Thaïr : Renaissance, de Jean-Luc Marcastel

Salutations, lecteur. Aujourd’hui, je vais te parler d’un roman de science-fiction qui interroge la Troisième Loi de Clarke.

 

Thaïr : Renaissance de Jean-Luc Marcastel

leha42-2020

 

Introduction

 

Avant de commencer, je tiens à préciser que cette chronique émane d’un service de presse des éditions Leha. Je remercie Julien Guerry pour l’envoi du roman !

Jean-Luc Marcastel est un auteur français né en 1969. En parallèle de sa carrière d’écrivain, il exerce la profession d’enseignant en histoire Il est l’auteur de romans de science-fiction et de Fantasy qui s’adressent autant à la jeunesse qu’aux adultes, avec par exemple Frankia, paru en 2009 aux éditions Mnémos, et L’Auberge entre les mondes paru chez Flammarion jeunesse entre 2017 et 2018.

Le roman dont je vais vous parler aujourd’hui, Thaïr : Renaissance, est paru en Janvier 2020 aux éditions Leha, et inaugure une trilogie.

Voici la quatrième de couverture du roman :

« Il y a mille cinq cents ans, le fléau d’ftrkhen le maudit est tombé de la tune. L’air s’est mué en feu, la Terre s’est ébrouée comme une bête blessée. En quelques heures, les cités de verre et d’acier de nos ancêtres se sont effondrées. Pendant mille ans, le froid et les ténèbres ont recouvert ce monde. Seuls ont survécu ceux qui avaient pu se réfugier dans les bastions souterrains. Après que les nuées se sont écartées, les hommes, entre archaïsme et modernité, se réapproprient une planète sauvage, impitoyable, qui ne les attend plus. En Avarnia, les champions des clans, revêtus d’armures cybernétiques de six mètres de haut, se battent avec des épées médiévales. Mais là-haut, dans les profondeurs de l’astre blessé, le mal, le haut mal, a survécu, a traversé le vide et s’apprête à dévorer Thair et tous ses peuples. Contre lui, il n’est qu’un remède, une arme, mais pour l’obtenir, Faïria, dernière châtelaine du clan assassiné d’Orguenoire, es-tu prête à en payer le prix ? »

Mon analyse du roman s’intéressera d’abord à l’univers post-apocalyptique régressif, puis je traiterai de la narration et des emprunts génériques effectués par l’auteur.

 

L’Analyse

 

France post-apocalyptique et médiévale

 

Dans ce premier volume de Thaïr, Jean-Luc Marcastel nous décrit une France (et à travers elle, une Terre) alternative, complètement bouleversée par un cataclysme survenu plus d’un millénaire auparavant. On reconnaît ainsi notre monde par la proximité des noms donnés aux lieux par les personnages avec ceux que nous connaissons. « Tolosonia » désigne par exemple Toulouse, « Avarnia » l’Auvergne, « Garonnai » la région auvergnate, « Braizar » la Bretagne, et « Alpianar » le Sud-Est alpin.

Cette apocalypse causé par une bombe d’anti-matière a transformé l’environnement, puisqu’on observe que notre pays a perdu la région de l’île de France, tandis que l’Auvergne et le Sud-Ouest sont séparés par un grand fleuve. Ces changements géographiques sont observables dans la narration, mais aussi sur la carte qui nous est donnée dans les premières pages du roman.

Ces changements géographiques et sociétaux profonds permettent à l’auteur de jouer avec des mécanismes d’ironie dramatique, puisque certains personnages en savent plus que d’autres, ce qui leur permet de mentionner la France, mais aussi et surtout le cataclysme, de manière explicite. Cela permet également de créer un décalage entre les personnages conscients du cataclysme, parce qu’ils l’ont vécu, ce qui fait que certains personnages disposent d’une mémoire de plus d’un millénaire (oui oui, mais bon lisez Le Livre des Martyrs et vous verrez que la mémoire d’un individu peut s’étaler sur plusieurs centaines de milliers d’années), et ceux qui ont toujours connu le monde tel qu’il est.

L’un des personnages du récit s’exprime sur le monde de Thaïr en ces termes :

«  Si les bâtisseurs du roi Arthur avaient su comment couler le béton armé, fabriquer des structures de verre et de fer, et connu les traités d’architecture militaire des XXe et XXIe siècles, alors Camelot aurait ressemblé à ça. ».

Le monde dépeint par Jean-Luc Marcastel est en effet marqué par son mélange de médiévalisme, causé par une régression technologique importante à la suite du cataclysme, et les vestiges d’une science extrêmement avancée, avec des armures conscientes, des IA, du clonage, et des objets biotechnologiques et des créatures biomécaniques.

