Interview du Bombyx Mori Collectif

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de te proposer une interview du Bombyx Mori Collectif, un groupe d’auteurs qui a récemment publié La Trame aux éditions La Volte.

Je vous rappelle que vous pouvez consulter toutes les autres interviews dans le menu du blog ou grâce au tag dédié.

Avant de laisser parole aux auteurs du Bombyx Mori Collectif, je tiens à vous préciser que ses membres se signalent chacun par un code typographique différent, celles de Mathieu apparaissant sans code, celles de Jean-Marc entre crochets [], celles de Joachim entre crochets recourbés {}, et celles de Corentin en vert !

Je les remercie chaleureusement pour leurs réponses détaillées !

Interview du Bombyx Mori Collectif


Marc : Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?

Bombyx Mori Collectif : On est un collectif de jeunes Angevins de la région de Lyon (Corentin, Jean-Marc, Joachim et Mathieu). On s’est rencontrés en première année de prépa littéraire il y a 15 ans et on écrit à 8 mains (et presque autant de pieds) depuis plus de 7 ans.


Marc : Avez-vous toujours voulu devenir auteurs ? Qu’est-ce qui vous a amenés à l’écriture, et aux genres de l’imaginaire en particulier ?

Bombyx Mori Collectif : La réponde va varier en fonction la personne du collectif qui va répondre je pense. Disons que ce qui nous lie tous, c’est d’avoir baigné dès notre plus jeune âge dans la littérature (et plus largement les mondes) de l’imaginaire. On est tous fans de Bds, de mangas [pas moi], de films, de bouquins, de jeux-vidéo, et de manière générale on pourrait nous qualifier de gros geeks (envoyer les rires du public pré-enregistrés {pas moi}). On a aussi pas mal pratiqué le jeu de rôle tous les quatre, ce qui a toujours abreuvé notre volonté de créer de l’imaginaire de manière générale.


Marc : La Trame, votre première novella publiée, est parue cette année aux éditions La Volte. Comment vous est venue l’idée de ce récit ?

Bombyx Mori Collectif : On a commencé à écrire des nouvelles et des récits courts qui sont venus peupler notre monde de Léria, lui donner une infrastructure, des règles, des villes, une (dés)organisation etc. Il y a quatre ans, Jean-Marc et Corentin avaient écrit des novellas qu’on trouvait un peu plus abouties, donc on a tenté notre chance auprès de la Volte qui nous a répondu qu’ils trouvaient notre style et notre monde intéressants, mais [trop courts pour être publiés en l’état]. Ils nous ont dit qu’ils préparaient une collection de novellas « Eutopia », sur des utopies donc. A ce moment, on s’est un peu passé commande tout seuls (regard vers la caméra). On s’est demandés comment écrire une utopie dans un monde comme Léria, aussi hostile, mouvant, avec des communautés recroquevillées sur elles-mêmes [dans des grandes Cités-États fortifiées]. Nos lectures du moment, nos envies de longue date, tout ça s’est un peu mélangé pour donner La Trame.


Marc : Comment s’est déroulé le processus d’écriture ? Puisque vous écrivez à huit mains, comment vous organisez-vous ? Comment s’est déroulé le processus éditorial ?

Bombyx Mori Collectif : [Ça se déroule de plein de manières différentes, on a inventé notre méthode au fur et à mesure qu’on bâtissait ce monde fictionnel. En général, on alterne des phases d’écriture solitaires et des moments de relecture et d’approfondissement collectifs, souvent par visio ou discord et, quand on en a la chance et l’occasion, en nous retrouvant physiquement tous les quatre.  Pour La Trame, on pouvait déjà s’appuyer sur les fondations de l’univers qu’on avait créé ensemble. A partir de ça, on a commencé par écrire et s’envoyer des premiers textes sur un peuple nomade qui se déplacerait dans les zones fauves de Léria et vivrait des marées vertes. Un peu comme des coups de sonde, à partir desquels on lance la discussion, en décidant de garder ou non tel personnage, telle idée. Et puis, après cela, on s’est retrouvés quelques jours dans un monastère où, entre un repas en silence avec les moines, et quelques verres d’absinthe le soir, on a solidifié la trajectoire narrative du texte et des personnages et relu ligne à ligne nos premières productions.  Enfin, dernière étape, qui s’est faite plutôt à deux qu’à quatre : on a écrit et complété les passages manquants, agencé l’ensemble et relu des dizaines et des dizaines de fois le texte pour arriver à quelque chose de satisfaisant].


Marc : La Trame s’inscrit dans un univers plus vaste, que vous partagez tous, celui de Léria. Quel est le concept de base de cet univers ? Depuis combien de temps le développez-vous ? Est-ce que vous comptez publier d’autres récits qui mettent Leria en scène ?

