Le Double corps du roi, de Thomas Day et Ugo Bellagamba

Il y a déjà presque un an, lecteur, je te parlais de Thomas Day, avec L’Instinct de l’équarrisseur, que j’avais beaucoup apprécié. Je m’étais dit qu’il fallait que je lise d’autres œuvres de cet auteur, et l’un de mes professeurs de l’université m’a conseillé l’une d’entre elles pour constituer mon futur corpus de recherche de Master. Je l’ai donc lue, et je vais t’en parler aujourd’hui.

Le Double corps du roi, de Thomas Day et Ugo Bellagamba

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Introduction

 

Comme le roman abordé a été écrit à quatre mains, je vais vous présenter les deux auteurs.

Thomas Day, de son vrai nom Gilles Dumay, est né en 1971. Sous son vrai nom, il est éditeur, et a été directeur de la collection Lunes d’encre de Denoël jusqu’en 2017. Il est à présent le directeur de la future collection spécialisée dans l’imaginaire d’Albin Michel. Sous son nom de plume, il contribue à la revue Bifrost et écrit des nouvelles et romans. Il a obtenu le Grand Prix de l’imaginaire à deux reprises, en 2013 pour Du Sel sous les paupières (que je possède mais que je n’ai toujours pas lu), et en 2014 pour le recueil Sept secondes pour devenir un aigle.

Ugo Bellagamba est un auteur français né en 1972. Il travaille comme historien du droit en parallèle de sa carrière. C’est un auteur qui a publié peu d’œuvres, mais dont les qualités sont souvent remarquées. Tancrède, une uchronie a par exemple reçu le prix des Utopiales en 2010, par exemple.

Les deux auteurs ont déjà écrit un roman ensemble, L’école des assassins, paru en 2002. Le roman dont je vais vous parler aujourd’hui, Le Double corps du roi, est d’abord sorti en 2003 en grand format chez Mnémos, avant d’être révisé puis réédité dans la collection FolioSF en 2007.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Dans les temps anciens, le Dieu-Forgeron a fabriqué une armure fabuleuse destinée à conserver la mémoire des rois : l’Hérakléion. Des siècles plus tard, à Déméter, la monarchie se meurt malgré les réformes du vieux roi Yskander. Le pouvoir et l’Armure font l’objet de toutes les convoitises. Absû Déléthérion, général avide et ambitieux, s’adjoint l’aide des étranges Eizihils, peuple d’insectes guerriers vivant dans le Désert de Sel, et assassine le roi lors d’un coup d’état sanglant. Il se proclame régent et s’apprête à régner. Pour contrer les plans du général régicide et venger la mémoire de son roi bien-aimé, Égée Seisachtéion, poète inspiré et fine lame, doit sauver l’Hérakleion… et trouver un héritier légitime au trône de Déméter. Aidé de Johan Solon, un contrebandier au grand cœur, il s’embarque alors pour la Canopée, royaume sylvestre étonnant, pour retrouver l’enfant d’Yskander qui ne veut pas entendre parler de ses origines thaumaturges. Pourtant, dans la fureur de la guerre, chacun devra choisir sa voie. »

La quatrième de couverture est très claire, je n’ai donc pas besoin de rajouter le moindre détail qui pourrait vous spoiler.

Mon analyse s’appuiera sur l’univers dépeint par les deux auteurs, en mettant l’accent sur les différences culturelles entre Déméter et la Canopée, pour ensuite vous parler du tragique, comme souvent, je sais, mais la Fantasy regorge de récits tragiques, et dans le cas de ce roman, je ne pouvais pas ne pas en parler.

L’Analyse

Univers et différences culturelles

 

Thomas Day et Ugo Bellagamba dépeignent dans Le Double corps du roi un environnement urbain, la ville de Déméter, et deux environnements qui le sont beaucoup moins, avec la Canopée et la Sylve. Les descriptions de ces deux environnements, en plus d’être bien construites et visuelles, nous donnent à voir une opposition entre la civilisation des Déméteriens et celle des Canopéens, puisque les uns exploitent une technologie avancée et cherchent à exploiter la nature, tandis que les autres sont proches de la nature et vivent en harmonie avec elle. Mais ce n’est pas tout, le roman met en scène l’opposition des Déméteriens et des Canopéens sur bien d’autres aspects.

En effet, les coutumes des deux peuples sont extrêmement différentes, au point que les Canopéens sont souvent vus comme des « sauvages » par certains Déméteriens, qui utilisent des termes racistes pour parler d’eux, en raison de leurs coutumes parfois étranges, voire choquantes, avec notamment leurs rites funéraires, qui incluent par exemple de « mâcher le sexe » de son mari pour les veuves, par exemple (oui, vous avez bien lu).

Les religions des deux peuples sont également très différentes, même si elles sont toutes deux basées sur le système des quatre éléments (terre, eau, feu, air). La religion de Déméter divise la population en trois classes sociales, les Magmatiques qui sont nobles, les Aquatiques qui constituent le clergé, et les Telluriques qui forment le bas peuple, et inclut un élément tabou, l’air, là où la religion de Canopée, et sa société de manière générale, ne semble pas distinguer de classes sociales marquées et promouvoir l’égalité entre ses citoyens. À ce titre, la société des Canopéens apparaît bien plus juste et utopique que celle de Déméter, qui est rongée par les conflits d’intérêt. On remarque d’ailleurs que Déméter est présentée dès le début du récit comme victime de l’ambition de certains de ses citoyens, là où la Canopée est montrée comme un havre de paix.