Le roman se distingue toutefois des univers post-apocalyptiques tels que celui des Dieux Sauvages de Lionel Davoust, notamment dans le rapport des personnages aux vestiges technologiques. En effet, les personnages de Thaïr ont pleinement conscience de se trouver face à une véritable technologie, ce qui implique que l’auteur ne traite pas ses procédés surnaturels comme une technomagie, mais comme une science « pure », malgré une régression qui pourrait donner lieu à l’apparition (ou à la perception) de la magie. Thaïr subvertit ainsi, d’une certaine façon, la Troisième Loi de Clarke, en montrant la technologie pour ce qu’elle est à ses personnages, malgré le fait qu’ils ne connaissent pas son fonctionnement.

L’auteur confronte toutefois deux visions de son monde, à travers le point de vue des personnages qui ont toujours connu Thaïr, avec ses sociétés isolées et parfois brutales, et celui de ceux qui ont connu la Terre, avant et pendant sa destruction, ce qui engendre un décalage entre les habitants d’un nouveau monde, et les tenants d’une ancienne société ravagée par le mal. On constate également que le monde de Thaïr¸ si on observe sa carte, n’englobe qu’une France morcelée par le cataclysme, parce que les personnages que l’on suit ne savent rien de ce qui se trouve au-delà de leurs terres. La régression scientifique est donc accompagnée par une régression des savoirs sur le monde lui-même.

L’auteur montre cependant que les personnages entretiennent un rapport mythifié au cataclysme, qu’ils nomment « Anthir », et à l’hiver nucléaire qui l’a suivi, appelée « Nocturnage ».

Thaïr : Renaissance présente une France alternative post-apocalyptique, au sein de laquelle on observe des sociétés dotées de différents modes de gouvernance et des coutumes variées, ainsi que des créatures surnaturelles.

L’auteur décrit les « thoïls » avernians, qui sont une sorte de famille clanique étendue placée sous la coupe d’une « castalaïna », une matriarche qui dispose d’un pouvoir absolu, considérée comme une déesse, mais contrainte de rester célibataire. Les thoïls ne forment cependant pas un gouvernement uni, et s’isolent les uns des autres, au contraire de Braïz, qui dispose d’une politique centralisée, ou de Garonnaï, qui est un état démocratique fédéral dont l’avancement technologique correspond au 19ème siècle industriel. Ces sociétés, différentes dans leur organisation, témoignent de la manière dont le monde s’est réorganisé après le « Nocturnage ».

Le roman décrit également des créatures et de végétaux surnaturels, à l’image des « fouetteronces », une plante qui attire ses victimes dans ses buissons pour le réduire en charpie, les « saules esclavagistes » qui peuvent rendre leurs victimes dépendantes à leur sève, produite à partir de leur sang, ou encore le « crocongre », un gigantesque serpent de mer. Les créatures décrites par l’auteur témoignent de la transformation profonde du monde après le cataclysme, qui a fait muter la faune comme la flore.

Jean-Luc Marcastel bâtit son univers de manière extrêmement détaillée, qu’il ancre dans la SF post-apocalyptique, puisqu’il traite du renouveau d’une société après un cataclysme titanesque qui a profondément transformé la Terre et la société, mais il emprunte aux codes narratifs de la Fantasy.

 

Une narration typée Fantasy ?

 

La construction narrative de Thaïr : Renaissance semble emprunter certains de ses schémas à la Fantasy. En effet, l’auteur place son personnage principal, Faïra, castalaïna du thoïl d’Orguenoire, dans une position d’Elue malgré elle. En effet, Faïra doit faire face au massacre brutal de son peuple, alors que ressurgit le mal ancien qui a failli détruire toute vie sur Terre, appelée « Malepeste », qui se révèlent être les « nodes ». Les nodes sont une technologie créée par le scientifique Arkhen et ses acolytes Steiner et Lee, pour faire évoluer l’Humanité grâce à des nanomachines capables d’assimiler et d’archiver les corps et les consciences de la matière vivante dans une conscience collective. Ces machines sont alors capables d’infecter pour reformater et coloniser les corps morts pour les transformer en aberrations biomécaniques dotées d’excroissances et d’armes surpuissantes (oui oui). Faïra doit donc faire face à la destruction de son thoïl par les armées du « Node Prime », qui cherchent à coloniser la Terre pour assimiler la totalité de ses formes de vie. La stratégie des nodes et leur comportement sont d’ailleurs expliqués à travers le point de vue de l’un d’entre eux, ce qui donne à voir leur organisation et la manière dont les consciences des scientifiques contenues dans le Node Prime interagissent avec leur création. Jean-Luc Marcastel, à travers les nodes et leur volonté d’assimiler les formes de vies, montre les dérives du transhumanisme et de la volonté de forcer l’évolution de l’Humanité par une mécanisation devenue incontrôlable et dangereuse.