Léria, c’est un continent battu par des marées vertes, des marées végétales qui renversent le paysage, font fleurir ou pourrir les plantes, croitre de manière démesurée certaines racines, expulser des spores toxiques et se multiplier les champignons. Ce sont de grandes poussées violentes [mais aussi très fertiles] qui rendent le monde instable. La plupart des humains se réfugient dans des cités-états qui se protègent des marées comme elles peuvent.

Comme nous le disions précédemment, on a commencé à écrire ensemble et à développer cet univers il y a sept ans environ, au détour d’une bouteille de whisky et d’une envie de ne pas trop se perdre de vue. L’idée serait effectivement de continuer à écrire ensemble et de parcourir ce continent à quatre, si on nous laisse faire. [Un recueil de nouvelles qui traverse différentes contrées et époques de Léria est sur le feu !]

 {Léria c’est aussi un monde où les repères habituels des lecteurs sont perturbés. Où ce qui est bon ou mauvais n’est pas facilement identifiable, ce qui nous permet d’explorer des constructions politiques et sociales originales. C’est une sorte de laboratoire idéologique où l’on va expérimenter, se tester ; pas forcément pour partager le fruit de nos expériences mais parce qu’on en a besoin tous les quatre.}


Marc : La Trame met en scène le peuple éponyme, qui traverse le continent en affrontant les « marées végétales », des tempêtes qui provoquent un phénomène de mutations dans l’environnement et les créatures vivantes, appelé « rétrovégétation ». Pourquoi mettre en scène un peuple nomade ?

Bombyx Mori Collectif : Quand s’est posée à nous la question de faire une utopie dans Léria, dans un monde si dangereux, et paradoxalement si reclus sur lui-même, on s’est demandé comment arriver à dégager un peu de vitalité et d’aventure dans notre récit. Généralement, les récits utopiques tiennent plus du tableau, du compte rendu d’un pays de cocagne. C’est relativement statique : on voulait pouvoir bouger, se mouvoir dans cette utopie. Et puis comme nous le disions, nos lectures du moment ont pas mal inspiré cette utopie nomade. Jean-Marc par exemple [merci] lisait un livre sur les modèles politiques et sociaux de la piraterie à ce moment, qui ne sont jamais que des anarchistes nomades en quelque sorte.


Marc : Les marées végétales et la rétrovégétation sont extrêmement dangereuses et fascinantes à la fois, puisque les trameurs peuvent y découvrir des ressources précieuses, mais aussi y mourir dans des circonstances atroces, avec des descriptions qui relèvent du Body Horror. Pourquoi avoir créé un tel phénomène ? Est-ce que vous vouliez que vos marées soient ambivalentes ?

Bombyx Mori Collectif : Oui, c’était une idée qui nous tenait à cœur : écrire un peuple qui fait sien la catastrophe, qui surfe sur des vagues aussi dangereuses que bourgeonnantes. Il s’agissait de ne pas faire de la nature un personnage anthropisé, gentil ou méchant, mais simplement ce qu’elle est, une force avec ses propres règles, sa beauté et ses horreurs. Pour ce qui est du body horror, je ne suis pas sûr que ce soit quelque chose qu’on ait particulièrement recherché

même si on se dit souvent qu’on aimerait écrire des récits qui se rapproche un peu plus de l’horreur et de Lovecraft. [Il fallait en tout cas que notre lecteur.rice ressente, par le langage, la violence et la richesse de ces marées]


Marc : Le lexique de La Trame est particulièrement recherché, avec des hybridations entre l’animal et le végétal, avec des créatures telles que « des éperviers théliflores, des sangliers herbolés, des antilhops rétrosénapantes ». Pourquoi décrire une hybridation entre ces deux formes de vie ? Comment avez-vous façonné le lexique de Léria ?

Bombyx Mori Collectif : {L’hybridation entre les règnes c’est déjà quelque chose qui existe dans le monde vivant : dans le lichen, les mycorhizes, les nodosités des Fabacées… De manière générale, toutes les formes d’interactions sont intéressantes mais certaines sont particulièrement fécondes en littérature de l’imaginaire (le parasitisme et la symbiose notamment). Dans Léria, on retrouve ces interactions, mais la violence des marées catalyse, amplifie et accélère des processus qui d’ordinaire se déroulent lentement. Voilà comment on finit par obtenir une antilhop rétrosénapante.

Pour le lexique, on l’a créé lentement, sans forcer, chacun apportant un terme scientifique qui était gardé ou non en fonction de sa dimension poétique et de sa capacité à s’auto-expliquer.}


Marc : Les trameurs sont donc des nomades. Ils considèrent leur mode de vie comme une utopie, ce que souligne la publication de votre récit dans la collection Eutopia de la Volte. Est-ce que vous considérez que c’est le cas ? Pour vous, que peut apporter une utopie nomade, par opposition au mode de vie « sédenterne » ?

