la guerre de Sécession et de la guerre d’Indépendance américaines, avec un conflit opposant une faction qui veut obtenir une indépendance vis-à-vis d’un pays, et une autre qui souhaite rester dans le giron d’une puissance coloniale.

Le roman d’Emmanuel Chastellière traite donc non pas de la colonisation, déjà effectuée et affirmée dans L’Empire du Léopard, qui voit chuter la puissance principale de la péninsule qui donnait son titre au roman, mais des conséquences de celles-ci.  Cette chute définitive de l’Empire du Léopard est symbolisée par le fait que ses principales cités, Xemballa et Surkutir, soient en ruines à la suite d’affrontements ou facilement conquises par les colons.

Les rapports entre le Coronado et le Nouveau Coronado sont également interrogés par la lutte entre les habitants de la colonie et l’autorité de la reine du Coronado, Constance. Emmanuel Chastellière traite aussi des rapports entre les colons et les indigènes, puisque les premiers dominent les seconds, quand bien même ils se trouvent être des étrangers sur des terres qui ne leur appartiennent pas et traitent le peuple qu’ils ont conquis en esclaves, avec un racisme et un mépris systématisés. Ensuite, Emmanuel Chastellière met en scène un personnage de métis, avec Azel, descendant à la fois des indigènes et des colons nobles du Coronado. Il se trouve donc à la fois des deux et d’aucun côté (j’y reviendrai) ce qui témoigne des problématiques liées au statut de métis, qui font partie des deux mondes tout en étant isolés de leurs deux cultures d’origine. Il peut donc rejoindre la catégorie des métis tragiques de l’imaginaire, en compagnie du Chirurgien de L’Incivilité des fantômes de Solomon Rivers ou Horn de Mermere de Hugo Verlomme.

En termes de question générique, La Piste des cendres appartient à la Fantasy à poudre et à la Fantasy coloniale, avec une ambiance qui emprunte au Western dans la piste narrative d’Azel. Emmanuel Chastellière décrit ainsi des affrontements à l’arme à feu (revolver, fusil, artillerie…) et un personnage de chasseur de primes qui peut évoquer ceux du Far West.

Le surnaturel magique est finalement assez peu présent, mais comme dans L’Empire du Léopard, il sert des scènes horrifiques, à travers des rituels alchimiques sanglants qui peuvent encore une fois rappeler l’imagerie du manga Berserk. On peut supposer que cette relative absence du surnaturel dans le récit permet à l’auteur de montrer que les croyances en la magie, qu’elles soient issues du folklore indigène ou de la religion colonisatrice de la « Croix Blanche », s’estompent face aux avancées scientifiques.

En effet, la technologie, elle, devient plus avancée, puisque les trains sont plus implantés sur le territoire tenu par les colons, les lignes télégraphiques ont été inventées et permettent au Nouveau-Coronado de communiquer avec la couronne à laquelle il est rattaché, et améliorent également les communications au sein du territoire. Ces développements technologiques permettent de mesurer le décalage temporel entre l’époque de L’Empire du Léopard et La Piste des cendres.

Narration et jeu avec la prédestination

Alors que les 25 ans de la fin de l’Empire du Léopard approchent, les tensions sont de plus en plus fortes au sein de la péninsule de la Lune d’Or, entre le Nord rural, le Sud industriel, et les indigènes qui cherchent à reconquérir une place qui leur a été spoliée et qui continue de leur être refusée.

Dans ce contexte de tensions croissantes et de conflit ouvert prêt à éclater, le vice-roi du Coronado, chargé de gouverner la péninsule, est assassiné dans des circonstances mystérieuses. Artemis Cortellan, l’un des personnages clés de L’Empire du Léopard¸ ancien capitaine d’une compagnie de mercenaires et cousin de la reine Constance, est alors rappelé de sa retraite forcée (et surveillée) pour reprendre les rênes de la colonie et rappeler à l’ordre les indépendantistes et les rebelles indigènes pour les ramener sous l’autorité de la couronne du Coronado. Cependant, Cortellan n’entend pas suivre à la lettre les consignes de la royauté et mobilise ses capacités d’intrigant et de manipulateur pour tirer son épingle du jeu et obtenir le pouvoir.

Parallèlement à la trame d’Artemis Cortellan, le lecteur sui  Azel, métis de père du Coronado et de mère indigène du défunt Empire du Léopard, qui se trouve rejeté à la fois par les indigènes, qui le considèrent comme un traître à son sang parce qu’il ignore sa culture et qu’il fait partie d’un système qui les opprime, et par les ressortissants du Coronado, qui font preuve de racisme à son égard parce que sa couleur de peau fait qu’il ne peut pas pleinement s’intégrer parmi eux. Cela fait qu’il est perçu comme un étranger par ses deux cultures d’origine, ce qui constitue un paradoxe assez vibrant lorsque l’on connaît l’extraction doublement noble du personnage, parce qu’il est d’ascendance aristocratique par son père, et le statut de sa mère est également incroyablement important (je ne peux malheureusement pas vous en dire plus). De par son statut, mais aussi parce qu’il est présenté comme une sorte d’Elu (par divers événements de son enfance et diverses révélations que je ne révèlerai pas non plus), Azel apparaît comme un personnage promis à un destin d’exception.

