Le Serpent Ouroboros, de E. R. Eddison

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, nous allons voyager aux origines de la Fantasy moderne, 30 ans avant Tolkien et son Seigneur des Anneaux. Aujourd’hui, dans Exhumation, je te fais découvrir un chef d’œuvre qui, par certains aspects, tient plus de l’épopée antique que du roman moderne.

Le Serpent Ouroboros, volume 1, de E. R. Eddison

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Introduction

 

Eric Rücker Eddison est un auteur anglais né en 1882 et mort en 1945. Il est à l’origine du Serpent Ouroboros (1922) et de La Trilogie de Zimmavie (1935-1956, le dernier tome a été publié de façon posthume), qui sont des œuvres fondatrices du genre de la Fantasy et qui ont inspiré beaucoup d’auteurs des générations postérieures, incluant… J. R. R. Tolkien. Vous savez, l’auteur du Seigneur des Anneaux ?

Et si Tolkien a eu la chance d’atteindre la France presque immédiatement après la sortie de ses romans, nous, public français, avons attendu 95 ans, et donc 72 ans après la mort de l’auteur (mais attention, ce n’est pas ici un reproche que je fais aux uns ou au autres, c’est simplement un constat attristé) pour découvrir une traduction du Serpent Ouroboros d’Eddison, publiée en décembre 2017 aux éditions Callidor, dans une collection nommée « L’Age d’Or de la Fantasy », qui a pour but de faire connaître les auteurs oubliés de l’ère « pré-Tolkien », avec des éditions illustrées et parfois préfacées par des spécialistes, ce qui donne de très beaux livres dotés d’un contenu assez savant. Personnellement, je ne peux que saluer cette initiative !

Le premier tome du Serpent Ouroboros est préfacé par le traducteur Patrick Marcel, qui a également traduit des auteurs comme George R. R. Martin (l’auteur du Trône de fer), Robert Holdstock (La Forêt des Mythagos), ou encore Karl Edward Wagner (le cycle de Kane). Il est illustré par Emily C. Martin.

Sans plus attendre, voici la quatrième de couverture du roman :

« Sur la lointaine Mercure, les trompettes de la guerre viennent de retentir, les tambours de chanter le fracas des armes et les épées de se parer de leur manteau de pourpre. L’honneur des Démons a été foulé aux pieds par le roi de Sorcerie, et pour laver l’affront, le seigneur Juss et ses alliés s’apprêtent à livrer un combat épique. Leur périple les conduira à travers forêts et déserts, mers et marais, au coeur des fabuleuses contrées de la terre du milieu, depuis leur majestueuse Démonie aux mille montagnes jusqu’aux plus hautes cimes enneigées de la terre. »

Le lecteur suivra donc Juss et ses compagnons dans leur périple à travers leur monde. Je ne peux vraiment vous en dire plus sans vous dévoiler quoi que ce soit d’important.

Mon analyse va donc porter sur le fait que ce roman, qui date pourtant de 1922, n’a pas tant vieilli et reste très accessible, et ce pour plusieurs raisons que je vais vous détailler, tout en vous présentant certaines caractéristiques du Serpent Ouroboros. Je ne vais donc pas beaucoup parler du récit en lui-même afin d’éviter les spoils et de garder intact votre plaisir de lecture.

L’Analyse

 

Aux origines de la Fantasy, un roman qui reste accessible

 

Lorsque vous lirez Le Serpent Ouroboros, vous remarquerez que l’auteur adopte un style bien particulier, très similaire à l’anglais littéraire du 17ème siècle en V.O. Ce style se caractérise par l’emploi de tournures de phrases et de termes désuets dans les descriptions et dans les dialogues, avec parfois l’utilisation d’orthographes vieillies, ce que l’on voit par exemple dans une lettre présente dans le chapitre III du roman. L’auteur a également recours à l’épithète homérique. L’épithète homérique était utilisé par Homère dans L’Iliade et L’Odyssée pour compléter les noms propres, avec « Achille aux pieds légers », par exemple. Dans Le Serpent Ouroboros, il s’observe lorsque le récit évoque des contrées ou des personnages, avec « La Démonie aux mille montagnes ». De plus, les descriptions et les dialogues sont très riches et très chargés, c’est-à-dire qu’ils mobilisent énormément la langue pour donner un style très élevé et assez vieilli. Ce style élevé est encore rehaussé par les en-têtes de chapitres, qui rappellent beaucoup ceux des œuvres du 16ème et du 17ème, comme le Gargantua de Rabelais par exemple. Le traducteur a donc dû accomplir un travail sans doute monstrueux pour parvenir à ce résultat qui retranscrit le style d’Eddison à la perfection;

Mais malgré ce style vieilli, le roman est très lisible, parce qu’il possède une puissance évocatrice incroyable. La richesse des descriptions permet au lecteur de visualiser les environnements parcourus par les personnages avec tous les détails possibles, ce qui nous permet de saisir l’aspect épique de l’œuvre. Les illustrations et le style graphique de l’illustratrice ajoutent également au pouvoir également du roman.

Le Serpent Ouroboros possède également un univers assez développé. On suit les Démons (qui n’ont en fait de démoniaque que l’apparence), qui s’opposent aux Sorciers, dirigés par la mystérieuse lignée des « Goricé », et c’est sur les guerres entre les deux nations que se base la trame du roman. À la suite d’une ruse des Sorciers, le seigneur Juss perd son frère, Goldry Bluzco, et doit parcourir le monde à sa recherche. C’est une véritable épopée pour Juss et ses compagnons, au sens où les aventures s’enchaînent à un rythme effréné, sur un mode épique, c’est-à-dire que les combats, les batailles et les valeurs chevaleresques, comme la bravoure et la loyauté, sont mises en valeur à travers les récits de combat et les dialogues entre Juss et Brandoch Daha, par exemple.

Le monde que E. R. Eddison nous dépeint possède également un passé que le roman nous raconte par allusions à certains événements de l’histoire du monde de Mercure, avec par exemple l’histoire de « l’invocation » effectuée par l’un des Goricé, ou encore le fait que la Moruna ait été saccagée à cause des rois Goricé III et IV, mais également la récente guerre que les Démons ont effectué contre les « Goules ». L’univers présenté par l’auteur possède donc une existence propre en dehors du cadre narratif de son roman, et cela lui donne une certaine profondeur.

Le récit pourra donc vous sembler quelque peu manichéen. En effet, les personnages principaux apparaissent comme des héros très positifs, là où leurs ennemis de Sorcerie sont dépeints de manière très négative, mais je (et ce n’est que mon avis) considère que ce n’est pas un véritable défaut si on replace l’œuvre dans son contexte. En 1922, la Fantasy n’en est qu’à ses balbutiements, Le Seigneur des anneaux (qui est une œuvre également manichéenne) de Tolkien n’arrivera que 32 ans plus tard. De plus, certains des personnages du roman, comme Gro ou Brandoch Daha dans une certaine mesure, peuvent être problématiques et assez complexes.

Le mot de la fin

 

Le Serpent Ouroboros est un pur joyau, que je ne peux que vous conseiller tant pour la beauté du style de l’auteur que pour le côté épique de la narration ! E. R. Eddison arrive enfin en France et ce, pour le meilleur, grâce aux éditions Callidor que je remercie chaleureusement pour avoir rendu ce chef d’œuvre disponible.

Vous pouvez également consulter les chroniques de Blackwolf, Nebal