Bombyx Mori Collectif : [Ça a été pour nous une façon de dynamiser le genre utopique, qui est souvent associé à l’immuabilité et la clôture, résumées dans l’image de l’île qui sert de décor à beaucoup d’utopies. Contre l’île, on vouloir promouvoir un mouvement utopique : c’était à la fois plus prometteur narrativement, en apportant de l’épique dans un genre peu romanesque, mais aussi philosophiquement et politiquement : le nomadisme est la condition et le symbole de la vitalité de ce peuple, de son intensité existentielle mais aussi de son inventivité politique, qui ne s’ossifie jamais dans un corpus de lois immuables et sclérosantes. Et puis, je crois que c’était aussi une façon de mettre en fiction, presque d’allégoriser un très beau concept qui vient de Roland Barthes et qui s’appelle l’idiorrythmie, c’est-à-dire le fait d’imaginer une société qui permette à chacun.e d’avoir un rythme à soi. C’est le fond de l’utopie de Roland Barthes et peut-être de La Trame, à travers la question du Pas que chaque Trameur.euse invente. À rebours de notre société qui repose sur un ensemble de forçages rythmiques, dans le travail exemplairement, mais aussi dans la sphère familiale ou le numérique.]


Marc : Vos personnages déclarent d’ailleurs « notre utopie est une catastrophe ». Pourquoi avoir choisi cette formule ?

Bombyx Mori Collectif : [Pour plusieurs raisons, mais je crois que la principale était l’envie d’une forme d’autodérision dans l’utopie, une capacité de ses membres à la mettre à distance, s’en moquer, à ne pas en faire un modèle universel : c’est en effet une utopie assez exigeante, parfois dure et les trameurs et les trameuses le savent bien. C’est étonnant à quel point beaucoup d’utopies s’écrivent sans la moindre once d’humour, ce qui n’est quand même pas très rassurant…]

Marc : La Trame s’appuie sur deux personnages point de vue, Lige, un jeune homme qui se trouve à l’avant de la Trame et cherche à chasser dans les marées, et Chiffe, une jeune femme qui effectue son apprentissage à l’arrière. Pourquoi raconter la trame à travers ces deux personnages ?

La question des personnages a été un des enjeux importants de l’écriture effectivement : on voulait faire un récit choral, qui puisse permettre aux lecteur.ices de traverser la Trame. Je crois que c’est Lige qui est venu en premier, avec son binôme Angénor, ce vieux trameur, ancienne gloire, qui perd progressivement la vue. L’idée de ce personnage était de donner une sorte de trajectoire croisée, d’une dynamique ascendante (avec toute ce qu’elle peut parfois avoir de grotesque) et d’une autre sur le déclin [et une façon pour nous de tester l’utopie : que fait-elle de ce genre de personnage déclinant, atteint d’un handicap ?]. Chiffe est, elle, arrivée pour répondre à un questionnement un peu plus prosaïque : on avait besoin d’un personnage qui découvrirait la Trame, et par là même ferait découvrir la Trame aux lecteur.ices. C’est un peu notre personnage de roman de formation. Ces deux personnages pourraient être qualifiés de principaux, mais la vérité, c’est qu’on a pensé le récit comme une toile tissée entre une dizaine de personnages, qui se croisent, se rejoignent, se quittent, s’aiment et s’engueulent au rythme de leur Pas. Chacun donne donc une porte d’entrée dans ce joli foutoir anarchiste qu’est la Trame [ça fait deux fois « anarchiste », Mathieu, ça va se voir].

Marc : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs ?

Bombyx Mori Collectif : On n’est malheureusement {ou heureusement} déjà plus si jeunes. A titre personnel (Mathieu), j’aurais tendance à dire que s’entourer est d’une importance vitale. Jean-Marc faisait une remarque que j’avais trouvée très juste [Merci] : beaucoup d’auteur.ices pensent l’écriture comme une discipline aristocratique, solitaire et retranchée, comme si elle venait de manière élective. En réalité, écrire à plusieurs, ou ne serait-ce qu’être entouré d’ami.es qui partagent (au moins en partie) nos représentations et notre imaginaire, qui nous accompagnent dans l’écriture, c’est d’une importance vitale. Cela permet d’avancer, d’être relu, d’être critiqué, d’être porté et supporté.

[Conseils n°1, 2 et 3 : lire et lire et lire]


Marc : Cette interview touche à sa fin. Y aurait-il un dernier élément que vous souhaiteriez aborder ?

Bombyx Mori Collectif : Slay the Spire est en réalité un jeu en multi-local, il faut faire des runs à deux et toujours prendre le choix le plus con.

[Contrairement à ce qu’on a pu entendre ici ou là, le meilleur film de l’année 2023 est en réalité Les Banshees of Inisherin. C’est tout.]

{Contrairement à ce qu’on a pu lire dans cette interview, le meilleur film de l’année 2023 est Yannick de Quentin Dupieux. }

[{Quand le printemps arrive, on préfère la bouteille au Tesson. }]

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