Faïra apparaît donc comme une héroïne orpheline dotée d’un statut d’Elue, puisqu’elle est la seule à pouvoir réactiver l’arme capable de lutter contre la « Malepeste », c’est-à-dire la transformation en armes biomécaniques d’êtres vivants contaminés par les nodes d’Arkhen. Cette arme se révèle être un être vivant, la Sentinelle, Jaan de Carsac, personnage légendaire ayant supposément détruit le fléau envoyé par Arkhen et sauvé le monde, mais il s’avère que ce n’est pas véritablement. Jaan de Carsac va devoir faire face à la résurgence d’un mal ancien, qui a ravagé son monde, aux côtés de Faïra, qui souhaite sauver le sien. La relation entre Faïra et Jaan de Carsac s’avère assez complexe, puisque pour réveiller la Sentinelle, la castalaïna doit (au cours d’événements que je ne révèlerai pas), littéralement lui donner naissance (oui oui). Jaan de Carsac et Faïra vont donc en quelque sorte former un couple d’élus de leurs mondes, chacun à leur manière, qui vont tenter de vaincre les armées du Node Prime.

Jean-Luc Marcastel emploie donc certains codes de narration de la Fantasy, à savoir des personnages Elus, qui luttent contre le retour d’un Mal considéré comme absolu, au potentiel de destruction avéré, les nodes, qui menace de ronger la Terre pour assimiler ses formes de vie, dans un cadre science-fictif. Cette manière d’injecter les codes narratifs de la Fantasy dans un roman de SF s’observe également dans les descriptions des combats menés par Faïra et Jaan de Carsac, qui possèdent un véritable souffle épique selon moi, à la fois dans la puissance déployée par les personnages, mais aussi dans l’aspect tragique des batailles qu’ils doivent mener, seuls contre des hordes de monstres. En cela, le roman rappelle le désespoir tragique de Mériane dans Les Dieux Sauvages de Lionel Davoust, qui est un roman de Fantasy post-apocalyptique mettant également en scène une Elue malgré elle.

Parallèlement à l’intrigue qui concerne Faïra et la Sentinelle, on suit Yaïn, un jeune harponneur, parti sur les routes à la recherche des brigands qui ont enlevé Naïde, la femme qu’il aime, à cause de son espèce. Elle est en effet une sirénaïre, c’est-à-dire une humanoïde vivant dans la mer (qui a dit noé de Mermere après l’Apocalypse ?). Yaïn, aux côtés du mystérieux Vicent, va tout faire pour retrouver Naïde, mais également croiser le chemin des abominations envoyées par Arkhen. Le roman de Jean-Luc Marcastel prend alors le parti de relater la destinée d’êtres considérés comme exceptionnels, Faïra et Jaan de Carsac, mais aussi il nous fait également suivre des personnages plus banals confrontés à des horreurs millénaires avec Yaïn.

 

Le mot de la fin

 

Thaïr : Renaissance inaugure une série de science-fiction post-apocalyptique qui emprunte aux codes narratifs de la Fantasy.

Jean-Luc Marcastel dépeint une France alternative ravagée par un cataclysme, au sein de laquelle des sociétés médiévales et pré-industrielles se sont reconstruites au milieu de vestiges technologiques extrêmement avancées, avec notamment des armures conscientes, des IA et des armes à feu. Le monde de Thaïr va cependant connaître un nouveau cataclysme, avec l’arrivée des nodes, des nanomachines assimilant les formes de vie pour les transformer en monstres biomécaniques, venues de la Lune pour détruire les formes de vie terrestres.

Faïra, matriarche ayant vu l’intégralité de son clan se faire massacrer par les nodes, et Jaan de Carsac, vestige vivant de l’époque du cataclysme, apparaissent alors comme des figures d’Elus dont le destin est de débarrasser la Terre de la Malepeste qui la ronge. Les deux personnages semblent être des héros de Fantasy, mis au contact d’un univers science-fictif.

Je vous recommande vivement la lecture de Thaïr, qui dispose d’un véritable souffle épique et d’un univers original !

Vous pouvez également consulter les chroniques de Lutin, Acaniel, Dup,

5 commentaires sur “Thaïr : Renaissance, de Jean-Luc Marcastel

  1. Mhh!
    Je ne vois pas Faïra en Elue, justement. Effectivement son rôle est « d’activer » l’Arme. Point barre. Ensuite, c’est une suiveuse. Du moins pour l’instant. Nous pourrions voir que cette maternité en soi est déjà bien suffisante, mais j’attends un personnage plus actif pour le titre d’Elue, qui ne se contente pas de subir les événements.
    L’Elu, le véritable, c’est l’Arme.
    Enfin, c’est ainsi que je le vois.

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