Les oppositions entre la Canopée et Déméter sont très marquées dans le récit, lorsque des personnages comme Égée ou Johan Solon découvrent la Canopée et la comparent à Déméter. À noter que Johan, mais également Eiroénée (dont je ne peux malheureusement pas beaucoup vous parler sans vous spoiler), sont des passerelles entre la Canopée et Déméter, puisqu’ils appartiennent chacun aux deux mondes, de deux manières bien différentes. Les deux auteurs, en opposant ces deux civilisations par le biais des différences entre leurs cultures, nous dépeignent un conflit idéologique auxquels s’ajoutent la politique et l’économie, et finalement pas l’inverse, même si la politique reste au centre des intrigues situées à Déméter.

Si on fait un peu d’onomastique (l’étude des noms propres) avec les noms utilisés dans le roman, on se rend compte que les noms des personnages venant de Déméter ressemblent beaucoup (ou reprennent) des noms de la Grèce antique, avec Égée, Thésée, Argo de Thrace… Cela tend à inscrire le récit dans un passé héroïque et chargé d’artefacts puissants, de guerres, de complots, et de créatures surnaturelles, avec les Eizihils, des créatures insectoïdes surpuissantes capables de muter de générations en générations pour s’adapter à leur environnement, ce qui les rapproche de créatures que l’on trouve davantage dans la science-fiction plutôt que dans la fantasy.

Autre point qui tend à rapprocher des éléments du roman appartenant de la science-fiction plutôt que de la fantasy, la citation d’Arthur C. Clarke que l’on trouve en incise et qui dit que « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. ». Cette citation permet aux lecteurs d’être éclairés sur certains points du roman. En effet, on pourrait croire que les Thaumaturges du roman utilisent la magie, avec leurs chimères (des créatures cristallines capables de prendre des formes très diverses en se réorganisant), leurs épées enflammées, leurs armures qui font penser à des exosquelettes, et même l’Hérakléion, alors que non, ce sont des artefacts d’une technologie très avancée et mystérieuse qui passe pour de la magie. Le fait qu’une technologie avancée soit identifiée comme de la magie permet de mettre à distance l’aspect héroïque du monde dépeint par les auteurs pour en montrer le côté retors et corrompu.

L’univers dépeint par Ugo Bellagamba et Thomas Day est donc assez riche, et permet de construire un récit porteurs de messages forts.

Le tragique et la violence

 

Le Double corps du roi est marqué par son climat violent et tragique envers ses personnages.

En effet, ceux-ci doivent faire face à un coup d’état, celui du général Déléthérion, puis ils doivent lutter contre le régime tyrannique de celui-ci, face auquel ils se retrouvent vite démunis, voire condamnés (le récit est en effet assez clair sur le destin de certains personnages). Ces résistants doivent donc faire face à une sorte de destin fatal, comme Johan ou Égée par exemple.

La violence est omniprésente dans le récit, à travers le langage souvent cru des personnages, avec des répliques souvent cinglantes (« Eh ! Vous prenez racine, ma parole ? Je suis sûr que vous avez tous la même mère, une de ces grosses putes sèches qui, dès qu’un bateau arrive, attend à quatre pattes sur une caisse vermoulue que les matelots viennent graisser et l’enfiler à la chaîne, jetant chacun une pièce dans le crachoir de bronze qu’elle coince entre ses genoux. »), et le côté absolument sanglant des combats, avec des démembrements, des immolations, des mutilations et de la torture, qui mènent à des morts souvent atroces dont les auteurs ne nous épargnent aucun détail. Cette violence renforce le tragique à travers ce que les personnages du roman subissent physiquement et moralement, et cela rend certaines scènes du roman très émouvantes, avec notamment la séparation de Johan et Égée dans la partie II.

Les combats sont souvent violents, mais également bien rythmés et empreints d’une forte dimension épique, à l’image de la bataille finale qui oppose Canopéens et Déméteriens (qui aurait cru que des insectes largués depuis des sortes de deltaplanes puissent faire autant de dégâts), ou les scènes où Égée se bat, notamment dans le palais de Déméter.

Pour finir, je dirai que les personnages du roman portent en eux une grande part de tragique, puisqu’ils perdent des êtres chers dans le cas d’Égée notamment, parce qu’il était confident du roi, assassiné sous ses yeux. La plupart des autres résistants à la tyrannie de Déléthérion connaissent également un destin tragique, mais je ne vous en dirai pas plus !

Le mot de la fin

 

Le Double corps du roi est violent, tragique, et pourtant porteur de messages intéressants. J’ai beaucoup apprécié les personnages d’Égée, de Johan, ainsi que les mystérieux « Exécuteurs », mais aussi le général Déléthérion, qui apparaît tellement convaincu et ambitieux dans ses projets qu’il force presque l’admiration, malgré les actes horribles qu’il commet.

Bref, je vous conseille la lecture de ce roman, et il faudra vraiment que je lise d’autres œuvres de ces auteurs !

Vous pouvez également consulter les chroniques de Dionysos, Gromovar

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