Cependant, par ces mêmes révélations, Emmanuel Chastellière joue avec le statut de héros de son personnage, qui ne cherche lui-même pas à en être un. Azel se trouve alors rattrapé par la portée symbolique de ses actions, puisque même s’il ne se perçoit pas comme un héros, il peut être perçu comme tel par la population, mais aussi par ses ennemis, qui voient en lui une figure rebelle à abattre, ou dont l’autorité et la portée symbolique doivent être abattues.

A l’inverse d’Azel, placé dans une position de héros dont il ne veut pas, Artemis Cortellan, en revenant de sa retraite forcée, se confronte à un monde qui a profondément changé, et qui ne recherche plus de figure héroïque à laquelle se raccrocher (ou plutôt, à un monde qui ne recherche plus sa figure héroïque). Il se trouve alors déchu de la position qu’il occupait lorsqu’il était à la tête de sa compagnie de mercenaire, et dépassé par le monde dans lequel il évolue, à cause de son âge, mais aussi à cause de son mode d’action.

Cependant, Cortellan va tout de même tenter d’écrire sa propre légende à l’aune de ses actes, mais surtout de ses manœuvres politiques pour apparaître comme un sauveur et un héros digne des récits légendaires, à la différence qu’il est prêt à tout pour entrer dans l’Histoire, même aux coups bas les plus retors. Encore plus que dans L’Empire du Léopard, Artemis Cortellan apparaît alors comme un personnage cynique, arriviste, mais aussi profondément désireux de s’illustrer, de manière honnête lorsque c’est possible, ce qu’on observe lors de certaines assez tragiques, qui marquent son désir d’honnêteté dans l’écriture de sa légende. Ainsi, là où Azel apparaît balloté par un prétendu destin qui finira par l’accabler de manière de plus en plus tragique, Artemis Cortellan cherche constamment à forcer et manipuler le destin pour s’inscrire dans une Histoire qu’il veut façonner. Ses manipulations reflètent ainsi ses ambitions, ainsi que sa capacité à se mettre en scène pour paraître héroïque. Elles se heurtent toutefois à la couronne du Coronado, incarnée par la reine Constance et ses méthodes à la fois théâtrales et expéditives pour ramener l’ordre dans sa colonie. Il reste cependant un personnage très intéressant et retors, à l’image d’un certain Belisarius Arjona.

Emmanuel Chastellière semble donc jouer avec le topos du héros prédestiné, le destin et les personnages Elus, avec Azel et Artemis Cortellan, qui se trouvent respectivement manipulés et pourtant constructeurs de leur image et de leur parcours, et se heurtent toutefois extrêmement violemment au pouvoir qu’ils tentent de contester ou de s’approprier. A ce titre, leur opposition à la reine Constance est porteuse de leur rapport au pouvoir et à leur conception d’eux-mêmes.

La narration de La Piste des cendres confronte donc des personnages contestataires ou ambitieux à l’autorité, mais aussi à un monde en pleine mutation. En effet, on observe que la presse possède un impact sur le déroulement du conflit, à travers de la propagande journalistique, mais aussi de l’investigation et des reportages de terrain réalisés par Calider, un journaliste pris dans la tourmente des événements qui secouent le Nouveau Coronado.

La diégèse du roman d’Emmanuel Chastellière comporte également une subtilité (que je ne vous dévoilerai évidemment pas), mais qui se trouve mise en lumière par le personnage de Zuhaitza, une indigène exploitée par les colons, et qui croise la route d’Azel et d’Artemis au cours du conflit. Sans rentrer dans les détails, Zuhaitza semble prendre le contrepied des deux personnages, puisque si elle apparaît aliénée par sa condition, elle parvient à s’en libérer.

Le mot de la fin

La Piste des cendres se situe dans le même univers que L’Empire du Léopard, que j’avais beaucoup apprécié.

Emmanuel Chastellière situe son récit 25 ans après la fin de ce précédent roman. Il traite à la fois des conséquences de la colonisation de la péninsule de la Lune d’Or par le Coronado, et des oppressions subies par les indigènes, mais également des velléités d’indépendance de certains colons vis-à-vis de la couronne du Coronado. A travers les destins croisés d’Azel, métis issu de la noblesse du Coronado et de l’Empire de Léopard, et d’Artemis Cortellan, ancien vice-roi de la péninsule rappelé de sa retraite forcée pour ramener l’ordre au sein de la colonie.

Avec ces deux personnages, l’auteur joue avec les figures de héros, Azel parce qu’il apparaît comme un héros malgré lui poursuivi par le symbole dont il est porteur, et Artemis parce qu’il cherche à se construire comme une légende par tous les moyens possibles, même les plus retors.

Je vous recommande vivement ce roman !

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